M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 127 rectifié est présenté par MM. Cigolotti, Guerriau, Bonnecarrère, Luche et Roche, Mme Joissains, MM. Médevielle et Canevet, Mme Loisier et MM. Longeot, Gabouty et Pellevat.

L'amendement n° 133 est présenté par M. Navarro.

L'amendement n° 586 est présenté par le Gouvernement.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

Les amendements nos 127 rectifié et 133 ne sont pas soutenus.

La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 586.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Cet amendement vise à supprimer l’article 23 quater, qui a été introduit au Sénat lors des débats en commission des finances.

L’objectif est louable : les revenus professionnels tirés de la location de meublés touristiques…

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Pas seulement professionnels !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. En réalité, monsieur le rapporteur pour avis, le problème réside précisément dans le fait que cela concerne non plus seulement les meublés touristiques mais toutes les plateformes !

Je disais donc qu’il est normal que les revenus tirés de la location de meublés touristiques, s’il s’agit de revenus professionnels, soient fiscalisés en cette qualité.

L’article prévoit d’obliger les plateformes à transmettre automatiquement les informations destinées à l’administration fiscale.

À la fin de l’année dernière, lors des débats sur la loi de finances, une disposition a été introduite consistant à demander aux plateformes qu’elles notifient une fois par an à leurs utilisateurs – des particuliers, des consommateurs – le montant total des revenus tirés de leurs pratiques d’économie collaborative.

Il y a là une volonté de transparence dans l’information donnée aux utilisateurs, également positive pour les plateformes, le tout contribuant à la simplicité des dispositifs. En fin d’année, tout un chacun sait combien il doit déclarer à l’administration fiscale au titre de son imposition, en fonction des données transmises par les plateformes.

Cette mesure, tout juste adoptée, n’a pas encore été concrètement mise en œuvre. C’est à compter du 1er juillet 2016 que les plateformes devront fournir aux utilisateurs l’information quant à leurs obligations fiscales et sociales.

Se pose également un problème de respect de la vie privée.

À l’heure actuelle, deux catégories de structures ont une obligation de transmission des revenus à l’administration fiscale : les banques, pour des raisons que l’on comprend très bien, et les employeurs. Or on envisage d’étendre une telle obligation, dont la portée n’est tout de même pas anodine, à des plateformes intervenant dans tous les secteurs, et ce dans tous les cas de figure. Et on ne parle pas de la même chose s’il s’agit d’une location de voiture ou d’une location d’appartement. Les conséquences fiscales ne sont pas les mêmes, ni les volumes.

Une obligation tellement générale, non seulement serait inapplicable, car elle exigerait de mettre en place une véritable usine à gaz informatique, mais, très certainement, ne correspondrait pas aux règles édictées par l’administration fiscale pour coller au plus près de chacune des situations.

Du fait de ce caractère extrêmement général, la mesure risquerait de terriblement complexifier la situation et peut-être, à terme, de mettre un véritable coup de frein à l’économie collaborative. Ce n’est pas le souhait du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Nous voici un peu à la croisée des chemins, mes chers collègues.

Je rappellerai en préambule que le Sénat, pratiquement à l’unanimité, a adopté le même dispositif lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, à l’automne. J’espère bien que nous ferons de même ce matin !

Lors de la discussion générale, j’ai indiqué que la révolution numérique devait appeler une révolution fiscale. Cela ne signifie pas qu’il faut créer des impôts nouveaux ; il faut se donner les moyens de vérifier que la révolution numérique ne consistera pas, pour l’État, à voir s’évaporer les bases d’imposition.

Je ne m’attarderai pas sur la question de l’impôt sur les sociétés – Mme Marie-Noëlle Lienemann, me semble-t-il, a déposé un amendement qui nous permettra de reparler du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « BEPS » –, mais il y a là un vrai sujet.

L’évaporation des bases de TVA, du fait du commerce en ligne en est un autre, dont Bruxelles est en train de se préoccuper.

Le développement de l’économie collaborative, permettant à des particuliers de tirer des revenus, certes plus ou moins élevés, constitue aussi un sujet, madame la secrétaire d’État.

On ne peut pas, d’un côté, souhaiter que cette économie prenne son essor et, de l’autre, refuser de donner à l’administration les moyens de vérifier que les règles du jeu sont respectées. Édicter des règles, c’est bien, mais quelle est l’utilité réelle si l’on est dans l’incapacité de vérifier qu’elles sont appliquées ?

Il n’est donc pas du tout anormal, à mon sens, de demander aux plateformes concernées de communiquer ces informations.

Vous évoquez une complexité technique… Le chef de projet en informatique que je fus voilà quelques années doit pouvoir vous rassurer, avec certitude, sur ce point : la mise en œuvre d’une telle mesure n’est pas très complexe, elle est tout à fait envisageable et ne constituera pas, je pense, un gros sujet pour ces plateformes.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’aller taxer et surtaxer celui qui loue sa voiture ou qui la partage une fois par an. D’ailleurs, vous semblez dire que la situation des loueurs de voitures diffère de celle des loueurs d’appartements. Détrompez-vous, madame la secrétaire d’État, le phénomène est le même !

Nous nous retrouvons désormais avec des personnes mettant en location quatre, cinq, six, dix voitures. Lors d’un groupe de travail de la commission des finances, nous avons reçu les principales entreprises du secteur de la location de véhicules, qui nous ont expliqué que le plus gros loueur de voitures, aujourd'hui, ce sont les plateformes, et non Hertz ou Avis. Certains utilisateurs de ces plateformes sont effectivement des professionnels déguisés en particuliers. Comment comptez-vous lutter contre cela ?

Si vous ne vous donnez pas les moyens, et si vous ne mettez pas votre administration en position de pouvoir contrôler, nous sommes condamnées à voir s’évaporer nos bases d’imposition. Or je ne pense pas que cette belle République ait les moyens de voir fondre l’impôt qu’elle collecte.

Donc, j’y insiste, il s’agit, non pas de créer des impôts nouveaux, mais simplement de doter l’administration d’outils lui permettant de vérifier que les impôts dus sont bien versés par les redevables.

L’avis de la commission est donc forcément défavorable.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. J’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait qu’en adoptant un tel amendement, vous cibleriez les seules pratiques en ligne, c’est-à-dire les transactions opérées à partir d’une mise en contact par des outils numériques, et non la location d’un appartement qui serait conclue par le biais d’une petite annonce déposée dans un bureau de poste ou une boulangerie, voire par l’intermédiaire d’une agence immobilière.

Voilà déjà une première faiblesse, juridique, du dispositif proposé, du fait de l’introduction de cette inégalité de traitement.

Par ailleurs, on peut évoquer les bases fiscales d’imposition, mais, même si cela constitue bien un sujet, la préoccupation principale en la matière, au regard du volume perdu, doit être l’impôt sur les sociétés.

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Et la TVA !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Encore ce matin, un rapport très intéressant de l’association Oxfam America révélait les montants qui font l’objet de pratiques d’optimisation fiscale par les grandes multinationales américaines : ce sont des dizaines de milliards d’euros qui, chaque année, partent dans des paradis fiscaux. Alors, oui, parlons-en, des pertes fiscales, mais sans oublier que le présent amendement vise les particuliers, comme vous et moi, qui utilisent ces plateformes pour compléter leurs revenus, alors même que les multinationales dont je parlais échappent totalement à l’impôt. Il faut choisir qui l’on souhaite cibler !

Je ne nie pas qu’il existe un véritable problème de détournement de la loi par certains qui, au travers de pratiques aujourd'hui minoritaires, deviennent des professionnels, sans pour autant déclarer leurs revenus à hauteur des volumes engendrés par ces pratiques. Ce sont ces personnes-là qui doivent être ciblées.

Au Royaume-Uni, un seuil a récemment été introduit dans le cadre des discussions budgétaires. Il s’élève, je crois, à 7 000 livres, ce qui traduit bien une volonté de ne pas cibler tout le monde. Le principe d’une transmission automatique à l’administration des revenus engendrés par le recours à des plateformes me paraît beaucoup trop global et systématique.

Si j’ai établi une distinction entre location de voitures et location d’appartements, ce n’était pas pour relever une différence dans le phénomène de contournement de la loi. Simplement, les volumes de recettes fiscales afférents ne sont pas identiques – j’aurais aussi pu prendre l’exemple d’un instrument de musique. On le voit bien, en louant dix voitures pendant trois mois, on ne tirera pas les mêmes revenus qu’en louant un appartement deux fois par an pendant trois jours.

Je ne prétends pas que nous pouvons nous abstenir de lutter contre ce phénomène de contournement, mais j’estime qu’il faut le faire correctement !

Nous devons nous doter de règles fiscales adaptées au cas par cas, secteur par secteur. L’administration fiscale s’y emploie, afin de pouvoir, d’ici à la fin de l’année – en tant que membre de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, vous aurez très certainement l’occasion de discuter à nouveau du sujet au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2017 – édicter, au cas par cas, des règles fiscales opérationnelles.

En tout cas, le dispositif ici proposé est dangereux pour la vie privée et trop complexe. Il ne pourra pas être mis en œuvre.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. La commission des finances, à laquelle j’appartiens, s’est prononcée à l’unanimité en faveur de la mise en œuvre de cette mesure. Je suivrai donc son rapporteur pour avis, qui, par voie d’amendement, a introduit le dispositif au cours de nos travaux en commission, et, en conséquence, voterai contre l’amendement du Gouvernement visant à le supprimer.

J’ai le sentiment que, face à ces problèmes de fuite de recettes fiscales à tous les niveaux, nous avons l’obligation de rechercher une transparence maximale. Lorsque je lis dans l’objet de l’amendement gouvernemental qu’une telle mesure pourrait engendrer des difficultés en termes de vérification d’identité ou de protection de la vie privée, je décèle une sorte de contradiction avec ce souci de recherche d’une totale transparence sur tous les revenus censés engendrer une recette fiscale.

J’ai donc, madame la secrétaire d’État, quelque peine à vous suivre sur ce terrain.

Comme le rapporteur pour avis l’a souligné, nous sommes confrontés, avec l’économie collaborative, à un développement accéléré d’une nouvelle forme d’économie.

L’argument selon lequel les transactions par petites annonces ne seraient pas touchées, ce qui risquerait d’introduire une rupture d’égalité me laisse quelque peu perplexe. On peut voir là une petite insuffisance à signaler. Pour autant, la montée en puissance des pratiques en ligne doit sans doute pousser le législateur à essayer d’emblée d’instituer des dispositifs nous plaçant dans la bonne trajectoire, celle d’une transparence totale.

C’est sur ce fondement que les membres de la commission des finances, à l’unanimité, ont accepté de suivre le rapporteur pour avis s’agissant de ce dispositif, et c’est pourquoi, mes chers collègues, je voterai contre l’amendement de suppression du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Je ne sais pas encore si je voterai ou non cet amendement, madame la secrétaire d’État. Tout dépend de la réponse qui va m’être donnée…

N’étant pas juriste, je n’ai aucune prétention en la matière, mais j’essaie simplement de comprendre le français et je constate que le mot « utilisateur » est employé à cinq reprises dans cet article 23 quater. Ce terme ne me semble pas assez précis. Peut-être est-ce une notion juridique. Mais j’observe qu’il peut y avoir deux utilisateurs : celui qui met un bien en location, et celui qui le loue.

Si le terme a une valeur juridique, je ne voterai pas votre amendement, madame la secrétaire d’État. Mais, s’il n’en a pas, je souhaiterais que M. le rapporteur pour avis modifie la rédaction envisagée et précise le sens du terme « utilisateur ».

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. J’étais sensible aux arguments de Mme la secrétaire d’État sur ce qu’elle prétend constituer une possible atteinte au respect de la vie privée, même si je ne suis pas certaine, en ma modeste qualité de membre de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, de saisir ce à quoi elle fait précisément allusion. Je suis donc également un peu perplexe sur ce point.

J’entends bien qu’il ne faut pas instaurer un dispositif trop complexe, dans la mesure où une réflexion par secteur se met en place.

Je prends également bonne note de la façon dont la décision a été prise en commission des finances, et j’ai toute confiance en mon collègue André Gattolin sur ces questions.

Surtout, j’ai un embarras de fond. Pour notre part, nous sommes d’ardents militants de la transparence pour tout ce qui concerne les paradis fiscaux. Je ne vois donc pas, en tenant bien compte des propos de Mme la secrétaire d’État, et malgré toute l’amitié que je lui porte, comment je pourrais m’opposer à l’amendement de la commission des finances. Même s’il présente des risques que je ne mésestime pas, cet amendement est plutôt vertueux dans le sens où il est cohérent avec la demande, que nous formulons systématiquement et à chaque occasion dans cette enceinte, d’une plus grande transparence.

On ne peut pas avoir une transparence à deux vitesses. Si la transparence est une vertu, elle doit pouvoir s’appliquer à tous !

Par conséquent, sous réserve des précisions de Mme la secrétaire d’État en réponse à notre collègue Bruno Sido – sa remarque me semble pertinente : parle-t-on de l’usager non-propriétaire, de l’usager propriétaire ou d’un autre usager ? –, je serai plutôt tentée de suivre la position de la commission des finances.

L’adoption de cet amendement permettra peut-être d’engager d’autres débats. Si vous estimez, madame la secrétaire d’État, que le dispositif envisagé est très problématique, il sera toujours temps de consolider la décision prise en commission des finances – et je me fie à mes collègues sur ce point. Mais c’est être prudent, tout de même, d’indiquer un cap.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’argument de la vie privée me semble tout de même important, madame Bouchoux. Mais je vais y revenir.

Il est suggéré, ici, que toutes les ressources soient communiquées à l’administration fiscale, non pas uniquement les revenus.

Si je décide de mettre à la vente un objet – prenons l’exemple d’une poussette, revendue à 15 euros - et si je le revends moins cher que je ne l’ai acheté, en l’absence de gain par rapport au prix d’achat, je n’ai perçu aucune recette exigeant une déclaration à l’administration fiscale. Mais la différence ne sera absolument pas perçue puisque toutes les ressources tirées de l’utilisation de plateformes, indépendamment de l’objet des transactions, de leur volume et des gains réels qui en ont été tirés, donc sans distinction entre celles qui doivent être fiscalisées et celles qui n’ont pas à l’être, feront l’objet d’une déclaration.

Pour ce qui est du risque d’atteinte à la vie privée, un débat est ouvert aujourd’hui notamment par certaines organisations syndicales, sur le fait que la mise en œuvre de l’imposition à la source portera atteinte au respect des données personnelles des employés, alors même que les employeurs ont déjà une obligation de transmission d’informations à l’administration fiscale.

Si nous avons ce débat sur le type d’informations à transmettre pour calculer l’impôt sur le revenu – un cadre tout de même très régulé et éprouvé –, imaginez, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle forme il prendrait s’agissant d’un dispositif concernant toutes les formes de transactions effectuées sur toutes les plateformes, indépendamment de la perception éventuelle d’une commission, du caractère fiscalisé ou pas des revenus, quel que soit le secteur d’activité, etc. Cela me paraît irréalisable, ou dangereux.

Pour répondre à votre interrogation, monsieur Sido, je n’ai pas encore vérifié s’il existait une définition juridique du terme « utilisateur ». J’espère être en mesure de vous répondre très rapidement. Mais j’espère aussi, compte tenu de l’importance de ce débat, au fond, que ce seul point n’emportera pas votre décision finale quant au vote de l’amendement.

Vous avez raison de poser la question : y a-t-il une différence entre un utilisateur, un consommateur, un usager de plateforme ? Tout dépend vraiment de la conception que l’on a de l’économie numérique.

Certains sont des consommateurs, mais pas tous ; il y a des vendeurs, des contrats de commerce, des contrats de consommation ; deux particuliers peuvent être impliqués… C’est donc volontairement que nous n’avons pas utilisé le terme « consommateur », car il emporte des conséquences juridiques différentes.

Nous n’avons pas non plus utilisé le terme « usager ». Celui-ci, tout comme le terme « administré », me satisfait lorsqu’il est employé dans le contexte des services publics. Parler d’« usagers » des plateformes me paraît erroné, la problématique étant différente.

En revanche, le terme « utilisateur » convient bien à l’économie collaborative, d’autant plus qu’il est attaché à la notion de collecte de données. Il est effectivement employé dans le domaine de l’économie de la donnée, lorsque l’on juge important que les utilisateurs aient la libre disposition de leurs données personnelles et de leurs données d’usage.

Ce qui compte en matière d’économie numérique, ce sont effectivement les usages. Cette notion d’utilisateur me paraît donc adéquate ici.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis.

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. J’indiquerai tout d’abord, pour rassurer notre collègue Bruno Sido, que nous allons examiner un amendement de Christophe-André Frassa tendant à préciser la mesure : est bien concerné, et vous avez raison de le souligner, monsieur Sido, l’utilisateur percevant des revenus.

Madame la secrétaire d’État, pardonnez-moi, mais vos arguments sur le respect de la vie privée me laissent assez pantois.

Il s’agit ici de demander aux plateformes de transmettre des données à l’administration fiscale. Le tout est donc couvert par le secret fiscal. Un particulier contrôlé par l’administration fiscale est bien tenu d’expliquer la provenance de tous les revenus qu’il a perçus. S’il a revendu d’occasion une poussette, une voiture ou je ne sais quel bien, il faudra qu’il le précise.

En ce sens, je ne vois pas où se situe l’atteinte au respect de la vie privée. C’est couvert par le secret fiscal, et votre argument ne tient absolument pas !

Par ailleurs, la problématique n’est pas la même dans le cas du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. L’inquiétude qui a été exprimée concerne l’obligation de transmettre aux employeurs des éléments de la vie privée justifiant le taux d’imposition à appliquer. Ici, nous sommes dans le sens totalement inverse : il s’agit de doter l’administration fiscale de moyens de contrôle efficaces, adaptés à cette économie numérique nouvelle. C’est tout !

Je le répète, aucun impôt nouveau n’est créé ; nous mettons simplement un moyen de contrôle à disposition de l’administration fiscale.

Nous reviendrons sur le seuil de 5 000 euros – vous avez évoqué celui de 7 000 livres en Grande-Bretagne –, mais, faute de temps, je ne vais pas développer le sujet. En tout cas, madame la ministre, vos arguments concernant le respect de la vie privée ne tiennent pas.

La commission des finances persiste et signe : elle tient à ce que cet amendement de suppression soit repoussé !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Exclamations sur un grand nombre de travées.)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Ce sera ma dernière prise de parole, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais ce débat est important et j’ai l’espoir de vous convaincre.

Le fait que ce soit du numérique n’implique pas qu’il faille tout déclarer !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. C’est du contrôle !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Ce n’est pas parce qu’une personne vend une poussette d’occasion sur internet qu’il faut automatiquement, et en amont, déclarer la transaction à l’administration fiscale.

Vous évoquez le contrôle par l’administration, monsieur le rapporteur pour avis, et vous avez raison. Lorsque l’administration fiscale prend l’initiative, dans le cadre de son pouvoir de contrôle et de sanction, de se renseigner sur la source de certains revenus déclarés ou non déclarés, à ce moment, elle est tout à fait en droit d’exiger des vérifications. Mais vous demandez une transmission automatique, en amont, d’informations qui n’auraient pas eu à être déclarées si les ressources avaient été obtenues autrement que par l’intermédiaire du numérique.

Le numérique ne doit pas être un prétexte à tout ! Il ne doit pas justifier l’invasion de la vie privée !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 586.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 638, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Alinéa 4

1° Après le mot :

sens

insérer la référence :

du 2°

2° Après le mot :

France

insérer les mots :

au titre des revenus qu’ils perçoivent par l’intermédiaire de la plateforme

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Au travers de cet amendement, la commission des lois reprend une proposition de précision du texte de la commission des finances portant sur la déclaration automatique sécurisée des revenus des utilisateurs des plateformes en ligne. Il est, me semble-t-il, de nature à rassurer notre collègue Bruno Sido. Ainsi, il est précisé que les plateformes devront effectuer cette déclaration pour les seuls utilisateurs ayant perçu des revenus.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’avis est favorable sur cet amendement de précision.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 638.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 49 rectifié bis, présenté par MM. Grand et Milon, Mmes Giudicelli et M. Mercier, MM. Vasselle, Gilles, Pellevat, Lefèvre et Bizet, Mme Procaccia, MM. Chasseing, Charon et Laménie et Mme Deroche, n'est pas soutenu.

Je mets aux voix l'article 23 quater, modifié.

(L'article 23 quater est adopté.)

Article 23 quater (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 24

Articles additionnels après l'article 23 quater

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 129, présenté par M. Navarro, n'est pas soutenu.

L'amendement n° 404, présenté par MM. Lalande, Chiron, Carcenac, F. Marc et Guillaume, Mme M. André, MM. Berson, Botrel, Boulard, Eblé, Patient, Patriat, Raoul, Raynal, Vincent, Yung, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, M. Assouline et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’article 23 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le A du 4 du II de la première sous-section de la section II du chapitre premier du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est complété par un d ainsi rédigé :

« d. Régime applicable aux revenus perçus par l’intermédiaire de plateformes en ligne

« Art. … – I. – Sont soumis au régime défini au présent article les redevables de l’impôt sur le revenu qui exercent, par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs plateformes en ligne, une activité relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

« II. – 1. Pour les redevables soumis à l’article 50-0, les abattements mentionnés au troisième alinéa du 1 de cet article et appliqués au chiffre d’affaires hors taxes provenant des activités mentionnées au I du présent article ne peuvent pas être inférieurs à 5 000 euros.

« 2. Pour les redevables soumis aux articles 53 A et 302 septies A bis, le chiffre d’affaires hors taxes provenant des activités mentionnées au I pris en compte pour la détermination du résultat imposable est diminué d’un abattement forfaitaire de 5 000 euros, et seule la fraction des charges supérieure à 5 000 euros peut être déduite.

« III. – Le présent article est applicable aux seuls revenus qui font l’objet d’une déclaration automatique sécurisée par les plateformes en ligne.

« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret. »

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Nos collègues socialistes ont souhaité, par cet amendement, reposer le principe d’une franchise de 5 000 euros, toute plateforme et tout type de revenus confondus, seuil en dessous duquel les revenus tirés des plateformes ne seraient pas imposés.

Je dois vous dire, mes chers collègues, que j’ai moi-même hésité à déposer une nouvelle fois cet amendement, sachant que la commission des finances avait proposé et défendu la disposition, à l’automne dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Le Gouvernement avait alors émis un avis défavorable sur notre amendement, que le Sénat avait néanmoins adopté, mais cette disposition n’avait in fine pas été retenue.

J’ai préféré ne pas revenir sur le sujet, mais je maintiens que l’instauration d’un seuil peut être une bonne manière d’inciter à la fois les plateformes et leurs utilisateurs à être vertueux.

Cela étant, j’attends de connaître la position du Gouvernement. Je crains qu’elle n’ait pas changé depuis l’automne dernier, mais, si elle avait évolué, madame la secrétaire d’État, je me rangerais bien évidemment à votre avis.

Je suis pour ma part favorable à cette disposition, qui est incitative.

Les arguments qui nous ont été opposés à l’automne par le ministre du budget, Christian Eckert, n’étaient pas bons. Celui-ci avait évoqué un problème de constitutionnalité, du fait de différences de traitement pour des revenus similaires. Ce motif ne tenait pas, d’après moi.

Si Mme le secrétaire d’État venait donc à donner un avis favorable, le rapporteur pour avis de la commission des finances ferait de même…