M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les essais cliniques sont nécessaires afin d’aboutir à des médicaments efficaces, dont le rapport entre bénéfice et risque est à l’avantage du patient volontaire.

En France, ces essais ont la réputation d’être parfaitement encadrés, mais des améliorations sont possibles et nécessaires.

Ils sont très contrôlés, ce à plusieurs niveaux : ils sont réglementés par la loi de 1988, dite « Huriet-Sérusclat », relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ; par la directive européenne du 4 avril 2001, qui s’attache au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’application des bonnes pratiques cliniques.

Les essais cliniques doivent respecter les principes éthiques édictés par la déclaration d’Helsinki, afin de permettre une protection sans cesse renforcée des personnes qui sont volontaires pour aider la progression de la recherche.

Enfin, les États doivent observer le règlement européen du 27 mai 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments, lequel est encore en phase pilote, mais doit entrer en vigueur prochainement.

Le 15 janvier dernier, nous apprenions l’hospitalisation de six patients au CHU de Rennes à la suite d’un essai clinique ; le 17 janvier, malheureusement, l’un des volontaires décédait. Les experts se sont immédiatement interrogés sur le protocole du laboratoire portugais qui a été suivi par l’entreprise bretonne et validé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Celui-ci semble en effet comporter certaines anomalies.

Le 18 janvier, l’ANSM a rédigé un rapport d’enquête sur l’essai clinique de Rennes, lequel semble accablant pour le promoteur de l’essai, mais aussi pour l’ANSM elle-même, qui l’a autorisé !

En effet, de nombreux signaux ont été occultés. Les lésions qui ont été observées en amont sur les animaux ont, semble-t-il, été minimisées et, malgré cette alerte, l’ANSM a conclu que la sécurité des patients était bien assurée.

Cela dit, la phase 1 des essais vise à évaluer la tolérance et l’absence d’effets indésirables d’un produit. Aussi, les spécialistes se demandent si le laboratoire n’a pas voulu gagner du temps pour passer directement à l’étape suivante. Selon les experts, les délais de sécurité n’ont pas été respectés dès le premier palier. Les volontaires étaient en effet traités par intervalles de vingt-quatre heures, un délai jugé trop court.

Pourquoi cet empressement ?

Superposer plusieurs schémas d’administration d’une molécule permet d’économiser jusqu’à un an d’expérimentation en phase 1. Cette pratique se développe au détriment de la sécurité des volontaires. Derrière cela se dissimule un business gigantesque !

En France, ils sont environ 20 000 à prêter leur corps à la science, en majorité des étudiants et des retraités, à faible pouvoir d’achat. Peu d’entre eux sont conscients de mettre leur santé en danger, même si, statistiquement, le nombre de décès survenus après un essai clinique reste faible et si les accidents similaires à celui qui s’est produit à Rennes sont rares.

Néanmoins, aucun Français ne devrait mettre sa vie en danger pour quelques centaines d’euros !

À ce jour, l’ANSM souhaite mettre en place de nouvelles mesures pour mieux sécuriser les essais cliniques. Aussi a-t-elle annoncé l’instauration de mesures de précaution pour les essais de phase 1. Madame la secrétaire d’État, je reprends ici les termes du professeur Christian Brentano, responsable du centre de recherche clinique de la Pitié-Salpêtrière, pour qui ces mesures sont « très formelles et théoriques. »

En effet, j’insiste sur le fait que, à ce jour, l’ANSM n’est pas à même d’indiquer le nombre précis d’effets indésirables graves liés chaque année à des essais cliniques de phase 1, celui-ci étant noyé dans le nombre global d’effets indésirables liés à la recherche. Remédier à cela me semble être une priorité !

Pour les experts, c’est le schéma d’augmentation des doses qui aurait dû être revu, non la fréquence des analyses.

Il s’agit d’une mesure nationale, alors qu’il faudrait négocier une démarche internationale, le risque étant de voir les promoteurs d’essais boycotter le territoire français au profit d’États moins regardants. C’est d’ailleurs déjà grandement le cas, ne nous le cachons pas, mes chers collègues !

L’Agence européenne du médicament travaille également à l’amélioration des protocoles d’essais cliniques et à une meilleure coordination des autorisations, en mettant en place un portail internet, une interface unique pour faire transiter les demandes d’autorisation d’essais.

Un tel mécanisme permettrait d’avoir un seul dossier pour chaque demande et une meilleure traçabilité des différentes phases – réflexion, élaboration du projet, autorisations à tous les niveaux –, ainsi qu’un meilleur suivi du déroulement des opérations, de la première étape à la phase finale, ce quels que soient le laboratoire demandeur et le pays.

Néanmoins, il existe des lacunes, notamment en raison d’une règle tacite selon laquelle, si aucune réponse n’est apportée par l’autorité compétente de l’Union européenne au cours des deux mois impartis aux États membres pour se prononcer sur la validité d’un essai clinique, le laboratoire demandeur peut considérer que sa demande est acceptée et que l’essai est autorisé. Le principe de précaution voudrait plutôt que, dans ce cas, l’essai soit considéré comme refusé.

Un autre problème réside dans le manque de respect, par les médecins et les chercheurs, des recommandations, et dans l’absence de contrôle de l’application systématique de celles-ci. La difficulté provient souvent de la tentation d’aller vite, en augmentant les doses de manière trop radicale, ou encore de la volonté de tester les médicaments sur des groupes de plus de trois patients.

Je tiens néanmoins à souligner les efforts de certaines associations pour mieux informer les patients du cadre juridique des essais cliniques et des processus de commercialisation des médicaments. C’est notamment le cas de l’Académie européenne de patients sur l’innovation thérapeutique, ou EUPATI, qui a mis en ligne une plateforme dédiée aux essais cliniques.

Cette plateforme est issue d’une collecte d’informations menée depuis 2014 et elle relaie plus de 3 000 publications. EUPATI informe le patient sur le processus de développement des médicaments en général. Cette association rassemble trente-trois organisations de patients, groupes universitaires et laboratoires issus de douze pays européens.

Il semble essentiel de proposer des évolutions des standards des essais cliniques de médicaments, afin d’éviter de tels drames et surtout d’améliorer l’information des volontaires sur les risques encourus. Aussi, madame la secrétaire d’État, comptez-vous proposer des évolutions concrètes en concertation avec l’Agence européenne pour atteindre ces objectifs ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du RDSE et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires sociales et Mme Catherine Génisson applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précédents, je veux dire combien l’accident de Rennes a suscité, à juste titre, beaucoup d’émotion et pose la question de la législation encadrant les essais thérapeutiques.

Je veux souligner la rapidité de l’intervention de Mme la ministre de la santé qui a notamment demandé à la Commission européenne la mise en place urgente d’un comité d’experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains dans les essais cliniques. Pourrions-nous avoir un point d’information sur la concrétisation de cette proposition, madame la secrétaire d’État ?

Je tiens également à saluer l’autosaisine de la commission des affaires sociales, qui a réalisé dans les semaines qui ont suivi plusieurs auditions des principaux acteurs de l’expertise sanitaire, ce qui a débouché sur un rapport d’information sur les liens d’intérêts existants en la matière.

Au-delà de l’établissement des responsabilités dans cette affaire, nous devons nous interroger sur les conclusions à tirer de cet accident, afin de nous prémunir contre de tels drames à l’avenir. Les réponses sont multiples et je concentrerai mon propos sur trois points.

En premier lieu, nous devons améliorer la sécurité des patients. Cet accident est la démonstration que les règles actuelles ne sont pas suffisantes pour protéger ceux-ci. Les agences, auxquelles l’on donne toujours plus de missions avec moins de moyens humains et financiers, sont-elles aujourd’hui en mesure d’exercer les contrôles nécessaires ? Les logiques de rentabilité et de profit des grands groupes pharmaceutiques sont-elles conciliables avec la sécurité des patients ?

Après l’affaire du Mediator et celle des adjuvants aluminiques dans les vaccins, l’accident de Rennes a renforcé la méfiance vis-à-vis des contrôles des médicaments de notre pays. Pour renouveler la confiance, il faut garantir la plus grande transparence des essais et des recherches cliniques sur les médicaments.

En deuxième lieu, nous devons améliorer la transparence des liens d’intérêts avec les laboratoires. Faut-il le rappeler ? Il existe un soupçon de conflit d’intérêts dès lors qu’un lien n’est pas déclaré publiquement. Or, face au désengagement financier de l’État, les chercheurs et les laboratoires sont de plus en plus obligés de se tourner vers les industriels pour financer leurs recherches.

Selon Joël Moret-Bailly, professeur de droit à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, « si l’on dit à un chercheur, dont le temps est limité, que des financements existent sur un sujet, sa préoccupation première sera de pouvoir se financer afin de se concentrer, dans un second temps, sur les questions qui l’intéressent fondamentalement. La question des financements a donc un impact sur la recherche. »

L’existence de partenariats public-privé conditionne de plus en plus souvent le financement de la recherche. Dès lors, comment fournir un cadre permettant aux chercheurs de travailler en toute indépendance sur des questions intéressant le secteur privé ?

C’est pourquoi, en troisième lieu, nous devons lutter contre les conflits d’intérêts avec l’industrie, notamment contre les conflits financiers. À l’occasion des auditions réalisées par la commission des affaires sociales, M. Jean-Sébastien Borde, président du conseil d’administration du collectif Formindep et médecin néphrologue hospitalier, a révélé que « les études financées d’une manière ou d’une autre par l’industrie pharmaceutique ont quatre fois plus de chances d’être positives que les études indépendantes. »

La Cour des comptes, quant à elle, a souligné que 84 % des professionnels de santé ont perçu en 2014 un avantage de l’industrie pour un montant de 102 euros en moyenne, mais pouvant s’élever jusqu’à 74 000 euros pour les dix praticiens percevant le plus d’avantages. Elle a également relevé « des failles majeures » concernant les conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire et de « fréquentes anomalies » dans la transparence des avantages consentis par les entreprises aux praticiens.

La Cour préconise de prendre des mesures pour approfondir le dispositif de transparence et pour renforcer le pilotage du secteur par l’administration centrale et les agences, ce que nous soutenons. Néanmoins, la solution ne passe-t-elle pas aussi par la création d’un établissement public capable de mener une politique industrielle et d’avoir ses propres laboratoires ?

En effet, même si les mesures de réglementation préconisées par la Cour des comptes sont appliquées, le cœur du problème – le contrôle démocratique de la recherche en matière sanitaire – n’est pas évoqué. Or, dans un secteur où une entreprise comme Sanofi pèse 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il est impératif d’établir des contrepoids publics réels, car nous devons éviter que ces décideurs ne contrôlent toute la chaîne de valeurs : recherche, développement, production, distribution et vente de médicaments.

Ces entreprises exploitent actuellement, pour réaliser leurs bénéfices, le défaut d’ambition, les manquements et les carences de financement public des unités de la recherche médicale, du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et des unités de recherche des hôpitaux.

Qu’est-ce qui empêche le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, notamment le ministère de la santé, de créer les conditions d’une appropriation sociale de la recherche par la société, par exemple en organisant, au sein des conseils d’administration des entreprises concernées, un pouvoir de décision des représentants du personnel, des usagers, des élus et de l’État sur les orientations, les investissements et leur contrôle ?

Il s’agit, au fond, de se donner les moyens d’une appropriation sociale de la recherche, jusqu’à la production et à la distribution du médicament, afin d’éviter toute privatisation des connaissances.

Selon le généticien Axel Kahn, « une fois que l’on a produit la connaissance et que celle-ci devient technique et pouvoir, c’est la société qui détermine son application. Le scientifique a un triple rôle : découvreur de nouvelles connaissances ; vigie qui détermine les problèmes que peut poser une connaissance ; citoyen qui, comme un autre, peut dire si on utilise telle technique. »

Le développement d’un pôle public de la recherche, de la production et de la distribution du médicament permettrait de mieux répondre aux besoins de santé publique nationale et mondiale en mettant notamment un coup d’arrêt à l’abandon par les trusts pharmaceutiques des produits dits « non rentables financièrement ». La puissance publique doit d’autant plus reprendre l’initiative et le contrôle sur cet enjeu stratégique que c’est la solidarité qui finance le médicament par l’intermédiaire du remboursement de la sécurité sociale.

La rupture avec les conflits d’intérêts passe par un changement de politique en matière de santé qui doit promouvoir la coopération et la complémentarité au service de l’amélioration thérapeutique et de l’accès aux médicaments pour tous, plutôt qu’une concurrence mortifère. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour un débat organisé sur l’initiative de la commission des affaires sociales, portant sur le cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques. Je remercie le président de la commission, M. Alain Milon, de cette initiative, qui fait suite à de nombreuses auditions menées par la commission.

Nos travaux interviennent dans un contexte particulier, cela a été rappelé par tous les orateurs précédents, la tragédie survenue à Rennes au mois de janvier dernier, avec le décès d’un participant aux essais cliniques du laboratoire Bial et l’hospitalisation de cinq volontaires. À ce sujet, nous devons évoquer la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite « loi Jardé », adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat en mars 2012 ; je veux en cet instant rendre hommage à notre collègue Jean-Pierre Godefroy, rapporteur du texte pour le Sénat (Marques d’assentiment sur diverses travées, ainsi qu’au banc des commissions.), ainsi qu’à tous ceux qui, à la Haute Assemblée, ont œuvré pour l’amélioration de ces dispositions.

Cette loi de 2012, votée à l’unanimité dans les deux chambres, prend la suite de la législation de 1988 – cela a été rappelé – et vise les trois niveaux de recherche : la recherche interventionnelle lourde, la recherche interventionnelle avec risque minime et la recherche observationnelle. À ces trois niveaux de recherche sont associés trois niveaux de consentement des volontaires participant aux essais : consentement écrit circonstancié, consentement libre et éclairé, simple information.

La loi est ainsi parvenue – nous l’avons tous reconnu lors de l’audition de M. Jardé – à un équilibre entre nécessité absolue de protection du volontaire et nécessité du développement de la recherche.

Je souhaite maintenant évoquer les comités de protection des personnes, les CPP, au nombre de quarante en France, composés de scientifiques et d’usagers – les usagers, les contrôleurs, sont donc bien représentés – et dont les missions sont de contrôler les protocoles d’essais cliniques lorsqu’ils portent sur l’être humain. Les CPP donnent un avis sur la mise en œuvre de l’essai et l’Agence nationale de sécurité du médicament accorde l’autorisation de commencer l’essai.

La loi précitée, sur l’initiative du rapporteur Jean-Pierre Godefroy, prévoit la mise en place d’une répartition aléatoire des demandes d’autorisation d’essais cliniques entre les comités de protection des personnes. Cette disposition unique au monde a été adoptée pour éviter les risques de complaisance dans le traitement des dossiers. En effet, il nous faut constater que certains CPP instruisent plus de cent demandes d’autorisation par an quand d’autres n’en instruisent que trente. Quelles que soient les causes de ces disparités, celles-ci soulèvent des questions.

Actuellement, plus de quatre ans après le vote de la loi, cette répartition aléatoire n’est pas encore entrée en vigueur. En effet, l’Union européenne a voulu s’inspirer de la législation française adoptée en 2012 pour établir son règlement ; aussi, l’Agence nationale de sécurité du médicament a jugé inopportun de prendre les décrets d’application, pour attendre le système juridique européen.

On peut s’interroger sur la pertinence de ce choix, même s’il semble souhaitable d’être d’emblée en adéquation avec l’Europe. Vous le comprendrez, madame la secrétaire d’État, nous attendons tous les décrets d’application, d’autant que l’élaboration du nouveau règlement européen a été votée le 4 avril 2014.

Le Gouvernement a été habilité par le Parlement à mettre en application ce nouveau règlement par l’article 53 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Les décrets doivent donc être pris dans les prochaines semaines ; pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous en préciser l’échéancier ?

La répartition aléatoire des dossiers entre les CPP nécessite l’existence d’une commission nationale d’harmonisation, qui sera prévue, semble-t-il, dans les futurs décrets ; le confirmez-vous ?

La répartition aléatoire provoque en effet des inquiétudes chez certains industriels. Si un promoteur peut refuser, en argumentant sa décision, une première affectation à un CPP, il est dans l’obligation d’accepter la seconde. Par ailleurs, les industriels du médicament insistent sur les différences de compétences entre CPP, ce qui peut être un obstacle pour certaines spécialités, comme l’oncologie ou la pédiatrie.

La solution pourrait être la mise en place d’une affectation des dossiers fléchée selon les compétences des CPP, ce que l’on pourrait appeler un « tirage au sort stratifié », mais la répartition aléatoire doit demeurer un impératif absolu.

Des inquiétudes concernant le fonctionnement de ces comités ont été longuement exprimées ; évoluant dans un univers concurrentiel, les CPP peuvent rencontrer des difficultés financières et, dès lors, multiplier les protocoles sans prendre toutes les précautions nécessaires. Plus grave, il nous a été rapporté lors de nos auditions que certains font de la publicité pour des centres de recherche, ce qui constitue une dérive inacceptable.

Les CPP regrettent également l’absence de moyens effectifs pour assurer le suivi de l’essai, une fois l’avis positif délivré. Il s’agit d’un sujet important à mes yeux et il faut le traiter. Rappelons-le, il est de la responsabilité des agences régionales de santé d’enregistrer les CPP et d’en agréer la composition.

Ce constat n’occulte pas pour autant l’existence obligatoire des essais cliniques, nous l’avons tous dit. Cela dit, nos choix politiques doivent toujours avoir comme fil conducteur l’exigence éthique.

Le législateur, par le biais de la loi de 1988, a veillé à interdire la professionnalisation du don du corps en introduisant un plafond annuel d’indemnisation pour les volontaires participant aux essais cliniques, s’élevant à 4 500 euros. Toutefois, faute d’une harmonisation européenne, une fois ce plafond atteint, certains volontaires poursuivent les essais en Belgique ou en Suisse.

Il est donc urgent que l’Europe harmonise sa législation en la matière. Les volontaires participent aux essais cliniques en raison, bien souvent, d’une situation sociale précaire. La reconnaissance pécuniaire semble incontournable, malgré tous les risques que cela pose du point de vue social et psychologique pour lesdits volontaires.

Autre point très important : si les liens d’intérêts entre experts et laboratoires sont de bon aloi quand les professionnels sont amenés à travailler ensemble en vue du progrès médical, le débat sur les liens d’intérêts et les conflits d’intérêts doit encore être approfondi.

Les industriels du médicament que nous avons auditionnés ont insisté sur l’enjeu primordial que constituent les délais d’obtention des autorisations d’essais cliniques dans le cadre de la compétition internationale – nous ne pouvons ignorer cet aspect –, dans le respect absolu des critères de sécurité.

Une fois ces différents constats posés, il convient de s’interroger sur le tragique événement qui est survenu à Rennes et sur les pistes de réflexion et d’actions que nous devons soutenir.

Je veux souligner, madame la secrétaire d’État, à la suite de ma collègue Laurence Cohen, que, dès avant la remise du rapport à la mi-avril des experts mandatés par l’Agence nationale de sécurité du médicament, vous avez proposé à la Commission européenne la mise en place rapide d’un comité d’experts pour renforcer la protection des volontaires sains au sein des essais cliniques.

Les experts du comité scientifique spécialisé temporaire institué par l’ANSM ont clairement mis en cause la molécule testée et ont identifié deux raisons de cet accident « inédit et stupéfiant », selon leurs termes : tout d’abord, le choix de doses trop fortes – 50 milligrammes par jour pendant dix jours, ce qui correspond à dix fois le seuil d’efficacité à 100 % de la molécule ; ensuite, un mode de progression des doses trop brutal en fin de progression, alors que le bon sens eût plaidé pour l’inverse.

De plus, les essais du groupe prenant 50 milligrammes par jour ont débuté alors que les analyses du groupe recevant 20 milligrammes n’avaient pas encore été conduites. Enfin, la brochure du laboratoire Bial comportait des erreurs, des imprécisions, des inversions de chiffres, ou encore des traductions erronées de documents.

Face à cette méthodologie terriblement approximative et manquant pour le moins d’exigence scientifique et éthique, soyons très attentifs aux six recommandations des experts, à porter à l’échelon européen et international. Elles sont un peu techniques, mais je souhaite les rappeler.

Premièrement, les médicaments doivent être développés avec l’objectif final d’une utilité au plan tant thérapeutique que de santé publique et sur le fondement d’études suffisamment complètes et prédictives de la réalité d’une future efficacité thérapeutique.

Deuxièmement, pour les volontaires testant des médicaments à tropisme du système nerveux central en phase 1 – c’était le cas lors des essais cliniques de Rennes –, il est nécessaire de pratiquer des entretiens cliniques, avec des évaluations neuropsychologiques et des tests cognitifs.

Troisièmement, les doses à administrer aux volontaires en phase 1 doivent être réajustées en fonction des données recueillies chez les volontaires ayant déjà été exposés au cours de l’essai.

Quatrièmement, la sécurité maximale pour les volontaires doit s’imposer avant toute considération d’ordre pratique, économique ou réglementaire. Un travail doit s’engager à l’échelle internationale pour redéfinir les options méthodologiques : conciliation d’une durée d’études acceptable et d’un niveau de sécurité optimisé.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Génisson. Cinquièmement, les stratégies d’escalade de dose en première administration à l’homme en phase 1 doivent faire intervenir des considérations fondées sur le bon sens clinique et pharmacologique.

Enfin, sixièmement, nonobstant les dispositions existant sur la propriété industrielle, on doit ouvrir un débat à l’échelon européen et international sur l’accès aux données des essais de première administration à l’homme et de phase 1, en cours ou antérieurs, en vue d’améliorer la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

Veuillez m’excuser d’être si technique, mais cela me semble fondamental.

Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous et la ministre de la santé serez très attentives à faire en sorte que ces propositions soient appliquées tant sur le plan national que sur les plans européen et international. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Bravo ! et exclamations amusées sur diverses travées.)

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires sociales d’avoir demandé l’organisation d’un débat sur le sujet de la réglementation des essais cliniques, après le drame de Rennes qui a soulevé de nombreuses questions et suscité beaucoup d’inquiétude.

Lors de l’examen de la loi relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite « loi Jardé », adoptée au mois de mars 2012, nous avions eu de longs débats sur ce sujet dans l’hémicycle. Pourtant, quatre ans après, force est de constater que ces débats n’ont pas été suivis d’effets, puisque les décrets d’application de la loi n’ont toujours pas été pris, malgré les demandes régulières de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission. Tout à fait !

M. Jean Desessard. Je n’oserai pas clamer « Eh oh, le Gouvernement ! », mais la question pourrait toutefois se poser… (Sourires.)

Entre-temps, un règlement européen a été adopté sur ce sujet. Certains diront que la loi française a été une source d’inspiration pour la législation européenne ; en tout cas, la loi Jardé représente une importante avancée pour la sécurité des patients et doit maintenant être pleinement mise en œuvre.

La recherche du moindre risque pour le plus grand bénéfice thérapeutique doit être le principe directeur des essais cliniques, tout le monde le reconnaît et cela a été souligné à plusieurs reprises. Or, trop souvent, des médicaments sont mis sur le marché sans présenter d’avantage majeur par rapport aux médicaments existants, voire en étant moins efficaces !

De nombreux médicaments dont le service médical rendu est insuffisant sont retirés chaque année des listes des médicaments remboursables par la sécurité sociale ou utilisables à l’hôpital, mais pourquoi ont-ils été au départ mis sur le marché ? Pourquoi prend-on le risque de faire des essais cliniques pour des médicaments moins efficaces que ceux qui sont déjà à disposition ?

Selon la revue Prescrire, qui cote tous les ans les nouvelles spécialités et les nouvelles indications, en 2015, quarante-trois médicaments n’apportaient rien de nouveau et quinze ont même été considérés comme plus dangereux qu’utiles, du fait d’une faible efficacité ou d’une efficacité non démontrée, alors que leurs effets indésirables connus ou soupçonnés sont graves.

La balance bénéfice-risque est trop souvent déséquilibrée et la multiplication des procédures accélérées d’autorisation de mise sur le marché, ou AMM, peut poser des problèmes de pharmacovigilance. S’il est indispensable de pouvoir répondre à des épidémies soudaines en réalisant des essais pour mettre sur le marché des médicaments rapidement, et si l’innovation thérapeutique doit pouvoir bénéficier aux malades le plus vite possible, cela ne doit pas se faire au détriment des règles de précaution et de sécurité.

De nombreux chercheurs déplorent depuis des années que de nombreux médicaments soient autorisés dans l’Union européenne ou aux États-Unis, alors que les essais cliniques ont été insuffisants, voire inadaptés, particulièrement en cas de procédure accélérée d’AMM.

Plusieurs défauts majeurs sont pointés du doigt, notamment l’absence d’essais aveugles, c’est-à-dire d’essais comparatifs du nouveau médicament avec un médicament de référence ou un placebo, sans que le patient ou les investigateurs sachent lequel est reçu par le testeur. En outre, les essais comparatifs sont le plus souvent réalisés avec un placebo et non avec le médicament de référence, ce qui rend difficile l’évaluation d’un progrès thérapeutique en matière d’efficacité ou d’effets secondaires indésirables.

La concurrence internationale entre les firmes pharmaceutiques ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des personnes participant aux essais cliniques, en multipliant le plus vite possible les médicaments sans intérêt de santé publique.

À ce sujet, nous avons été alertés de l’arrivée d’un nouveau processus de mise sur le marché accélérée nommé « AMM fractionnée ». Il vise à raccourcir le processus de mise sur le marché en diminuant les exigences en matière de preuves d’efficacité et de sécurité, puisque les évaluations seraient postérieures à l’AMM.

Si ce procédé existe déjà dans certains cas, lorsque de nouveaux traitements pourraient aider des patients atteints de maladies graves, il n’y a aucune raison qu’il soit généralisé, surtout quand des traitements pour les mêmes pathologies existent déjà. Ce serait pourtant le projet de l’Agence européenne du médicament, et c’est inquiétant. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, madame la secrétaire d’État ?

Enfin, pour ce qui concerne les bonnes nouvelles, la législation européenne a récemment rendu obligatoire la publication des essais cliniques des laboratoires, même lorsque ceux-ci sont négatifs. Cette décision va dans le sens d’une plus grande transparence, et nous nous en réjouissons, même si le chemin est encore long.

Des progrès sont en effet encore possibles, et les résultats de l’enquête sur l’événement malheureux de Rennes nous donneront probablement des pistes pour améliorer le dispositif existant. Espérons que l’exigence de transparence soit, là aussi, au rendez-vous.

Si nous voulons que l’action publique soit efficace dans le domaine du médicament, encore faut-il que le travail des parlementaires n’attende pas sagement au fond d’un tiroir et que les lois votées par le Parlement soient mises en application rapidement. Nous avons bien compris qu’il fallait attendre, pour être en conformité avec le nouveau règlement européen, mais, dès aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quand la loi Jardé sera entièrement appliquée ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UDI-UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.