M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat organisé aujourd’hui sur les essais cliniques fait suite à la survenance d’un événement exceptionnel, à savoir le décès, le 17 janvier dernier à Rennes, d’une personne saine s’étant portée volontaire pour participer à un essai clinique – nous avons une pensée pour elle. Précisons-le : cet événement a un caractère tout à fait exceptionnel.

La commission des affaires sociales du Sénat s’est fort heureusement saisie de cette question et a organisé des auditions au cours des dernières semaines sur les garanties légales de sécurité pour les volontaires. Je souhaite évoquer tout particulièrement les dispositions de notre législation concernant la protection des personnes volontaires qui se prêtent à des essais cliniques. En ce domaine se posent des questions médicales, juridiques et surtout éthiques.

Pour avancer, la recherche a besoin que des personnes saines acceptent de tester des médicaments avant que ces derniers ne fassent l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. La législation en ce domaine doit assurer un équilibre entre la protection de ces personnes et la nécessité du développement de la recherche.

Toutefois, le code de la santé publique dispose : « L’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale prime toujours les seuls intérêts de la science et de la société. » Ce principe est le gage de la continuité de ces essais, dans la mesure où les personnes qui y participent ont la certitude que leur intérêt prévaudra par rapport à tout autre. Notre législation doit veiller à préserver cette confiance ; nous y sommes attachés et resterons extrêmement vigilants à ce principe.

Aussi, paradoxalement, ce n’est qu’en 1988, sur proposition de nos anciens collègues Huriet et Sérusclat, que la France s’est dotée d’une législation spécifique en matière d’expérimentation de médicaments sur l’être humain. Adoptée le 5 mars 2012, la loi dite « Jardé » a complété la loi Huriet-Sérusclat, notamment sur la question du choix aléatoire des comités de protection des personnes, les CPP.

Toutefois, les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. Nous étions dans l’attente d’une modification de la réglementation à l’échelon européen, afin que notre droit ne contrevienne pas à celle-ci. Adopté le 16 avril 2014 et publié au mois de mai de la même année, le règlement européen sur les essais cliniques de médicaments à usage humain ne sera pas applicable avant le 28 mai prochain, autant dire demain.

À compter de cette date, rien ne s’opposera à la publication de ces décrets d’application. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Après le drame de Rennes, le Gouvernement a saisi l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, afin qu’une enquête soit diligentée. Un premier point d’étape de cette enquête a été présenté le 4 février dernier, dans l’attente du rapport final, qui devait être rendu public fin mars.

S’il a été relevé que les conditions dans lesquelles l’essai a été autorisé ne contreviennent pas à la réglementation, l’IGAS a identifié trois manquements majeurs à propos de la conduite de l’étude. Parmi les dysfonctionnements constatés, je retiens principalement les manquements ayant trait à l’information et à la communication notamment auprès des structures et des autres volontaires.

En effet, il semble que l’accident n’ait pas été déclaré dans les délais à l’Agence nationale de sécurité du médicament ni divulgué aux autres volontaires de l’expérimentation. Pourtant, la gravité de l’événement survenu constituait un fait nouveau susceptible de compromettre la sécurité des volontaires et devait donc être déclarée immédiatement.

Ainsi, il semble que les principes selon lesquels le consentement de la personne doit être libre et éclairé et l’exercice d’un droit de retrait doit être possible à tout moment n’aient pas été correctement appliqués.

Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a déclaré le 4 février dernier vouloir saisir le commissaire européen chargé de la santé et responsable de la réforme du règlement européen sur les essais cliniques, et proposer la mise en place d’un comité d’experts internationaux. Pourriez-vous nous informer des démarches qui ont été entreprises en ce sens ? Quelles sont les évolutions ?

Un autre point que je souhaite aborder concerne la vision que les pouvoirs publics ont sur le nombre d’essais cliniques que pratiquent simultanément les volontaires. Rappelons que ceux-ci ne peuvent participer à plusieurs études en même temps, que ce soit en France ou à l’étranger, notamment dans les pays limitrophes tels que la Suisse.

Le fichier des volontaires n’étant que national, comment peut-on s’assurer que la personne n’a pas participé à un autre essai dans l’année ou simultanément ? Aucune disposition législative ne permet de vérifier ces éléments.

Le cadre législatif et réglementaire français semble toutefois répondre à l’équilibre recherché entre les contraintes pesant sur les chercheurs et la nécessaire protection des personnes se portant volontaires.

Toutefois, des modifications et des précisions doivent être apportées à notre législation, afin d’améliorer la sécurisation des volontaires.

Ainsi, les décrets d’application de la loi Jardé doivent être publiés dès que possible, et des dispositions visant à renforcer les outils de communication et à favoriser la transparence en termes d’information doivent être prises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat prend place dans un contexte particulier, puisqu’il intervient dans le prolongement de l’accident survenu à Rennes.

Cet événement nous pousse à examiner le cadre législatif et réglementaire qui entoure les essais cliniques. Il s’agit de s’assurer que ce cadre garantit aux personnes participant à ce type d’essai une protection suffisante.

Cette protection est d’autant plus importante durant les essais dits « de phase 1 » que ceux-ci constituent, après les études en laboratoire sur certains animaux, la première expérimentation d’un produit sur l’homme. C’est donc une phase à très haut risque. Mais c’est aussi une étape cruciale dans le développement de la recherche, et se jouent là d’importants enjeux industriels.

Dès lors, il s’agit d’assurer un équilibre entre sécurité des participants, développement et compétitivité de la recherche.

Le cadre européen occupe un rôle important dans la poursuite de cet équilibre. En France, c’est la loi Huriet-Sérusclat de 1988 qui a régi la recherche biomédicale, mais le besoin s’est rapidement fait sentir d’harmoniser le fonctionnement de celle-ci à l’échelle européenne. C’est une directive européenne du 4 avril 2001 qui tente cette harmonisation.

Très vite, le législateur français a rejoint le constat de l’industrie pharmaceutique : les contraintes trop lourdes imposées par cette directive et la transposition trop disparate de celle-ci avaient une incidence négative sur la recherche. Ainsi, entre 2007 et 2011, le nombre d’essais cliniques avait chuté de 25 %, tandis que les délais de démarrage avaient augmenté de 90 %.

Avec la loi Jardé, en 2012, la France, avant le législateur européen, a essayé de fixer un cadre juridique clair aux chercheurs, adapté aux évolutions de la recherche, tout en garantissant la sécurité des essais cliniques.

Alors que le cadre normatif était essentiellement tourné vers la recherche lourde sur le médicament, le principal apport de cette loi fut de définir trois niveaux de recherche – interventionnelle lourde, interventionnelle avec risque minime et observationnelle –, avec, pour chacun d’entre eux, un niveau de consentement correspondant.

Ces dispositions novatrices sont aujourd’hui en suspens, faute de décret d’application. En effet, l’Europe ne pouvant être en reste face à ce texte novateur, mais aussi par souci de compétitivité de la recherche européenne, il a été décidé de procéder à une refonte du système au sein d’un règlement.

Contrairement à la directive, qui laisse aux États membres une marge d’adaptation lors de la transposition, le choix du règlement améliore la sécurité juridique des promoteurs, qui peuvent se référer directement à ce texte.

L’application de la loi Jardé a, en conséquence, été suspendue à l’entrée en application de ce règlement, adopté en 2014, dont la transposition dans notre droit interne nécessite une intervention législative, qui se fera par ordonnance.

Mais quelles sont les avancées de ce nouveau cadre européen ?

En matière de transparence, l’accident de Londres survenu en 2006 dans le cadre d’une phase 1 avait mis en lumière les risques liés au manque de transparence et à la non-publication des résultats de la recherche chez l’homme. En l’espèce, ce n’est qu’après cet accident que l’on a découvert que le produit testé avait déjà fait l’objet d’un essai de phase 1, lequel avait mal tourné. Ainsi, 30 % des recherches chez l’homme ne seraient pas publiées, pour des raisons tenant au secret industriel, ou encore à la volonté des promoteurs de préserver leur notoriété.

Dans ce contexte, ce règlement pourrait constituer une avancée majeure quant au renforcement de la transparence sur le déroulement et les résultats des essais cliniques.

Le règlement prévoit la création d’un registre public européen des essais, accessible librement aux chercheurs et, plus largement, au public.

Toujours en ce qui concerne la sécurité des personnes, je note que la stratégie d’escalade des doses retenues était notamment en cause dans l’incident de Rennes.

Or, s’il existe bien des standards ou des guides de bonnes pratiques en la matière, il faudrait sûrement se pencher sur une clarification, à l’échelon européen, de la méthodologie relative aux séquences d’administration chez les volontaires, à l’espacement entre l’administration des traitements et la prise en compte des données nouvelles recueillies chez l’homme. Si cela relève du bon sens clinique, force est de constater que celui-ci n’est pas toujours respecté.

Enfin, je soulèverai encore un point tenant à la qualité des candidats aux essais cliniques.

Notre législation évite de faire de cette activité une profession. En effet, un plafond fixe à 4 500 euros le montant total des indemnités pouvant résulter d’une telle activité. Toutefois, dans un environnement européanisé, il est facile, pour dépasser ce plafond, de franchir une frontière. Aussi serait-il judicieux de fixer un plafond européen.

Ce souhait se heurte à la liberté relative aux données personnelles, puisque cette mesure implique la tenue d’un registre des personnes qui se soumettent, en Europe, à des essais cliniques. Toutefois, la question mérite d’être posée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient d’être le dernier intervenant. Beaucoup de choses intéressantes ont déjà été dites d’un point de vue hautement technique et législatif. J’avais préparé un discours de huit pages, mais j’ai recadré mon propos, qui sera beaucoup plus simple.

On l’a très bien compris, l’exercice est difficile ; il n’est pas aisé du tout, car il est couvert par l’ombre d’un événement survenu il y a quelque mois et qui a suscité tristesse et gravité.

À cet égard, permettez-moi de vous lire quelques lignes de l’Académie nationale de médecine qui pourraient être la conclusion de mon propos.

L’Académie nationale de médecine a exprimé « ses sentiments de compassion à tous ceux qui ont à souffrir des conséquences de cette étude, volontaires et leurs proches ». Elle a, en outre, rappelé que « ces accidents n’ont pas d’équivalent connu » et que « la législation sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales en France est très exigeante depuis 1988 ». Elle a relevé que « les essais cliniques ont permis jusqu’à aujourd’hui de sélectionner les candidats “médicament” en toute sécurité ». Elle a ajouté que le drame de Rennes interpelle « tous ceux qui proposent, valident et réalisent ces essais cliniques ».

Nous évoluons dans une société où il est perpétuellement demandé aux décideurs de ne pas faire d’erreurs, d’avancer vite, de sécuriser au maximum toutes leurs actions, mais nous savons tous que le risque zéro n’existe pas.

Le domaine dont nous discutons ce soir est bien sûr concerné par toutes ces caractéristiques. Et, pourtant, il est crucial de l’encadrer pleinement, tout en permettant d’avancer sans tarder.

Prendre du retard sur des perspectives qui peuvent sauver des vies ou améliorer la qualité de vie serait incompris de nos concitoyens, mais ces derniers ne comprendraient pas plus que nous puissions mettre des vies en danger, considérant que tel est le prix d’une recherche thérapeutique qui se doit d’avancer.

Permettez-moi de faire un petit rappel historique.

De 1928 à la Seconde Guerre mondiale, Alexander Fleming, puis deux chimistes découvrent et mettent en essai clinique la pénicilline.

Je résume en quelques mots l’essai clinique, qui pourrait constituer une phase : on injecte à quatre souris des doses considérables de streptocoque. Deux d’entre elles, traitées par un produit dont on n’avait pas la maîtrise, sont sauvées. Puis, on passe à la phase d’essai clinique, à l’échelle humaine : avant la guerre, on injecte à un jeune homme souffrant d’un abcès suppuratif des doses de pénicilline, sans connaître la quantité requise : il est sauvé. Enfin – et ce pourrait être la phase 4 –, un essai à grande échelle est conduit pendant la guerre : de nombreux soldats qui souffraient d’infections majeures sont sauvés.

Quelle différence entre hier et aujourd'hui ? Bien sûr, plus de quatre-vingts ans ont passé entre cette découverte et toutes les trouvailles en matière de recherche qui se sont ensuivies et ont permis de sauver des vies. La grande différence par rapport à cette période épique des découvertes médicales et thérapeutiques, c’est la sécurisation des essais.

Sauver des vies ne peut se faire à n’importe quel prix. Et c’est pour cette raison que le cadre législatif progressif relatif aux essais a su s’adapter, à mon sens, à la croissance exponentielle des lancements de recherche dans tous les domaines, qu’ils soient courants, en cardiologie ou en endocrinologie, spécifiques – je citerai la cancérologie –, ou conjoncturels – j’évoquerai l’infectiologie, en particulier la virologie pour tout ce qui concerne les recherches liées aux infections par le virus HIV.

Pour terminer, j’aborderai notre relation à l’Europe, dont vous avez tous parlé, mes chers collègues.

Cette relation est simple : c’est l’Europe qui a finalement le dernier mot, avec des variations dans ses choix durant ces vingt dernières années.

Ainsi, en 2001, les restrictions fortes qu’elle a instaurées ont ralenti la recherche. Ces derniers temps, un nouveau projet a été mis en place, sur lequel la France s’est exprimée et qui devrait faire l’objet de décrets.

Pour conclure, permettez-moi de vous dire : avançons en mettant un pas devant l’autre, en sachant que, parfois, nous trébucherons encore. Mais, comme souvent, nous nous relèverons ! Pas forcément en légiférant de nouveau, mais simplement en appliquant les lois en vigueur. Le principal est de préserver conviction et éthique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui ne peut être présente ce soir du fait des contraintes de son agenda.

Permettez-moi de revenir dans le détail sur l’événement tragique survenu à Rennes.

Le 10 janvier dernier s’est produit un accident dans le cadre d’un essai clinique de phase 1, réalisé par la société Biotrial, à Rennes. Cet événement d’une exceptionnelle gravité, et sans précédent, a entraîné le décès d’un homme et l’hospitalisation de cinq autres volontaires.

Dès que la ministre a eu connaissance de cet accident, elle s’est rendue sur place pour rencontrer les victimes et leurs familles. Je souhaite, à mon tour, faire part de la solidarité du Gouvernement à l’égard des proches et de la famille de Guillaume Molinet, décédé le 17 janvier dernier, ainsi qu’à l’ensemble des patients hospitalisés à la suite de cet accident.

Le 15 janvier, la ministre a saisi l’Inspection générale des affaires sociales, afin que soient analysées les causes de l’accident. Le rapport définitif de l’IGAS doit être remis au cours du présent mois.

Le 4 février, une note d’étape a été rendue publique par l’IGAS sans que soient identifiées les causes directes de l’accident. Bien que certains manquements aient été constatés, l’IGAS n’a pas considéré qu’ils justifiaient la suspension, à titre conservatoire, de l’autorisation de conduire des essais accordée au laboratoire Biotrial.

Le 1er mars, Marisol Touraine a adressé une circulaire aux directeurs généraux des agences régionales de santé, leur demandant de rappeler à l’ensemble des promoteurs et titulaires d’autorisations de lieux de recherche leurs obligations en matière de prise de décisions immédiates et de respect des délais de notification des effets et événements indésirables au cours des essais cliniques.

La circulaire prévoit que tout événement indésirable grave doit être déclaré sans délai, contre sept jours actuellement ; elle va donc plus loin que la réglementation actuelle.

S’agissant des essais sur volontaire sain, la ministre a demandé que tout effet indésirable grave conduisant à une hospitalisation soit considéré comme un « fait nouveau », au sens du code de la santé publique, et déclaré sans délai à l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et aux comités de protection des personnes, ainsi que je viens de le mentionner. Un tel événement doit conduire à la suspension immédiate de l’essai. Cette disposition va plus loin, je le répète, que la réglementation française et la réglementation européenne en vigueur.

La ministre a également saisi le commissaire européen et ses homologues européens de ce sujet, et proposé la mise en place d’un comité d’experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains au cours des essais cliniques. Je veux dire à ceux d’entre vous qui m’ont interrogée sur l’état d’avancement de ces travaux que le commissaire européen attend d’avoir le rapport définitif de l’IGAS pour se prononcer.

J’ajoute que, actuellement, la réglementation européenne ne fait pas de différence entre les types d’essais cliniques, qu’il s’agisse des essais de phase 1, 2, 3 ou 4. En clair, cela signifie que la réglementation est la même pour les essais sur volontaires sains, qui, hormis les prélèvements cliniques bien sûr, n’ont a priori aucune raison d’être hospitalisés en cours d’essai de façon impromptue, en cas d’événement indésirable grave. C’est le règlement européen tel qu’il s’appliquera dans tous les États membres. C’est cette imperfection qu’a relevée Marisol Touraine et qui l’a conduite à demander la constitution d’un comité d’experts internationaux, en vue de renforcer la protection des volontaires sains. En effet, la situation n’est pas exactement identique pour un volontaire sain ou un volontaire suivi pour une maladie chronique.

Les 16 février et 31 mars, le comité scientifique spécialisé temporaire, le CSST, mis en place par l’ANSM et qui s’est également réuni, a confirmé que le mécanisme à l’origine de l’accident de Rennes avait dépassé la seule inhibition d’un neuromédiateur du système endocannabinoïde, dont je vous fais grâce du nom précis, et impliquait très vraisemblablement la molécule BIA 10-2474 elle-même.

Les études menées chez l’animal ont été de nouveau examinées en détail, mais n’ont pas apporté d’éléments nouveaux, notamment sur le plan de la toxicité. Ces conclusions sont cependant toujours provisoires, certains éléments essentiels n’ayant pas encore été communiqués, en particulier les dosages sanguins réalisés pendant l’essai.

Par ailleurs, sans attendre une éventuelle mise à jour des recommandations européennes, l’ANSM a élaboré un plan d’action visant à améliorer la sécurité des essais cliniques. Celui-ci a été mis en œuvre à la fin du mois de mars et regroupe différentes mesures concernant les processus internes d’instruction des autorisations, mais aussi l’analyse des données en cours de déroulement de l’essai par les promoteurs et les processus d’information de l’Agence en cas d’incident.

Enfin, je vous rappelle que d’autres investigations réalisées par le pôle de santé publique du parquet de Paris sont en cours.

Cet accident tragique nous a mis devant l’obligation de nous interroger une nouvelle fois sur le cadre législatif et réglementaire des essais cliniques, ainsi que vous l’avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le président Alain Milon a rappelé l’histoire de l’encadrement des essais cliniques. Je n’y reviendrai donc pas, mais je souhaite saluer ceux qui ont permis de faire avancer notre législation en la matière ; je pense bien sûr à Olivier Jardé, mais aussi à Jean-Pierre Godefroy, qui fut le rapporteur du Sénat et dont le travail a permis aux deux assemblées de parvenir à un compromis.

J’ai entendu vos critiques concernant la non-parution des décrets d’application de la loi Jardé, et je souhaite vous répondre précisément sur ce point.

Comme Olivier Jardé l’a lui-même rappelé devant la commission des affaires sociales le 2 mars dernier, le ministère de la santé a élaboré les projets de décret dès le mois d’avril 2012. Durant l’été 2012, ces projets ont été soumis à la relecture d’un groupe de travail, constitué à la demande de Marisol Touraine. À partir d’octobre et jusqu’à la fin de l’année 2012, ce projet a été soumis à la concertation.

Au début de l’année 2013, des travaux européens sur le règlement européen relatif aux essais cliniques ont été annoncés. Le ministère de la santé a participé à toutes les réunions à Bruxelles sur ce sujet. Au cours de cette même année, nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de publier les très nombreux textes d’application, sachant que la loi devrait nécessairement être modifiée rapidement avec l’entrée en vigueur du règlement européen.

Un très large consensus s’est dégagé pour ne pas publier les textes. Modifier à deux reprises en trois ans la législation sur les essais cliniques aurait fait courir un risque majeur à la recherche française.

C’était également le point de vue d’Olivier Jardé, qui l’a exprimé de manière précise devant votre commission, et celui de François Lemaire, ancien chargé de mission au cabinet de Roselyne Bachelot qui, toujours devant votre commission, a souligné le caractère déraisonnable de ce calendrier.

Je souhaite rappeler en cet instant les propos qu’a tenus François Lemaire sur l’absence de lien entre la loi Jardé, qui est avant tout une loi de simplification du cadre des essais cliniques, et l’accident de Rennes : « La loi Jardé n’est pas en cause en cette affaire, puisqu’elle n’a pas touché à ce qui concerne le médicament, domaine qui relevait de la législation européenne. Elle porte essentiellement sur les recherches observationnelles, les collections biologiques […] Elle n’a pas touché au noyau dur du médicament et de la sécurité. On ne peut donc pas dire que si on l’avait appliquée avant, l’accident de Rennes n’aurait pas eu lieu ».

Je crois que cette mise au point était nécessaire pour mettre fin à certains doutes ou certaines inquiétudes que j’ai cru percevoir au cours de certaines interventions.

Les travaux préparatoires au projet de loi de modernisation de notre système de santé commencés au début de l’année 2014 ont offert un véhicule législatif adéquat pour adapter la loi Jardé au règlement européen. Au terme des débats parlementaires, l’article 216 de la loi promulguée le 26 janvier dernier a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures visant cette adaptation.

Le projet d’ordonnance renvoie ainsi toutes les dispositions sur les essais cliniques de médicaments au règlement européen, puisque c’est ce règlement européen qui fixe les règles relatives à la vigilance en la matière. Par conséquent, ces règles ne pourront être modifiées par décret que si elles sont plus protectrices que celles qui sont prévues par le règlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez demandé où en était le projet d’ordonnance : il est en cours d’examen par le Conseil d’État. L’ordonnance devrait être publiée au mois de juin prochain et le projet de loi de ratification devrait être déposé au Parlement dans la foulée. Par ailleurs, un projet de décret pris en application de l’ordonnance est en cours d’élaboration. Ce dernier devrait être transmis au Conseil d’État avant l’été pour une publication à l’automne.

À l’issue des consultations sur le projet d’ordonnance, trois sujets délicats ont été identifiés.

Tout d’abord, il est vrai qu’il existe une forte opposition au tirage au sort des comités de protection des personnes. Pour autant, le Gouvernement n’entend pas renoncer à cette réforme. Il faut réfléchir précisément aux modalités de ce tirage au sort. L’idée d’un tirage au sort « intelligent » parmi des CPP particulièrement compétents dans certains domaines est à l’étude et pourrait être précisée dans le décret d’application.

Ensuite, la répartition des compétences entre les CPP et l’ANSM a également fait l’objet de débats. Le projet d’ordonnance prévoit ainsi de confier à l’Agence l’évaluation de la méthodologie des essais cliniques.

Enfin, il est prévu de créer un secrétariat unique pour l’ensemble des CPP qui permettrait d’accroître la rapidité des échanges entre comités et ANSM.

J’entends désormais répondre aux interrogations sur le fonctionnement des CPP et sur les relations des comités avec l’ANSM.

Le premier point porte sur le fonctionnement des comités : il existe aujourd’hui trente-neuf comités de protection des personnes répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain. Cette multiplicité est un facteur d’hétérogénéité, qui se manifeste d’abord par une grande variabilité de l’activité des CPP, laquelle s’explique sans doute par la plus ou moins grande proximité des centres hospitalo-universitaires de grande taille. En l’absence de véritable coordination, chaque CPP développe sa propre jurisprudence sur les questions éthiques.

Cette hétérogénéité concerne également la gestion administrative et financière des CPP, puisque les budgets des comités se situaient entre 50 000 euros et 230 000 euros en 2015. Si la réglementation a prévu la mise à disposition de moyens en personnels, matériels et locaux, toutes les conventions ne valorisent pas de la même façon les prestations réellement servies aux comités.

Cette difficulté a conduit les pouvoirs publics à prévoir la mise en place dans la loi Jardé d’une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine qui est chargée de la coordination, de l’harmonisation et de l’évaluation des comités. Celle-ci sera installée dès que le décret d’application de l’ordonnance sera publié, étant entendu, je l’espère, que l’ordonnance sera ratifiée dès cet été, ce qui dépend évidemment du Parlement, et que le décret pourra être publié à l’automne prochain.

Par ailleurs, la loi a prévu la mise en œuvre d’un système d’attribution aléatoire des dossiers de recherches aux CPP pour renforcer leur indépendance. En effet, ce système de tirage au sort écarte tout soupçon de liens d’intérêts entre l’établissement de santé public, siège du CPP, et le CPP lui-même.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si les conditions pratiques de cette attribution aléatoire sont encore en discussion, le dispositif aura pour conséquence de lisser l’activité des trente-neuf CPP – ce n’est pas du tout le cas pour l’instant –, de telle sorte que tous les comités traitent à peu près le même nombre de dossiers. Cela permettra également d’harmoniser le financement des comités et de simplifier leur gestion budgétaire. À ce sujet, je précise que le ministère de la santé continuera à maintenir son effort, comme il l’a toujours fait, pour répondre aux situations financières les plus délicates.

Le second point concerne le règlement européen relatif aux essais cliniques des médicaments qui nous contraint à revoir les relations entre l’ANSM et les comités. En effet, la mise en place d’un portail européen unique de dépôt des demandes de recherches sur le médicament, ainsi que l’obligation faite à chaque État de rendre une décision unique sur le projet de recherches qui lui est soumis impliquent de repenser l’articulation entre l’ANSM et les CPP.

Tout d’abord, le portail numérique européen suppose que l’ANSM actualise son système d’information et, parallèlement, que les CPP disposent d’un système d’information en interface avec l’ANSM.

Si j’entre autant dans le détail, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que vous m’avez posé des questions précises, notamment sur les raisons pour lesquelles tel ou tel dispositif n’avait pas déjà été mis en œuvre. Je tiens donc à expliquer les modalités très concrètes de mise en place de chacun de ces éléments.

M. Jean Desessard. Merci, madame la secrétaire d’État !