M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion au sein de la commission, un amendement, non retenu, visait à supprimer le mot « reconquête » du titre de ce projet de loi. Ce n’était pas absurde, car plusieurs amendements adoptés la semaine dernière en commission ont effectivement vidé en partie le projet de loi de cette ambition.

Les signaux d’alerte sur l’effondrement de la biodiversité en France sont pourtant nombreux, comme la baisse massive des populations de passereaux – moins 30 % en 13 ans en Île-de-France, le chiffre vient d’être donné – ou le fait que les trois quarts des habitats naturels en France soient aujourd'hui considérés comme en état de conservation défavorable.

De toute évidence, malgré l’urgence, ce projet de loi est encore jugé démesuré dans son ambition par un certain nombre de sénateurs. Au sein de la commission, nous avons ainsi supprimé le principe de non-régression dans le code de l’environnement ou encore la précision selon laquelle les mesures de compensation visent un objectif de zéro perte nette de biodiversité.

Ainsi, d’amendement en amendement, nombre de sénateurs, principalement de droite, il faut bien le reconnaître, et heureusement pas toujours majoritaires – je salue ceux qui ont évité que ce texte ne soit encore pire et qui se reconnaîtront –, ont dessiné une vision qui ne considère toujours pas la préservation de la biodiversité comme un enjeu majeur pour notre propre avenir, notamment notre alimentation, notre santé et notre développement économique. Pour eux, la nature reste ce monde hostile qu’il s’agit de repousser aux lisières de la civilisation, de ne garder que pour quelques activités secondaires de loisirs, en se félicitant d’éradiquer les loups, les ours et les mauvaises herbes sur les trottoirs.

Dix ans après le Grenelle de l’environnement, ce rapport atavique à la nature trouve donc encore ici à s’exprimer. « L’environnement, ça commence à bien faire » est une musique à laquelle certains restent sensibles, surtout quand elle est reprise par de puissants chœurs de lobbys, pour lesquels l’enjeu immédiat de leur propre business passera toujours avant l’intérêt général.

L’exemple des néonicotinoïdes incarne cette position. Nous connaissons aujourd’hui, par des travaux scientifiques non contestés, leur toxicité, pour les abeilles bien sûr, mais aussi pour la santé humaine. Le coût de leur utilisation est considérable et ne se limite pas à la production de miel. C’est toute la pollinisation qui est concernée, avec notamment une baisse de la production de fruits. La responsabilité du législateur est donc bien de préserver l’intérêt général, ce qui passe par leur interdiction rapide, sans pour autant nier l’impact d’une telle décision sur les activités agricoles existantes.

L’Assemblée nationale a ainsi dessiné un compromis acceptable, et mon collègue Joël Labbé, que je salue pour son engagement sur ce dossier, vous proposera de le rétablir. Nous pouvons encore craindre que le Sénat ne cherche ici qu’à retarder les échéances, sans considération pour leurs effets négatifs globaux.

La taxation de l’huile de palme est un autre de ces sujets qui disent le poids des lobbys. Les gouvernements indonésien et malaisien, que nous avons rencontrés, se sont légitimement inquiétés de nos décisions audacieuses, prises au cours de la première lecture de ce texte au Sénat. Il ne s’agit pas de balayer leurs arguments, car leurs propres enjeux de développement doivent aussi être considérés.

Personnellement, je me méfie toujours de nos propres simplismes, de notre capacité à nous mobiliser pour exiger la protection des lions et des orangs-outans à l’autre bout du monde, alors que nous échouons à construire nos propres consensus collectifs pour relâcher quelques ours dans les Pyrénées.

M. Bernard Lalande. C'est vrai !

M. Ronan Dantec. Pour autant, il est aberrant de nous retrouver avec des huiles de palme moins taxées que nos productions locales, telles que l'huile d'olive, et de ne pas chercher à développer des filières écologiquement responsables et certifiées. Car ce sont bien aussi nos propres consommations qui détruisent la planète. Développer une consommation mondiale responsable fait également partie des responsabilités du législateur.

L’Assemblée nationale avait trouvé, après le Sénat – nous y étions allés un peu fort, je le reconnais –, un bon compromis. Sur ce dossier également, nous sommes revenus en arrière, par souci, peut-être, de compréhension des arguments des pays producteurs, mais aussi, plus probablement, parce que nos géants de l’agroalimentaire veulent continuer à disposer d’une matière première bon marché pour la fabrication de leurs biscuits et autres productions, sans se soucier, pour la plupart d’entre eux, des enjeux de biodiversité. Il faudra rétablir cette taxation de l’huile de palme.

Le débat politique sur l’environnement est probablement le plus schizophrénique qui soit, entre multiplication des envolées lyriques sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants, et mobilisation permanente pour que rien ne change de la part de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont une activité à défendre, qui les céréaliers, qui l’agro-business, qui la pêche en eau profonde, qui les chasses traditionnelles – la liste est sans fin.

Où il faudrait trouver des compromis pour faire évoluer rapidement les pratiques en accompagnant cette évolution, c’est quasiment toujours autour du report des échéances que se construit en définitive une grande coalition du refus.

Il existe néanmoins une exception à ce tableau assez pessimiste du travail du Sénat en deuxième lecture : il s’agit du travail effectué sur le préjudice écologique par Alain Anziani et Jérôme Bignon, que je salue. J’en profite pour saluer tout particulièrement notre rapporteur, dont l’action a été extrêmement importante, et dont l’engagement a soufflé sur la première lecture, même si le soufflé est un peu retombé en deuxième lecture. (Sourires.)

Chers collègues, la gravité des crises environnementales est telle que c’est bien notre système économique traditionnel qui risque de se désagréger. Nous connaissons déjà les premières manifestations de cette désagrégation : des crises des réfugiés en Europe, très liées aux crises climatiques – on ne le dit pas suffisamment –, aux incendies gigantesques du nord du Canada, elles font tellement l’actualité, elles sont tellement sous nos yeux que nous ne le voyons même pas.

Tout immobilisme est aujourd’hui coupable ; cette loi est un outil modeste pour amorcer le sursaut nécessaire. Ne nous en privons pas !

En tout état de cause, le groupe écologiste votera contre le texte du Sénat si celui-ci apparaît trop en retrait par rapport au texte de l’Assemblée nationale. Mais il nous reste deux jours pour montrer notre compréhension des enjeux et assumer notre part de la responsabilité globale face à ces désastres annoncés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Bernard Lalande applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer le travail considérable réalisé par notre rapporteur Jérôme Bignon. Sur un texte sur lequel il était difficile de faire l’unanimité, il a finalement réuni une majorité au Sénat, en préservant, à l’issue de la première lecture, un texte équilibré. Malheureusement, depuis, cet équilibre a été rompu par l’Assemblée nationale.

La biodiversité est un concept beaucoup plus vaste que la simple collection d’espèces animales et végétales à laquelle on l’a trop souvent réduite : il renvoie à la diversité de la vie à tous ses niveaux d’organisation, du gène aux espèces et aux écosystèmes. Il ne doit par conséquent impliquer aucune « mise sous cloche » ou sanctuarisation : la vie, en effet, évolue sans cesse depuis des siècles et des millénaires ; elle évoluait même bien avant que l’on ne parle de changement climatique, de pollution, de pesticides, de révolution industrielle.

Les paysages qui nous entourent expriment la diversité des écosystèmes, fruit de l’histoire, de l’évolution et des influences humaines.

La France héberge 4 900 espèces de plantes endémiques, ce qui fait d’elle le troisième pays européen du point de vue de la richesse floristique.

La France abrite 950 espèces de vertébrés, ce qui fait d’elle l’un des premiers pays européens en termes de richesse faunistique.

La France possède des richesses naturelles considérables – habitats naturels, parcs naturels, espaces naturels.

Et pourtant, nous parlons de « reconquête ». Devons-nous vraiment dresser un tableau si sombre de la biodiversité dans notre pays, au regard des efforts de tous, et surtout de ceux qui vivent au plus près de la nature, agriculteurs, viticulteurs, éleveurs, pêcheurs, chasseurs ? Tous ont contribué à façonner nos paysages, notre nature, nos prairies, nos forêts.

M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !

M. Rémy Pointereau. Lors de la première lecture du texte discuté et voté au Sénat, nous avions réussi, avec notre rapporteur, à faire reconnaître leurs rôles respectifs en termes de gestion de la biodiversité, des espaces naturels, de la faune et de la flore.

D’ailleurs, les organisations syndicales agricoles, les chambres consulaires et les agriculteurs étaient d’accord pour agir en faveur de la biodiversité. Ils étaient plutôt satisfaits des conclusions de la première lecture, quand bien même elles les obligeaient à se soumettre encore à de nouvelles normes, de nouvelles tracasseries administratives, de nouvelles contraintes environnementales.

En occultant nos travaux, l’Assemblée nationale a ravivé les braises de la division opposant l’idéologie au pragmatisme, les environnementalistes aux agriculteurs, les « zadistes » aux porteurs de projets,…

M. Joël Labbé. Quels clichés !

M. Rémy Pointereau. … en oubliant que le développement durable devait marcher sur deux jambes : l’économie et l’environnement.

C’est pourquoi je souhaite que nous revenions au texte voté par le Sénat en première lecture. J’ai déposé, à cet effet, un certain nombre d’amendements, et je me réjouis qu’ils aient obtenu un avis favorable en commission.

Ainsi, à l’article 33, les députés ont supprimé les modalités de suivi des mesures compensatoires lors de la mutation d’un bien. Nous avions pourtant précisé qu’il était préférable de prévoir explicitement la conclusion d’un contrat définissant la nature des mesures, les modalités et la durée de leur mise en œuvre.

Sur ce point comme sur d’autres, je remercie notre rapporteur d’avoir fait en sorte de nous sortir de ce « rendez-vous en terre inconnue », en précisant la nature juridique de l’acte organisant la mise en œuvre de la compensation.

En ce qui concerne l’article 34, perçu par les agriculteurs comme une provocation, le dispositif rétabli par l’Assemblée nationale prévoit à la fois une obligation et un zonage pour la biodiversité. Les critères retenus sont difficiles à admettre pour les agriculteurs.

Je me réjouis que nous ayons supprimé cet article. On ne peut en effet imposer un système coercitif sans en discuter avec les personnes concernées : c’est une question de respect !

Un article a fait débat plus que d’autres au sein de notre commission. Il s’agit de l’article 51 quaterdecies, qui prévoit d’interdire, à partir du 1er septembre 2018, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.

En première lecture, nous pensions avoir trouvé une position équilibrée en votant l’amendement de Mme Nicole Bonnefoy, du groupe socialiste et républicain – c’est d’ailleurs ce que nous avons fait de nouveau, en commission, en deuxième lecture –, qui vise à renvoyer à un décret le soin de déterminer les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES. L’Assemblée nationale a tout simplement rétabli l’interdiction.

Contrairement à l’interdiction brutale, le renvoi au décret permet pourtant d’encadrer l’utilisation de ces produits, sans pour autant conduire les productions agricoles dans des impasses techniques.

À ce jour, si leur application est effectuée dans les règles, les néonicotinoïdes sont les produits les plus efficaces et les moins polluants pour l’environnement,…

M. Joël Labbé. C’est faux !

M. Rémy Pointereau. … par comparaison avec les produits foliaires, qui, eux, restent sur le marché, qui doivent être appliqués à répétition, deux à trois fois, pour lesquels les risques de résistance sont plus importants, et dont les coûts sont plus élevés.

Toutes les matières actives efficaces, le parathion, le diméthoate, ont été retirées du marché. Elles étaient jusqu’alors autorisées pour les cerises un mois avant la récolte, et interdites, depuis dix ans, pour les grandes cultures – cherchez l’erreur. Bien utilisées, elles étaient pourtant, en définitive, les moins dangereuses pour l’être humain et les abeilles, aux dires des nombreux apiculteurs avec qui j’en ai longuement discuté. Il n’existe pas, aujourd’hui, de produits alternatifs.

Oui, la mortalité des abeilles est un problème ! Certes, nous devons le résoudre, car nous avons besoin de pollinisateurs, notamment pour la production de semences.

Faut-il pour autant que l’agriculture devienne le bouc émissaire de cette mortalité ? Je dis non !

Faut-il pour autant que la France agisse de façon unilatérale en s’adonnant de nouveau à la « surtransposition » du droit européen, mettant en danger la compétitivité de nos agriculteurs ? Nous ne pouvons nous le permettre, et, là encore, je dis non !

Nous ne sommes pas des scientifiques. Il nous faut faire confiance aux organismes tels que l’ANSES, en France, et les agences européennes.

M. Ronan Dantec. Justement !

M. Rémy Pointereau. Si le Parlement interdit un produit dit « dangereux », alors il faudra interdire tous les produits dangereux pour la santé humaine et la biodiversité (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec applaudit également.), certains médicaments, les aérosols, les insecticides, et cela dans toute l’Europe.

M. Ronan Dantec. C’est une bonne idée !

M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas là le rôle des parlementaires.

Comme l’a proposé notre collègue Michel Raison, il serait souhaitable que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable se penche spécifiquement sur la question de la mortalité des abeilles, domestiques ou sauvages. L’observation des populations selon les zones géographiques révèle de grandes surprises : il a ainsi été constaté que la mortalité des abeilles était plus importante dans les zones de montagne, non cultivées, dans les Vosges par exemple.

Notre collègue Daniel Gremillet en parlera mieux que moi, puisqu’il a présidé la commission des apiculteurs du CNJA, le Centre national des jeunes agriculteurs.

Madame la secrétaire d’État, nous sommes des élus responsables et favorables à la protection de la biodiversité. Toutefois, je maintiens que la mise en œuvre de cette protection doit reposer sur la confiance accordée aux acteurs de terrain et aux organismes scientifiques, et cela, madame la secrétaire d’État, sans arrière-pensées électorales. Madame Didier, vous le savez, nous n’entretenons aucune arrière-pensée, que ce soit à l’égard des ayatollahs de l’environnement ou des grands céréaliers. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’aube de cette deuxième lecture, il n’est nul besoin de très longs discours. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité divise et continuera à diviser. Cette division est selon moi légitime : il faut l’assumer sans réserve.

Le débat véritable, s’agissant de ce projet de loi, ne se situe pas dans les très nombreuses dispositions techniques qu’il comporte, mais dans l’opposition de fond entre deux conceptions de la biodiversité, et donc de la société.

Une première conception, assez classique, intègre l’humanité dans le grand continuum de la biodiversité ; l’autre conception l’en extrait.

La première a donné lieu aux dérives de ce qu’on a appelé la deep ecology, et même à des excès parfois violents. La seconde, plus anthropocentrée, plus utilitariste, tient que la biodiversité n’est pas légitime en elle-même, mais seulement en tant qu’elle contribue au développement économique. Cette seconde conception a également donné lieu à des excès : marchandisation et brevetabilité du vivant.

Mme Chantal Jouanno. Mais le progrès est l’alliance de la science et de la conscience, et, depuis la loi de 1976, la seule et dernière grande loi sur la biodiversité, nous avons appris énormément de choses.

Nous savons que l’homme est partie intégrante de la biodiversité, qu’il est même une ode à la biodiversité, puisque le corps humain comprend davantage de cellules non humaines que de cellules humaines.

Nous savons que la vie, depuis 3,9 milliards d’années, se construit par associativité, que son principe n’est donc pas la concurrence entre espèces et la domination de certaines sur les autres.

Nous savons en partie évaluer la valeur des services écosystémiques et du biomimétisme. Nous découvrons des espèces incroyables dont nous avons tant à apprendre, comme le fameux tardigrade.

Nous savons que les animaux sont des êtres sensibles.

Bref, nous avons aujourd’hui tant d’éléments à notre disposition pour faire avancer la loi que nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. L’objectif de ce projet de loi est bien de traduire cette connaissance dans le droit.

Les dispositions techniques sont trop nombreuses dans ce texte, et j’invite vraiment le président du Sénat à continuer d’opposer l’article 41 à tous les amendements dont l’objet est d’introduire dans la loi des mesures à caractère réglementaire.

Il est d’ailleurs parfois proposé d’écrire dans la loi : « peut faire ». Or, par principe, ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ces propositions sont donc inutiles.

Même les dispositions si polémiques sur les néonicotinoïdes sont en réalité des dispositions techniques. Le législateur ne devrait pas avoir à se substituer aux scientifiques,…

Mme Chantal Jouanno. … seuls capables de dire quelles sont les substances dangereuses et les substances non dangereuses.

M. Rémy Pointereau. Exactement !

Mme Chantal Jouanno. En revanche, nous devrions être capables d’écrire dans la loi que toute substance mortelle pour les pollinisateurs est interdite, que tel est le principe, et que leur autorisation, c’est l’exception !

Mme Corinne Bouchoux. Très bien !

Mme Chantal Jouanno. Je crains malgré tout que, si nous allons dans cette voie, des polémiques encore plus virulentes que celles qui existent déjà ne naissent autour de ce projet de loi.

L’essentiel de ce texte était dans l’article 2, et tout particulièrement dans son alinéa 9. Nous sommes passés assez rapidement sur ce point dans le cadre de nos débats en première lecture, puis, en deuxième lecture, en commission, mais c’était là le véritable point central du projet de loi. Cet alinéa disposait que le principe d’action préventive et de correction « doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité », le principe corollaire étant le principe de non-régression.

Supprimer ces principes du texte reviendrait à écrire un projet de loi sur l’emploi en supprimant l’objectif de plein-emploi. L’objectif de reconquête de la biodiversité n’est pas simple à atteindre, évidemment ; mais ce n’est pas une raison pour nous résigner à la perte de biodiversité, pour considérer que ces objectifs sont inatteignables, ou que cette situation n’est pas si grave. Si nous admettons, d’un point de vue scientifique, qu’elle est grave, alors nous devons inscrire ces principes dans la loi.

Mme Chantal Jouanno. Au cours des débats, chacun aura à cœur de défendre son territoire, ainsi que ses convictions. Mais – j’ai un petit peu trop entendu cette rengaine dans la discussion générale, et même dans votre discours préliminaire, madame la secrétaire d’État – il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre : les bons « écolos » et les méchants agriculteurs, ou les bons ruraux et les méchants « bobos ».

Mme Évelyne Didier. Personne n’a dit ça !

Mme Chantal Jouanno. Il y a simplement des clivages politiques qu’il faut assumer, et qui d’ailleurs, en général, traversent les partis. En commission, nous étions loin du « méchants à droite, bons à gauche »,…

M. Jean-Louis Carrère. Arithmétiquement, c’est différent !

Mme Chantal Jouanno. … les divergences sont beaucoup plus transpartisanes que cela, et renvoient à des convictions beaucoup plus profondes que ce que suggère une telle vision caricaturale des clivages politiques.

Je n’ai aucune illusion sur l’issue du débat que nous nous apprêtons à avoir. Je souhaite néanmoins que chacun s’écoute avec bienveillance et respect, sans vociférations inutiles. Au sein de notre groupe politique, le groupe centriste, il n’existe pas de consensus autour de ce texte, mais des positions divergentes, parfaitement assumées, que nous exposons dans le respect mutuel de chacun. Le principe même de la politique, c’est en effet de produire du clivage : c’est tout à fait naturel !

Pour conclure, je voudrais souligner l’exceptionnel travail des administratrices, des administrateurs, de notre rapporteur et du président de notre commission, qui ont cherché à trouver des compromis autour de ce texte, et à entendre les différents arguments mobilisés par les uns et les autres à l’appui de leurs positions respectives.

Enfin, madame la secrétaire d’État, vous allez participer à votre premier véritable débat de fond au Sénat. Vous allez donc découvrir que cette assemblée est différente de l’Assemblée nationale : il s’agit d’une assemblée indépendante, y compris, d’ailleurs, le plus souvent, des directions de partis elles-mêmes ; d’une assemblée respectueuse, mais extrêmement déterminée sur le fond des arguments qu’elle défend. Par conséquent, tout ce qui renverrait à d’éventuels calculs politiques n’y a pas vraiment sa place. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur et cher Jérôme, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, lors de la première lecture de ce texte, en janvier dernier, j’avais rappelé que l’enjeu de la préservation de la biodiversité est évidemment un enjeu majeur et un objectif partagé par tous, bien au-delà de nos positionnements politiques respectifs, comme Chantal Jouanno vient de le rappeler.

J’avais également affirmé, et je le répète aujourd’hui, que nous ferions collectivement une erreur stratégique, politique et sociale en opposant économie et environnement. L’erreur serait de soutenir que la biodiversité serait mieux protégée et mieux garantie si nous pénalisions les activités économiques, qui sont pourtant essentielles à nos territoires – je pense bien entendu, en particulier, à l’activité agricole.

M. Ronan Dantec. Il ne s’agit pas de pénaliser l’activité agricole !

Mme Sophie Primas. Ce message a été entendu par le Sénat : nous avons beaucoup fait évoluer le texte, souvent, très souvent, en accord avec la ministre Mme Ségolène Royal, au fil d’une discussion qui fut longue, parfois polémique certes – notre rôle n’est-il pas aussi de défendre des avis différents de ceux de la majorité gouvernementale ? –, mais bien souvent constructive.

Je veux ici saluer le rôle essentiel de notre rapporteur, Jérôme Bignon, dont l’infatigable volonté de concilier les points de vue est tout à fait reconnue.

M. Charles Revet. Il a en effet beaucoup travaillé !

Mme Sophie Primas. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a repris certaines de nos propositions. Mais il reste encore des divergences qu’il nous faut aplanir.

Je me consacrerai ici, compte tenu du peu de temps dont je dispose, au débat très sensible qui porte sur les néonicotinoïdes.

Sur ce sujet, mes chers collègues, il est légitime que nous ayons des avis très différents, et ces différences doivent pouvoir être entendues. Il est vrai que les lobbies vont bon train pour faire valoir leurs arguments, mais tous les lobbies, monsieur Dantec, tous, y compris les vôtres,…

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Sophie Primas. … et parfois avec beaucoup d’insistance, voire même avec beaucoup de violence morale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mais, ici, au Sénat, notre rôle est de rechercher l’efficacité, le sérieux, la solidité de la loi,…

M. Charles Revet. Le bon équilibre !

Mme Sophie Primas. … plus que l’effet d’annonce ou d’affichage.

Qu’en est-il ?

Je rappelle d’abord que seule l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a le pouvoir de délivrer les autorisations d’utilisation de ces principes actifs.

Un moratoire de deux ans avait été décidé par la Commission européenne, en 2013, sur certaines substances de cette famille, et pour certaines utilisations, comme l’enrobage de semences.

L’EFSA poursuit d’ailleurs son analyse sur la toxicité de ces substances, ce qui doit la conduire à renforcer ses exigences et à délivrer ou non, dans quelques semaines, des renouvellements d’autorisation.

C’est pourquoi la proposition de l’Assemblée nationale, qui consiste à instaurer une interdiction générale et inconditionnelle de tous les produits de la famille des néonicotinoïdes,…

M. Ronan Dantec. Il faut le faire !

Mme Sophie Primas. … n’est pas pertinente, car non conforme à l’architecture prévue par le règlement européen, lequel confie l’autorisation des substances au seul échelon européen.

M. René-Paul Savary. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Il faut les interdire !

Mme Sophie Primas. Une telle interdiction par la loi aurait toutes les chances d’être écartée par le juge en cas de contentieux. Elle est donc totalement contre-productive, et de pur affichage. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. Ronan Dantec. C’est faux !

Mme Sophie Primas. Par ailleurs, en janvier dernier, notre Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a publié un avis très complet et très sérieux, comme toujours, sur les produits contenant des néonicotinoïdes. Cet avis indique très précisément des prescriptions d’emploi, comme le font d’autres agences s’agissant de prescriptions d’emploi de médicaments.

M. Charles Revet. C’est ce qu’il faut faire !

Mme Sophie Primas. L’évaluation de l’ANSES est naturellement fondée sur le risque sanitaire pour l’homme et pour l’environnement, et donc, bien entendu, pour les pollinisateurs. J’insiste sur le fait que cet avis ne dit en aucun cas qu’il faut interdire tous les néonicotinoïdes, en toutes circonstances, comme je l’entends parfois dire.

Nous aurons donc, mes chers collègues, un débat sur l’article 51 quaterdecies du projet de loi, afin de préciser la rédaction de cet article, issu d’un amendement de notre collègue Nicole Bonnefoy que j’avais moi-même sous-amendé, et qui a été rétabli par notre commission du Sénat.

Je propose que nous entrions dans une logique vertueuse fondée sur la science, et donc sur la confiance que nous entretenons à l’égard de l’ANSES. Cette logique est la suivante : en premier lieu, suivre les prescriptions d’utilisation publiées par l’ANSES dans son rapport de janvier 2016, afin de mettre un terme à toute utilisation qui présenterait des risques avérés pour les pollinisateurs, et ceci sans perdre de temps ; en second lieu, privilégier le remplacement progressif, pour les autres usages, des produits contenant des néonicotinoïdes, dès lors que l’ANSES aura validé un produit ou une méthode de substitution présentant un rapport bénéfice/risque plus favorable pour la santé et l’environnement,…