M. Charles Revet. C’est grave !

Mme Nicole Bricq. Je ne saurais donc trop vous recommander d’associer le Parlement, ou tout au moins la majorité parlementaire – toutes assemblées confondues – qui soutient votre projet de loi, à l’élaboration de ces décrets. Si nombre de dispositions sont d’application directe, il reste en effet beaucoup à faire, et je souhaite que nous puissions nous retrouver à la fin du parcours, car je crois que texte porte en lui les prémices d’un nouvel avenir social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec ce projet de loi, le Gouvernement se propose d’accroître la place du dialogue social et de développer une véritable culture du compromis et de la négociation. Pourtant, il laisse apparaître une contradiction dans la mesure où le texte est contesté par une importante partie des syndicats. Et comment promouvoir la logique de compromis lorsque le débat parlementaire se conclut par l’utilisation répétée du 49.3 ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Une réforme d’envergure du droit du travail implique un consensus minimal entre les acteurs de la négociation collective.

Je vous renouvelle mon interrogation, madame la ministre : pourquoi bouleverser le droit du travail, à un an d’échéances électorales, au risque de fractures politiques profondes ?

Évidemment, la droite sénatoriale s’est engouffrée dans la brèche. En cas d’alternance, nous craignons que les garde-fous que vous avez pris soin de bien définir ne soient balayés.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale, du fait de l’application du 49.3. Ce n’est plus la version caricaturale proposée par le Sénat au mois de juin.

Ainsi, les 35 heures ont été rétablies, le plafonnement des indemnités prud’homales a été supprimé, le périmètre des licenciements économique repensé.

Les dispositifs qui suscitaient notre intérêt – la garantie jeunes et le compte personnel d’activité – ont retrouvé de leur substance.

La version qui nous est aujourd’hui proposée pourrait être qualifiée de « moins pire ». Seulement, organiser les relations de travail en se contentant du « moins pire » est insatisfaisant. Surtout lorsque l’on connaît les conséquences de la vie professionnelle sur la vie privée des salariés !

En ce sens, l’article 2 est particulièrement symbolique. En effet, les règles relatives au temps de travail auraient vocation à être déterminées à l’échelle de l’entreprise.

Si nous comprenons, madame la ministre, qu’il est important de développer le dialogue social de proximité, il nous semble indispensable de tenir compte du contexte économique : aujourd’hui, la contrainte économique pèse fortement sur les salariés. Comment négocier librement dans la crainte de perdre son emploi ?

Nous refusons la dynamique de ce projet de loi. Si de nouvelles libertés sont concédées aux entreprises, elles ne sont pas assorties de nouvelles protections pour les salariés. La notion de protection a d’ailleurs disparu de l’intitulé du projet de loi !

Si la flexibilité n’est pas assortie d’une sécurisation des parcours professionnels et de garanties pour l’emploi, où est la modernisation du droit du travail ? Serait-ce une course au moins-disant social dans laquelle la norme reviendrait à s’aligner sur les plus bas salaires et conduirait à l’absence de sécurité de l’emploi ?

De plus, madame la ministre, vous ne parvenez pas à nous démontrer que cette flexibilité accrue sera génératrice d’emplois. Bien au contraire, Alain Supiot, éminent spécialiste du droit du travail, a récemment rappelé que « les travaux de recherche conduits à l’échelle mondiale […] tendent à prouver que des standards de travail élevés favorisent la qualité de la main-d’œuvre et qu’ils ont sur l’emploi un effet soit neutre, soit positif ».

Plutôt que de favoriser la précarisation accrue du salarié, je suis convaincu qu’il faut privilégier une main-d’œuvre de qualité.

Le contexte actuel se caractérise par un dumping social. Je sais que vous n’y croyez pas, madame la ministre, mais il faut regarder la réalité en face ! La course au moins-disant social est perdue d’avance. En effet, d’autres pays, moins soucieux de la protection des salariés, pourront toujours surenchérir et ainsi diminuer encore le coût du travail, quel que soit le prix pour les salariés.

Plutôt que de nous enliser dans un combat perdu d’avance et dont le seul résultat serait la régression des avancées sociales, misons sur nos atouts et développons-les : le savoir-faire, la formation, les services publics, les infrastructures, la qualité de vie…

Le droit du travail doit aussi anticiper la transition énergétique et intégrer dès maintenant les normes environnementales.

Pour conclure, nous pensons que des assises du droit du travail auraient permis, sur le fond comme sur la forme, de travailler ensemble à une nouvelle législation ambitieuse et protectrice ; elles auraient évité le passage en force syndical et politique d’un texte sur le dialogue social… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, puisqu’il faut l’appeler désormais ainsi.

Toutefois, selon toute probabilité, ce texte devrait être rejeté en l’état dans la mesure où la commission des affaires sociales va nous proposer d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable.

Le rapporteur nous expliquera que les députés ont remis en cause chacun des axes de travail qui avaient guidé la réflexion du Sénat. Certes, le texte de l’Assemblée nationale et celui du Sénat sont extrêmement différents et révèlent de profonds désaccords : le Sénat a ainsi supprimé la durée légale du travail, le compte d’engagement citoyen, la généralisation de la garantie jeunes, le droit à la déconnexion ; il a rejeté les accords majoritaires et maintenu les règles de validité actuelles ; il a plafonné le montant des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse…

L’Assemblée nationale, sur l’ensemble de ces points, est revenue à une rédaction proche de celle qu’elle avait adoptée en première lecture.

Dans ces conditions, monsieur le rapporteur, j’entends bien que l’intérêt de procéder à un nouvel examen du texte vous semble limité. Pour autant, je déplore que nous ne puissions pas de nouveau débattre de ce projet de loi.

C’est un texte important, qui repose, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, sur un dialogue social renforcé au niveau de l’entreprise, sur une visibilité accrue du droit du travail pour tous les acteurs économiques et sur de nouvelles protections pour tous nos concitoyens.

Après l’utilisation du 49.3 par deux fois à l’Assemblée nationale et la motion déposée en nouvelle lecture au Sénat, ce texte n’aura finalement été débattu qu’une seule fois en séance publique : au sein de notre assemblée, en première lecture. C’est bien peu !

En tant que parlementaires, nous ne pouvons que regretter l’engagement de la responsabilité du Gouvernement à l’Assemblée nationale à deux reprises. Nous ne devons pas refuser le débat démocratique, surtout à un moment où le bicamérisme est menacé. Comme l’avait rappelé en première lecture notre collègue Michel Amiel, « tant qu’il y aura un article 49, alinéa 3, dans la Constitution, le Sénat sera bien le garant de la tenue d’un débat démocratique et transparent, au cours duquel les positions pluralistes pourront s’exprimer et se confronter dans le respect des règles propres au Parlement ».

C’est d’autant plus regrettable que les débats en première lecture au sein de notre Haute Assemblée ont permis à tous de s’exprimer dans le respect des convictions de chacun, et ils ont surtout permis d’apporter quelques améliorations au texte.

Je pense, bien évidemment, à l’article 1er bis A, issu d’un amendement de notre collègue Françoise Laborde. Cet article vise à permettre au règlement intérieur de comporter des dispositions inscrivant le principe de neutralité, indispensable pour faire face au communautarisme qui ne cesse de se développer dans notre société. C’est une très bonne chose.

La Haute Assemblée a également apporté plusieurs modifications substantielles au congé pour événements familiaux en étendant le bénéfice du congé pour décès du conjoint du salarié, en portant de deux à trois jours le congé en cas de décès d’un conjoint ou d’un parent proche, en créant un congé de deux jours pour le salarié en cas de survenue d’un handicap chez un enfant, ou encore en réduisant de deux à un an l’ancienneté requise pour bénéficier du congé de proche aidant.

Par ailleurs, nous avons rétabli l’article 39 bis, ouvrant ainsi la possibilité de conclure des contrats intermittents pour l’emploi de saisonniers sans qu’un accord de branche ne le prévoie.

S’agissant enfin de la médecine du travail, nous avons notamment mis en place un suivi spécifique des travailleurs de nuit, permis à tout salarié de solliciter à tout moment une visite médicale et autorisé le professionnel de santé qui réalise la visite d’information et de prévention à orienter le travailleur vers le médecin du travail.

Mes chers collègues, si ces avancées sont aujourd’hui inscrites dans le projet de loi, c’est parce que nous avons, en première lecture, débattu du texte en commission et pendant près de quatre-vingts heures en séance publique.

Aussi, le groupe du RDSE, dans sa très grande majorité, regrette que notre commission des affaires sociales refuse de poursuivre le débat. Dans ces conditions, nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Jacques Chiron applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce qui s’est passé en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale, confirme en tous points ce que les parlementaires communistes dénoncent depuis le début, à savoir un passage en force contre la majorité des syndicats, représentant la majorité des salariés, contre la majorité parlementaire – la nécessité pour le Gouvernement de recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution en est la preuve –, contre l’avis majoritaire des Français et la mobilisation de plusieurs millions d’entre eux.

Sur le fond, il s’agit d’une nouvelle étape dans la fuite en avant ultralibérale. Ce texte répond en premier lieu aux exigences du MEDEF et du patronat européen, relayées par la Commission de Bruxelles sous forme de « recommandations », dont les grands titres se retrouvent quasiment tels quels dans les articles de ce texte et dans l’argumentaire gouvernemental.

En inversant la hiérarchie des normes, en affaiblissant encore le principe de faveur, en rendant toujours plus virtuelles les 35 heures légales, vous avez ouvert un boulevard à toutes les surenchères possibles. La droite sénatoriale s’est ainsi engouffrée dans les sillons du texte pour voter la possibilité de faire travailler les salariés 37, 38 ou 39 heures, payées 35 heures pour la plupart d’entre eux, sans parler de la flexibilisation encore plus poussée de la modulation du temps de travail, des licenciements ou du doublement des seuils sociaux.

Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale est, en définitive, quasiment le même que celui que nous avons combattu ici, à trois petites exceptions près : à l’article 1er et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 13.

Certains diront, Mme la ministre la première, puis Mme Bricq, que la nouvelle formulation de ce dernier article conforte les branches. Mais le quatrième alinéa est pourtant très clair : le principe de faveur serait respecté, « à l’exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l’accord d’entreprise ». Aujourd’hui, la durée et l’organisation du temps de travail seraient donc exclues du principe de faveur et, demain, ce serait tout le code du travail. Quelle avancée !

En réalité, vous vous êtes enfermés dans un système de pensée qui démontre chaque jour sa faillite. L’argument du MEDEF selon lequel les entreprises n’embauchent pas, par peur d’une prétendue impossibilité de licencier – alors même que 360 000 ruptures conventionnelles ont été constatées en 2015 –, est même devenu celui de l’exécutif.

Vous continuez d’ouvrir toujours plus grandes les vannes du libéralisme : ainsi, demain, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, leur rémunération, mais aussi le travail de nuit, le travail du dimanche, et j’en passe, deviendront des sujets de négociation locale, là où les salariés sont les plus isolés, les moins organisés.

Selon un sondage IFOP du 17 juin dernier, vous avez même poussé si loin le bouchon qu’une majorité d’artisans et de chefs de petite entreprise s’opposent à votre projet, craignent une course au dumping social et rappellent, à juste titre, le rôle de régulation des branches pour une saine concurrence.

Pourtant, il est possible et nécessaire de faire évoluer le code du travail pour répondre aux évolutions technologiques, économiques et sociales.

Nombre des 402 amendements que le groupe CRC a défendus en première lecture dessinaient les contours d’une autre approche du travail, de nouvelles régulations aux pouvoirs encore trop puissants des intérêts financiers contre l’intérêt collectif dans la vie des entreprises.

Nous avons proposé de moderniser le code du travail en réduisant le temps de travail à 32 heures. Nous avons aussi proposé de sanctionner les licenciements des entreprises qui réalisent des bénéfices. Or, plutôt que de les interdire, ou au moins de les réguler, vous aviez voulu, dans un premier temps, les faciliter encore plus, en excluant de l’appréciation des difficultés économiques les entreprises situées hors territoire national.

Nous avons également proposé de donner de nouveaux pouvoirs d’intervention aux salariés dans les entreprises et une meilleure représentation dans les conseils d’administration, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne. Mais vous avez préféré limiter les droits existants en restreignant le recours à l’expertise pour les représentants du personnel.

Alors que nous vous engagions à lutter contre les discriminations syndicales dans les entreprises, nous sommes au regret de constater, madame la ministre, que vous êtes passée outre la décision de l’inspection du travail en autorisant, le 27 juin dernier, le licenciement d’un délégué CGT de Sodexo, au prétexte que certains salariés avaient continué une grève après la signature d’un accord de fin de conflit. Cela ne va pas dans le bon sens.

Madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit mercredi dernier en commission, nous sortons de quatre-vingts heures de débats avec un grand regret : au-delà de nos divergences et de nos points de vue fondamentalement différents sur le cœur de ce projet de loi, il aurait été possible, à partir de certains articles, de commencer à avancer sur plusieurs sujets.

Le groupe CRC a formulé de multiples propositions sur les questions du temps partiel, des travailleurs saisonniers, de l’amiante, de la lutte contre le travail détaché illégal… Quasiment aucune n’a été reprise, au prétexte soit d’une négociation et d’un recours aux ordonnances, soit de la nécessité d’attendre la renégociation d’une directive européenne ou encore un plan ministériel dont personne ici n’a eu connaissance.

En refusant la casse du code du travail et en faisant des propositions alternatives, le groupe CRC n’a été ni immobiliste ni passéiste, mais, au contraire, moderne, combatif et fidèle aux valeurs de la gauche.

Sachez que nous restons mobilisés aux côtés des salariés. Nous vous donnons rendez-vous ici même à la rentrée pour continuer de porter les exigences et les aspirations du monde du travail. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de commencer par des remerciements.

Je tiens à exprimer notre gratitude au président de la commission des affaires sociales, aux trois rapporteurs, Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, qui n’ont ni ménagé leur temps ni compté leur peine pour élaborer un texte réformateur. Je sais qu’ils sont déçus que le Gouvernement n’ait pas fait montre de plus d’esprit d’ouverture, mais je veux leur dire que ce travail ne sera pas perdu et qu’il ouvre des perspectives pour l’avenir.

M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, nous sommes parvenus au terme de ce qui aura sans doute été pour vous un véritable parcours du combattant.

Mme Nicole Bricq. De la combattante !

M. Bruno Retailleau. Je ne vais pas vous adresser de félicitations. Je dirai ce que je pense du texte dans quelques instants, et je n’en pense pas que du bien… Il y a à dire, disait Mme Bricq : j’ajouterai qu’il y a même à redire !

Mme Nicole Bricq. Il y a surtout à faire !

M. Bruno Retailleau. Vous me permettrez toutefois d’exprimer, au nom de mes collègues, une forme de respect pour la façon dont vous avez soutenu vos positions. Vous l’avez fait sans sectarisme, avec beaucoup de pédagogie, avec conviction. Je pense que vous connaissez parfaitement votre dossier – j’ai trouvé bien injustes certaines attaques, venues, je le souligne, de l’extérieur du Sénat –, et vous l’avez défendu avec élégance.

Malheureusement, madame la ministre, l’élégance ne suffit pas à rendre le texte aimable. (Sourires.) C'est la raison pour laquelle mon groupe votera la motion tendant à opposer la question préalable.

Nous nous trouvons devant une formidable occasion manquée. Ce texte restera emblématique de l’échec de ce gouvernement à trouver le chemin d’une vraie réforme, alors que la France a tant besoin de réformes.

Seul le Président de la République semble se satisfaire de la situation actuelle. Lorsque l’on se compare, on se console, dit-on souvent. Mais, quand on compare la situation économique de la France à celle des grands pays européens et occidentaux, on ne se console pas : on se désole.

La croissance française, depuis 2012, est deux fois moindre que celle de la moyenne des pays de l’OCDE.

En 2012, pour le chômage, la France était quatorzième sur vingt-huit en Europe. Aujourd'hui, nous sommes au vingt-et-unième rang, première raison pour laquelle la réforme est non pas une option, mais une nécessité.

Autre raison, tout aussi fondamentale : vous avez bénéficié d’une fenêtre de tir historique pour porter votre réforme. C’est ce que le Président de la République a appelé l’« alignement des planètes », non pas pour parler d’astrologie, mais pour constater que jamais, sur une aussi longue période et pour encore des années, nous n’avions bénéficié d’une situation économique aussi clémente, qu’il s’agisse des taux d’intérêt, du cours de l’euro ou du coût des matières premières et notamment du pétrole. Vous aurez gâché cette occasion historique.

On peut féliciter Mario Draghi, qui est un excellent président de la Banque centrale européenne, de pratiquer ce qu’on appelle l’assouplissement monétaire. Cette politique n’a qu’une seule justification : donner un peu d’élasticité aux économies et permettre aux gouvernements de profiter de cette occasion rêvée pour réformer. Le quantitative easing – l’assouplissement monétaire – ne peut être favorable qu’à cette unique condition : la réforme. Sinon, cela peut créer de graves problèmes, y compris en Europe et dans la zone euro.

Mais cette réforme aura été gâchée, avant même le dépôt du projet de loi, par le retrait de toutes les dispositions relatives au plafonnement des indemnités prud’homales. Puis, au cours de l’examen du texte, notamment par nos collègues députés, vous êtes allés de reculs successifs en renoncements. Bien sûr, il reste l’article 2, qui est l’une des dispositions emblématiques du texte, mais il est désormais corseté, terriblement encadré. Je pense notamment aux accords de branche et à l’article 13.

La réforme aura donc été vidée de son contenu. Notre groupe était prêt, Jean-Baptiste Lemoyne l’a dit, à soutenir la première version de votre texte, madame la ministre, qui partait d’une bonne intuition et constituait une chance pour l’emploi, alors que le texte final ne fera qu’introduire de nouvelles complexités. Ainsi, le texte aura non seulement été vidé de sa substance, après neutralisation de son ambition réformatrice, mais il se traduira également par de nouvelles lourdeurs. Pensez qu’il ne nécessitera pas moins de 127 décrets d’application !

Je citerai trois exemples de ces complexités bien françaises.

D’abord, comme l’a rappelé Michel Forissier, le compte pénibilité sera intégré au CPA, le compte personnel d’activité. Pour beaucoup de petites et moyennes entreprises, seuls les quatre premiers critères de cette mesure seront applicables. Tous les autres seront inapplicables et créeront des lourdeurs pour les entreprises françaises, ce qui aura des conséquences sur les plus fragiles d’entre elles, donc sur l’emploi.

Ensuite, vous remettez en cause l’indépendance des franchises. Dans quel objectif, quel but concret ?

Enfin, vous rendez obligatoire le mandatement syndical. Autre lourdeur si française !

Au bout du compte, cette réforme introduit donc toujours plus de complexité et représente une occasion manquée.

Je pense sincèrement que ce résultat décevant est la conséquence d’une erreur de méthode et d’une approche idéologique, car, pour faire aboutir une réforme, il faut au préalable réunir certaines conditions. Il s’agit, madame la ministre, d’un reproche que j’aurais pu adresser, par le passé, à ma propre famille politique, mais le parcours chaotique de ce texte restera un exemple à ne pas suivre pour celles et ceux qui, demain, devront – le voudront-ils ? – réformer la France.

Première erreur de méthode, la démocratie, c’est le consentement. Sans mandat clair du peuple, vous ne pouvez pas mener une réforme ambitieuse. Vous ne pouvez pas à la fois assumer le discours du Bourget et changer de pied quelque temps après. Sinon, c’est l’élongation et le claquage !

Deuxième erreur de méthode, on mène des réformes en début de mandat, pas à la fin. Permettez-moi de citer le candidat François Hollande, qui affirmait, en 2012, « les bonnes idées, il faut les avoir en début de mandat, pas à la fin ». Malheureusement, il n’a pas appliqué cette maxime à son propre mandat !

Troisième erreur, il faut donner du sens à la méthode que l’on adopte. Certes, vous avez porté ce texte, madame la ministre, mais la méthode a-t-elle été expliquée ? Le texte a-t-il été placé dans une perspective ? Si vous voulez mobiliser un peuple, vous devez donner du sens, inscrire une réforme dans un ensemble plus large, pour qu’il sache où vous voulez aller et quelle lueur vous espérez faire se lever à l’horizon de l’avenir.

Faute d’une bonne méthode, vos efforts ont été vains. Finalement, il ne faut pas s’étonner de ce que votre majorité se soit profondément fracturée.

Vous le remarquerez au passage – j’en remercie aussi bien le groupe centriste que le groupe que j’ai l’honneur de présider –, la majorité sénatoriale a été unie et cohérente, pour proposer un vrai texte, alors que nous avons vu ici même, parfois avec quelque étonnement, votre majorité se diviser.

Vous vous êtes mis à dos la France de gauche, celle qui considère que le code du travail est intouchable. Ce serait une sorte de totem qu’il ne faudrait surtout pas modifier, quels qu’en soient les fruits amers.

Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas écouté M. Laurent !

M. Bruno Retailleau. Vous vous êtes mis à dos une grande partie des Français, tous ceux qui vous faisaient confiance, qui croyaient en votre ambition réformatrice. Ils ont été déçus.

À un moment donné, vous avez tenté de trouver le coupable idéal, à savoir, une nouvelle fois, le Sénat de droite et du centre.

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Nous commençons à être habitués à ce genre de posture ; on nous a déjà fait le coup pour la déchéance de nationalité. Cela relève désormais d’une sorte de comique de répétition, mais ça n’a pas marché !

Pensez donc, le Sénat ultralibéral imaginait, dans ses rêves les plus fous, ce que Manuel Valls, qui n’était pas encore Premier ministre, avait proposé en 2011 lors des primaires de la gauche, à savoir la sortie des 35 heures ! Alors qu’un certain nombre d’articles de ce texte ont pour objet de déguiser certains accommodements avec les 35 heures, nous, nous assumons cette volonté et nous disons clairement pourquoi : parce que nous considérons que le chômage est le cancer de la société française ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par ailleurs, vous avez une approche idéologique datée. Vous vous êtes fait collectivement rattraper par les vieilles lunes de la gauche, par de vieilles idées qui appartiennent au XXe siècle et non au XXIe siècle. (M. Jean Desessard proteste.)

En effet, selon vous, l’entreprise, territoire de conflits, fait nécessairement l’objet d’une sorte de tension dialectique entre le travail et le capital. Nous estimons au contraire qu’il s’agit d’une communauté d’intérêts, ce que nous avons d’ailleurs voulu réaffirmer avec un certain nombre de dispositions comme la participation et l’intéressement. Vous les avez, très partiellement et de façon facultative, reprises à votre compte.

Le texte porte la marque de cette conception conflictuelle de l’entreprise, qui n’est d’ailleurs peut-être pas la vôtre personnellement, madame la ministre, mais vous êtes ainsi passés à côté – première erreur idéologique – du problème majeur français : la peur de l’embauche, qui crée des millions de chômeurs.

Autre erreur idéologique, vous acceptez définitivement une organisation duale du marché du travail, avec des outsiders et des insiders. Vous renforcez la protection de ceux qui ont un emploi au détriment de ceux qui n’en ont pas. C’est le problème endémique de la France, qui engendre ce que d’autres ont appelé une sorte de préférence française pour le chômage de masse. Tant que nous ne sortirons pas de cette dualité, nous enfermerons les plus fragiles dans une terrible fatalité.

Enfin, nouvelle erreur idéologique, que pèse la généralisation de la garantie jeunes auprès des vingt articles proposés par Michel Forissier ? La gauche est hostile à l’apprentissage. Sinon, elle aurait repris un certain nombre des dispositifs envisagés. Dans ma région, huit apprentis sur dix sont intégrés au monde du travail quelques mois après leur formation.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Je suis sûr que plusieurs de mes collègues de gauche, comme, évidemment, mes collègues de droite, portent l’idée selon laquelle l’apprentissage n’est pas une voie de garage et est au contraire la voie du succès. Pourquoi dès lors avoir préféré créer une sorte de revenu d’assistance pour les jeunes plutôt que de leur mettre le pied à l’étrier, pour une vraie insertion professionnelle ? C’est incompréhensible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Pour conclure, ce texte n’apportera malheureusement aucune solution à ce que nous considérons comme un malheur français. Il n’introduira aucune des adaptations que notre économie et notre droit du travail doivent intégrer, alors même que de nombreux gouvernements sociodémocrates, en Europe, ont mené ce travail d’adaptation. Si nous ne le faisons pas, nous condamnons, lentement mais sûrement, l’économie française à une dégringolade définitive.

Vous aurez finalement mis la France dans la rue pour peu de choses, voire presque rien, donnant ainsi un écho particulier à cette phrase d’Edgar Faure : « La France est toujours en avance d’une révolution parce qu’elle est toujours en retard d’une réforme. » (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)