M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, alors que nous débattions, le 15 mars dernier, des opérations intérieures menées par nos forces armées dans la période particulièrement difficile et inédite que nous traversons, nous sommes aujourd’hui tournés – par une certaine continuité – vers l’international.

Avant toute chose, je tiens à saluer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, la détermination et le courage de nos soldats, dans le cadre de leur engagement sur le territoire national comme sur les différents théâtres d’opérations à l’étranger – je pense notamment à nos hommes engagés en Syrie et à Mossoul. Ce sont en effet les hommes et les femmes qui s’engagent au quotidien pour notre sécurité qui sont au cœur du dispositif dont nous débattons aujourd’hui. Nous ne le répéterons jamais assez : ils sont la première richesse de nos armées et la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Des menaces aujourd’hui de toutes formes, menaces aveugles, barbares, menaces qui font fi des frontières.

Force est de constater que nos soldats sont particulièrement sollicités depuis quelques années, sur de multiples théâtres d’opérations : bande sahélo-saharienne, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Proche et Moyen-Orient, océan Indien… Sans oublier les différentes missions menées dans le cadre de l’ONU, de l’Union africaine, de l’Union européenne et de l’OTAN. En juillet 2016, un peu de plus de 6 000 hommes étaient déployés dans le cadre des opérations extérieures menées par la France.

Si, depuis 2008, nous notons les efforts réalisés en matière de désengagement partiel ou total de certains théâtres d’opérations, à l’image de l’annonce du retrait de la force Sangaris d’ici à la fin de l’année par le ministre de la défense, nous faisons toutefois face à l’émergence de nouvelles crises, à la dispersion des théâtres d’intervention, à la simultanéité des opérations engagées et à l’évolution des modes d’action ennemis. Autant de données qui complexifient les missions de nos soldats sur le terrain et qui doivent, plus globalement, nous interpeller sur la politique d’intervention de la France à l’international.

Ainsi, deux questions s’imposent à nous : celle de la pertinence d’une multiplication des OPEX et celle de nos moyens.

Concernant la pertinence, pourquoi sommes-nous autant engagés à l’étranger, de surcroît en première ligne ?

Il ne s’agit pas pour moi de remettre en cause le rôle de notre défense. Je tiens d’ailleurs à souligner l’action de Jean-Yves Le Drian dans le contexte particulièrement difficile que nous traversons, à la fois sur le plan international, mais aussi sur le plan national. Je tiens également à souligner la réactivité et la justesse d’analyse de l’état-major dans cette crise internationale. Mais comment ne pas nous interroger face au niveau d’engagement inédit de ces dernières années ?

Le groupe écologiste a soutenu l’opération Serval au Mali, en janvier 2013, ainsi que l’opération Sangaris en République centrafricaine, en décembre 2013. Nous avons considéré que ces engagements étaient conformes aux choix politiques légitimes de notre pays : s’opposer à l’avancée du terrorisme au Mali ; éviter l’affrontement entre communautés en République centrafricaine ; apporter la paix dans des zones de tension. À chaque fois, nos forces armées ont mené ces opérations sous mandat de l’ONU, dans le strict respect de la légalité internationale.

La mise en œuvre de l’opération Chammal a suscité davantage d’interrogations, notamment en raison de l’absence de vision politique régionale, globale et de long terme. Entendons-nous bien sur ce point : il faut combattre l’obscurantisme de Daech partout où il se trouve et le neutraliser militairement. C’est un impératif que nous ne pouvons contester. Toutefois, ces derniers mois, nous n’avons pu que constater et déplorer l’hésitation, la passivité et l’impuissance de la communauté internationale sur le dossier syrien.

Contrairement aux objectifs affichés du Quai d’Orsay, nous nous retrouvons aujourd’hui face à un régime syrien en position de supériorité politique et militaire sur le terrain. Notre stratégie a-t-elle réduit à néant toute opportunité d’une résolution politique du conflit ?

Arc-boutée sur une vision restrictive de la crise au Levant et à la faveur d’une « diplomatie de l’émotionnel » asymétrique suivant les interlocuteurs, la France est devenue inaudible sur la scène internationale. Nous n’avons pas été en mesure d’adopter une approche politique globale prenant en compte l’ensemble des acteurs du voisinage. En effet, quelles que soient les divergences, celles-ci méritent d’être analysées et débattues.

C’est l’absence de préparation en amont qui nous a menés dans l’impasse. Ce manque de vision a eu pour conséquence la dévastation d’une région – je veux parler de la Libye et de la Syrie – et des centaines de milliers de victimes. J’ai en cet instant une pensée horrifiée s’agissant du drame qui se joue sous nos yeux impuissants dans la ville martyre d’Alep. Je ne peux non plus passer sous silence les millions de personnes jetées sur les routes et l’importance, jamais atteinte dans l’histoire de l’humanité, du terrorisme mondial.

Les opérations extérieures de la France ne peuvent pas continuer de rattraper les défaillances de notre diplomatie à l’international. Plus encore, sur le terrain, une intervention militaire est une première étape, un levier, que nous soutenons lorsqu’il paraît nécessaire, mais qui ne constitue en rien une solution. Il s’agit non pas uniquement d’éliminer ou de réduire les conséquences d’une crise, mais bien de s’attaquer aux causes profondes de celle-ci. Pour reprendre les mots du général de Villiers à l’université d’été de la défense, « une réponse limitée au seul engagement militaire ne permettra jamais de traiter une crise en profondeur et définitivement. Autrement dit, gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ».

Le contexte particulièrement difficile que nous connaissons aujourd’hui et la tentation de recourir à des réponses hâtives pour y faire face ne doivent pas nous exonérer d’une politique à l’international à long terme, pragmatique et efficace. C’est justement cet impératif de vision à long terme qui me conduit à ma deuxième question, celle des moyens. Avons-nous les moyens d’être les gendarmes du monde ? Avons-nous toujours les moyens d’intervenir à la fois en Afrique et au Moyen-Orient ?

Si nous reconnaissons bien évidemment que la menace terroriste a pris une dimension sans précédent dans ces régions, nous posons la question de la soutenabilité de notre engagement international. La multiplication des OPEX a abouti aujourd'hui à une incapacité de la France à s’engager davantage, à quelque niveau que ce soit, y compris dans les domaines de l’humanitaire et de la prévention.

Permettez-moi de reprendre le constat du rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur les interventions extérieures de la France : « Le niveau d’engagement des forces armées en OPEX se situe au-delà des limites du contrat opérationnel décrit par le Livre blanc et la loi de programmation militaire pour les opérations de gestion de crise […]. En 2014 et 2015, les forces armées étaient engagées sur des théâtres majeurs, deux en tant que contributeurs majeurs, le troisième au sein d’une coalition au Levant. » Il est à noter également que les opérations militaires extérieures représentent un coût pour l’État de l’ordre de 1 milliard d’euros par an en moyenne depuis 2011.

Face à ce constat, nous ne pouvons plus continuer à éluder la question européenne. Les opérations extérieures de ces dernières années ont été marquées par l’absence criante d’une défense européenne et même d’une coopération entre pays européens. Or la période de crise multidimensionnelle que nous traversons est une occasion pour relancer ce projet. Malheureusement, à l’image de l’appel, en novembre dernier, à la solidarité européenne au titre de l’article 42.7 du traité de Lisbonne, dont les effets ont été limités, nous n’avons pu que constater que le résultat n’était pas à la hauteur de nos ambitions. Pourtant, mes chers collègues, l’absence de défense européenne est clairement une chance supplémentaire pour le terrorisme.

La défense européenne doit être non plus une figure de style dans nos discours, mais bien un objectif concret pour notre défense. Nous le savons tous, sa relance passe par une volonté politique renforcée. Il s’agit donc maintenant de savoir comment la France peut influer sur les autres pays pour favoriser une convergence. Les voies d’approfondissement doivent s’appuyer sur le développement d’une vision commune en matière de sécurité et de défense, l’élaboration d’un paradigme européen de défense et, enfin, la relève du défi capacitaire, dernier point qui pourrait à court terme avoir un impact concret sur nos armées.

Plus encore que la défense européenne, il importe de redonner à l’Europe toute sa place, toute sa crédibilité et toute sa stature face aux menaces auxquelles elle est confrontée dans le monde tourmenté d’aujourd’hui. Je veux parler d’une Europe humaniste, visionnaire, ouverte sur le monde, d’une Europe pragmatique et de cœur, d’une Europe des valeurs, porteuse d’espoir, qui sera entendue dans le concert, souvent bruyant, des nations. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Olivier Cadic, Mme Michelle Demessine et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite à mon tour saluer nos soldats, qui, sur les théâtres d’opérations extérieures, incarnent la nation en mouvement, parfois jusqu’au sacrifice suprême. Ils méritent que nous ayons ce débat.

Le temps où les opérations extérieures étaient le bras armé du colonialisme français est révolu, tout comme est révolu le temps où celles-ci constituaient l’épée protectrice de despotismes exotiques. Les OPEX sont aujourd’hui l’étendard de la paix : en Afrique, d’abord, où la France, forte de son expérience du terrain et de sa connaissance intime des populations, a stoppé net l’odyssée barbare du djihadisme en route vers Bamako. Immédiatement, alors que la bande sahélo-saharienne menaçait de s’embraser, la France, au nom des Nations unies, et avec ses partenaires africains, a renforcé et réaménagé le dispositif de défense, pour endiguer les raids meurtriers et aider les États à reconquérir leur souveraineté. Car, si l’intervention militaire vise à détruire l’ennemi prédateur, elle n’est que le prélude nécessaire à la restauration de l’État et de la paix. De ce point de vue, notre mission aura été un vrai succès. Qu’on en juge.

Au Mali, que j’évoquais, alors que la nation se désintégrait, laissant prospérer trafics mafieux et fanatismes cruels, notre armée a sauvé le pays ; elle a préservé le socle institutionnel, ouvrant avec la MINUSMA la voie au rétablissement électif et au redémarrage politique ; elle a permis d’arrêter la terreur, le saccage culturel – oublie-t-on Tombouctou ? – et la descente aux enfers de jeunesses laissées à l’abandon.

Aujourd’hui encore, nos forces spéciales continuent leur mission périlleuse, avec courage et professionnalisme, dans les montagnes des Ifoghas et ailleurs. À compter de juillet 2014, au moment où Barkhane succède à Serval, depuis nos points d’appui et nos bases avancées au Mali, au Niger et au Tchad, nos 3 500 soldats à pied d’œuvre ont mené 800 opérations spéciales, annihilé les sanctuaires terroristes d’AQMI et de Boko Haram, désormais limités à des groupes résiduels, bien que redoutables.

Avec leurs camarades africains des pays du G5 Sahel et de la MINUSMA, nos soldats, malgré la porosité des frontières, ont mis hors d’état de nuire quelque 200 sectateurs de l’intégrisme radical. S’il reste quelques poches infectées, au Borno, au Nigeria, à Kidal, dans le nord du Mali, ou sur les contours du lac Tchad, l’engagement croissant des armées africaines formées et de plus en plus aguerries va dans le sens de l’appropriation graduelle de leur propre sécurité et de leur défense. À cet égard, l’opération Barkhane constitue un levier majeur pour le rétablissement de la nation malienne et l’éradication du terrorisme sur la ligne sahélienne.

En Centrafrique, l’opération Sangaris prouve que la France a su ramener la paix, ce qui n’est pas un mince succès ! Non seulement notre armée a su interrompre le cycle infernal et atroce de la guerre civile, religieuse, voire ethnique, en enrayant les massacres entre Séléka et anti-balaka, mais encore, grâce à un tuilage politique habilement orchestré entre New York et Paris, elle a permis la tenue de l’élection présidentielle sans incident notable et, par voie de conséquence, la relégitimation gouvernementale. En assurant la sécurité des artères principales de la RCA, elle a puissamment contribué à l’affermissement du cadre de l’État. Ce succès autorise même aujourd'hui le retrait de nos troupes, à l’exception naturellement d’un noyau à Bangui, démontrant avec éclat que notre intervention n’était en aucune façon une rémanence néocolonialiste, mais l’assomption déterminée, au nom de la communauté des Nations unies, d’une œuvre de concorde, de paix et de fraternité. Disons-le, au moment où le Vatican vient de nommer cardinal l’archevêque de Bangui, dont l’entente affichée avec l’imam et le patriarche a aidé, au plus fort des tueries, à recoudre les âmes et les cœurs, le bouclier français, sur les rives de l’Oubangui, a protégé, sauvegardé, libéré.

Cette opération, menée de main de maître, avec 900 hommes, est désormais relayée par les 12 000 soldats de l’ONU. Je suggère à cet égard – c’est un avis tout à fait personnel – que la doctrine onusienne évolue et que les troupes n’en restent pas à une interposition quasi statique. Il faut en effet pouvoir riposter en cas d’attaque. Le matériel neuf et abondant ne suffit pas ! Il est nécessaire que le commandement onusien, par ailleurs d’excellente qualité, dispose d’un mandat plus étoffé, pour agir, se projeter et unifier des contingents hétéroclites réduits à la patrouille, à la vadrouille et à la débrouille. Car à quoi sert un fort contingent s’il ne peut se mouvoir, réagir, dialoguer avec la population, se familiariser avec le terrain, comme nous l’avons fait ? La vie autarcique en garnison ne règle rien. Il faut – pardonnez mon audace et mon barbarisme – « sangariser » les troupes de la MINUSCA. Elles seront alors le garant de la paix retrouvée.

Mais il y a aussi la mer. La mer qui nous sépare et nous relie. La mer, horizon de nos bascules stratégiques, qui nourrit et développe. Elle n’a pas échappé au déchaînement des hommes. Au large de la Corne de l’Afrique, au-delà du détroit de Bab-el-Mandeb, notre marine a participé avec efficacité à l’opération Atalante, qui a réduit à néant la piraterie maritime et rétabli la liberté de naviguer dans l’océan Indien.

De l’autre côté, dans le golfe de Guinée, l’opération Corymbe assure, du Sénégal à l’Angola, un arc de protection contre la pêche illicite, le trafic de drogues et le détournement pétrolier. Mieux, l’Organisation de l’unité africaine s’empare elle-même, M. le ministre l’a dit, de sa sécurité dans ce domaine, s’appuyant sur notre expertise pour protéger ses ressources halieutiques, énergétiques, commerciales et, demain peut-être – c’est en tout cas ce que nous souhaitons –, touristiques. Par le sommet de Lomé, qui s’est tenu du 15 au 19 octobre, elle consacre ce partenariat actif dont notre BPC Dixmude est le symbole, qui patrouille, dissuade et intervient au besoin.

Après l’Afrique, continent ami et continent d’avenir, j’évoquerai l’Orient, envoûtant et magique, où volte-face, revirements et renversements d’alliances obscurcissent la lecture des conflits, de leur cause, de leur déroulement, de leurs objectifs, à telle enseigne que chacun y perd son latin.

Nos alliés américains n’ont-ils pas reculé devant l’obstacle – je pense à l’utilisation par Assad de gaz toxiques, ligne rouge qu’ils avaient eux-mêmes tracée –, laissant la France aux avant-postes ?

La Russie, après avoir habilement déployé un rideau de fumée diplomatique – j’entends encore les propos de son excellence Orlov –, ne s’est-elle pas lancée dans un soutien de fer et de feu à M. Bachar al-Assad ?

La Turquie, pays ami, déstabilisée au-dedans, ne fait-elle pas désormais cause commune avec la Russie, pour mieux lutter contre les Kurdes, à l’intérieur et à l’extérieur, et assurer ses approvisionnements énergétiques ? Certains persifleurs avancent même qu’elle privilégierait le combat sans merci contre les peshmergas et les YPG à la lutte contre l’État islamique. D’autres interrogent son appartenance à l’Alliance atlantique, alors que l’acquisition de système S-300 et S-400 dessinerait une forme d’appareillage avec Moscou.

L’Iran, tout à son leadership chiite, ne soutient-il pas, du Yémen au Liban, d’improbables combats, cependant que l’Irak, derrière l’unité anti-Daech, se débat historiquement dans une inextricable quête de cohérence gouvernementale, de liberté religieuse et d’intégrité territoriale ?

Reste la Syrie, dépecée, ruinée, livrée au chaos. Pour quoi faire ? Pour Bachar ? Pour Tartous ? La Russie, cette grande nation que nous aimons, ne doit pas être celle de Grozny.

Dans cet écheveau fort embrouillé, la France, parce qu’elle définit sa position sur des principes universels – la recherche inlassable de la paix ; la sauvegarde des vies humaines, quelles qu’elles soient ; la guerre au terrorisme –, est droite dans ses bottes. Sans faiblesse et sans haine, dans un monde brutal où le rapport de force est la loi, la France ne ménage pas sa peine.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jeanny Lorgeoux. Je conclus, monsieur le président.

Si nos soldats et nos services, au Mali comme en Libye, en Irak comme en Syrie, partent au combat pour nos valeurs, nos diplomates n’ont de cesse, à l’ONU ou dans les capitales concernées, de proposer cessez-le-feu et plans de paix, parlant à tous sans relâche.

La France porte les valeurs de la République. Si Erbil, Alep, Mossoul sont loin, il demeure que l’honneur de notre pays aura été scellé dans la conscience collective, lorsque, le 21 août 2013, le Président de la République a refusé le renoncement après le bombardement indicible au gaz sarin de la Ghouta à Damas, alors que, déjà, se profilait le spectre effrayant du martyre d’Alep.

La France respecte ses engagements internationaux : au sein de la coalition, elle joue sa partition loyalement et efficacement, contribuant à détruire la matrice originelle du terrorisme, notamment à Raqqa et à Deir ez-Zor, et ce sans tapis de bombes, pour épargner les civils. Car nos Rafale et nos missiles ciblent, grâce au renseignement, les dépôts, les centres nerveux et les antres financiers des « fous d’Allah ».

M. le président. Concluez, monsieur Lorgeoux !

M. Jeanny Lorgeoux. Pour conclure, en vous priant de bien vouloir m’excuser d’avoir été un peu long, je dirai que, par la justesse et la célérité des décisions présidentielles, par la clarté et la puissance de l’engagement de Jean-Marc Ayrault et de Jean-Yves Le Drian, par la loyauté de nos soldats et l’abnégation de leurs chefs, la France, au travers de ses OPEX, a tenu son rang. Je voudrais associer à cet hommage l’ensemble des collègues parlementaires qui ont voté les budgets nécessaires au rayonnement de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour le groupe Les Républicains.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, tout en prenant acte de la tenue de ce débat sur les opérations extérieures de la France, permettez au groupe Les Républicains de regretter qu’il ne soit pas organisé en application de l’article 4 de la loi de programmation militaire, qui n’a jamais été mis en œuvre. Nous nous interrogeons également sur l’urgence ayant présidé à l’inscription d’un tel débat à l’ordre du jour de notre assemblée. C’est peut-être un moyen de relégitimer auprès du Parlement l’action internationale du Gouvernement, les OPEX faisant traditionnellement l’objet d’un large soutien, que ce soit dans les deux assemblées ou auprès de nos concitoyens.

En effet, dans les nombreuses zones de conflit qui se matérialisent tout au long de l’arc de crise enserrant désormais le continent européen, les opérations extérieures consacrent l’engagement de la France à assumer ses responsabilités internationales et ses valeurs. L’excellence de notre outil militaire, démontrée lors de chacune de ces interventions, apporte également la preuve que notre pays demeure en mesure de préserver aussi bien la sécurité internationale que ses intérêts et contribue de manière décisive à maintenir son rang dans le concert des nations, en affirmant son appartenance au club très fermé des puissances agissantes. La participation de nos forces aériennes, dans le cadre de l’opération Chammal, à la bataille de Mossoul qui vient de s’engager pour chasser les terroristes de Daech de la deuxième ville d’Irak, en est la démonstration la plus récente.

Qu’elles aient été menées de façon autonome ou en coopération avec nos partenaires, les récentes OPEX conduites par la France ont globalement été couronnées de succès d’un point de vue militaire et ont été déployées dans un cadre assurant leur légitimité et dans le respect des populations locales, ce qui permet d’en dresser un bilan largement positif. Gardons toutefois à l’esprit que cette capacité d’engagement n’est pas illimitée. Elle repose avant tout sur des hommes et des femmes déterminés à servir leur pays au péril de leur vie. C’est pourquoi je veux moi aussi rendre hommage au courage et au don de soi exceptionnels dont ils font preuve quotidiennement sur les théâtres d’opérations extérieures. Leur valeur, leur professionnalisme et leur expérience constituent l’une des principales clés du succès de nos OPEX.

Ce dévouement nous engage au plus haut point. Il impose bien sûr que l’intervention de nos troupes ne soit décidée qu’en cas d’extrême nécessité, après avoir épuisé tous les autres moyens possibles d’action, notamment au niveau diplomatique. Mais il impose également de chercher à réduire l’exposition de nos forces. Cela passe en premier lieu par la constitution de coalitions, point sur lequel nos interventions récentes en Afrique n’ont pas enregistré les résultats escomptés. Cela passe également par la définition préalable d’une approche globale de résolution des conflits à même de gagner la paix.

Plus que tout, le dévouement de nos soldats impose d’apporter à nos armées les moyens opérationnels nécessaires, afin de garantir autant que possible leur sécurité lors de ces opérations. Or la situation dans laquelle se trouve le budget de notre défense est particulièrement délicate, pour ne pas dire difficile. Songeons que, au cours de l’année écoulée, la France a été à la fois en « état d’urgence » sur son territoire et en « état de guerre » de fait au-dehors de ses frontières. Depuis plusieurs années, nos armées connaissent un niveau d’engagement extérieur inédit, 10 000 à 15 000 soldats étant régulièrement déployés simultanément. Lors du pic de mobilisation de ses troupes en 2016, le Gouvernement a ainsi envoyé près de 11 000 soldats sur des théâtres d’opérations à la fois nombreux, éloignés, étendus, dispersés et exigeants, qui éprouvent durement les hommes, mais aussi les matériels.

Sur le territoire national, l’opération Sentinelle aggrave cette situation de surtension, en « accaparant », si je puis dire, quelque 10 000 militaires depuis janvier 2015. Elle exerce de ce fait une pression supplémentaire sur la capacité de rotation des troupes engagées à l’étranger, sur leur temps d’entraînement, mais aussi sur le budget affecté aux armées. Disons-le, ce dispositif doit évoluer, en particulier pour ce qui concerne sa doctrine d’emploi des forces armées, clairement inadaptée à leurs spécificités, et surtout amorcer une décrue rapide de la mobilisation de nos soldats, au profit des forces de sécurité intérieure, et ce afin de permettre à nos armées d’être plus utiles ailleurs, là où elles sont en mesure d’exploiter pleinement leurs savoir-faire.

Pour ce qui concerne les équipements, la vétusté des matériels atteint un niveau parfois inquiétant, et leurs conditions d’utilisation et de maintenance entravent de plus en plus souvent leur disponibilité en OPEX. Faute de moyens, leur renouvellement et leur maintien en conditions opérationnelles ne sont pas à la hauteur de l’exigence des missions confiées à nos militaires. Il y a certes des tentatives pour améliorer la situation, mais ce n’est pas encore idéal.

L’intensité de l’effort demandé à nos troupes doit avoir pour contrepartie l’assurance que les ressources nécessaires seront disponibles. C’est d’autant plus indispensable qu’avec le nouveau désordre international qui marque ce début de XXIe siècle, lequel a été très bien décrit par notre collègue Jeanny Lorgeoux – longuement, certes (Sourires.) –, nous sommes amenés à faire face à des menaces d’une intensité, d’une simultanéité et d’une diversité sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

La sursollicitation dont nos armées font actuellement l’objet à l’extérieur de nos frontières est donc largement susceptible de s’accroître encore, ce qui ne pourra évidemment pas se faire à moyens constants. Cette situation exige, nous en sommes bien conscients, que l’effort financier consenti pour le budget de la défense soit revu à la hausse. Le montant de 32 milliards d’euros n’est plus adapté à l’éventail des défis que nous devons relever. Le Sénat aura d’ailleurs très bientôt l’occasion de vous faire part, messieurs les secrétaires d’État, d’observations détaillées, au travers du rapport que notre collègue Dominique de Legge présentera sur le financement des opérations extérieures.

Si l’actualisation de la loi de programmation militaire a amorcé une certaine prise de conscience en la matière, nous sommes encore loin du compte, notamment de l’engagement que nous avons pris, conjointement avec nos alliés au sein de l’OTAN, de porter à 2 % du PIB notre effort de défense. Ce seuil constitue en effet un minimum à partir duquel nous serons en mesure de conserver toute l’étendue du spectre de nos capacités et donc d’agir librement, efficacement et souverainement.

Parallèlement au renforcement de notre autonomie stratégique, indispensable à la bonne conduite de nos OPEX, nous ne pouvons faire l’économie d’un travail plus intense de persuasion de nos partenaires européens. La France ne peut plus assumer seule le prix du sang et le fardeau financier des interventions militaires, qui pourtant profitent à la sécurité de tous les Européens.

L’activation par la France de l’article 42.7 du traité de Lisbonne à la suite des attentats de novembre 2015 a certes entraîné une vague de solidarité débouchant sur des contributions bienvenues pour soulager notre effort dans la lutte contre le terrorisme islamiste en Afrique ou au Moyen-Orient. Toutefois, celles-ci sont restées dans l’ensemble bien modestes. Or il est essentiel que tous les États membres s’engagent davantage dans les opérations extérieures, idéalement en fournissant des hommes et des matériels, ou plus prosaïquement en participant davantage à l’effort financier supporté, par exemple, via une dynamisation et une réforme du mécanisme Athena.

Messieurs les secrétaires d’État, le bilan que tire le groupe Les Républicains des OPEX menées par notre armée est positif, car celles-ci ont, d’une manière générale, atteint leurs objectifs, en rétablissant ou en maintenant un niveau suffisant de sécurité, qui permet à l’action civile de prendre le relais dans la résolution des conflits. Néanmoins, à nos yeux, vous l’aurez compris, c’est avant tout l’avenir qu’il convient dès maintenant de préparer, en donnant à nos armées les moyens de continuer à mener des OPEX efficaces et performantes ainsi que, plus largement, d’assumer l’ensemble des lourdes tâches que nous leur confions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)