compte rendu intégral

Présidence de Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Corinne Bouchoux,

M. Christian Cambon

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Madame la présidente, lors du scrutin n° 65 du 17 novembre dernier sur les amendements identiques nos 1 rectifié quater et 177 rectifié sexies tendant à insérer un article additionnel après l’article 43 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, j’ai été inscrit comme ayant voté contre, alors que je souhaitais voter pour.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Dépôt de rapports

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 10 novembre 2016 :

- le rapport n° 128-2016 et l’avis n° 2016-20 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’adhésion de la France, pour le compte de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et Saint-Barthélemy, à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

- le rapport n°154-2016 et l’avis n° 2016-21 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut de leurs forces ;

- le rapport n°155-2016 et l’avis n° 2016-22 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre et de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre.

Acte est donné de cette communication.

4

Avenir du transport ferroviaire en France

Débat organisé à la demande du groupe du RDSE

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France, organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Alain Bertrand, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Alain Bertrand, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le réseau ferroviaire en France, c’est un ensemble de composantes aux problématiques très différentes : Intercités, trains à grande vitesse, trains express régionaux ou encore fret. Je ne vais pas aborder tous ces sujets, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire, préférant utiliser le temps qui m’est accordé pour évoquer à cette tribune la question sous l’angle de la desserte de nos territoires ruraux et hyper-ruraux.

Pendant que, d’un côté, on se demande quel TGV va battre le prochain record de vitesse entre des métropoles et des grandes villes, d’un autre, on ferme des lignes et des gares dans des territoires qui souffrent pourtant déjà de l’affaiblissement du signal républicain et d’un sentiment d’abandon, cela produisant aux élections des choses détestables que nous condamnons tous.

Mis en place le 13 novembre 2010, les trains d’équilibre du territoire – les TET – devaient principalement assurer la desserte des territoires ruraux et hyper-ruraux. Or la feuille de route du Gouvernement dévoilée en juillet dernier prévoit le transfert aux régions d’ici à la fin de l’année de la quasi-intégralité de ces lignes. Les régions deviendraient alors « autorités organisatrices des TET à vocation régionale ». On masque sous ces mots une réalité que je vais décrire.

À l’heure où nous parlons, seule la région Normandie a signé un accord. Quid des autres régions et, surtout, des TET qu’aucune collectivité ne voudra prendre à sa charge ? Je remarque d’ailleurs que nombre de ces collectivités ne pourront pas le faire, faute de financements suffisants… Ces trains vont-ils purement et simplement disparaître ? Cela serait inacceptable, monsieur le secrétaire d’État, en particulier de la part d’un gouvernement socialiste que je soutiens.

Certains vont dire qu’il existe des moyens alternatifs pour assurer la desserte de tous les territoires. On ne peut évidemment pas parler de l’avion pour la ruralité et l’hyper-ruralité… En ce qui concerne la voiture individuelle, y recourir n’est pas possible pour une grande partie de la population, notamment pour certaines personnes handicapées, pour certains de nos aînés ou pour les plus jeunes.

D’autres citent les « bus Macron », qui répondent, certes, en partie, au problème de desserte, mais en partie seulement, puisqu’ils relient essentiellement des grandes villes. En outre, après la phase d’expérimentation, des lignes insuffisamment rentables ferment déjà. Ainsi, FlixBus a récemment supprimé les arrêts de Montluçon et de Guéret, tandis que ceux de Lyon, Lille, Montpellier ou Marseille étaient évidemment maintenus… La liste de ces suppressions ne va pas manquer de s’allonger. Ce n’est donc pas une solution pour les ruralités.

Monsieur le secrétaire d’État, vous venez du monde rural, et vous savez que le rail est indispensable : là où le train disparaît, la République disparaît ! Il n’est ni concevable ni acceptable de laisser de vastes territoires sans dessertes attractives par le rail. En plus, cela va à contre-courant des enjeux écologiques chers à Ségolène Royal.

Quels trains desserviront demain les territoires ruraux s’il n’y a plus de train d’équilibre du territoire ? En effet, ceux, peu nombreux, que vous maintiendriez, monsieur le secrétaire d’État, sont de fait des Intercités, qui relient de grandes villes, et non des outils de desserte de la ruralité et de l’hyper-ruralité.

Pour prendre un exemple précis, vous avez décidé de maintenir dans le giron de l’État la ligne Paris-Clermont-Ferrand, mais les lignes prolongeant cet axe – d’un côté Clermont-Ferrand-Béziers, avec l’Aubrac, de l’autre, Clermont-Ferrand-Nîmes, avec le Cévenol – sont directement menacées, pour ne pas dire condamnées.

Plutôt que d’en donner la gestion aux régions, qui n’ont absolument pas les moyens de l’assurer, je vous proposais, le mois dernier, une solution alternative : la mise en place d’un train « Transmassif central », qui comporterait une partie commune Paris-Clermont-Ferrand – sur laquelle le renouvellement du matériel roulant est déjà engagé –, puis une prolongation vers Nîmes à l’est et une branche ouest vers Béziers, lignes déjà électrifiées. Cette solution, qui paraît intelligente, pourrait s’appliquer mutatis mutandis à d’autres lignes.

Mais, quelle que soit l’idée retenue, l’essentiel est que, dans la ruralité, l’État, bien sûr en partenariat avec les régions, maintienne son engagement et reste chef de file : si ce n’est pas le cas, ces lignes seront fermées à terme, et sûrement de manière assez rapide compte tenu des contraintes budgétaires.

Je ne méconnais en rien les politiques envers les ruralités mises en œuvre par Cécile Duflot, Sylvia Pinel et, actuellement, par Jean-Michel Baylet, sous la houlette de Manuel Valls.

Je ne méconnais pas non plus le fait que la rigueur budgétaire que vous avez choisie, monsieur le secrétaire d’État, est l’une des conséquences de l’héritage financier, de la dette et des déficits de la précédente majorité.

Enfin, je n’oublie pas que Manuel Valls et Jean-Michel Baylet ont doublé la dotation d’équipement des territoires ruraux, créé un fonds régional de la ruralité, le Fonds de soutien aux initiatives locales, ce qui donne le sigle barbare de FSIL, et inventé – il était temps… – les contrats de ruralité, qui sont le pendant des contrats de ville ou d’agglomération. Ce sont de bonnes initiatives.

Les ruraux, comme votre serviteur, sont le plus souvent des citoyens et des élus simples et de bon sens. C’est ce bon sens et la voix des citoyens qui nous conduisent à vous alerter avec force, détermination et gravité.

Il n’est pas acceptable et il est injuste, au sens de l’équité républicaine, que nous soyons les parias de la République, les oubliés, les sans-grades, les humiliés, les déclassés, surtout si nous devions l’être du fait d’une décision politique émanant d’un gouvernement que je soutiens.

Ce train dont nous parlons aujourd’hui et qui risque de disparaître tracte beaucoup de sombres wagons.

Ainsi, malgré les maisons de service au public, nous assistons à la quasi-disparition du service public en zone rurale, qu’il s’agisse des implantations du ministère des finances ou de celles des directions départementales des territoires.

Sur l’école, un effort a été fait et ça va un peu mieux, mais, de manière générale, il n’y a pas de « démétropolisation » : aucune décision d’implantation ne se fait au bénéfice de la ruralité ou de l’hyper-ruralité, comme si elles étaient maudites !

Dans certains départements, les chances de survie comme les risques de handicap ou de souffrances ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, tout simplement parce qu’on ne dispose sur place ni de scanner ou d’IRM en bon état, ni d’hélicoptère. Est-ce cela l’égalité républicaine ?

Outre la faiblesse des moyens de santé, je pourrais citer l’absence de couverture de téléphonie mobile et la relégation dans la couverture internet… Dans les zones dites blanches, il faut monter sur le toit d’une église et brandir quatre téléphones pour espérer qu’une barre de connexion finisse, éventuellement, par apparaître…

Finalement, nous faisons face à une absence d’aménagement et de solidarité réelle pour nos territoires. Nous, les ruraux, nous sommes solidaires des autres politiques d’équité républicaine, celles qui sont destinées aux villes et aux banlieues, à l’équipement moderne des métropoles, des capitales régionales et des grandes agglomérations, comme à l’ensemble des populations qui souffrent, sauf la nôtre…

En fait, la question « quel train pour l’avenir ? » nous amène à celle de la France que nous voulons. Est-ce la France des seuls grands nombres et de l’entassement, ou une France républicaine et équilibrée grâce à chacun de ses territoires ?

Monsieur le secrétaire d’État, cher Alain Vidalies, soit vous maintenez les trains d’équilibre du territoire, arbitrage purement politique, qui représente 300 millions d’euros sur un budget de 400 milliards d’euros – je compte sur vous et sur Manuel Valls… –, soit vous abandonnez ces lignes, qui desservent la ruralité et l’hyper-ruralité, aux régions, ce qui revient, de fait, à les supprimer définitivement.

Dans ce second cas, vous donnerez un signal d’inégalité et d’abandon aux différentes ruralités qui constituent notre pays : Alpes, Massif central, Pyrénées, Bretagne, Vosges, Jura, Loir-et-Cher, Vendée, Ardennes, etc. Ces territoires sont pourtant une importante composante de l’avenir.

Je termine en ajoutant que je ne souhaite pas que nous soit resservie la litanie des mauvais comptes des trains d’équilibre du territoire, alors même qu’ils sont le plus souvent sans contrôleur – il n’y a donc pas de réel comptage –, sous-équipés en matériel, pas indiqués dans les gares principales et absents sur internet. En outre, leurs horaires sont impensables – un aller-retour Mende-Paris, c’est dix-sept heures, monsieur le secrétaire d'État ! –, les voies sont à demi abandonnées et les vitesses de circulation sont parfois réduites à 30 kilomètres par heure.

Qu’avons-nous fait, nous, les ruraux, pour mériter cette injustice ? Sommes-nous de mauvais citoyens ? Non ! Concourons-nous insuffisamment à la création de richesses ? Non ! Avons-nous versé moins de sang pour défendre notre pays ? Non ! Refusons-nous d’être l’indispensable hinterland des métropoles et de leurs habitants, qui viennent chez nous se ressourcer ? Non ! Refusons-nous d’acquitter les mêmes prélèvements – TVA, impôt sur le revenu ou sur les sociétés… – que les autres ? Non !

La suppression des trains d’équilibre du territoire, ce à quoi aboutira leur renvoi aux régions, constituerait une décision de déclassement programmé, politique et volontaire de nos territoires.

Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne le voulez pas et je vous demande de ne pas noyer le chien de la ruralité et des trains d’équilibre du territoire : il n’a pas la rage ! (Sourires sur plusieurs travées.) Faites preuve d’ambition, d’équité et de volontarisme ! On ne peut pas tuer une partie du territoire ou de la République ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « plus on habite loin d’une gare, plus on vote FN ».

Le démographe Hervé Le Bras analysait ainsi en décembre 2015 les résultats des dernières élections régionales.

Le transport ferroviaire porte donc un enjeu lié non pas à la seule mobilité, mais aussi à l’égalité et à l’inclusion des territoires, la mobilité s’assimilant au dynamisme du territoire et de ses habitants. La gare désaffectée délivre, plus que tout autre bâtiment, un terrible message d’abandon d’un territoire et de relégation de ses habitants.

C’est pourquoi je remercie le groupe du RDSE de son initiative. Il est vrai que nous avons déjà eu ce débat, mais les derniers événements politiques, que ce soit le Brexit ou l’élection de Trump aux États-Unis, montrent qu’il est largement temps de revenir sur ce sujet afin de forger des solutions.

Le transport ferroviaire est un vecteur d’aménagement du territoire. Nous savons bien, au Sénat, que des politiques de mobilité réussies contribuent au dynamisme et réduisent les fractures territoriale et sociale.

Cela fait au moins trente ans que les gouvernements annoncent la « préférence ferroviaire ». Pourtant, les financements ne suivent pas et la SNCF se retrouve dans une équation impossible, qui l’amène à abandonner les wagons isolés, les terminaux embranchés et les trains de nuit ou d’équilibre du territoire. Elle doit faire transporter ses essieux par la route et privilégier les voyageurs par rapport aux marchandises, le TGV par rapport aux lignes ordinaires, fermant chaque année des centaines de kilomètres de lignes secondaires et ne consacrant pas suffisamment de moyens à l’entretien, avec les conséquences que l’on connaît.

Nous devons donc débattre de nouveau ici de ce choix politique. Le groupe écologiste s’oppose, évidemment, à l’orientation actuelle, et ce pour deux raisons principales : l’intérêt du ferroviaire sur le plan de l’écologie et de la transition énergétique, ainsi que sur celui de l’aménagement du territoire.

En premier lieu, faut-il encore souligner que le transport ferroviaire est un moyen de transport décarboné ? Quand on a à l’esprit qu’un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû aux transports, que le transport routier, à lui seul, en est responsable à hauteur de 92 % et qu’en France les émissions de CO2 liées au transport ont augmenté l’an dernier après avoir été en baisse régulière depuis dix ans, on mesure la nécessité de développer les alternatives à la route et, parmi celles-ci, le transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, qui apparaît comme une urgence écologique et de santé publique.

Deuxième enjeu : l’aménagement du territoire.

Dans le contexte que je viens d’évoquer, le tout-TGV est une impasse, disons-le clairement. En effet, les financements ne sont pas illimités, bien au contraire, et il faut privilégier la mobilité du quotidien et les réseaux qui irriguent l’ensemble du territoire.

Je ne donnerai qu’un seul exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Lors du débat public organisé par la Commission nationale du débat public au sujet de la nouvelle ligne Bretagne-Pays de la Loire, les usagers ont plébiscité la modernisation et la rénovation du réseau ferroviaire. Pour eux, la priorité devait aller au quotidien, c’est-à-dire aux liaisons entre Brest et Quimper, Saint-Nazaire et Rennes, Nantes et Bordeaux, ou encore à la réouverture de l’axe entre Auray et Saint-Brieuc – Michel Le Scouarnec pourrait nous en parler… Il est temps d’entendre les priorités mises en avant par les usagers !

Les villes moyennes sont encore fragilisées par l’affaiblissement du réseau de transport ferroviaire, qu’il s’agisse des Intercités ou des TER. J’insiste notamment sur les problèmes à répétition rencontrés par les usagers dans le cadre de leurs transports entre domicile et travail. Certains reviennent même à la voiture alors qu’ils ont des abonnements de train. C’est une aberration !

Nous déplorons les fermetures de lignes sur le réseau dit secondaire, où circulent les bien nommés trains d’équilibre du territoire. Alors qu’entre 1995 et 2013 110 000 kilomètres de route ont été réalisés en France, ce qui correspond à une extension de 11 % en moins de vingt ans, le réseau ferré en service s’est contracté, dans le même temps, de 6 %, soit une perte d’environ 2 000 kilomètres de lignes.

Par exemple, je suis plus qu’inquiet en ce qui concerne la ligne Brive-Aurillac par Bretenoux, que je connais bien : elle est aujourd’hui en travaux, mais sans qu’il y ait une réelle garantie de réouverture… J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourrez nous donner des indications à ce sujet.

Nous dénonçons aussi l’arrêt, à l’automne, de la moitié des trains de nuit qui fait suite à la décision du Gouvernement de ne plus financer leur exploitation, non pas parce qu’ils ne répondent pas à la demande des citoyens, mais parce que leurs coûts d’exploitation, trop élevés, ne seraient plus assez couverts par le prix des billets.

La question n’est cependant pas seulement celle du prix du billet, car une telle décision veut dire, par exemple, que des PME ne s’installeront pas dans les villes moyennes concernées. Le sentiment de déclassement ne peut que se développer et il est temps d’intégrer dans l’équilibre financier de la SNCF l’ensemble des coûts publics, qui sont finalement bien plus importants que le seul prix du billet.

Je sais que le président Jacques Mézard et moi-même sommes en complet accord sur ce point.

M. Jacques Mézard. Sur ce point ! (Sourires.)

M. Ronan Dantec. Je ne dispose pas de suffisamment de temps pour développer plus avant, mais il est nécessaire de trouver des moyens de financement pour cela.

Il faut d’abord ramener vers le train un certain nombre d’usagers. Aujourd’hui, l’aérien est bien plus subventionné en France, notamment en raison de la détaxation du kérosène. Le train pâtit de cette distorsion de concurrence.

Il faut raisonner sur des péréquations financières nationales et régionales. Les métropoles mettent-elles une part suffisante de la richesse créée au service des villes moyennes ? Il faudra revenir sur cette question importante.

En outre, la SNCF assume effectivement un service public, si bien que la dette ferroviaire doit relever du budget de la nation, pas uniquement du sien.

Enfin, l’écotaxe aurait dû nous permettre de capter des recettes sur l’usage des routes. Nous commençons seulement à mesurer le coût pour la nation de l’abandon de cette mesure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous sommes bien d’accord !

M. Ronan Dantec. L’avenir du ferroviaire doit constituer un grand débat pour notre pays : il était important de l’ouvrir de nouveau aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat, opportunément organisé à l’aube d’échéances importantes.

Chacun des intervenants aura sans doute l’occasion de faire valoir des exemples concrets de bonnes initiatives ou de dysfonctionnements constatés dans son territoire. Cela ne sera pas mon cas. En effet, je suis élu de l’un des très rares départements de métropole qui ne disposent pas du tout de lignes de train les reliant à la capitale. C’est dire que, en prenant part à ce débat, j’ai l’intérêt général chevillé au corps ! C’est dire aussi que je considère comme prioritaire la nécessité de préserver et de faire vivre les transports ferroviaires dans l’ensemble de nos régions.

Plus que jamais, le secteur des transports ferroviaires est confronté à un environnement particulièrement mouvant, qui incite à des priorités d’action beaucoup mieux ciblées et mutualisées : dette, régionalisation dès 2017, ouvertures à la concurrence – 2020 pour les TGV, 2023 pour les lignes régionales –, montée en puissance de modes de déplacements intermodaux, collaboratifs et concurrents, mais aussi défis industriels posés par la situation d’Alstom et environnementaux pour la mise en œuvre des accords de Paris.

Dans ce contexte, je ne peux que rappeler combien il serait totalement contre-productif de procéder à des changements brutaux de stratégie nationale et budgétaire, y compris par des désinvestissements publics ou le désengagement soudain de lignes jugées non rentables.

Dans les transports ferroviaires, plus que dans tout autre secteur concurrentiel, la péréquation est une nécessité absolue et l’absence de solidarité nationale un non-sens. La régulation est tout aussi nécessaire. Je souhaite d’ailleurs que nous puissions donner à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, les moyens humains, financiers et réglementaires de fonctionner pleinement.

À ce titre, la loi de 2014 portant réforme ferroviaire a constitué une étape déterminante, permettant de prendre des mesures de gouvernance et d’adaptation à la concurrence, plutôt que de subir massivement les effets de cette dernière.

Le rapport sur le bilan d’application de cette loi, déposé le 19 octobre dernier par nos collègues députés Bertrand Pancher et Gilles Savary, prône la mise en place d’un plan pluriannuel d’investissements qui permettrait de maintenir l’économie générale du secteur et d’engager plus nettement d’autres réformes complémentaires. J’y souscris totalement. À long terme, l’un des plus grands dangers qui guettent l’ensemble des transports ferroviaires est en effet le désamour des usagers.

Le Gouvernement a pris un virage notable pour veiller à préserver la qualité de service offerte à un usager qui dispose d’offres multimodales de plus en plus performantes.

Le premier axe mis en œuvre concerne la régénération des réseaux et du maillage régional et sa traduction budgétaire.

Je regrette profondément que nous ne puissions pas débattre, en séance, de la mission consacrée aux transports ferroviaires du projet de loi de finances pour 2017. Vous conviendrez, mes chers collègues, que 2017 constitue un avenir proche qui a le mérite d’être concret !

Je ne peux que saluer les investissements dédiés à la sécurité des réseaux, soit 2,6 milliards d’euros en 2016 finançant des travaux qui doivent permettre d’éviter les ralentissements parfois insupportables qui touchent 5 000 kilomètres de lignes et affectent considérablement la vie quotidienne des voyageurs. Ma collègue Nelly Tocqueville me racontait les péripéties qu’ils subissent sur les lignes régionales normandes, situation néfaste aussi pour les politiques de développement économique.

Grâce à ces investissements, qui doivent impérativement être poursuivis, le vieillissement est arrêté, même le malade est moribond… Le choix du tout-TGV, fait il y a plus de quinze ans, continue de faire des victimes.

Deuxième axe : le confort et un certain rapport qualité-prix.

Nous devons être conscients que les transports ferroviaires constituent un mode de déplacement très coûteux pour nombre de nos concitoyens. Des usagers font ainsi le choix des avions low cost ou du covoiturage. Sans investissements majeurs pour le confort des trains et la sécurité des réseaux, je doute que la tendance ne soit ralentie. À terme, cela ne sera pas sans conséquence sur les prix pratiqués et la fréquentation générale. Alors que nous fêtons cette année les quatre-vingts ans des congés payés, je vous avoue que la perspective de voir certains transports ferroviaires devenir financièrement inaccessibles ne me réjouit pas.

Je plaide pour que nos investissements industriels sur les trains changent aussi de nature. Lors de la réunion de présentation du rapport d’application de la loi de 2014, Gilles Savary a insisté sur ce point, en indiquant d’ailleurs que ce changement de stratégie devrait permettre d’importantes économies. La gamme des trains actuellement proposés et construits est sans doute trop limitée. Nous devons accompagner l’industrie ferroviaire pour que de nouveaux trains soient totalement calibrés pour les lignes régionales. Il me paraît indispensable que nous envisagions très concrètement les prochains investissements à l’aune des possibilités et des enjeux industriels de nos territoires.

Dernier point, mais non des moindres : le dossier du fret.

Année après année, malgré l’engagement des pouvoirs publics – le vôtre aussi, monsieur le secrétaire d’État – et cinq plans de relance, le fret ferroviaire ne parvient pas à s’imposer comme un mode de transport de marchandises suffisamment attractif.

Il y a vingt-cinq ans, l’Union européenne avait fixé comme objectif majeur d’augmenter la part du rail dans le transport global de marchandises et d’atteindre 50 % à l’horizon 2050. Les avantages environnementaux ne sont plus à démontrer.

La Cour des comptes européenne vient de rendre le résultat d’un audit sur la situation comparée du transport ferroviaire de marchandises en Europe, réalisé dans cinq pays membres, dont la France, de la mi-2014 à la mi-2015. Force est de constater que, dans notre pays comme dans nombre de pays d’Europe, la part du fret n’a pas réussi le pari de la compétitivité. L’Allemagne, elle, a réussi à augmenter sa part de 5 % en un an, alors que nous nous maintenons à 19 %. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls, mais le constat est un peu amer.

Les difficultés pointées sont parfois les mêmes que pour les transports d’usagers : des ralentissements considérables, une vitesse très insatisfaisante de 18 kilomètres par heure, des ruptures transfrontalières, des statuts de personnels à harmoniser dans la plus grande transparence, concertation et anticipation. Les conditions d’ouverture à la concurrence en 2009 ont été bâclées et ont considérablement fermé les perspectives.

Devons-nous pour autant abandonner le fret ferroviaire ? Certainement pas, mais, là encore, l’écoute des usagers potentiels et le recours à des investissements de long terme seront plus que jamais nécessaires pour transformer durablement une politique qui devrait être une priorité.

Notre industrie ferroviaire dispose de très nombreux atouts, parmi lesquels un grand savoir-faire. Le prochain défi, après la loi de 2014, sera sans aucun doute de donner les moyens institutionnels aux opérateurs de transport ferroviaire de mener les politiques d’investissement nécessaires. Cette nouvelle étape paraît indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)