M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Quelle est votre solution pour le logement ?

M. Philippe Dallier. Oublié aussi le plan d’économies de 50 milliards d’euros, dont plus personne ne parle ! La réduction du déficit et de la dette publique attendra. Vos successeurs paieront la note de tous ces cadeaux électoraux. Elle se chiffre à 12 milliards d’euros en dépenses et à 5,5 milliards d’euros en baisses de recettes.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. C’est n’importe quoi ! Vous êtes de mauvaise foi.

M. Philippe Dallier. À l’évidence, le déficit public, monsieur le secrétaire d'État, ne repassera pas sous les 3 % et la dette publique continuera de progresser, pour atteindre 2 200 milliards d’euros.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous en êtes en bonne partie responsable !

M. Philippe Dallier. Monsieur le secrétaire d'État, en matière de prévision, je me souviens des affirmations martelées en 2012, sinon par vous, en tout cas par vos prédécesseurs, sur ce qui devait se passer en 2013, de sorte que je doute beaucoup de ce que vous avancez aujourd'hui. Et je ne suis pas le seul à ne pas être d’accord avec vos prévisions : le Haut Conseil des finances publiques et les prévisionnistes ne le sont pas davantage. C’est ainsi, monsieur le secrétaire d'État : nous ne sommes pas d’accord.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Qu’a dit la Commission européenne ?

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Elle a dit que nous serions à moins de 3 % !

M. Philippe Dallier. Une dette de 2 200 milliards d'euros ! Le chiffre est tellement énorme qu’il ne signifie rien pour beaucoup de nos concitoyens.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Prenez-en votre part ! Vous êtes un pompier pyromane !

M. Éric Doligé. Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale ! Un peu de retenue, monsieur le secrétaire d'État !

M. Philippe Dallier. Pourtant, nous avons là une véritable bombe à retardement, qui peut, d’un jour à l’autre, et je crains que ce jour ne se rapproche, nous entraîner vers l’abîme en cas de nouvelles tensions sur les marchés financiers.

Pour boucler la boucle de votre quinquennat sur ce point, j’ai retrouvé une citation de Jérôme Cahuzac, ici même au Sénat, en septembre 2012. (Exclamations.)

M. Alain Bertrand. Qui est-ce ? Un poète ? Un peintre ? (Sourires sur les travées du RDSE.)

M. Philippe Dallier. Écoutez ce qu’il disait : « Nous endetter à ce point, dépendre autant des marchés et, le cas échéant, des agences de notation, c’est, que l’on le veuille ou non, abandonner une part de notre souveraineté nationale à des institutions ou à des individus qui, elles et eux, n’ont aucun compte à rendre au peuple, alors que vous-mêmes – il s’adressait aux sénatrices et aux sénateurs –, le Gouvernement et l’ensemble des élus ont d’abord le devoir de rendre des comptes à ceux qui nous donnent mandat de diriger ce pays.

« C’est aussi dangereux à l’égard des générations futures, puisque, moralement, il ne me semble pas que nous avons réellement le droit de leur faire supporter le remboursement d’une dette correspondant à des dépenses qui, en vérité, ne leur profitent nullement, dans la mesure où il s’agit, pour beaucoup, de dépenses de fonctionnement. » Qui pourrait affirmer ici ne pas partager cet avis ?

Mes chers collègues, ce quinquennat a commencé par une monumentale erreur d’appréciation de la situation économique et de la compétitivité de nos entreprises. Il s’est poursuivi par une inflexion sociale libérale et un semblant de rigueur budgétaire. Il se termine en roue libre, rouvrant les vannes de la dépense publique et reportant sur les budgets à venir près de 20 milliards d’euros.

Comment pourrions-nous accepter de voter ce budget et même de le discuter ? Nous ne le ferons donc pas, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, M. le ministre de l’aménagement des territoires, de la ruralité et des collectivités territoriales soulignait dernièrement avec beaucoup d’insistance « l’importance de l’effort des collectivités qui ont contribué significativement au redressement des comptes publics ».

Au regard de la baisse continue de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, et des annonces concernant les compensations d’exonérations d’impôt, tout semble indiquer que l’effort drastique demandé aux collectivités territoriales sera, en effet, prolongé cette année.

Certes, on nous vante une diminution de la baisse de la dotation globale de fonctionnement pour ce qui concerne le bloc communal, mais toujours est-il que la baisse de la DGF représente un manque à gagner de 10 milliards d’euros sur trois ans. Ce dernier budget de la législature entre donc dans la lignée de cinq années de réduction continue des moyens des collectivités territoriales et de leur capacité à répondre aux besoins des citoyens sur les territoires.

On le sait, cette cure d’austérité, totalement contre-productive, pénalise tout particulièrement les départements. Avec 1,1 milliard d’euros en moins, ceux-ci doivent se préparer à une nouvelle diminution de 11 % de la DGF.

À nos yeux, ce coup de massue supplémentaire, au moment où la précarité explose, est injustifiable. Le Gouvernement ne peut ignorer la quasi-impossibilité pour quarante départements de financer, par exemple, le RSA. Comme si le cri d’alarme lancé par l’Association des départements de France en septembre dernier n’avait pas été entendu !

Il est d’autant plus incompréhensible d’affaiblir la collectivité en charge des politiques sociales que le dernier rapport du Secours catholique sur la pauvreté en France rappelle qu’il est plus que jamais nécessaire de renforcer les solidarités.

Alors même que le législateur a confirmé, au travers de différentes lois, la nécessité de maintenir et de conforter l’échelon départemental, on tue à petit feu, par l’étranglement financier, un maillon indispensable de la République et de sa cohésion sociale.

En ce qui concerne le bloc communal, si la baisse de la dotation diminue effectivement de 1 milliard d’euros par rapport à l’année dernière, le fait le plus marquant est le développement des différents dispositifs de péréquation horizontale. Au premier regard, et face à l’urgence, on ne peut que saluer l’augmentation de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, de la dotation de solidarité rurale, la DSR, ou de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.

Toutefois, si l’ensemble de ces dispositifs constitue une véritable usine à gaz, un fatras de mesures technocratiques de moins en moins lisibles pour les élus locaux comme pour nos concitoyens, une tendance de long terme ressort très clairement : l’État tente aujourd’hui de modifier les règles de la péréquation, pour se défausser de ses responsabilités.

La péréquation verticale, fondement du fonctionnement républicain indispensable à l’égalité des territoires, est chaque année affaiblie. On amplifie la péréquation horizontale pour, si je puis dire, prendre aux uns et donner aux autres, au lieu de tirer l’ensemble des collectivités vers le haut.

Au-delà, je souhaite m’attarder sur la décision de l’État de transférer aux collectivités locales la totalité de la prise en charge des allégements fiscaux qu’il a pourtant lui-même mis en place. Cette nouvelle ponction va peser près de 500 millions d’euros.

Je rappelle que les associations nationales d’élus locaux s’opposent de manière unanime à cette mesure. Celle-ci pénalisera tout d’abord les communes les plus volontaires dans la construction de logements sociaux, celles dont les habitants ont les revenus les plus modestes et bénéficient donc de ces exonérations. Une nouvelle fois, les maires hors-la-loi, ceux qui ne font aucun effort, seront favorisés au détriment des maires bâtisseurs !

Toutefois, à quel prix tous ces efforts ? Au prix d’une baisse de l’investissement public local, qui a encore chuté de 10 % cette année, selon le dernier rapport de la Cour des comptes. Mesurez-vous bien les conséquences pour l’emploi local, pour un secteur comme le bâtiment et les travaux publics, le BTP ? Comment s’étonner de l’explosion du coût du revenu de solidarité active, ou RSA, quand les gens n’ont plus d’emploi ?

L’éternel argument gouvernemental de réduction des déficits publics n’est pourtant pas très crédible, quand, on le sait, l’endettement des collectivités ne représente toujours que 10 % de la dette publique.

Quel gâchis, quand on sait que le coût du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, s’élèvera à 1 % du PIB d’ici à 2020 – il va peser, en 2017, près de 20 milliards d'euros –, sans aucune création d’emploi ! Quel gâchis quand on sait que ces milliards d’euros pourraient justement être alloués à l’investissement public, qui, selon une dernière étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, pourrait constituer la clef de la reprise économique et des créations d’emplois en France.

Je voudrais, enfin, évoquer la fiscalité locale.

Nous nous trouvons face à un projet de loi de finances pour 2017 qui est, aujourd’hui, dominé par les impôts payés par les ménages, avec plus de 30 milliards d’euros de taxes foncières et plus de 20 milliards d’euros de taxe d’habitation. Et le produit des taxes sur les consommations énergétiques qui est dévolu aux collectivités représente aujourd'hui le double de la contribution foncière des entreprises, elle-même quasiment rattrapée par l’augmentation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères !

Enfin, mes chers collègues, s’agissant du financement des nouvelles compétences régionales en matière économique par une fraction de la TVA, visant, à terme, une suppression totale de la DGF des régions, permettez-moi de rappeler à quel point cet impôt est injuste. Quand les ménages dont les revenus sont inférieurs à 20 000 euros par an consacrent 10 % de leur budget à la TVA, ce taux descend à 6 % pour les ménages les plus riches.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce sera répété !

M. Christian Favier. On demande donc aux personnes les plus modestes, à celles et ceux qui ont du mal à terminer les fins de mois, de payer les renoncements de l’État à une véritable réforme de la fiscalité locale.

Nous ne pouvons donc que regretter cinq ans de renoncements, cinq ans d’affaiblissement des collectivités et du pouvoir des élus locaux. Cinq ans d’une République qui ne répond que de moins en moins aux besoins quotidiens des Français. Comme ils l’avaient exprimé ici au Sénat en 2012, lors des États généraux de la démocratie locale, c’est une tout autre politique que les élus locaux revendiquent pour la mandature à venir.

Loin de la destruction programmée de la fonction publique soutenue par M. Fillon et de la dérive libérale du Gouvernement actuel, il est temps de construire une majorité alternative, qui redonne du sens à l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, comme ce débat est bizarre ! J’ai entendu dire que les socialistes n’étaient pas présents. C’est pourtant le cas, car, si je suis membre du groupe du RDSE, je suis plus que socialiste, puisque je suis frêchiste ! (Exclamations amusées.)

M. François Bonhomme. Cela existe encore ?

M. Alain Bertrand. Oui, il en reste. En tout cas, j’en suis toujours !

M. Joël Labbé. S’il n’en reste qu’un… (Sourires.)

M. Alain Bertrand. Je paie mes cotisations au parti socialiste. Et j’en ai vu d’autres !

La campagne électorale nous prive de débat. Soit ! Il est vrai que, pour certains candidats, le vent souffle dans le bon sens. François Fillon sera certainement candidat à l’élection présidentielle. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On confirme !

M. Éric Doligé. De même que Mme Pinel !

M. Alain Bertrand. D’autres encore seront candidats, en effet. Nous verrons ce qui se passera. Rien n’est joué !

J’ai bien écouté l’excellent président Larcher. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un rural, un rond. Comment pourrait-il donc ne pas m’être agréable ? (Sourires.)

Il a bien dit, lors de son investiture, qu’il était attaché au rôle du Sénat dans la République et qu’il voulait porter la voix du Sénat dans les territoires. Il a raison. Quand le Sénat est dans l’opposition, ce qui est actuellement le cas, il souhaite que cette opposition soit constructive, qu’elle soit une boussole qui indique l’intérêt du pays. Il a souligné l’utilité du bicamérisme et de l’autonomie du Sénat. Autant de souhaits que je partage à 100 % !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Ah oui !

M. Alain Bertrand. Si, aujourd'hui, le Sénat n’examine pas le budget de l’État, c’est en raison de la primaire de la droite.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Elle a bien eu lieu !

M. Alain Bertrand. Chacun savait que, au lendemain de la primaire, il apparaîtrait des divergences entre les politiques que la droite républicaine doit défendre. Vous saviez aussi, chers collègues, qu’interviendrait la gauche, dont une partie est absente aujourd’hui.

M. Éric Doligé. Une petite partie ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Une toute petite partie !

M. Alain Bertrand. Vous saviez donc que la gauche pourrait, à cette occasion, rappeler ce que ce gouvernement a fait de bien. Car il se trouve que ce gouvernement a fait beaucoup de bonnes choses ! (Exclamations.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Tout à fait !

M. Michel Canevet. Allez-y ! On vous écoute !

M. Alain Bertrand. Je citerai très rapidement la réplique aux attentats, les opérations extérieures, les opérations contre Daesh, la sécurité, l’éducation, avec la création de 60 000 postes. Je mentionnerai aussi l’emploi (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui, tout de même, redémarre, le rétablissement des comptes, avec un déficit inférieur à 3 % du budget, alors que, je vous le rappelle, chers collègues, sous votre majorité, il était monté jusqu’à 6 % ou 7 % ! (Mêmes mouvements, sur les mêmes travées.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Voilà !

M. Alain Bertrand. Le budget de la santé est aujourd'hui en équilibre, les entreprises redémarrent, le modèle social est maintenu, nous avons créé 9 000 postes de policiers.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Bref, les Français sont ravis !

M. Alain Bertrand. Sans oublier les contrats de ruralité, la parité dans les élections départementales, le mariage pour tous, le plan Prisons de Manuel Valls,…

M. Éric Doligé. Les cars Macron ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Bertrand. … le regroupement et la rationalisation des intercommunalités ou la baisse de la dette.

M. Michel Bouvard. La dette ne baisse pas !

M. Alain Bertrand. Je constate donc, en tant que socialiste, membre du groupe RDSE et frêchiste,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Que les choses vont mieux !

M. Alain Bertrand. … que vous n’avez pas voulu vous livrer à cet exercice de démocratie aux yeux du peuple. Car si vous avez des forces, vous avez aussi des faiblesses. Quant à nous, si nous avons des faiblesses, nous avons aussi des forces.

J’ajouterai un mot sur ce qui m’intéresse, à savoir la ruralité. La politique, je la laisse à de grands savants comme vous. Moi, je ne m’y hasarde pas !

M. Michel Bouvard. Quelle modestie !

M. Alain Bertrand. J’aurais voulu, à l’occasion de l’examen de ce budget, que l’on reparle des zones de revitalisation rurale, qui sont beaucoup trop étendues.

M. Jean-François Husson. Elles sont abandonnées !

M. Alain Bertrand. Il faudrait cibler celles qui doivent devenir des zones de revitalisation rurale prioritaires et ne concerneraient que treize ou quatorze départements. Il y aurait à la clef une réduction d’impôt sur les bénéfices pour les entreprises, qui serait de 50 %, par exemple. En fixant le plafond de densité de population à 35 habitants au kilomètre carré, cette mesure aurait concerné quatorze départements. Au lieu de cela, elle est complètement diluée.

Je m’adresse à vous, monsieur le secrétaire d'État, qui êtes un fin gestionnaire (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), pour vous dire que j’aurais souhaité augmenter la dotation de solidarité rurale. Je suis l’ami des urbains, bien sûr ! Je constate néanmoins que, aujourd’hui, le montant moyen par habitant de la dotation de solidarité urbaine est de 57 euros, alors que celui de la dotation de solidarité rurale par habitant est de 27 euros. C’est inacceptable, monsieur le secrétaire d'État !

En 2016, vous avez augmenté la dotation de solidarité urbaine de 180 millions d’euros et la dotation de solidarité rurale de 117 millions d’euros. Cette année, je vous demande de reconduire ces hausses au même niveau, c’est-à-dire 180 millions d’euros pour chacune, afin de rattraper le retard pris par la ruralité, dans laquelle se trouve une part importante des clefs et des solutions du pays.

Je voulais aussi présenter des amendements visant à revenir sur la définition, issue de la loi de 2004, des fameuses zones blanches en couverture mobile, qui ne sont pas représentatives de la réalité. En effet, selon cette définition, nombre de communes sont considérées comme couvertes alors qu’il faut monter sur le toit de l’église avec quatre portables à la main pour voir un point ou une barre s’afficher sur son écran ! Je propose qu’une zone soit considérée comme « grise » si 90 % du territoire de la commune ne sont pas couverts. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Enfin, je regrette, monsieur le secrétaire d'État, que vous ne teniez que très peu compte du rapport que j’ai signé sur l’hyper-ruralité,…

M. Éric Doligé. Excellent rapport !

M. Alain Bertrand. … qui permettrait de placer les ruralités en position de rebond.

Tout cela, je tenais à le dire ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances est toujours un moment important pour nos forces armées, bien que le financement de notre défense soit de plus en plus engagé dans le cadre pluriannuel des lois de programmation militaire.

Avant toute chose, en dépit du format de nos débats de cette année, je souhaiterais, avec une certaine mesure, rappeler que le Sénat avait rejeté, il y a deux ans, le budget de la mission « Défense », au motif de l’insincérité de sa présentation. Il y manquait, en effet, près de 10 % de ses crédits. Nous nous souvenons notamment du débat sur les sociétés de projet, qui s’était prolongé lors de l’examen de la loi Macron.

Je ne puis que noter les efforts du ministre de la défense pour améliorer l’existant et faire en sorte que « l’intendance suive », selon l’expression consacrée.

À première vue, les crédits de la défense connaissent une progression significative. La Nation consent un effort supplémentaire de 600 millions d’euros pour sa défense, ce qui se traduit par une hausse du plafond d’emplois d’un peu plus de 1 780 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, dont 464 créations de postes.

En dépit de ces indicateurs encourageants, les mêmes maux persistent invariablement et conduisent aux mêmes effets. Les opérations de sécurité extérieure, les OPEX, demeurent sous-évaluées ; pourtant, il n’y en a jamais eu autant, et elles sont au cœur de la mission « Défense ».

Cette sous-évaluation chronique est presque critique à l’heure où nous parlons de continuité entre les OPEX et les OPINT, ces dernières étant les opérations de sécurité intérieure, et où nos forces sont maintenant fortement sollicitées pour assurer notre sécurité intérieure, tandis que les OPEX se poursuivent. Cela pose clairement une question de lisibilité de notre budget au regard de celui qui est, par exemple, dévolu au ministère de l’intérieur.

Le financement de notre défense est arrivé à un tel point de tension que le moindre choc exogène conduit à une révision en profondeur de la trajectoire budgétaire de l’ensemble. Il a fallu un conseil de défense, puis une actualisation de la loi de programmation militaire, la LPM, de 2013 pour sortir de l’ornière du budget 2014.

Au passage, je peux d'ailleurs témoigner qu’à plusieurs reprises, ici au Sénat, nombre de nos collègues des différentes commissions, notamment celle des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, se sont à plusieurs reprises fortement mobilisés pour faire en sorte que les besoins de nos armées soient satisfaits. Ils sont même allés parfois jusqu’à soutenir le ministre dans le cadre d’arbitrages extrêmement difficiles, relevant du plus haut niveau. Tout cela créait un climat d’insécurité et de stress, y compris chez des responsables militaires au demeurant très engagés et très loyaux. Nous n’avons pas besoin de cela dans le contexte actuel.

Aujourd’hui, les décisions, bienvenues, prises à la suite des attentats de novembre 2015, rendent le schéma de la LPM obsolète. Nous avons pu le constater au sein de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, lorsque notre collègue Yves Pozzo Di Borgo, rapporteur pour avis, n’a pas souhaité adopter les crédits dédiés aux capacités opérationnelles, allant ainsi à l’encontre de notre attitude traditionnelle de soutien au ministre. Il a voulu ainsi marquer le coup et, soit dit entre nous, il a eu raison de le faire.

Deux points méritent enfin une attention spécifique.

Le projet de loi de finances pose les jalons de la montée en puissance de notre réserve, dans un format dit « garde nationale ». Ce travail important, que nous avons esquissé au sein de cette commission avec notre collègue Gisèle Jourda, aurait pu gagner en clarté opérationnelle. Nous en sommes restés au label « garde nationale ». Franchement, aujourd'hui, alors que le soufflet est un peu retombé, il ne reste qu’une montée en puissance de la réserve militaire. Et comme celle-ci est confondue avec d’autres réserves, cela provoque des difficultés de lisibilité opérationnelle. Le sujet reste donc pendant.

On ne peut qu’être satisfait de constater que le décret du 13 octobre dernier vise une cible supérieure à 40 000 réservistes pour 2019, permettant ainsi de déployer au moins 4 000 engagés par jour. L’objectif est ambitieux, mais cette ambition est une exigence pour l’avenir et pour l’exécution de ce projet. Le prochain gouvernement devra donc prendre toute sa part dans la mise en œuvre de cette proposition bienvenue pour soulager nos forces d’actives dans le cadre de la continuité OPEX-OPINT. Pour dire les choses simplement, l’essentiel est encore devant nous, en vue de réussir cette montée en puissance de la réserve, même si le mouvement a été enclenché, je le reconnais.

Dans un autre registre, je salue évidemment la montée en puissance de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, au titre de notre travail sur la mission « Coordination du travail gouvernemental ».

La cybersécurité est devenue, il est vrai, un enjeu incontournable pour les pays européens et pour la France. Je salue, au fil des années, la montée en puissance des budgets de l’Agence. Elle était nécessaire pour rattraper le retard accumulé.

En revanche, je veux tirer un signal d’alarme concernant les impératifs de recrutement. Comme nous l’avons déjà souligné il y a quelques années dans notre rapport sur la cyberdéfense, nous manquons de formations adéquates, afin de satisfaire l’urgence de personnels utiles à assurer notre sécurité cybernétique, que ce soit au niveau militaire ou civil, au sein de ANSSI et même dans les entreprises qui s’organisent de plus en plus à cet effet.

Nous avons donc besoin de renforcer nos relations avec l’université et les écoles d’ingénieurs, dans un cadre interministériel qui dépasse, bien sûr, le format de ce seul projet de loi de finances.

En conclusion, il apparaît que, en dépit de réels efforts, trop d’incertitudes demeurent, y compris dans le domaine spécifique de la défense que j’évoquais. Le cadre général de ce projet de loi de finances est trop fragile pour assurer le Sénat et nos concitoyens que les présentes lignes budgétaires ne sont pas, sinon vides de sens, du moins décalées par rapport à la réalité. Je viens d’en apporter quelques exemples.

Avec les autres membres du groupe UDI-UC, je m’associerai donc à l’adoption de la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si les écologistes sont encore présents dans l’hémicycle aujourd'hui, ils regrettent, eux aussi, d’être privés des débats qui auraient permis d’enrichir le projet de loi de finances.

Pour ma part, je veux parler du volet agricole de ce texte, qui est en nette augmentation – de 15 % par rapport à 2016 – et qui s’établit aujourd'hui à 5,12 milliards d’euros. Cette hausse est due en grande partie au financement de la baisse de 7 points des cotisations, pour un montant de 480 millions d’euros, sur les 700 millions d’euros d’augmentation.

Selon la mutualité sociale agricole, la MSA, plus de 30 % des exploitants ont déclaré des revenus inférieurs à 350 euros par mois en 2015. Le ministère de l’agriculture a signé, le 18 novembre dernier, un accord-cadre entre le ministère, le fonds d’assurance formation Vivea et Pôle emploi, afin d’aider les agriculteurs à se reconvertir.

En soi, ce plan est bien entendu nécessaire, au vu de la détresse de nombreux exploitants, qui ne voient pas le bout du tunnel et pour qui la reconversion semble la seule solution. Néanmoins, il ne faut pas oublier comment nous en sommes arrivés à une telle situation. Il s’agit, aujourd'hui, de faire un plan social silencieux, en aidant 15 % de la profession à s’arrêter, pour que les autres puissent s’agrandir et rester compétitifs via un surcroît d’endettement. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous, écologistes, préférons la conversion à la reconversion.

Mes inquiétudes – nos inquiétudes – sur le budget de l’agriculture concernent plusieurs points. Tout d’abord, les crédits d’aide à la conversion et au maintien en agriculture biologique, ainsi que les crédits d’animation afférents, qui permettent d’accompagner dans leur conversion les agriculteurs parfois très éloignés des pratiques bio.

Le ministre de l’agriculture a annoncé le renforcement du plan Ambition Bio, dont le budget atteindra 180 millions d'euros, alors qu’il n’était que de 90 millions d'euros en 2012. Toutefois, au regard de la dynamique actuelle des conversions, on peut légitimement se demander si ce sera suffisant.

Cette situation trouve un éclairage nouveau à la lumière du dernier rapport conjoint de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et de l’Institut technique de l’agriculture biologique, l’ITAB, rendu public la semaine dernière, qui vise à chiffrer les aménités environnementales et économiques de l’agriculture biologique. J’ai sollicité l’élaboration de ce document auprès du ministre de l’agriculture au mois de juin 2015, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement ; le ministre s’y est engagé et a tenu parole.

Les études ont pris du temps, mais elles méritent d’être encore approfondies. En effet, si la conversion vers l’agriculture biologique peut être considérée comme une dépense au sein du budget de l’État, il est important de voir les économies qu’elle suscite. Je citerai quelques exemples tirés du rapport.

Ainsi, la dépollution de l’eau permettrait d’économiser entre 260 et 360 millions d'euros par an pour la pollution aux pesticides et entre 120 et 360 millions d'euros pour la pollution aux nitrates. Dans le domaine de la santé, l’agriculture biologique fait économiser entre 62 et 141 euros par hectare grâce aux décès par cancers liés aux pesticides qui seraient ainsi évités.

On peut multiplier les évaluations dans un grand nombre de domaines, même si tous ne sont pas facilement chiffrables économiquement, comme le stockage naturel du carbone dans les sols, qui est, en moyenne, supérieur de dix tonnes à l’hectare par rapport à l’agriculture conventionnelle.

Les bienfaits se mesurent aussi en termes de biodiversité, qu’il s’agisse des services écosystémiques comme la pollinisation ou le maintien d’une fertilité naturelle à travers la richesse microbienne des sols ou la diminution de l’érosion.

En termes d’emplois, le coût du chômage évité pour la collectivité peut être estimé entre 19 et 37 euros par hectare et par an en grandes cultures, l’agriculture biologique étant plus intensive en emploi. En moyenne, une exploitation biologique représente 2,4 unités de travail annuel, contre 1,5 en agriculture conventionnelle.

On le voit bien, financer la transition vers l’agriculture biologique entraîne un effet de levier économique très fort en permettant des économies et en renforçant les mécanismes naturels essentiels pour la productivité et la compétitivité de notre agriculture. Cette étude montre l’importance de la recherche en agroécologie et la possibilité d’aller vers une rémunération des aménités environnementales, économiques et sociales suscitées par ceux qui font le choix de cette transition.

C’est la position que défend le ministère de l’agriculture dans les réflexions qui nous mèneront vers la PAC post-2020. Toutefois, il ne faut pas attendre cette date. Il serait en effet salutaire de se poser cette question en amont et, pourquoi pas, d’expérimenter en France la rémunération des aménités de l’agriculture biologique et des différentes techniques agroécologiques. Ce serait certainement plus rentable à terme que l’accumulation d’innombrables plans de sauvetage, dont l’efficacité n’est que provisoire. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)