M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. L’existence de sites internet qui portent des propos mensongers, trompeurs et qui peuvent amener à de mauvaises décisions est un sujet qui nous préoccupe tous. Il est essentiel de réagir.

Nous sommes tous d’accord sur le constat. Il faut trouver les bonnes solutions. Seules les rédactions que visent à introduire les amendements nos°2 rectifié bis et 3 ouvrent des possibilités d’application. Les autres versions sont inapplicables : on ne mettra jamais en prison quelqu’un pour un délit d’opinion, d’autant qu’il faudra – à juste raison – apprécier s’il y avait une volonté de nuire.

Pour ces raisons, je voterai l’amendement n° 2 rectifié bis.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Monsieur Legendre, vous avez invité le Gouvernement à délivrer lui-même une information fiable. Il le fait déjà via le site d’information ivg.gouv.fr, qui relève des sites des ministères chargés des affaires sociales. Vos vœux sont donc déjà exaucés depuis trois ans.

Mais je voudrai revenir sur le débat juridique. Monsieur Portelli, je respecte par principe les agrégés de droit public lorsqu’il s’agit de débats touchant au droit constitutionnel. Pour tout vous dire, j’en fréquente beaucoup en ce moment à propos de ce texte, et pas un de ceux que j’ai sollicités n’a eu autant d’assurance, dans un sens ou dans l’autre, que vous n’en avez eu tout à l’heure.

J’observe également que je dois être devant une assemblée d’agrégés de droit public. Tout le monde sait que c’est inconstitutionnel… Monsieur le sénateur, vous avez passé suffisamment de temps à analyser et à confronter les décisions du Conseil constitutionnel, en vous demandant sans doute s’il s’agissait de revirements ou de décisions d’espèce, pour savoir que, a priori, on ne peut que tenter de déduire de ses décisions précédentes ses positions.

En l’occurrence, nous savons que le Conseil constitutionnel admet l’encadrement de la liberté d’expression et d’opinion sous une série de conditions. Pour ma part, c’est avec modestie que j’avance que, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, ces conditions seraient remplies. Je ne suis pas le Conseil constitutionnel, et vous me concéderez que ses décisions nous ont souvent surpris. Je suis donc prudente.

Je dis « seraient remplies » en m’appuyant sur un certain nombre de ces décisions du Conseil constitutionnel et sur le fait que le délit d’entrave existe déjà.

À cet égard, on me permettra de rappeler à plusieurs orateurs que nous ne créons aucune peine nouvelle. Nous n’allons pas subitement emprisonner les gens pour délit d’entrave ! Le délit d’entrave est d’ores et déjà défini à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, article qui n’a pas encore fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité.

L’avantage du délit d’entrave est d’être dissuasif. Depuis sa création en 1993, il a permis de mettre un terme à des pratiques que nous voulions faire cesser. S’il y a eu quelques décisions pénales, la peur du gendarme a très bien fonctionné.

Monsieur Bas, je vous écoute toujours avec beaucoup de respect et d’attention.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Vous avez déclaré que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale porterait uniquement sur les sites internet. Il porte, je vous le redis, sur les sites internet et sur « tout moyen » de communication au public, notamment sur les numéros verts dont ces sites internet font la promotion. Ce sont ces numéros qui permettent de nouer le dialogue par lequel la pression sur les femmes s’exerce. Comme je l’avais dit à l’Assemblée nationale, avec ce texte les associations pourront faire du testing et engager une action contre ces sites internet et les numéros verts.

La rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales vise à positionner différemment le premier alinéa dans l’article L. 2223-2 du code de la santé publique. Je n’y vois aucun inconvénient.

En adoptant cette rédaction, le Sénat manifesterait la même volonté que l’Assemblée nationale de réguler ce qui se passe sur ces sites et sur ces numéros verts et de protéger les femmes contre ces informations mensongères.

Pour autant, je ne partage pas l’idée que la rédaction de l’Assemblée nationale serait plus dangereuse constitutionnellement.

En conclusion, je veux redire que nous ne voulons pas fermer ces sites internet, comme je l’entends trop souvent, alors que nous voulons simplement les poursuivre quand ils donnent volontairement des informations fausses dans l’intention de dissuader les femmes de recourir à une IVG. Ils pourront continuer d’exister et de délivrer leur propagande, leurs opinions et tout ce qu’ils pensent – du mal ! – de l’IVG.

M. le président. Avant de mettre aux voix les amendements nos 2 rectifié bis et n° 3, je vous rappelle, mes chers collègues, que l’adoption de l’un ou l’autre de ces amendements vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi.

Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié bis.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des affaires sociales, l'autre, du groupe de l'UDI-UC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 72 :

Nombre de votants 326
Nombre de suffrages exprimés 307
Pour l’adoption 36
Contre 271

Le Sénat n'a pas adopté.

Madame Jouanno, qu’en est-il de l'amendement n° 3 ?

Mme Chantal Jouanno. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une volonté partagée de compromis autour de ce texte. Par conséquent, je le retire, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

L’amendement n° 1, présenté par Mme Laborde, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après les mots :

par tout moyen

insérer les mots :

ou sur tout support de l’écrit, de l’oral, de l’image ou du numérique

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Cet amendement, conçu comme un amendement de précision, vise à renforcer le dispositif de la proposition de loi en donnant une définition plus explicite de son champ d’application : les nouvelles technologies numériques et les nouveaux supports nomades d’information, qui se développeront davantage encore à l’avenir et dont nous ne pouvons pas aujourd’hui soupçonner tous les usages futurs.

Toute personne a le droit d’accéder à une information scientifique en matière de santé, sexuelle et reproductive, mais doit disposer d’un recours en cas d’information erronée diffusée sur ces nouveaux supports. Or la multiplication de ces derniers, notamment numériques, accélère de jour en jour la circulation des informations. Notre législation doit être adaptée pour lutter contre la propagation de la désinformation au même rythme et pour combler le vide juridique actuel.

Comme dans la lutte contre la radicalisation sur internet, le législateur doit réagir vite pour lutter contre la diffusion de thèses erronées au service d’idéologies dangereuses et rétrogrades hostiles à l’égalité, à l’émancipation des individus, à la science et au progrès !

Les sites internet foisonnent qui, communiquant de façon quasi institutionnelle, cherchent à hameçonner les personnes à la recherche d’une information fiable et scientifique tout en propageant des informations scientifiquement tronquées, partiales, biaisées, voire erronées.

Je tiens à illustrer mon propos par l’exemple du site ivg.net, consulté dans l’anonymat, à des fins de test, par plusieurs personnalités de confiance, dont une journaliste et une élue, que je peux nommer : Aurore Bergé, qui en a témoigné dans la presse. Les informations de base présentées sur ce site attirent les usagers, mais, en réalité, l’information est inaccessible, erronée et fait perdre du temps, quand il ne s’agit pas d’une désinformation diffusée sous couvert de respectabilité. Ayant moi-même téléphoné au numéro figurant sur le site, j’ai entendu des horreurs et des mensonges.

Si la liberté d’expression ne peut être mise en cause et que chacun peut exprimer librement son opinion, il faut alerter sur la désinformation en anticipant, au-delà des modes de communication actuels, ceux qui se développeront à l’avenir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur. Mme Laborde propose de préciser que l’interdiction vise les pressions psychologiques exercées « sur tout support de l’écrit, de l’oral, de l’image ou du numérique ». La commission des affaires sociales a retenu l’expression « par tout moyen » afin de couvrir l’ensemble des canaux par lesquels des pressions psychologiques peuvent être exercées.

Votre amendement, ma chère collègue, nous paraît donc satisfait par le texte de la commission. Je vous demande de le retirer ; j’y serais défavorable si vous le mainteniez.

Mme Françoise Laborde. Je m’empresse de le retirer, madame la ministre : nous avions voulu compléter l’énumération à l’image de ce que nous avions fait pour la presse écrite ; ici, l’expression « par tout moyen » rend en effet inutile l’énumération.

Je retire donc l'amendement, monsieur le président .

Mme Laurence Rossignol, ministre. Merci, madame la sénatrice.

M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.

Vote sur l'ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Alain Vasselle, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Alain Vasselle. Au moment de voter, mes chers collègues, rappelez-vous l’intervention de Philippe Bas !

Laisser accroire que la rédaction du texte de la commission des affaires sociales protégera les femmes contre les mauvaises informations diffusées en ligne et que des sanctions pourront être prises contre ceux qui les auront véhiculées, c’est tromper les femmes sur l’effectivité de la disposition proposée, puisque nous savons que, juridiquement, elle ne sera pas opérationnelle ! (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger. Aux voix !

M. Alain Vasselle. Par ailleurs, madame le ministre, il faut remédier à l’insuffisance actuelle en matière de prévention. En ce qui concerne les centres de planning familial, le déficit est majeur : ces centres n’existent plus ou ne sont plus opérationnels, faute de financements de l’État, et les départements n’ayant pas les moyens de prendre le relais. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Laurence Cohen. C’est de la provocation !

M. Alain Vasselle. Ces guichets permettaient pourtant aux femmes de recueillir les informations qui leur étaient nécessaires au sujet de l’IVG.

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.

M. Gérard Roche. Je respecte toutes les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, comme j’entends qu’on respecte les miennes.

La liberté qu’a chaque femme depuis 1975 de recourir à l’IVG si, en conscience, elle le décide n’est pas en question : c’est un problème non de fond, mais de forme que nous examinons.

Tout acte médical comporte des risques ; les médecins parmi nous savent bien qu’on communique aux malades une feuille sur laquelle ces dangers sont expliqués. Mes chers collègues, si les gens lisaient ce document dans le détail, plus aucun examen médical ne serait pratiqué !

Utiliser les risques d’un acte médical et les aggraver pour en faire une méthode de chantage est une manipulation destinée à faire prévaloir les idées de certaines personnes sur les libertés des autres, ce qui est tout à fait condamnable. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

J’ai bien entendu les arguments qui ont été présentés sur le plan juridique, s’agissant en particulier de la difficulté qu’il y a à agir sur internet ; cette difficulté, tout le monde la connaît, et nous la vérifions tous les jours. J’ai bien entendu aussi les observations de M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, sur le contexte politique dans lequel ce débat se tient, qui peut susciter certaines questions. Mais j’ai entendu aussi le témoignage, que j’ai trouvé très émouvant, de notre collègue Fabienne Keller.

M. Gérard Roche. Pour ma part, je considère que, quelles que soient nos positions politiques, nous devons adresser à nos concitoyens un message : non à des pratiques qui ne sont pas acceptables, oui à une information objective et à la liberté pour chacun d’assumer les choix de son existence, qui n’appartiennent qu’à lui. C’est pourquoi, à la suite des députés du centre, je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud.

Mme Éliane Giraud. Monsieur Vasselle, puisque vous êtes convaincu que l’information est importante, allez donc l’expliquer à certains de vos amis politiques ! Commencez par M. Wauquiez, qui supprime les subventions aux centres de planning familial et le dispositif d’information que nous avions mis en place dans le cadre du Pass contraception. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 299
Pour l’adoption 173
Contre 126

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Chantal Jouanno et M. Gérard Roche applaudissent également.)

Mes chers collègues, avant de passer à la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse
 

8

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à généraliser les contrats de ressources
Discussion générale (suite)

Généralisation des contrats de ressources

Rejet d'une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à généraliser les contrats de ressources
Discussion générale (fin)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution visant à généraliser les contrats de ressources, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Hervé Poher et les membres du groupe écologiste (proposition n° 87.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. Hervé Poher, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’aventurerai tout d’abord dans un essai de définition : un contrat de ressources est une démarche issue de la pratique, du terrain et de l’expérience suivant laquelle tous les consommateurs d’une eau participent à la protection de celle-ci. J’ai bien dit « tous les consommateurs » : pas seulement, donc, les gens qui habitent au-dessus ou près de la réserve en eau. Un contrat de ressources permet ainsi d’associer deux principes : celui du pollueur-payeur et celui du consommateur-demandeur-payeur.

Que tous les consommateurs participent, vous pourriez me dire : c’est bien souvent le cas. Cela est vrai, mais ce n’est pas toujours le cas ; je vous donnerai plusieurs exemples dans quelques instants.

« Contrat de ressources » : les mots, je le reconnais, sont sans doute mal choisis, car il ne s’agit pas uniquement d’une démarche technico-administrative à connotation comptable, mais avant tout d’un geste de solidarité territoriale, de l’affichage d’une vision environnementale partagée et de la coresponsabilité assumée de certaines dérives de notre société.

Quand je parle de solidarité territoriale, c’est une évidence, puisque des gens qui ne sont pas de la même commune, ni même peut-être du même établissement public de coopération intercommunale ou du même syndicat, participent tous à la protection d’une eau qui leur est indispensable. Souvent, cette solidarité s’exerce de l’urbain vers le rural.

Quand je dis « affichage d’une vision environnementale partagée », c’est aussi une évidence, car tous les citoyens, de territoires parfois différents, admettent et assument que l’eau, même quand on ne la voit pas, surtout quand on ne la voit pas, mérite d’être protégée et doit l’être.

Quand je parle de coresponsabilité assumée, il s’agit simplement de reconnaître que nous sommes tous un peu coresponsables de certaines dérives qui affectent l’environnement. Industriels, agriculteurs, citoyens, car nous sommes tous demandeurs, tous utilisateurs et tous consommateurs.

Devant cette proposition de résolution, mes chers collègues, vous pourriez me demander trois fois : pourquoi ?

Pourquoi, d’abord, cette préoccupation pour l’eau ? D’aucuns pourraient nous asséner : voilà une démarche de plus, attention aux usines à gaz ! Des processus et des programmes, on en a pléthore. Les agences de l’eau sont omniprésentes et les syndicats et délégataires font bien leur travail : arrêtons donc là les frais. Ces remarques sont pertinentes, mais, si tout était parfait, nous n’aurions pas pris autant de retard !

Si tout était parfait, nous aurions respecté en grande partie le terme de 2015 pour la directive-cadre sur l’eau. Or nous n’avons pas été bons, et l’échéance a été reportée à 2021 ; en réalité, nous le savons, ce sera probablement 2027…

Si tout était parfait, certains maîtres d’ouvrage ne se poseraient pas de question : ils interviendraient, ils agiraient, ils protégeraient.

En vérité, comme il a été rappelé dans notre hémicycle lors du débat sur l’eau, l’eau doit être, qualitativement comme quantitativement, protégée, réparée, respectée.

Pourquoi, ensuite, une proposition de résolution et non une proposition de loi ? Simplement parce que, je le reconnais volontiers, le sujet mérite d’être peaufiné, retravaillé et confronté aux multiples situations locales qui peuvent exister.

Cette proposition de résolution n’est que la formulation d’un principe d’égalité et de justice que personne ne peut contester.

Lorsqu’un syndicat ou un établissement public de coopération intercommunale s’occupe de l’eau et de l’assainissement, que son aire d’alimentation est à l’intérieur du périmètre syndical et que tous les consommateurs font partie de la structure, la démarche est simple : le coût des travaux est répercuté sur le prix du mètre cube d’eau, et tous les consommateurs paient. Aucun problème ne se pose : pas besoin de résolution, pas besoin de loi. Sinon que nos concitoyens savent rarement pourquoi ils subissent des augmentations du prix du mètre cube, et qu’une petite ligne explicative ne ferait pas de mal.

Seulement, tous les établissements publics de coopération intercommunale n’ont pas pris la compétence « eau et assainissement », et toutes les communes ne font pas partie d’un syndicat. Les situations sont en effet multiples et variées. Permettez-moi de vous donner deux exemples.

Guînes, ville de 5 000 habitants située sur un champ captant irremplaçable, devait protéger cette ressource en eau, qui alimentait plus de 100 000 habitants. Or Guînes n’est propriétaire de rien, ne tire aucun avantage de sa situation et n’en subit que les inconvénients et les contraintes. Quand elle a accepté de réaliser d’importants travaux pour protéger ce champ captant, la question s’est imposée : est-il normal que 5 000 Guînois paient pour 100 000 consommateurs ? Bien sûr, il y avait 80 % de subventions, mais 20 % restaient à la charge des Guînois. Du coup, en discutant avec les communes de l’agglomération voisine, communes consommatrices de cette eau, nous avons imaginé un contrat de ressources.

Je pense également à la grosse communauté urbaine de Dunkerque, qui doit aller chercher à 40 kilomètres, dans un village de 1 000 habitants, de l’eau pour toute sa population et toutes ses industries, dont certaines sont grosses consommatrices d’eau, y compris pour fabriquer du coca-cola. Eh bien, la communauté urbaine de Dunkerque a eu l’intelligence et l’honnêteté de dire à cette commune : puisque j’ai besoin de votre eau, je vais vous aider à la protéger.

Dans les deux cas, ce geste a servi de déclencheur : les états d’âme ont été dissipés et tous les travaux ont été réalisés.

Pourquoi, enfin, aider et inciter les collectivités territoriales à agir ? Simplement parce que protéger un champ captant ou une alimentation en eau potable est une démarche environnementale et sanitaire, mais aussi une démarche bien souvent coûteuse. Or la démarche environnementale n’est pas un réflexe chez les élus, surtout quand ça ne se voit pas, et la démarche sanitaire est souvent synonyme d’obligations et d’interdictions, donc de complications. Quant au coût d’une telle démarche, il est bien souvent élevé, très élevé ; or, vous le savez, en gestion publique, le financement est bien souvent le pire ennemi des bonnes volontés.

Alors, on en revient toujours au principe des participations et des subventions, avec une évidence : entre 60 % et 80 % de subventions, on ne réfléchit pas trop, on fait. Or, avec une dynamique État-agence de l’eau-collectivités territoriales-contrat de ressources, on peut parfois monter très haut.

Telles sont, mes chers collègues, exposées succinctement, les motivations et la finalité de cette proposition de résolution.

Concrètement, me demanderez-vous, comment fonctionne un contrat de ressources ? Eh bien, c’est très simple : on y met ce que l’on veut, parce qu’il est négocié.

On y met le montant de la participation au mètre cube : quelques centimes, voire des fractions de centime. Cela semble peu, mais, quand les quantités d’eau pompée se mesurent en dizaines de millions de mètres cubes, cela permet de rembourser les emprunts. On y met, bien entendu, la durée du contrat ; la fin du remboursement des emprunts est souvent un terme logique, car le but n’est pas d’enrichir le maître d’ouvrage. On peut y mettre aussi la liste des entités ou entreprises qui peuvent être exonérées, pour telles ou telles raisons.

J’entends déjà certains m’objecter : les gens en ont marre de payer ! Ce discours, je veux bien l’entendre et je puis le comprendre. Mais soyons réalistes : la solidarité ne peut pas être à sens unique, et je ne vois pas pourquoi certains, surtout s’ils ne polluent pas, paieraient pour protéger de l’eau utilisée en grande partie par d’autres.

Mettons les choses au clair. J’ai sous les yeux une facture d’eau datée du 10 novembre dernier. C’est une facture classique, avec un prix du mètre cube, assainissement et abonnement compris, un peu plus haute que la moyenne française puisque l’on est dans le nord de la France… (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)

M. Joël Labbé. Les Hauts-de-France !

M. Hervé Poher. Le montant de cette facture : 267 euros. Or il y a une petite ligne en plus, intitulée « Surtaxe contrat de ressources », à laquelle correspond la somme de 27 centimes d’euro. Vous avez bien entendu : 27 centimes sur une facture de 267 euros.

Sans doute cette somme vous paraît-elle ridicule, mais songez que, appliquée sur des dizaines de millions de mètres cubes, une fraction de centime n’est pas négligeable pour le maître d’ouvrage, commune, établissement public de coopération intercommunale ou syndicat. Rappelons par ailleurs que cet argent ne va pas dans la poche de quelque intermédiaire : il sert à rembourser les emprunts contractés par le maître d’ouvrage – en l’occurrence, une commune.

Telle est, mes chers collègues, la philosophie du contrat de ressources, une expression qui, je le reconnais, n’a rien de philosophique, mais sonne plutôt « comptable »… Cette proposition de résolution est une émanation directe du terrain. J’ai la faiblesse de croire que, lorsqu’une mesure vient d’en bas et qu’elle a été testée, expérimentée et assumée, elle ne peut pas être entièrement mauvaise ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quel beau plaidoyer !

M. Jean Desessard. En effet !

Mme Évelyne Didier. Partant du constat pertinent que l’eau est le bien commun de l’humanité et qu’il convient d’en garantir l’accès pour tous, la proposition de résolution présentée par Hervé Poher et nos collègues du groupe écologiste s’oriente très clairement sur des questions de compétences et de financement.

Depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, dite GEMAPI, est du ressort obligatoire du bloc communal et, plus particulièrement, de l’intercommunalité. À ce bloc de compétence obligatoire ont été adossées les compétences relatives au captage de la ressource et à la conservation et la gestion des eaux souterraines, notamment par la protection des champs captants qui alimentent les nappes phréatiques.

Pour l’exercice de cette compétence, la proposition de résolution préconise une généralisation de la pratique des « contrats de ressources », dont nous avons jusqu’ici peu entendu parler.

Selon ses promoteurs, ces contrats permettent de regrouper des établissements de coopération intercommunale à vocation multiple, couvrant un seul et même champ captant pour mutualiser les dépenses liées à la protection de ce champ. Si nous sommes d’accord avec l’idée de la mutualisation et donc du partage de l’investissement, qui nous paraît juste, par l’ensemble des bénéficiaires d’une politique publique, force est de reconnaître que tous les outils existent déjà. Cela fonctionne d’ailleurs à certains endroits.

Nous estimons, de manière générale, qu’il convient de faire confiance aux élus pour trouver des solutions au plus près du territoire. Les outils pour la mutualisation et la péréquation existent déjà, et ils sont utilisés là où une volonté politique est présente : c’est cela facteur déterminant !

Les auteurs de la proposition le reconnaissent dans l’exposé des motifs : « la complexité du sujet et la pluralité des situations de terrain concernées plaident en faveur d’une large concertation avec les acteurs locaux, d’une étude d’impact exhaustive ». C’est selon moi le bon chemin : constatons sur le terrain qui bénéficie concrètement de l’investissement.

En effet, et même si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, la préservation de la ressource en eau est déjà reconnue comme un enjeu prioritaire dans notre législation et fait l’objet d’un encadrement spécifique, afin de sécuriser à long terme l’alimentation en eau pour atteindre les objectifs de qualité des eaux souterraines et superficielles fixés par la directive-cadre européenne sur l’eau.

Ainsi, les agences de l’eau soutiennent déjà dans de nombreux endroits les actions préventives pour éviter la pollution des captages et réduire les coûts futurs de traitement de l’eau distribuée.

Par ailleurs, les situations sont extrêmement diverses et les structures déjà nombreuses – intercommunalité, syndicat mixte, établissement public territorial de bassin, comité de bassin, etc. –, tout comme les documents programmatiques – schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, schéma d’aménagement et de gestion des eaux, à titre principal. Tous ces documents sont opposables aux documents d’urbanisme.

Par ailleurs, nous sommes réticents concernant les pistes de financement proposées. Non pas que nous soyons, je le répète, contre la mutualisation, bien au contraire !

L’exposé des motifs précise que le financement de ce mécanisme reposera exclusivement sur les usagers, dans un parallélisme affirmé, avec la taxe GEMAPI. Ce parallèle n’est pas pertinent dans le sens où cette taxe est payée par les contribuables et non par les usagers, et que son utilisation est particulièrement encadrée.

Selon les promoteurs de cette résolution, « quelques centimes sont ajoutés au prix du mètre cube et reversés intégralement à la collectivité ou au groupement qui a effectué les travaux ».

Nous estimons qu’il est bien trop facile de faire financer un besoin résultant des désengagements successifs de l’État par les usagers du service public, les contribuables ou les usagers directs. Cette logique passe à côté du rôle de l’impôt au service de l’intérêt commun et de celui des financements publics, au travers non seulement des agences de l’eau, mais également de l’aide d’ingénierie apportée aux collectivités pour leur permettre d’assumer au mieux leur responsabilité, dans un contexte technique et juridique en évolution permanente.

Certes, les auteurs de la proposition de résolution déplorent ces baisses de financement qui ne suffisent pas à couvrir totalement les coûts de l’exercice de la compétence eau, mais ils n’appellent pas le Gouvernement à changer de cap. L’État prélève chaque année une part du fonds de roulement des agences de l’eau pour financer ses politiques nationales, ce qui prive celles-ci de financements précieux. De plus, les ressources de l’eau financeront demain l’ensemble des actions pour la biodiversité, qu’elle soit terrestre, aquatique ou marine. Nous pouvons donc solliciter le Gouvernement pour qu’il cesse cette ponction indue, comme nous l’avions proposé sous forme d’amendement lors de l’examen de la loi sur la biodiversité.

Nous soutenons, à ce titre, la grève menée hier par les salariés des agences de l’eau, qui protestaient, entre autres choses, contre les prélèvements successifs de la part de l’État.

Par ailleurs, les départements ont vu leurs compétences recentrées sur les compétences sociales, par manque de moyens, au détriment des compétences en matière de solidarité territoriale, lesquelles étaient pourtant bien utiles, ce qui les amène à moins accompagner les territoires, notamment en ce qui concerne la compétence eau.

Nous pouvons donc très clairement condamner cette politique de spécialisation de chaque échelon territorial – les financements croisés avaient du bon – et d’assèchement des ressources des collectivités par la baisse des dotations et l’ingénierie de l’État au service des territoires.

Une meilleure péréquation de la dépense entre les collectivités, voire entre les usagers, si elle est utile, ne peut compenser durablement les désengagements de l’État.

Nous estimons qu’il est nécessaire de recentrer l’ensemble des politiques publiques, notamment la politique publique de l’eau, sur la satisfaction des besoins. Il importe de tenir compte de la cohérence des compétences et des politiques dans ce domaine.

Plus largement, nous regrettons que cette proposition de résolution ne traite que d’une petite partie de la problématique générale des conditions et des enjeux fondamentaux d’une maîtrise publique du secteur.

Si j’ai bien compris, mes chers collègues, votre proposition de résolution vise à traiter une difficulté rencontrée dans des zones bien précises, parce que certains territoires ne manifestent pas la volonté politique de s’entendre entre eux, mais je ne suis pas certaine qu’une résolution ou une loi aient pour objet de régler de telles difficultés particulières…