redécoupage des zones de revitalisation rurale

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 28, adressée à M. le ministre de la cohésion des territoires.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur le redécoupage des zones de revitalisation rurale, les ZRR, à la suite du décret pris le 16 mars 2017 par le précédent gouvernement, qui a établi une nouvelle liste de communes éligibles à un dispositif largement remanié depuis le 1er juillet.

Ce décret fait suite à un amendement adopté lors de l’examen de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015, qui prévoit un nouveau zonage, fondé au niveau du périmètre intercommunal, et non plus à l’échelle communale, ainsi que deux critères sélectifs, à savoir la densité de population et le revenu par habitant.

Ainsi, un grand nombre de communes jusqu’alors intégrées au dispositif sont désormais exclues des ZRR. Par exemple, dans le département des Alpes-Maritimes, sept communes entrent dans le dispositif, tandis que vingt en sont exclues en application des nouveaux critères.

Certes, les communes exclues continueront à bénéficier du dispositif des ZRR durant une période transitoire de trois ans, mais ce sursis n’aidera en rien les élus de ces communes à conserver les acteurs et les opérateurs économiques sur leur territoire.

Créées en 1995, les ZRR sont un élément fondamental du maillage territorial dans nos départements. Elles ouvrent droit à un certain nombre d’avantages fiscaux, via des exonérations d’impôts nationaux et locaux qui ont jusqu’à présent fait l’unanimité.

La dernière proposition de loi que vous avez déposée sur le bureau du Sénat avant votre nomination au Gouvernement, monsieur le ministre, visait à revenir au mécanisme antérieur des ZRR devant l’« injustice » de la nouvelle législation pour les communes très rurales ou isolées, qui ont besoin du dispositif des ZRR pour lutter contre la désertification. Êtes-vous favorable à la réintroduction du dispositif initial des ZRR lors de l’examen de la prochaine loi de finances ou envisagez-vous la définition de nouveaux critères ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Je vous remercie, madame la sénatrice, de faire référence aux excellents textes que j’ai pu déposer lorsque j’étais membre de cette assemblée. (Sourires.)

Sachez que je n’ai pas pour habitude de revenir sur ce que j’ai dit. Vous l’avez rappelé, une réforme du système des ZRR a été décidée en 2015, avec application au 1er juillet 2017. Or entre-temps est intervenue la fusion des intercommunalités. Je persiste à considérer que cette réforme est néfaste et inéquitable. Je l’avais dit lorsque j’étais parlementaire ; je le redis aujourd’hui.

Comment réparer un certain nombre de conséquences de cette réforme qui peuvent paraître injustes, en particulier pour des territoires très ruraux ou de montagne ? Dans certains départements, on ne compte que des communes qui sortent du dispositif ; aucune n’y entre. Ce n’est pas le cas des Alpes-Maritimes, où vingt communes sont exclues et sept sont admises.

Si l’on modifie à nouveau le système, comment expliquer à toutes les communes nouvellement bénéficiaires du dispositif qu’elles vont devoir en ressortir ? Demandez à votre excellent collègue Bruno Retailleau ce qu’il en pense ! Dans la mesure où, en Vendée, il n’y a que des communes qui entrent dans le dispositif, il vous répondra sans doute, logiquement, qu’il veut le maintien de la situation actuelle.

Devant cette situation, j’ai interpellé mon administration pour savoir comment on en était arrivé là. Cette réforme a été décidée sur la base d’un rapport parlementaire rédigé par un député du Cantal et un député de la Haute-Loire, appartenant l’un à la majorité, l’autre à l’opposition. Je pense qu’il s’agissait d’une commande gouvernementale. J’en suis même sûr. On voit le danger de certaines missions parlementaires… (Sourires.)

La décision qui a été prise me paraît extrêmement critiquable. J’ai demandé à mes services une expertise juridique afin d’examiner les possibilités de limiter les conséquences de la sortie du dispositif. Je travaille sur ce dossier très difficile, et je ne doute pas, madame la sénatrice, que vous m’apporterez votre concours, y compris en déposant des amendements, lorsque nous débattrons de cette question pour essayer de trouver une solution positive.

Je maintiens ma position : ce qui a été fait n’est pas juste. Je le redis très clairement aujourd’hui devant vous.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je n’en attendais pas moins de vous, monsieur le ministre. Je me félicite que vous confirmiez aujourd’hui, en tant que ministre, la vision pragmatique que vous aviez défendue dans cet hémicycle en qualité de sénateur d’un département ô combien rural. Nous n’avons donc aucune raison de ne pas vous faire confiance. Vous avez souligné le caractère injuste et néfaste de cette réforme.

J’entends bien que les communes nouvellement entrées dans le dispositif ne souhaitent pas en sortir. Pour autant, l’injustice est flagrante pour les communes qui en ont été exclues. J’espère que nous parviendrons à trouver des solutions pour éviter que des communes rurales parmi les moins densément peuplées ne soient pénalisées. Je rappelle que la réforme du dispositif a été introduite au détour du vote d’un amendement à une loi de finances rectificative et est entrée en application dix-huit mois plus tard.

couverture en téléphonie mobile dans les zones rurales

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 24, transmise à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Mathieu Darnaud. Ma question porte sur la couverture en téléphonie mobile des zones rurales de notre pays.

À l’heure de la généralisation de la fibre optique dans les villes, de nombreux territoires ruraux sont encore trop mal desservis. Or, monsieur le ministre, garantir un accès équitable de l’ensemble des Français aux télécommunications est indispensable à la cohésion entre les territoires ; je sais combien vous êtes sensible à cette question.

L’État doit donc agir avec les opérateurs pour permettre un déploiement qui tienne compte des spécificités locales. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a fixé des obligations en termes de couverture numérique du territoire aux opérateurs titulaires de fréquence : ceux-ci devaient achever le déploiement avant le 30 juin 2017, conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016. Nous sommes aujourd’hui très loin du compte !

De nombreux territoires ruraux subissent de graves difficultés liées à l’existence de zones dites « blanches » ou « grises », qui ne sont couvertes que par un seul opérateur, avec pour conséquence une couverture partielle, voire très partielle, des communes concernées. Dans le département de l’Ardèche, ces problèmes affectent particulièrement les communes de Saint-Laurent-les-Bains, de Laval-d’Aurelle, de Pranles, de Saint-Sauveur-de-Montagut, d’Issamoulenc, de Saint-Julien-du-Gua et de Chazeaux. Ils concernent non seulement les particuliers, mais également les entreprises et les services publics, dont l’activité se trouve considérablement ralentie.

Ce retard en matière de déploiement n’est pas uniquement dû aux manquements des opérateurs, mais également aux pouvoirs publics, qui tardent à faire construire des pylônes mutualisés permettant l’installation d’antennes relais.

L’État a lancé, le 12 décembre 2016, la plateforme France Mobile, opérée par l’Agence du numérique, en y associant les collectivités et leurs élus pour procéder dans les meilleurs délais à l’éradication des zones « blanches » et « grises ».

À la suite des informations récoltées par cette plateforme, je souhaiterais savoir quels moyens le Gouvernement est prêt à mettre en œuvre, en matière d’investissements publics, pour rattraper son retard dans la tenue des engagements pris.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre avis : la couverture en téléphonie mobile doit être une priorité du Gouvernement. Les engagements formels pris par le Président de la République en la matière sont le gage de l’action que nous allons mener.

La situation actuelle est absolument insatisfaisante. Comme vous l’avez indiqué, un certain nombre d’engagements n’ont pas été tenus. Nous avons connu les zones « blanches », nous connaissons désormais les zones « grises ». Nous savons ce que c’est que de devoir aller se connecter devant la porte de la mairie. Pour ma part, je connais tout cela par cœur, étant issu d’un département rural…

Dans un premier temps, la couverture des 4 000 centres-bourgs était limitée aux services de téléphonie « voix » dans le cadre du programme « zones blanches en centre-bourg ».

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les opérateurs mobiles sont tenus d’assurer la couverture en services mobiles de troisième génération de l’ensemble de ces centres-bourgs. Le suivi du respect de cette obligation est assuré par l’ARCEP, qui publiera demain le bilan de ce suivi au 30 juin 2017.

Je peux d’ores et déjà vous dire, monsieur le sénateur, que les communes que vous citez, qui relèvent effectivement du programme « zones blanches en centre-bourg », bénéficient depuis peu d’une couverture en 3G.

Il nous appartient désormais de veiller à ce que les 541 centres-bourgs nouvellement identifiés en zone « blanche » depuis 2016 soient rapidement équipés de nouveaux pylônes qui permettent le déploiement effectif, par les opérateurs, des services mobiles de troisième génération aux habitants. Pour ce faire, l’État a déjà affecté près de 30 millions d’euros au soutien aux collectivités territoriales. Par ailleurs, nous travaillons à déterminer les modalités d’un meilleur accompagnement de ces collectivités, parfois de très petite taille, dans un exercice complexe et coûteux.

La plateforme France Mobile a déjà permis d’enregistrer plus de 3 500 signalements d’élus locaux, qui nourrissent les travaux que nous menons depuis plusieurs semaines avec les collectivités territoriales et les opérateurs de téléphonie mobile.

Nous devrons avoir conclu ces travaux avant la fin de l’année, afin d’engager dans les meilleurs délais le plan d’accélération massive du déploiement de la 4G que nos concitoyens attendent. Je puis vous assurer qu’il s’agit d’un objectif prioritaire du Gouvernement ; nous nous y tiendrons.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je suis particulièrement sensible au volontarisme que vous affichez. Je sais que vous connaissez très bien ce sujet. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’avenir de nos territoires ruraux. La couverture en téléphonie mobile est consubstantielle à la cohésion des territoires. Aujourd’hui, le déploiement de la fibre n’est pas encore effectif sur l’ensemble du territoire. J’ajoute que la défaillance de l’opérateur historique fait que, depuis trois mois, les habitants de nombreuses communes, notamment dans la région du Haut-Vivarais, ne disposent même plus du téléphone fixe.

L’accès à la téléphonie mobile est un enjeu essentiel : c’est une question non seulement de confort, mais aussi de sécurité pour les populations concernées. (Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Loïc Hervé et Cyril Pellevat applaudissent.)

situation de l'aide à domicile

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 1, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, vous connaissez la situation financière préoccupante de nombreuses associations d’aide à domicile. J’ai coécrit un rapport sur ce sujet il y a trois ans, et je parcours la France à l’appel d’élus départementaux désorientés, de responsables de structures aux aguets, de salariés à bout. Ceux-ci sont à 95 % des femmes. Les trois quarts travaillent à temps partiel. Ils payent de leur santé le manque de financement public et des conditions de travail dégradées : taux d’accidents du travail quatre fois supérieur à la moyenne, explosion des burn-out et des arrêts maladie en lien avec la robotisation des tâches et la perte de sens d’un métier d’abord relationnel.

Alors que les salaires sont au plus bas, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement annonçait une revalorisation, bien que trop timide, de la profession : augmentation d’un point d’indice et hausse de 2 centimes d’euro des indemnités kilométriques – « même pas une baguette de pain par jour », avais-je dit à la ministre de l’époque.

Cependant, dix-huit mois après la promulgation de la loi, ces maigres avancées ne sont pas totalement appliquées : certains départements retiennent les fonds, d’autres disent ne pas avoir reçu d’enveloppe budgétaire de l’État pour les frais kilométriques, des associations rechignent…

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour répondre à cette urgence que je n’ai pas vue mentionnée dans votre feuille de route, ce qui m’inquiète ? Débloquer les fonds, si nécessaire, et/ou sanctionner les récalcitrants ? Quand entendez-vous revaloriser la participation de l’État à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pour rémunérer le service rendu au juste prix, évalué en 2013 à 24,24 euros de l’heure par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA ?

Il est urgent que l’État consente cet effort financier, souhaité par 85 % des Français, pour répondre à la préoccupante crise de recrutement du secteur. Il s’agit là d’emplois utiles et non délocalisables.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, j’ai reçu l’ensemble des acteurs du secteur voilà quinze jours pour discuter avec eux de ces questions. Le maintien à domicile des personnes âgées est une priorité, et le restera.

Le secteur de l’aide à domicile fait l’objet d’un important soutien de l’État depuis de nombreuses années. L’allocation personnalisée d’autonomie à domicile a été réformée afin de favoriser le soutien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie.

À cet égard, vous évoquez des contributions financières nouvelles qui seraient imposées aux bénéficiaires de l’APA. Pourtant, la réforme a permis d’exonérer de participation financière les bénéficiaires les plus modestes, d’alléger le reste à charge des bénéficiaires, en particulier de ceux dont les plans d’aide sont les plus lourds. Elle a revalorisé les plafonds nationaux de l’APA, jusqu’à hauteur de 400 euros par mois pour le niveau de perte d’autonomie le plus élevé. Ces mesures permettent d’augmenter le temps d’accompagnement à domicile et d’élargir la palette de services mobilisables.

S’agissant de leur financement, il est garanti, de façon durable et évolutive, par la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA. Cette recette nouvelle permet d’accroître la part de la solidarité nationale dans le financement global de l’APA.

Pour ce qui concerne l’application de ces mesures par les départements, soyez assuré que j’y suis particulièrement attentive.

L’accompagnement de la mise en œuvre de la réforme par les départements est également assuré par un fonds instauré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Ce fonds d’appui est doté de 50 millions d’euros. Ces crédits peuvent soutenir les départements dans la définition d’une stratégie territoriale d’organisation et de pilotage de l’offre d’aide à domicile, afin de mieux répondre aux besoins. Ils permettent également d’impulser une démarche de qualité : cinquante départements sont en cours de conventionnement avec la CNSA dans ce cadre.

Les services d’aide et d’accompagnement à domicile, les SAAD, des autres départements peuvent également solliciter l’aide à la restructuration auprès des agences régionales de santé.

J’ai annoncé la mise en place d’un groupe de travail qui sera chargé de déterminer le meilleur modèle de financement pour les usagers, en limitant le reste à charge, et d’apporter une réponse pérenne aux difficultés économiques des structures. Ces travaux débuteront dès le mois de septembre.

Au-delà des outils mis en place pour accompagner les départements, je poursuivrai le dialogue avec les collectivités territoriales, notamment dans le cadre de la Conférence nationale des territoires.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Je vous rejoins, madame la ministre, sur le choix de donner la priorité à l’aide à domicile. C’est d’ailleurs la solution privilégiée par les usagers. Il faut préciser qu’elle représente un investissement avant de constituer un coût.

Vous avez rappelé ce qui a déjà été mis en œuvre, mais vous n’avez pas indiqué ce que vous envisagez de faire de plus concrètement. Vous avez ainsi évoqué la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, le déplafonnement, la diminution du reste à charge pour les personnes les plus dépendantes et la création du fonds d’appui aux structures.

Pour ce qui concerne les questions plus précises que j’ai posées, vous renvoyez à un groupe de travail. Le rapport Labazée renvoyait, quant à lui, à une commission… On n’avance pas !

Il est urgent que les gouvernements, quels qu’ils soient, prennent la mesure de la gravité de la situation. Ce sont 300 000 emplois, non délocalisables, qui pourraient être créés dans ce secteur. Celui-ci connaît des difficultés de recrutement, un taux d’absentéisme de 30 %, un important turnover, et un grand nombre de personnels sont proches de l’âge de la retraite.

Ce sont bien le manque de financements publics et la réduction par l’État de sa participation à l’APA qui créent les difficultés. À cet égard, deux fédérations d’employeurs, l’UNA et l’Adessadomicile, viennent d’alerter les parlementaires sur le fait que la valeur du point d’indice dans la branche augmentait de 3,34 % quand, durant la même période, le SMIC augmentait de 16 % : voilà l’explication de cette crise du recrutement !

J’attire aussi votre attention sur une décision de la Cour de cassation qui oblige les structures à rémunérer les temps de travail entre les vacations. Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour permettre aux structures d’appliquer la loi ?

application de la décision n° 397151 du conseil d'état

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 10, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le 8 février dernier, le Conseil d’État a demandé à Mme Marisol Touraine, alors ministre de la santé, de prendre des mesures ou de saisir les autorités compétentes afin d’assurer la disponibilité de vaccins correspondant aux seules vaccinations obligatoires –antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique – prévues aux articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique. La licence d’office est l’une des pistes qu’il a ouvertes en vue de la mise en œuvre de cette injonction.

Le 15 juin dernier, dans une interview au Parisien, vous annonciez réfléchir à étendre l’obligation vaccinale à onze valences. Aujourd’hui, madame la ministre, vous semblez avoir fait votre choix. C’est une façon de répondre à la décision du Conseil d’État, mais en la détournant de son objectif premier, me semble-t-il.

Alors que la vaccination est une question de santé publique, une protection individuelle et collective indispensable, votre décision inquiète nos concitoyennes et nos concitoyens.

La couverture vaccinale est, hélas, en baisse en France, et il est important d’en appréhender les causes, qui sont multifactorielles. Les scandales sanitaires, les liens et conflits d’intérêts mis en lumière, le refus de remise sur le marché de vaccins sans adjuvants aluminiques y sont pour beaucoup.

Or votre décision, au lieu de contrer l’obstination des laboratoires à ne pas respecter l’obligation vaccinale en sortant un vaccin à trois valences, valide, dans les faits, leur stratégie. C’est grave, car ces grands laboratoires sont aujourd’hui en mesure d’influencer la politique vaccinale en France, y compris en organisant des pénuries.

Madame la ministre, ma question est simple : par quels moyens allez-vous mettre l’industrie pharmaceutique au service de la santé publique, loin des intérêts financiers, et comment allez-vous créer les conditions de la mise en œuvre de la licence d’office, au moins concernant la production des vaccins ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie, madame la sénatrice, de m’interpeller sur cette question des vaccins, extrêmement importante en termes de santé publique.

Nous le savons, l’obligation vaccinale est liée à l’histoire de la vaccination. La distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés est le fruit de décisions inscrites dans cette histoire : on pensait que se faire vacciner serait un mouvement naturel de la population française. Or cette dernière est désormais celle qui doute le plus de la vaccination, pour les raisons que vous avez évoquées : scandales sanitaires, problèmes survenus lors de la vaccination contre le virus H1N1… C’est pourtant dans notre pays qu’ont été découverts les grands vaccins, notamment celui contre la rage, par Pasteur, et le BCG, par Calmette.

En instaurant cette nouvelle obligation vaccinale, je veux souligner que ces vaccins sont sûrs. Je souhaite expliquer à la population française que si l’État prend une telle décision, c’est parce que mourir d’une diphtérie ou mourir d’une méningite, c’est toujours mourir… La distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés ne repose sur rien.

Par ailleurs, notre couverture vaccinale ne cesse de diminuer. Aujourd’hui, elle ne protège plus les plus vulnérables. En effet, une couverture vaccinale de 95 % est nécessaire, selon l’Organisation mondiale de la santé, pour assurer cette protection. En France, elle atteint 80 % pour la rougeole et moins de 70 % pour la méningite. Nous faisons donc courir un risque non seulement à nos enfants, mais aussi aux personnes qui ne peuvent pas se protéger ou se vacciner. La vaccination est aussi un acte de solidarité.

Je tiens à faire œuvre de pédagogie en matière de vaccination. Cette démarche n’a absolument aucun lien avec l’industrie pharmaceutique, car celle-ci ne gagne quasiment pas d’argent avec les vaccins. Elle en gagne beaucoup plus avec les médicaments, notamment avec les antibiotiques, qu’il faudrait utiliser en cas d’infection.

L’enjeu est que les Français retrouvent confiance dans la vaccination. La licence d’office n’est pas une solution. Il faudrait qu’un laboratoire ait envie de racheter cette licence d’office et d’investir dans la production d’un vaccin qui n’existerait que pour la France, aucun autre pays ne connaissant d’obligation vaccinale limitée au vaccin DT-Polio. Il faut atteindre un taux de couverture vaccinale de 95 %, notre pays étant l’un des plus éloignés de ce seuil en Europe.

Je rappelle que l’Amérique du Sud a réussi à éradiquer la rougeole grâce à une vaccination de masse, tandis que la France connaît chaque année une augmentation du nombre des cas de cette maladie : dix enfants en sont morts au cours des huit dernières années.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je suis bien évidemment sensible à l’argument relatif à la protection de la population, mais votre réponse, madame la ministre, n’est pas la bonne. Plutôt que de s’engager dans cette fuite en avant, il faut écouter ce qu’ont dit les jurys de citoyens et de professionnels de santé lors de la concertation menée par le professeur Fischer : « Les effets indésirables pouvant découler de la vaccination représentent la plus grande crainte liée à la vaccination. Parmi ceux-ci on peut relever les craintes liées aux effets indésirables des sels d’aluminium, principal adjuvant, et leur possible toxicité. La question des sels d’aluminium est au cœur de la controverse. » J’avais déjà posé cette question à Marisol Touraine : pourquoi ne pas avoir écouté ces jurys, alors que l’on s’était engagé à le faire ?

En ce qui concerne la couverture vaccinale contre la rougeole, il faut savoir qu’elle est tout de même très forte pour un vaccin qui n’est pas obligatoire, puisqu’elle atteignait en 2014 le taux de 90 % pour la première injection, taux qui progresse régulièrement.

Au regard de ces éléments, est-il nécessaire d’imposer une mesure coercitive ? Je ne le pense pas. Il faut écouter les professionnels et les patients, qui sont inquiets. Nous devons non seulement développer l’information, mais aussi agir. Quand obligerez-vous les laboratoires à produire de nouveau des vaccins sans sels aluminiques ? Vous dites qu’il n’est pas possible d’imposer la licence d’office, mais d’autres pays, comme le Brésil, ont réussi à le faire, en s’appuyant sur des laboratoires publics. Le Gouvernement n’a pas la volonté de mettre en place un laboratoire public chargé de développer des vaccins et des médicaments : on s’en remet entièrement au secteur privé et aux choix qu’il opère. Madame la ministre, un vaccin à onze valences, ce n’est pas le même prix qu’un vaccin à trois valences !