Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 2 août 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 141, sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, notre collègue Sophie Joissains a été comptabilisée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.

Par ailleurs, lors du scrutin public n° 142, sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, Sophie Joissains a été comptabilisée comme ayant voté contre, alors qu’elle souhaitait également s’abstenir.

Je vous remercie de bien vouloir faire procéder à ces deux mises au point, monsieur le président.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mon cher collègue. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 142, notre collègue Jeanny Lorgeoux souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport d’application de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;

- le rapport d’application de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;

- le rapport d’application de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.

4

Décisions du Conseil constitutionnel relatives à trois questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 4 août 2017, trois décisions relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- l’accès administratif en temps réel aux données de connexion (n° 2017-648 QPC) ;

- l’extension de la licence légale aux services de radio par internet (n° 2017-649 QPC) ;

- le délai de consultation du comité d’entreprise (n° 2017-652 QPC).

Acte est donné de ces communications.

5

 
Dossier législatif : projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique
Discussion générale (suite)

Confiance dans la vie politique

Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi organique dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour la confiance dans la vie politique (projet n° 707, texte de la commission n° 709, rapport n° 708).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes saisis en nouvelle lecture du projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique, puisque la commission mixte paritaire qui s’est réunie mardi n’a pas pu trouver d’accord sur ce texte.

Mme Isabelle Debré. Dommage ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Aujourd'hui, nous savons tous que les positions des deux assemblées sont difficilement conciliables sur la question de la suppression de la réserve parlementaire, l’un des points importants du présent texte, qui a été proposée par le Gouvernement.

Avant que nous n’abordions ce sujet, assez longuement j’imagine, je voudrais dire que l’on ne peut pas réduire ce projet de loi organique à la seule question de la réserve, même si celle-ci est devenue la mesure la plus emblématique et la plus discutée.

D’autres dispositions, qui ont obtenu l’accord des deux assemblées, méritent toute notre attention comme celle de nos concitoyens.

Je veux parler, notamment, de la déclaration de patrimoine du chef de l’État et des déclarations d’intérêts des candidats à la présidence de la République, du contrôle de la régularité de la situation fiscale des parlementaires et de la sanction infligée à ceux qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’impôt, du régime d’incompatibilité en matière d’activités de conseil et de représentants d’intérêts, lequel a d’ailleurs été renforcé hier en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, ou encore du droit de communication élargie pour la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Sur tous ces points positifs, qui constituent de vrais progrès en termes éthiques, il n’existait pas de réels désaccords entre les deux assemblées. J’y insiste particulièrement. Comme pour la loi ordinaire votée hier, le Sénat et l’Assemblée nationale ont su trouver des voies de convergence indispensables sur ces sujets. Il s’agit d’un acquis extrêmement positif de ce débat.

Tout autre est la question de la réserve parlementaire. Les échanges que nous avons pu avoir sur ce point la semaine dernière ou hier encore à l’Assemblée nationale ont mis clairement en lumière des questions de principe autour de ce qu’est la fonction parlementaire.

Ces débats sont loin d’être médiocres. Au contraire, ils portent sur des questions assez principielles.

Pour le Gouvernement, la suppression de la réserve parlementaire correspond à une exigence de clarté. Face à cette pratique, il est en effet légitime de se poser un certain nombre de questions.

Première question : les parlementaires, élus de la Nation, doivent-ils continuer à octroyer, en quelque sorte, des subventions,…

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. La réponse est oui !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … même si cette pratique est aujourd’hui, contrairement à un passé qui n’est pas si lointain, plus transparente ? Cela correspond-il vraiment à leur office ? N’est-ce pas en décalage par rapport à la volonté de recentrer les parlementaires autour de leurs fonctions constitutionnelles, qui consistent à voter la loi, à contrôler le Gouvernement et à évaluer les politiques publiques ?

Se profile alors une autre question : quel rapport les parlementaires doivent-ils entretenir avec le territoire où ils ont été élus ?

J’ai entendu lors des différents débats, et encore hier à l’Assemblée nationale, que les parlementaires qui ne disposeraient plus de la faculté d’utiliser la réserve parlementaire deviendraient des élus « hors sol », sans lien avec leur territoire. Je crois que cela n’a strictement rien à voir ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mesdames, messieurs les sénateurs, merci de me laisser développer mon raisonnement avant d’entendre le vôtre, même s’ils ne convergeront peut-être pas sur ce point…

Ce n’est pas parce qu’un parlementaire ne peut plus donner de subventions qu’il est coupé de ceux qui l’ont élu, de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils portent et de la réalité de ces territoires. Pour tout avouer, je trouve même qu’affirmer cela est une façon de nier le travail que les parlementaires accomplissent réellement sur le terrain.

Une troisième question de principe se pose : doit-on conserver une pratique qui consiste, du moins je le pense, en un contournement des règles constitutionnelles par la voie coutumière ?

La pratique de la réserve a certes l’apparence de la rigueur, puisque les parlementaires ne formulent que des propositions que le Gouvernement demeurerait libre de suivre ou non. Mais, en réalité, personne n’est dupe : les députés et les sénateurs sont bien les véritables ordonnateurs de ces dépenses.

Je vais reprendre ici les mots d’un député, Jean-Louis Bourlanges, qui me semblent bien résumer notre débat. À l’occasion des échanges que nous avons eus à l’Assemblée nationale, il a affirmé que « la seule question qui nous divise est de savoir si nous, parlementaires, exerçons un pouvoir budgétaire collégial ou si nous bénéficions d’un démembrement de ce pouvoir, fût-il minime, qui nous permet d’exercer de façon individuelle un pouvoir fragmenté. Je réponds que nous sommes dépositaires de l’autorité budgétaire à titre collégial et que nous n’avons pas à nous ériger […] en ordonnateurs fragmentés et particuliers. »

Chacun l’aura compris, la position du Gouvernement et celle qu’a réaffirmée hier l’Assemblée nationale reposent sur la clarté. Et cette exigence conduit à mettre fin à une pratique susceptible de créer de la confusion.

Le Gouvernement ne méconnaît pas la préoccupation qui est la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, et que vous avez exprimée tout au long de nos débats, concernant notamment les communes rurales, les associations ou les Français de l’étranger. Pour l’avoir pratiquée à un niveau local, je sais parfaitement que la réserve permet de boucler des projets, de donner des moyens à des associations qui auraient peut-être du mal à s’en passer.

Mais, sur ce point, les choses doivent être claires, dites et répétées : la suppression du mécanisme de la réserve parlementaire n’est aucunement un moyen inavoué de faire des économies sur le dos des collectivités territoriales ou des associations. Les questions financières liées à la préoccupation qui est la nôtre aujourd’hui devront être traitées au moment du débat budgétaire, et il appartiendra aux parlementaires d’exercer leurs prérogatives à l’automne, sur cette question comme sur les autres.

Je note d’ailleurs que la commission des finances de l’Assemblée nationale a d’ores et déjà annoncé qu’elle allait instituer un groupe de travail pour suivre la manière dont les crédits anciennement affectés à la réserve seront employés au profit des communes, des Français de l’étranger et des associations dans le cadre des instruments budgétaires de droit commun.

J’ajoute que, si le Gouvernement avait eu l’intention cachée, en supprimant la réserve, de procéder à un tour de passe-passe budgétaire, il était plus simple pour lui d’opposer un refus aux propositions faites par les parlementaires lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Les deux rapporteurs l’ont reconnu en commission mixte paritaire.

Le Gouvernement a donc préféré faire le choix de la clarté. Il a souhaité que la fin de la pratique de la réserve parlementaire soit débattue par le Parlement, ouvertement, publiquement, devant les Français. Et, de ce point de vue, je n’ose dire que nos espérances ont été totalement comblées !

C’est l’occasion pour moi de revenir sur certains éléments qui ont émergé dans le débat, assez tardivement d’ailleurs, à l’occasion des travaux de la commission mixte paritaire.

M. le rapporteur et plusieurs d’entre vous ont contesté lors de la tenue de la commission mixte paritaire la constitutionnalité du dispositif de l’article 9, qui supprime la réserve parlementaire, aux motifs soit qu’il contraindrait le Gouvernement dans son droit d’amender les projets de loi de finances, soit, en sens inverse, qu’il ne serait pas normatif ou, enfin, que ce dispositif ne serait pas de nature organique.

Sur ce sujet, j’invite chacun d’entre vous à relire l’avis du Conseil d’État, d’autant plus éclairant que le Gouvernement et l’Assemblée nationale s’en sont tenus à la rédaction proposée par celui-ci.

Je cite cet avis, qui est public et que l’on peut retrouver sur le site du Sénat.

À propos de la réserve, voici ce qu’indique le Conseil d’État : « Un tel système dérogatoire au droit public financier n’étant pas formalisé, il devrait cesser d’exister par la seule volonté du Gouvernement de ne plus faire droit aux demandes des parlementaires, tant au stade de la discussion des projets de loi de finances que de l’exécution de ces lois. Toutefois, dès lors que la loi organique […] du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a prévu la publication, en annexe au projet de loi de règlement, de la répartition des subventions attribuées au titre de la “réserve parlementaire”, la suppression de cette obligation de publicité figurant au sein de la loi organique relative aux lois de finances – la LOLF – pourrait être complétée par une mention de l’interdiction de ce qui constitue juridiquement cette pratique, afin que le Parlement se prononce expressément sur la fin de cette pratique. Il s’agit en effet d’une des conditions dans lesquelles le Parlement vote les projets de loi de finances, conditions qui relèvent de la loi organique en vertu des articles 34 et 47 de la Constitution. »

L’avis du Conseil d’État est très clair. Tout d’abord, il fallait passer par la loi organique pour supprimer les dispositions du 9° de l’article 54 de la LOLF qui prévoient aujourd’hui la publication de la liste des subventions versées au titre de la réserve. Il fallait aussi que la suppression de la réserve puisse être actée dans la loi organique.

Le Gouvernement avait d’ailleurs envisagé de modifier la LOLF pour ce faire, mais le Conseil d’État a proposé une disposition organique ad hoc. Il s’agit de la mesure présentée dans le texte initial et adoptée par l’Assemblée nationale.

Sur la constitutionnalité du dispositif de l’article 9, votre rapporteur a estimé avec finesse qu’elle pourrait être « fragile », soit parce que le mécanisme violerait le droit d’amendement du Gouvernement soit, si tel n’était pas le cas, parce qu’il n’aurait alors aucune portée normative.

À cette affirmation, je voudrais opposer – il s’agit là d’un débat juridique intéressant – les termes de l’article 34 de la Constitution, rappelés par le Conseil d’État, article qui dispose : « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »

L’article 47 de la Constitution y fait écho, puisqu’il précise : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique. » La loi organique doit donc fixer les conditions dans lesquelles sont examinés les projets de loi de finances. C’est le fondement constitutionnel de la LOLF ; c’est aussi celui de l’article 9 du présent projet de loi organique.

Au surplus, et en tout état de cause, je rappelle que l’on pourrait également invoquer l’article 44 de la Constitution qui, depuis 2008, dispose que le droit d’amendement s’exerce par les parlementaires et le Gouvernement dans un « cadre déterminé par une loi organique. » Je vous renvoie à différentes décisions du Conseil constitutionnel, notamment à celle du 9 avril 2009.

À ce propos, monsieur le rapporteur, il me semble que la décision du 19 janvier 2006, que vous invoquiez lors de la commission mixte paritaire et qui est antérieure à la révision constitutionnelle de 2008, porte sur la question des « cavaliers » et de la règle de l’entonnoir. Elle ne me paraît donc pas pouvoir être mobilisée à l’appui de la démonstration que vous proposez.

Le Gouvernement, suivant strictement en cela le Conseil d’État, me semblait par conséquent bien fondé à insérer cette disposition de suppression de la réserve parlementaire dans une loi organique. Cette mesure met ainsi fin à cette pratique et a pour effet d’interdire une « “convention de la Constitution” contraire à son article 40 », pour reprendre les termes du Conseil d’État.

La normativité de ce dispositif ne fait donc aucun doute. Permettez-moi de considérer au passage que si cette disposition avait été dénuée de normativité, elle aurait sans doute suscité beaucoup moins de débats entre nous.

La question posée est en réalité une question de principe. Certains estiment que la suppression de la réserve parlementaire met fin à une forme de clientélisme. Je n’utilise ni cet argument ni ce vocabulaire, car je ne souhaite pas aborder le sujet sous cet angle.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je crois simplement que cette pratique de la réserve crée de la confusion par rapport au rôle des parlementaires et que les Français souhaitent en cela, comme dans beaucoup d’autres domaines, de la clarté.

Au-delà de la question qui nous oppose et vous oppose, mesdames, messieurs les sénateurs, à vos collègues de l’Assemblée nationale, il vous appartient maintenant de débattre et, j’en forme le vœu, d’adopter le second volet de cette réforme qui permettra d’engager un vaste mouvement de rénovation de nos pratiques politiques.

Le vote de cette loi organique viendra couronner le travail accompli sur la loi ordinaire. Il sera la marque d’une volonté, celle de respecter les engagements pris devant les Français et, par cet acte de confiance, d’ouvrir la voie à un nouveau rapport à l’action politique.

Pour terminer, je veux remercier chacun d’entre vous de sa contribution à ce travail et, tout particulièrement, le président-rapporteur, Philippe Bas, que je tiens sincèrement à saluer ici pour son sens de l’écoute et la force de ses convictions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Détraigne et Jean-Yves Leconte applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, au terme de plusieurs semaines de travaux parlementaires sur la régulation de la vie publique, je voudrais vous dire toute ma satisfaction d’avoir vu le Gouvernement comme l’Assemblée nationale retenir l’essentiel des propositions du Sénat dans la quasi-totalité des domaines soumis à son examen, qu’il s’agisse de l’attestation fiscale des parlementaires au moment de leur entrée en fonction, de la prise en charge des frais liés au mandat parlementaire, des emplois d’attaché parlementaire qui ne seront plus autorisés ou du médiateur du crédit.

À chaque fois, nous avons veillé à enrichir les propositions qui nous ont été faites.

S’agissant de l’attestation fiscale, nous nous sommes assuré qu’un parlementaire de bonne foi ne soit pas déchu de son mandat en cas de retard de paiement, que le bureau de chaque assemblée puisse constater un éventuel manquement à cette obligation de déclaration et, enfin, que le Conseil constitutionnel ne soit pas réduit à une simple chambre d’enregistrement et puisse apprécier la gravité dudit manquement.

En ce qui concerne la prise en charge des frais de mandat, nous avons défendu une exigence non seulement de rigueur avec la nécessaire présentation de justificatifs, mais aussi de souplesse dans la prise en charge des dépenses.

Sur la question des emplois familiaux, nous avons fait preuve d’une préoccupation sociale, qui a été reconnue.

Enfin, pour ce qui est du médiateur du crédit, nous avons enrichi le texte gouvernemental en instaurant un véritable « droit au compte » pour les candidats à une élection, donnant accès à ceux-ci aux moyens de paiement nécessaires.

Nous avons également veillé à étendre aux ministres les nouvelles obligations faites aux parlementaires et aux membres des exécutifs locaux.

Sur ce plan, la bataille a été un peu plus rude. Ce n’est en effet qu’en commission mixte paritaire que nous avons fini par obtenir satisfaction sur les règles de déport en cas de vote en conseil des ministres, sur l’interdiction des emplois familiaux par les membres du Gouvernement, sur la possibilité offerte au chef de l’État ou au Premier ministre de consulter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sur la situation de personnalités pressenties pour entrer au Gouvernement, ou encore sur l’obligation pour le Gouvernement de publier dans les six mois un rapport sur le pantouflage.

Dans un premier temps, le Gouvernement s’était montré assez ombrageux (Mme la garde des sceaux sourit.) et avait rejeté l’ensemble de ces propositions. Il a finalement compris, après un dialogue avec sa propre majorité d’ailleurs, combien il était nécessaire d’établir une telle symétrie, afin que l’on ne puisse pas stigmatiser une catégorie de responsables politiques par rapport à une autre.

Hélas, deux mesures ont suscité davantage de difficultés.

Il s’agit tout d’abord des dispositions habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer une banque de la démocratie. Le Gouvernement a reconnu lui-même avec la plus grande bonne foi qu’il n’était pas en mesure d’en préciser réellement les contours.

Cette mesure peut susciter le pire comme le meilleur, selon les décisions qui seront prises. Elle porte en elle une possible atteinte à l’égalité entre les partis politiques si l’État décidait un jour, au travers de ce bras armé que serait la banque de la démocratie, de sélectionner les partis qu’il aide en fonction de critères politiques. Habiliter le Gouvernement à prendre une telle mesure à notre place dans le flou le plus complet serait entaché, selon nous, d’un vice radical.

Dans un souci de compromis, nous avons néanmoins fini par accepter que cette disposition figurât dans la loi ordinaire, que nous avons adoptée il y a deux jours. Mais nous avons consenti à le faire pour une seule raison : notre conviction que la disposition sera annulée par le Conseil constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi sur ce point ! Et si, d’aventure, le Conseil ne l’était pas, le fait que l’ordonnance ne puisse pas entrer en vigueur avant que nous nous soyons prononcés sur sa ratification me semble de nature à apporter les garanties de sécurité nécessaires, notamment sur le fait qu’il ne sera pas porté atteinte au principe de libre formation des partis politiques figurant à l’article 4 de la Constitution, partis qui « concourent à l’expression du suffrage ».

Il s’agit ensuite, et j’en viens, madame la garde des sceaux, au sujet qui nous occupe le plus aujourd'hui, de la réserve parlementaire.

C’est pour nous une nouvelle étape dans la rupture du lien entre la représentation nationale et les territoires. J’apprécie la manière dont vous avez abordé la question, laquelle montre que vous considérez vous-même cette disposition comme la conséquence d’une doctrine, que vous avez exposée et qui a été défendue par de nombreux orateurs à l’Assemblée nationale, selon laquelle députés et sénateurs se doivent d’être tout entier à leurs fonctions de législateur et d’autorité de contrôle de l’exécutif, et doivent en quelque sorte s’éloigner de toute responsabilité vis-à-vis des territoires qui sont à la racine de leur légitimité.

Après l’interdiction du cumul de tout mandat et avant la création d’un régime de représentation proportionnelle pour l’élection d’une partie au moins des députés, nous examinons aujourd’hui un texte qui donne le sentiment qu’un parlementaire qui voudrait jouer le rôle de médiateur ou d’intermédiaire entre la population et un État tout puissant serait un vestige du passé qu’il faudrait absolument éliminer.

J’entends également les fréquentes revendications de nouveaux députés, qui refusent de participer aux manifestations locales…

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Philippe Bas, rapporteur. … en répétant que leur mission ne consiste pas à prendre part à des événements qui réunissent les Français sur nos territoires. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je trouve qu’il y a là un corpus idéologique que je me permets de qualifier d’un peu éthéré, madame la garde des sceaux, en tout cas de délétère, et qui vise à faire des représentants de la Nation de purs esprits, qui agiraient de manière aussi docile que possible vis-à-vis du parti politique dont ils sont les représentants, mais qui seraient en revanche libres de toute attache vis-à-vis du territoire qui les a désignés.

Nous ne pouvons que combattre une telle approche, qui n’est d’ailleurs pas réaliste. D’une part, en tant que membres du Sénat, nous représentons les collectivités territoriales de la République. D’autre part, nous entendons tout simplement, et je me permets de le dire avec une certaine gravité, défendre la démocratie.

Les Français ont besoin de parlementaires proches d’eux, jouant pleinement un rôle de médiateurs face à l’État, qui leur apparaît un peu comme le pot de fer contre le pot de terre.

M. Bruno Retailleau. Le Léviathan !

M. Philippe Bas, rapporteur. Les parlementaires puisent dans l’exercice de responsabilités locales l’expérience des réalités sans laquelle il n’y a pas de bonnes lois ni de capacité de contrôle indépendant du Gouvernement.

Voilà pourquoi nous voulons combattre l’instauration d’un nouveau régime de démocratie d’opinion, démocratie ouverte à tous les vents et qui serait, un jour, balayée par les vents mauvais de l’extrémisme.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. La démocratie s’enracine dans la vie des territoires. Ce sont ces racines que l’on est en train de couper !

Je suis contrarié par l’hypocrisie qui est à l’œuvre dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.) On n’ose même plus reprocher à la réserve parlementaire son caractère clientéliste, préférant l’argument doctrinal de la mission du Parlement qui devrait le tenir éloigné des préoccupations locales.

En réalité, mes chers collègues, cette doctrine est pire encore que l’accusation de clientélisme, dont il est aisé de faire justice, puisque la réserve est égale, transparente et accessible à toutes les communes, comme le Gouvernement, lui-même, le confirme.

Ce dernier souhaite donc supprimer un dispositif utile, qu’il ne veut plus accuser de clientéliste, et il refuse notre proposition de renforcement et de meilleur encadrement dudit dispositif.

S’ajoutant à de nombreuses mesures récemment prises, et qui montrent la médiocre considération accordée aux collectivités territoriales par le Gouvernement, cette nouvelle disposition ne peut que susciter notre opposition tout à fait radicale.

Je rappelle d’ailleurs, madame la ministre, que de nombreux fonds d’intervention sont aux mains de l’État, dans les secteurs du sport, de la culture, de l’action sociale ou du tourisme. Ces fonds donnent régulièrement lieu à des interventions de parlementaires en vue de débloquer des financements pour des investissements.

Aucune de ces interventions ne revêt la même transparence que celle à laquelle la réserve parlementaire est assujettie. Or, généralement, elles profitent surtout aux parlementaires qui soutiennent le Gouvernement… Je ne vois pas que vous ayez pris des mesures pour combattre cette opacité, madame la ministre… Ce serait pourtant bien nécessaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

Vous avez par ailleurs abordé quelques éléments d’ordre juridique, sur lesquels je veux vous dire mon désaccord.

Ce texte, que je qualifierai de « suppressif », puisqu’il n’est nullement abrogatif – il n’efface aucune disposition d’aucune loi organique –, manque singulièrement de substance.

Soit vous considérez qu’il a pour objet de limiter le droit d’amendement du Gouvernement, et vous vous heurtez à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui-ci invalidant toute limitation au droit d’amendement non prévue par les articles 40, 41 et 45 de la Constitution.

Soit vous considérez qu’il s’agit d’une proclamation de principe, sans portée juridique, et, dans ce cas, il s’agit d’un neutron législatif, qui sera également invalidé par le Conseil constitutionnel.

Si cette disposition est arrêtée, madame la ministre, et même si, comme je le crois, elle est invalidée par le Conseil constitutionnel, nous ne manquerons pas, puisque vous nous y invitez, d’user de nos prérogatives parlementaires cet automne pour faire en sorte que les collectivités territoriales ne soient pas les grandes oubliées de la nouvelle République que vous êtes en train de construire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)