Mme Esther Benbassa. Le présent amendement vise à supprimer l’article 370 de la loi du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, afin de mettre un terme à une discrimination légale qui subsiste depuis plus de vingt-cinq ans.

L’article en question a maintenu l’interdiction des droits civiques résultant d’une condamnation pénale prononcée en dernier ressort avant le 1er mars 1994. Il en découle que les effets des incapacités de plein droit antérieures au 1er mars 1994 peuvent se poursuivre encore aujourd’hui.

Permettez-moi, mes chers collègues, de prendre un exemple concret pour illustrer mon propos.

Quelque temps avant l’élection présidentielle de 2012, M. Delvigne sollicite son inscription sur les listes électorales de sa commune. Cela lui est refusé au motif qu’il a été condamné en 1988 à douze années de réclusion. Plus de vingt ans après les faits, alors qu’il a purgé sa peine et retrouvé une vie paisible, M. Delvigne est toujours privé de ses droits civiques. La loi a été assouplie depuis, mais, n’étant pas rétroactive, elle ne profite pas aux personnes condamnées avant 1994.

Au-delà de ce cas particulier, ce sont des milliers de nos concitoyens qui sont aujourd’hui soumis à une déchéance civique à vie.

La Cour de cassation préconisait dès 2008 l’abrogation de l’article 370 de la loi du 16 décembre 1992. J’invite donc le Sénat à voter cet amendement et, ainsi, à mettre fin à une inégalité de traitement entre personnes condamnées, fondée uniquement sur la date de leur condamnation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, corapporteur. Ma chère collègue, dans le cas particulier que vous venez de présenter, il faut admettre que la personne considérée pouvait demander sa réhabilitation judiciaire ou légale ou encore solliciter une décision de relèvement ou de dispense d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Cette possibilité est toujours ouverte pour les personnes ayant été condamnées définitivement par un tribunal avant 1994.

La difficulté tient au fait que, depuis 2010, le Conseil constitutionnel a une position constante en la matière : l’automaticité des peines prononcées après 1994 étant supprimée, on ne peut pas rester dans une telle situation.

La commission des lois souhaite entendre l’avis du Gouvernement sur ce point : il s’agit là d’une véritable difficulté.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame Benbassa, il est vrai qu’il existe une différence de traitement, donc une inégalité, entre les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la réforme du code pénal, intervenue le 1er mars 1994, et celles qui ont été condamnées après celle-ci.

Les premières ont été automatiquement privées de leurs droits civiques lorsqu’elles étaient condamnées pour des crimes ou, pour les délits, à des peines d’un certain montant ; les secondes n’ont pu l’être que si la juridiction l’a expressément décidé.

Le nouveau code pénal était, sur cette question comme sur un certain nombre d’autres, moins sévère que l’ancien et plus respectueux du principe d’individualisation des peines ; c’était sa caractéristique principale.

Pour autant, il n’existait aucune autre solution que de prévoir que les interdictions des droits civiques résultant de plein droit des condamnations prononcées avant 1994 demeuraient applicables, comme l’a prévu l’article 370 de la loi du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.

Si cela n’avait pas été le cas, en effet, toutes ces personnes auraient immédiatement, en 1994, retrouvé tous leurs droits, même celles qui avaient été condamnées pour les faits les plus graves, à l’encontre desquelles, sous l’empire du nouveau code, les juges auraient certainement prononcé la peine complémentaire d’interdiction de droits civiques.

Il y aurait également eu une inégalité de traitement au bénéfice des personnes déjà condamnées, puisque celles-ci ne pouvaient évidemment pas être jugées une nouvelle fois, afin que soit ou non décidé de compléter leur peine par une interdiction expresse de leurs droits civiques.

La question se pose toujours aujourd’hui. Si vous supprimez l’article 370, tous ces individus retrouvent immédiatement leurs droits civiques. Une personne condamnée, par exemple, pour viol et assassinat à la réclusion criminelle à perpétuité en 1993 et qui, bénéficiant d’une libération conditionnelle, serait élargie demain, pourrait donc être inscrite sur les listes électorales, voter et se présenter à une élection.

En revanche, une autre, qui aurait été condamnée à la même peine pour des faits exactement similaires à la fin de l’année 1994, donc sous l’empire du nouveau code, avec, comme c’est vraisemblable, une condamnation de la cour d’assises à la peine complémentaire de privation de ses droits civiques, ne bénéficierait pas d’une telle clémence.

Bien évidemment, comme le précise l’article 370 et comme vient de le dire à l’instant M. le rapporteur, le maintien de ces interdictions n’est prévu que sous réserve de la possibilité, pour le condamné, de demander leur relèvement, en application de l’article 702–1 du code de procédure pénale, devant le tribunal correctionnel, ou la cour d’appel, qui a prononcé la condamnation initiale, ou bien devant la chambre de l’instruction si la condamnation émane de la cour d’assises.

Si les faits sont anciens et considérés comme peu graves, cette demande de relèvement sera sans doute acceptée sans difficulté. Depuis 2009, ces demandes sont examinées à juge unique, par la juridiction composée de son seul président, afin d’être traitées plus rapidement. Le juge saisi déterminera si, sous l’empire du nouveau code pénal, il aurait ou non prononcé une peine d’interdiction des droits. S’il estime que tel n’aurait pas été le cas, il accordera évidemment le relèvement.

Il me semble donc que l’article 370 ne porte en rien atteinte aux exigences d’équité que doit respecter notre droit pénal et qu’il doit être conservé.

C’est la raison pour laquelle, malgré tout l’intérêt de la question que vous avez posée, madame la sénatrice, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Chapitre VII

DISPOSITIONS FINALES

Articles additionnels après l'article 28
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 29

Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 29
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi. Nous n’avons pas obtenu satisfaction sur la totalité des amendements que nous avons présentés, même si j’ai bien noté que Mme la garde des sceaux était intéressée par les propositions de notre groupe, ce dont je la remercie.

Je constate que, entre l’ancien et le nouveau monde, il y a un monde qui avance, et c’est celui du Sénat, madame la garde des sceaux ! Manifestement, nous vous offrons là un matériau utile pour vos futures réflexions, et je m’en félicite. Nous pouvons saluer le travail de nos deux rapporteurs, sous l’autorité de M. Philippe Bas. Nous allons adopter des dispositions qui vont dans le bon sens, pour permettre à notre justice d’être à la hauteur des enjeux de service public qui sont les siens, au bénéfice de nos concitoyens.

Le groupe socialiste et républicain votera donc ce texte. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, « La justice va mal. La réforme de l’institution judiciaire et la mise à niveau de ses moyens sont une urgence pour notre État de droit. » Ces mots ouvraient l’exposé des motifs de la proposition de loi qui nous a réunis aujourd’hui. Je les partage tous.

Je suis en revanche convaincue, comme l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, que certaines des dispositions de ce texte, loin de participer au redressement de la justice, constituent une sérieuse remise en cause du fonctionnement de l’institution judiciaire et des principes fondateurs de notre droit.

Nous considérons la question des moyens alloués à la justice comme un indispensable corollaire à son indépendance. Ceux-ci doivent être renforcés, mais certainement pas, comme vous nous le proposez, par une approche managériale et comptable de la justice.

Consolider l’état de droit est, pour nous aussi, une priorité – nous avons d’ailleurs été bien seuls à le défendre lorsqu’il s’est agi de faire entrer les mesures de l’état d’urgence dans notre droit commun –, mais la réponse ne peut être uniquement répressive. Monsieur le président de la commission des lois, elle doit être pensée en termes de réhabilitation et de réinsertion. C’est bien l’humain qui doit être au cœur de notre politique pénale.

Je dis cela non pas par angélisme, mais par pragmatisme. Nous le savons, le tout-carcéral, le tout-répressif, cela ne marche pas ! Cela ne fait pas diminuer le taux de récidive, cela ne porte pas ses fruits en matière de réinsertion !

De surcroît, nous ne cesserons de le rappeler, l’exigence de respect de la dignité doit être aussi considérée derrière les barreaux des prisons. L’incarcération ne doit pas valoir exclusion ; le détenu reste membre de la cité et doit donc conserver ses droits fondamentaux.

Parce que ce sont ces valeurs et ces principes qui guident notre action politique, nous voterons contre ces propositions de loi. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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M. le président. Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, de la proposition de loi organique.

proposition de loi organique pour le redressement de la justice

Chapitre IER

DISPOSITIONS RELATIVES À LA SANCTUARISATION DES CRÉDITS DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE

 
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Article 2

Article 1er

I. – Le I de l’article 7 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Deux programmes spécifiques regroupent les crédits de l’autorité judiciaire, l’un comprenant les crédits des juridictions judiciaires, l’autre ceux du Conseil supérieur de la magistrature. Les crédits de l’autorité judiciaire sont exonérés de la procédure de mise en réserve prévue pour les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel et sur les autres titres des programmes dotés de crédits limitatifs. Ces crédits ne peuvent faire l’objet des annulations de crédits liées aux mouvements prévus aux articles 12 et 13. »

II. – L’article 7 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dans sa rédaction résultant du I du présent article, entre en vigueur un an après la promulgation de la présente loi organique.

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre, Costes et M. Carrère et MM. Collin, Dantec, Gabouty, Gold, Guérini, Labbé, Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les crédits affectés à l’administration pénitentiaire sont rassemblés au sein d’une mission propre.

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. L’article 1er de la proposition de loi organique prévoit déjà, à juste titre, de mettre fin à la procédure de gel budgétaire pour les programmes des juridictions judiciaires et du Conseil supérieur de la magistrature, afin de sanctuariser les crédits consacrés au fonctionnement de l’autorité judiciaire.

Nous souhaiterions aller plus loin, en ouvrant le débat sur l’opportunité de créer une nouvelle mission budgétaire, à côté de la mission « Justice », rassemblant les crédits consacrés à l’administration pénitentiaire.

Le premier avantage de cette solution serait d’améliorer la lisibilité du budget, en rendant plus explicite la distinction entre la part des crédits destinée au fonctionnement des prisons et celle qui est affectée à l’autorité judiciaire. Cela permettrait également de mettre fin au dilemme contraignant à choisir entre Pierre et Paul, qui hante peut-être les ministres de la justice lorsqu’ils arbitrent entre la rénovation du parc carcéral et l’augmentation des moyens dans les juridictions. Les parlementaires connaissent bien la difficulté de ce choix, en raison des règles d’amendements budgétaires qui s’imposent à eux !

Nous ne minimisons pas les obstacles, tant ces deux objectifs sont prioritaires, et nous n’ignorons pas qu’ils ont des ramifications communes. Cependant, il nous semble important de nous assurer que l’ambition de régulation de la population carcérale n’influence pas la décision des juges chargés de prononcer ou de faire appliquer des sanctions. De ce point de vue, une plus stricte séparation budgétaire nous semblerait salutaire.

Cette séparation pourrait ainsi distinguer les deux fonctions qui cohabitent actuellement au sein de la mission « Justice » : juger et punir.

Enfin, nous souhaiterions insister sur le fait que des marges de manœuvre existent. Certains observateurs avisés ont fait remarquer que, dans la période courant de 2002 à 2016, les crédits accordés aux juridictions judiciaires ont augmenté de 60 %, contre 109 % pour les juridictions administratives.

Il est grand temps de traduire ces constats en engagements réels et de prendre des mesures budgétaires à la hauteur des difficultés de fonctionnement que rencontre l’autorité judiciaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Bigot, corapporteur. La commission n’est pas favorable à cet amendement. Si celui-ci a pour objet de rendre plus visibles les crédits de la mission « Justice » et ceux de l’administration pénitentiaire, les programmes budgétaires respectifs y pourvoient déjà, et il est possible d’en prendre connaissance.

Cette tendance, toutefois, pourrait aller dans un sens qui n’est pas souhaitable, celui d’une distinction, voire d’une sortie de l’administration pénitentiaire du champ de compétence du ministre de la justice, comme certains l’ont proposé. Compte tenu de tout ce que nous avons dit aujourd’hui, cette évolution ne nous semble pas souhaitable. Il convient donc de maintenir le lien existant. De ce point de vue, conserver tout le budget dans la même mission nous paraît aujourd’hui plus sage.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

Mme Josiane Costes. Je retire mon amendement, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Chapitre II

DISPOSITIONS RELATIVES AU STATUT DE LA MAGISTRATURE

Article 1er
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Article 3

Article 2

I. – L’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi modifié :

1° À la première phrase du dernier alinéa, les mots : « de tribunal de grande instance ou » sont supprimés ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice des articles 3-1, 28, 28-2, 28-3, 37, 38-1, 38-2, 40-2, 41-5, 41-12 et 41-27, nul magistrat ne peut être affecté moins de trois années et plus de dix années dans la même juridiction. Il peut être dérogé à ces règles sur avis motivé du Conseil supérieur de la magistrature, pour des raisons personnelles ou professionnelles, ou pour garantir l’égalité de traitement des magistrats dans leur déroulement de carrière. »

II. – L’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction résultant du I du présent article, est applicable aux magistrats dont la nomination intervient à compter du 1er septembre 2018.

Par dérogation, les magistrats ayant exercé leurs fonctions depuis au moins dix années dans la même juridiction au 1er septembre 2018, se mettent en conformité avec les obligations résultant du dernier alinéa de l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant du I du présent article, dans les trois années suivant le 1er septembre 2018.

La procédure prévue à l’article 2-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant du I de l’article 3 de la présente loi organique, s’applique à ces magistrats.

Par exception au premier alinéa du présent II, le 1° du I du présent article entre en vigueur à compter de la date fixée au IV de l’article 10 de la loi n° … du … d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, nous vous proposons de supprimer l’article 2, aux termes duquel les magistrats ne pourraient être affectés moins de trois années et plus de dix années dans la même juridiction.

Comme le relèvent l’ensemble des magistrats, il ne convient pas d’inscrire ce principe dans la loi, car cela interdirait toute exception due à des circonstances particulières, comme une maladie, par exemple.

En outre, cette solution autoritaire aurait pour effet, ainsi que le soulignent les magistrats, de renforcer encore la désaffection pour les juridictions dites « fragiles » et peu attractives, les magistrats craignant de devoir y rester trois ou quatre ans. La conséquence serait la multiplication des demandes de disponibilité, lesquelles apparaissent bien souvent comme la seule solution pour quitter une affectation devenue insupportable.

S’il est vrai que certaines fonctions ou juridictions sont en difficulté, car elles sont délaissées, le problème ne sera résolu que par une gestion plus adaptée des ressources humaines par le ministère de la justice. C’est ainsi qu’une plus grande stabilité des magistrats dans leur poste sera possible.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Bigot, corapporteur. La commission n’est pas favorable à cet amendement : il est essentiel que des magistrats puissent rester en poste.

Néanmoins, nous avons été sensibles à ce que nous ont dit les personnes que nous avons auditionnées, et nous avons proposé à la Commission d’ajouter la possibilité, pour le Conseil supérieur de la magistrature, de déroger à cette obligation et de tenir compte de l’éventualité d’un avancement sur place.

S’agissant de la difficulté, pour certaines juridictions, d’accueillir du monde, il est vrai que, aujourd’hui, la vacance des postes est telle que des magistrats sont tentés de partir très vite vers des emplois qui leur conviennent mieux que ce qu’ils acceptent en première affectation. Lorsque l’effectif sera complet, cela sera un peu différent.

En revanche, nous l’avons écrit dans le rapport, il nous semble utile, comme dans d’autres administrations, de proposer aux magistrats des incitations, qu’il s’agisse de moyens financiers ou de possibilités d’avancement plus rapide, pour les conduire à postuler sur des postes peu demandés. Ces solutions dépendent entièrement du pouvoir réglementaire, et non du législateur.

En l’état, notre proposition est bien accueillie par nombre des magistrats que nous avons auditionnés,…

M. Pierre Ouzoulias. Nous n’avons pas entendu les mêmes !

M. Jacques Bigot, corapporteur. … et elle nous semble bonne.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est indéniable que certaines juridictions connaissent un turn-over extrêmement important, lequel est de nature à poser de véritables difficultés de fonctionnement, je peux le constater à chacun de mes déplacements.

Cette situation a principalement pour origine les vacances de postes, qui accentuent ce taux de roulement. Or celles-ci ont vocation à se résorber progressivement – c’est en tout cas l’objectif que nous nous fixons.

Aujourd’hui, en gestion, un délai minimum de deux ans d’exercice est déjà mis en œuvre par notre ministère et par le Conseil supérieur de la magistrature, sauf circonstances particulières. Ce délai est porté à trois ans pour les emplois de chefs de juridiction et de cour.

Il nous semble donc que la fixation, dans l’ordonnance statutaire, d’une durée minimale d’exercice des fonctions n’est pas nécessaire et pourrait, au contraire, emporter des conséquences néfastes pour le corps des magistrats sur l’ensemble du territoire.

En effet, le défaut d’attractivité de certaines juridictions et de certaines fonctions risquerait d’être accru si les magistrats y sont nommés pour une durée incompressible de trois ou quatre ans. Nous ne le souhaitons pas, parce que cela aboutirait à la suppression d’une indispensable souplesse dans la gestion des ressources humaines, dont nous avons besoin aujourd’hui pour assurer le service de la justice sur l’ensemble du territoire.

S’agissant de la fixation d’une durée maximale d’exercice de fonction à dix ans dans la même juridiction, je rappelle que le dispositif actuel prévoit déjà une durée maximale de dix ans pour les fonctions spécialisées, ainsi que pour les conseillers ou avocats généraux référendaires à la Cour de cassation, et de sept ans pour les chefs de cour et de juridiction.

Ce dispositif apparaît suffisant et adapté pour assurer la mobilité des magistrats et amoindrir les effets négatifs d’un exercice professionnel trop long dans une même juridiction. Cette mesure risque de créer des difficultés de gestion en cas d’élargissement à toutes les fonctions de magistrats.

C’est la raison pour laquelle je suis favorable à l’amendement proposé.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre, Costes et M. Carrère et MM. Collin, Gabouty, Labbé, Menonville, Requier, Vall et Gold, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Après les mots :

dans la même

insérer les mots :

fonction au sein de la même

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Cet amendement vise à compléter les dispositions de l’article 4 de la proposition de loi organique, lequel prévoit que les magistrats ne peuvent être affectés moins de trois années et plus de dix années dans la même juridiction, sauf exception prévue par ailleurs.

Dans une perspective d’efficience, nous considérons que des gains de productivité pourraient être effectués en étendant cette obligation à la fonction, afin de permettre une plus grande spécialisation de nos magistrats. Il n’est pas rare, en effet, d’observer d’importantes rotations susceptibles de nuire à la continuité du service.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Bigot, corapporteur. La proposition de loi prévoit déjà, pour les fonctions spécialisées, une durée minimum de quatre années.

S’agissant des fonctions non spécialisées, le magistrat est nommé dans le tribunal de grande instance, à charge pour le président, dans le cadre de l’ordonnance de roulement et après avis de l’assemblée générale des magistrats, de l’affecter ensuite dans des fonctions conformes aux besoins du moment dans la juridiction. Rigidifier ce processus dans la loi organique nous paraît contraire à toute cette organisation.

Ma chère collègue, je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

Mme Josiane Costes. Je retire mon amendement, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.

L'amendement n° 6, présenté par MM. J. Bigot et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 6

1° Après le mot :

magistrats

insérer les mots :

dont la nomination est intervenue avant le 1er septembre 2018 et

2° Remplacer les mots :

au 1er septembre 2018,

par les mots :

à compter de cette même date

3° Compléter cet alinéa par les mots :

ou suivant l’expiration de leur dixième année d’affectation dans la même juridiction

La parole est à M. le corapporteur.

M. Jacques Bigot, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis défavorable.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mme la garde des sceaux n’est pas favorable à la cohérence ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’ai fait part de mon opposition à l’ensemble de ce dispositif : la cohérence me commande donc de rejeter sa cohérence ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

I. – Après l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un article 2-1 ainsi rédigé :

« Art. 2-1. – Neuf mois au plus tard avant la fin de la dixième année d’exercice de leurs fonctions, les magistrats soumis aux obligations résultant du dernier alinéa de l’article 2 font connaître au garde des sceaux, ministre de la justice, l’affectation qu’ils désireraient recevoir, à niveau hiérarchique égal, dans trois juridictions au moins appartenant à des ressorts de cour d’appel différents. Les demandes d’affectation de ces magistrats ne peuvent porter exclusivement sur des emplois de chefs de juridiction, ni sur des emplois du premier grade de la hiérarchie judiciaire comportant un huitième échelon.

« Six mois au plus tard avant la fin de la dixième année d’exercice des fonctions de ces mêmes magistrats, le garde des sceaux, ministre de la justice, peut inviter ceux-ci à présenter trois demandes supplémentaires d’affectation dans trois autres juridictions appartenant à des ressorts de cour d’appel différents.

« À l’expiration de la dixième année d’exercice de leurs fonctions, ces magistrats sont nommés dans l’une des fonctions qui ont fait l’objet de leurs demandes dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas du présent article.

« Si ces mêmes magistrats n’ont pas exprimé de demande d’affectation dans les conditions prévues au premier alinéa et, le cas échéant, au deuxième alinéa, le garde des sceaux, ministre de la justice, leur propose une affectation, à égalité de niveau hiérarchique, à des fonctions du siège pour les magistrats du siège et du parquet pour les magistrats du parquet, dans trois juridictions. À défaut d’acceptation dans le délai d’un mois, ils sont, à l’expiration de la dixième année d’exercice de leurs fonctions, nommés dans l’une de ces juridictions aux fonctions qui leur ont été offertes.

« Les nominations prévues au présent article sont prononcées, le cas échéant, en surnombre de l’effectif budgétaire du grade auquel appartiennent les magistrats soumis aux obligations résultant du dernier alinéa de l’article 2 et, s’il y a lieu, en surnombre de l’effectif organique de la juridiction.

« Les magistrats intéressés sont nommés au premier poste, correspondant aux fonctions exercées, dont la vacance vient à s’ouvrir dans la juridiction où ils ont été nommés en surnombre. »

II. – L’article 2-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction résultant du I du présent article, est applicable aux magistrats dont la nomination intervient à compter du 1er septembre 2018. – (Adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

Après l’article 3-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un article 3-2 ainsi rédigé :

« Art. 3-2. – Lorsque la nature particulière d’une affaire le justifie, à la demande du président de la juridiction à laquelle ils appartiennent ou sont rattachés, les magistrats du siège qui ont prêté serment depuis moins de trois ans peuvent apporter au magistrat en charge de l’affaire leur concours à la préparation de la décision. »