M. Gérald Darmanin, ministre. Ça arrive !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Cette année, ce budget de l’État envisage une baisse de 1 600 équivalents temps plein, soit 16 % de la diminution annuelle prévue, ce qui est évidemment tout à fait éloigné des objectifs que vous vous étiez vous-même fixés.

C’est la raison pour laquelle la commission des finances proposera au Sénat d’adopter deux amendements : le premier vise à augmenter le temps de travail moyen des salariés du secteur public pour le rapprocher du temps de travail moyen des salariés du secteur privé ; le second tend à porter de un à trois jours le délai de carence, afin d’augmenter la force de travail des fonctionnaires du secteur public pour exercer les missions qu’ils assument avec toujours beaucoup de bonne volonté et dévouement.

J’évoquerai maintenant la taxe d’habitation. Le jugement du rapporteur général est clair à cet égard : cette réforme est injuste et précipitée. Elle est injuste, car il manque le préalable, comme vous l’avez évoqué, monsieur Darmanin, de la remise en cause de la vétusté des valeurs locatives. C’est un serpent de mer, mais puisque le monde a changé et qu’il est « en marche », on aurait pu imaginer un mouvement sur les valeurs locatives.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ça arrive !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Or ce mouvement est reporté aux calendes grecques, en vertu d’une tradition forte d’une cinquantaine d’années.

Vétusté des valeurs locatives, injustice et absurdité : la commission des finances a ainsi établi que, dans 3 200 communes, c’est-à-dire 10 % des communes françaises, il n’y aura que cinq contribuables au maximum qui cotiseront à la taxe d’habitation. Et dans certaines communes, il n’y en aura qu’un : imaginez le climat qui en résultera dans ces communes et, surtout, l’injustice qu’entraînera cette décision ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’ajoute que les 20 % de nos compatriotes qui continueront de payer la taxe d’habitation acquittent déjà 80 % de l’impôt sur le revenu. Il faut savoir ce que l’on veut faire : veut-on encourager ceux qui investissent, qui entreprennent, en considérant que ceux qui sont économiquement actifs rendent service à la communauté, même si leur motivation est d’abord personnelle ?

Une motivation personnelle peut avoir des effets parfaitement positifs, d’autant que 22 milliards d’euros de taxe d’habitation représentent un tiers des recettes du bloc communal. Monsieur le ministre, vous allez les prendre en charge par un tour de passe-passe. Vous nous dites que vous augmentez le pouvoir d’achat par la diminution de la taxe d’habitation. Toutefois, dans la mesure où la dépense des collectivités locales ne diminue pas et où l’État devra la rembourser, je serais curieux de savoir qui va assumer ces 22 milliards d’euros, si ce n’est le contribuable de l’État au lieu du contribuable local. C’est un choix qui inquiète les maires, mais ils disposent d’une autre tribune pour vous rappeler à l’ordre sur ce sujet.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’État n’est pas rappelé à l’ordre !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Je dirai un mot sur la procédure budgétaire en m’adressant à l’Assemblée nationale, où une belle majorité composée de gens enthousiastes, passionnés, découvre la vie publique. Ils ont raison, car il faut un renouveau. Ce n’est pas moi qui les condamnerais, j’ai été jeune aussi ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes, l’examen et le vote du budget prennent du temps, mais c’est le prix de la démocratie.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Heureusement, le débat parlementaire est long, minutieux et difficile, car les sommes en jeu sont considérables et emportent avec elles une certaine conception de la vie commune, du respect mutuel, du projet collectif. Outre les débats en séance, le Sénat écrit : la commission des finances a par exemple présenté 41 rapports de contrôle budgétaire ces douze derniers mois.

Vous avez la possibilité, messieurs les ministres, de vous nourrir de ces rapports budgétaires pour faire évoluer la situation, en particulier pour reprendre en main la dépense publique.

En conclusion, mes chers collègues, la commission des finances vous demandera d’adopter ce projet de loi de finances pour 2018, sous réserve que soient votés des amendements concernant les familles, notre compétitivité et, par conséquent, la fiscalité de l’investissement, avec quelques économies sur les dépenses, qui sont certes symboliques, mais montrent que l’on peut faire bouger les lignes en matière de prélèvements publics à partir de la maîtrise de la dépense du budget de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous poursuivons une session budgétaire au cours de laquelle nous avons déjà examiné de nombreux textes. Cela nous a montré les inconvénients de l’éclatement de la législation fiscale entre lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, vous avez eu raison de relancer le débat sur les conditions de l’examen des textes financiers au Parlement, débat qui était un peu au point mort depuis l’échec du projet de révision constitutionnelle de 2010.

La commission des finances du Sénat jouera tout son rôle dans ce travail. Nous devrons examiner aussi bien les modalités de discussion des différents textes dans chaque assemblée que leur calendrier de dépôt et d’examen, ainsi que l’organisation de la navette, surtout si l’idée de fusionner les parties recettes des lois financières prospère. Mais ce sont aussi les comportements et les pratiques qui doivent évoluer. Nous devons nous mettre en situation de voter en étant toujours pleinement éclairés, ce qui suppose de recevoir les réponses aux questions que nous posons et d’avoir du temps pour analyser les propositions du Gouvernement qui arrivent encore trop souvent par amendements déposés fort tardivement.

Aujourd’hui, nous sommes saisis du projet de loi de finances de l’année, sur lequel se sont penchées toutes les commissions et, en particulier, les 76 rapporteurs pour avis et les 48 rapporteurs spéciaux, dont je salue l’implication.

L’exécution d’une loi de finances est tributaire du contexte macroéconomique dans lequel elle s’inscrit. C’est sur ce point que je voudrais formuler mes premières remarques.

D’abord, la nouvelle majorité bénéficie pleinement des mesures visant à redresser la compétitivité de l’économie mises en place sous le précédent quinquennat : le Gouvernement bénéficie d’une accélération marquée de la croissance et d’un dynamisme des recettes.

Cette reprise tient notamment aux mesures mises en œuvre depuis 2012 pour redresser la compétitivité et enrichir la croissance en emplois. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le Pacte de responsabilité ont ainsi largement contribué au net redressement des marges des entreprises observé depuis 2013, soit + 2 points. Les efforts de modernisation du marché du travail commencent à porter leurs fruits, le nombre de déclarations d’embauche en CDI étant désormais à son plus haut historique. Les parts de marché à l’exportation sont stabilisées, après une baisse continue entre 2000 et 2012, et les projets d’investissements internationaux sont en forte hausse : + 34 % en 2016.

Deuxième remarque : pour ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB en 2017, on peut considérer que le Gouvernement s’est contenté de « surfer » sur la reprise. Le Gouvernement a « dramatisé » en juillet les résultats de l’audit des finances publiques de la Cour des comptes, pour finalement mettre en œuvre des mesures de régulation budgétaire d’un montant comparable aux années précédentes – 4,2 milliards d’euros.

Avec la taxe sur les dividendes, on a retrouvé le même schéma : le Gouvernement dramatise en évoquant un « scandale d’État » avant de déboucher sur des propositions technocratiques et bien modestes de réformes de la procédure d’élaboration de la loi.

En réalité, en l’absence d’embellie conjoncturelle, la prévision de déficit public pour 2017 serait nettement supérieure au seuil de 3 % du PIB. Autrement dit, le Gouvernement, loin d’avoir pris des mesures de redressement « exceptionnelles », s’est contenté de surfer sur la conjoncture.

Troisième remarque : le Gouvernement a même profité de la reprise pour relâcher l’effort de maîtrise de la dépense en 2018, au risque de nous mettre en porte-à-faux par rapport à nos engagements européens. L’an prochain, le Gouvernement s’est fixé pour objectif de contenir la croissance de la dépense publique à 0,5 %, loin de l’objectif affiché en juillet d’une stabilisation de la dépense. Près d’un tiers des économies programmées est ainsi reporté sur la fin du quinquennat.

Au regard de nos engagements européens, le Gouvernement joue avec le feu. La réduction – et rien n’est fini, monsieur le ministre, quoi que vous en disiez – du déficit structurel prévue l’an prochain, limitée à 0,1 point de PIB, est ainsi très inférieure à nos engagements européens – 0,6 point – et à l’objectif fixé par le précédent gouvernement – 0,5 point. Nous allons saturer dès l’année prochaine les marges de flexibilité que nous permet le pacte de stabilité.

La gravité de cette remarque va au-delà des considérations budgétaires : à l’heure où le Gouvernement entend porter une réforme de la zone euro, c’est la crédibilité de notre pays qui pourrait être atteinte. La France sera le seul grand pays de la zone euro dont le ratio d’endettement ne devrait pas diminuer l’an prochain.

Ma quatrième remarque me conduit à regarder les solutions retenues par le Gouvernement pour éviter une « sortie de route » budgétaire. Si je résume, il a choisi de différer les baisses de cotisations sociales prévues pour les classes moyennes, récupérant ainsi 4,5 milliards d’euros, plutôt que de reporter les réformes de la fiscalité du capital.

Justement, au-delà du contexte macroéconomique, il faut s’intéresser au budget de l’État et à la politique fiscale.

D’abord, le Gouvernement ne se prive jamais de charger la précédente majorité, alors que ce projet de budget capitalise sur des mesures qui ont été prises sous le quinquennat précédent.

Sur les 12,4 milliards d’euros de baisses d’impôts contenues dans ce budget, quelque 5,9 milliards d’euros, donc près de la moitié, correspondent à des mesures prises par le gouvernement précédent. Par exemple, la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés est un peu revue par ce projet de loi de finances, mais son principe avait déjà été voté, et c’est la mesure prise par la précédente majorité qui entrera en vigueur en 2018.

Ensuite, en observant ce qui relève des décisions du nouveau gouvernement, la situation est, si j’ose dire, moins rose. Ce projet de loi de finances ne porte pas la marque du sérieux budgétaire.

Regardons d’abord le déficit de l’État : il avait baissé sans interruption entre 2012 et 2016, pour revenir à 69,3 milliards d’euros. En 2017, la situation se dégrade avec 76,9 milliards d’euros, dégradation qui s’accentue en 2018 avec un déficit de 82,9 milliards d’euros !

Je m’inquiète aussi des annonces du Gouvernement consistant à sacrifier le patrimoine de l’État pour débudgétiser le financement d’annonces aux contours flous. Depuis six mois, deux fonds dotés de 10 milliards d’euros issus en tout ou partie de cessions de participations ont été annoncés, sans que l’on sache si l’un se substitue à l’autre, comment ils devraient fonctionner, et sans aucune justification de la rationalité économique et financière de ces cessions.

Ce budget montre que les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales doivent être repensées en profondeur. La loi de programmation met en place un mécanisme novateur de contractualisation censé s’appliquer dès 2018. Au 23 novembre, nous ne savons toujours rien de la manière dont il va s’appliquer concrètement. Les collectivités vont voter leur budget sans savoir où elles devront faire des efforts ni comment ils seront mesurés.

Pour le reste, cette année se caractérise, certes, par une DGF qui ne diminue pas, mais les dotations d’investissement, elles, sont réduites de 200 millions d’euros, en raison notamment de la très contre-productive suppression de la réserve parlementaire. La péréquation progresse moins.

En matière de finances locales, arrêtons le bricolage et osons une réforme globale. Nos impôts directs locaux sont à bout de souffle, nos compensations ne font que cristalliser les inégalités de richesse. Il faut changer de logiciel !

Surtout, ce budget n’est pas le budget du pouvoir d’achat.

Le Gouvernement met en avant les quelques mesures favorables qu’il propose, par exemple les revalorisations exceptionnelles de la prime d’activité ou l’augmentation de l’allocation aux adultes handicapés. Mais ces allocations font dans le même temps l’objet de réformes de leurs paramètres qui conduisent à reprendre d’une main ce que l’autre a donné.

Au niveau agrégé, et alors que les crédits des ministères progresseraient dans leur ensemble de 4,4 milliards d’euros, deux missions verraient leurs crédits baisser très fortement : le logement et l’emploi. À chacun ses priorités !

En dehors de ces deux secteurs, le Gouvernement peine à expliquer comment il va faire des économies sur la suite du quinquennat, s’en remettant au processus Action publique 2022 qui parviendra, à n’en pas douter, à identifier en moins de six mois les leviers d’économie qui permettront de redresser nos finances publiques.

En matière de fiscalité, la réforme emblématique en faveur du pouvoir d’achat des ménages est celle de la taxe d’habitation. Si elle franchit la haie du Conseil constitutionnel, elle bénéficiera à 80 % des foyers qui verront leur impôt réduit de 30 % en 2018 et de 100 % en 2020. Le gain moyen par foyer est estimé à 166 euros en 2018.

Mais ce gain, même cumulé avec celui de la « bascule » des cotisations salariales sur la CSG, ne sera pas forcément un gain net. Il faut le mettre en regard des autres modifications apportées aux prélèvements sur les contribuables modestes ou moyens et en particulier en matière de fiscalité écologique, qui va augmenter de 46 milliards d’euros d’ici à 2024. Compte tenu de la structure de la consommation des ménages, la convergence entre l’essence et le diesel et la nouvelle trajectoire de la contribution carbone vont surtout toucher les ménages pauvres, pour lesquels les mesures de compensation – chèque énergie, prime à la conversion – ne seront pas forcément à la hauteur des surcoûts. On peut aussi mentionner la fiscalité de l’épargne qui soumettra les détenteurs de plans d’épargne en actions, les PEA, et d’assurance vie aux mêmes hausses de CSG que les détenteurs d’autres types d’actifs financiers, tout en enregistrant une hausse des prélèvements fiscaux.

La politique fiscale du Gouvernement se résume donc à des gains relatifs ou inexistants pour les ménages modestes ou moyens et à des gains certains et importants pour les contribuables les plus fortunés. Nous aurons ce débat au moment de la discussion des articles, mais je ne pourrai que m’opposer à la création du prélèvement forfaitaire unique et à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, deux réformes dont la combinaison reviendra à accorder aux 100 plus gros contribuables de l’ISF un gain moyen annuel de 1,5 million d’euros. Cela ne contribuera pas à améliorer significativement notre tissu économique, puisqu’on attend de cette réforme la création à long terme de 50 000 emplois seulement, soit bien peu au regard du coût de la réforme : 4,5 milliards d’euros, voire plus de 5 milliards d’euros, qui manqueront chaque année au budget de l’État.

Nous reviendrons sur tous ces points lors de la discussion des articles et des missions, car cette année nous allons, selon toute vraisemblance, examiner l’ensemble du projet de loi de finances.

Nous verrons que ce budget est moins celui du nouveau monde que celui des vieilles ficelles, et c’est pourquoi, avec mon groupe, je ne le soutiendrai pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi, Cohen, Cukierman, Gréaume et Prunaud et MM. Collombat, Foucaud, Gay, Gontard, P. Laurent, Ouzoulias et Watrin, d’une motion n°I-358.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2018, adopté par l’Assemblée nationale.

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préambule, je voudrais adresser au nom de mon groupe tous mes vœux de prompt rétablissement à M. le rapporteur général, qui a été hospitalisé ce matin.

Hier, le commissaire européen à l’économie et aux finances, Pierre Moscovici, a alerté sur le risque de « non-conformité » du budget de la France. La réduction du déficit public serait trop faible, les réformes insuffisantes, etc. Tout est dans cette formule : « non-conformité ». Non-conformité à quoi ? Non-conformité pour qui ? Qui décide de cette non-conformité ?

Bien entendu, il s’agit de la soumission aux fameux critères libéraux qui structurent l’actuelle construction européenne, ces critères que l’on appelle les critères de Maastricht, repris par le traité de Lisbonne.

Ce sont ces critères, refusés par le peuple en 2005, qui placent depuis des décennies maintenant la rentabilité financière au-dessus de la satisfaction des besoins humains, à commencer par le droit au travail, par le libre accès aux services publics.

Aujourd’hui, le Président de la République et son gouvernement répondent avec zèle aux exigences de la Commission européenne : projet après projet, des ordonnances réformant le code du travail à ce budget, en passant par la loi de financement de la sécurité sociale.

De la réduction des APL, calamiteuse pour le logement social, de la sélection à l’université en passant par l’alignement institutionnel sur les desiderata bruxellois, cette politique s’aligne totalement sur les préceptes du traité de Lisbonne.

La surenchère de la commission des finances était donc attendue, elle servira – qui peut en douter – de prétexte pour enfoncer le clou de l’austérité, pour accélérer la casse des services publics, pour passer un cap en privatisant, par exemple, des éléments clés du secteur public.

D’entrée, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste entend afficher son désaccord total, son opposition totale à ce cadre contraint, à ce budget qui devient une figure imposée, selon des règles dogmatiques sur lesquelles nous, parlementaires, mais surtout nos concitoyens, n’avons pas de prise.

M. Macron a-t-il été élu pour plus d’austérité ? Pour la destruction du code du travail ? Pour la baisse des APL et l’asphyxie des collectivités territoriales et du secteur public ? Nous ne le pensons pas.

La motion tendant à opposer la question préalable que j’ai l’honneur de défendre aujourd’hui exprime ce rejet global et vous savez tous ici qu’elle n’abrégera pas notre discussion, puisque ses chances d’adoption, d’après mes informations, sont quasiment nulles.

Seul groupe d’opposition déclaré à la politique d’Emmanuel Macron, que l’éditorialiste d’un journal qui ne défend pas nos idées qualifia par le titre « Au bonheur des riches ! », nous utilisons cette procédure pour permettre à l’opposition de s’exprimer clairement et fortement.

Oui, notre groupe refuse cette loi de finances pour 2018, parce qu’elle inaugure, d’une certaine manière, un nouveau quinquennat de sacrifices et de souffrances pour nos concitoyens sans que cela se traduise en plus par une amélioration durable des comptes publics et de la situation économique et sociale.

Cela fait tellement d’années que le chantage est ainsi pratiqué à l’endroit de nos concitoyens qu’il en devient presque indécent de rappeler les contours de cette logique et de ces politiques d’austérité qui ont tant nui à la situation !

Ce projet de loi de finances s’inscrit dans un système idéologique qui, comme je l’ai indiqué, perdure depuis des années.

Mais, mes chers collègues, où vivons-nous ?

Avez-vous oublié que cela fait plus de trente ans que les salariés de ce pays goûtent aux délices de la flexibilité de l’emploi, avec une bonne trentaine de types de contrat de travail existant sur le marché ?

Cela fait plus de trente ans que, sensibles aux sirènes du MEDEF et, à l’époque d’Yvon Gattaz, président du Conseil national du patronat français, le CNPF, les gouvernants successifs ont estimé qu’il était temps de réduire les cotisations sociales, « d’alléger les charges », selon le discours convenu, pour créer de l’emploi.

Nous en connaissons le résultat.

Trente ans après les premiers textes de la loi sur la flexibilité, nous offrons à 6 millions de nos compatriotes l’insécurité de périodes de chômage entrecoupées de petits boulots, de contrats à durée déterminée et autres missions d’intérim !

La transformation prochaine du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales – élément du salaire sans cesse réduit depuis quelques années déjà – devrait conduire le SMIC français aux alentours du SMIC de certains pays de l’Est européen, cotisations comprises ! Quel progrès ! Quelle avancée !

Ces cadeaux au patronat, offerts par dizaines de milliards, sans le moindre résultat en matière de politique industrielle et d’emploi doivent cesser.

La flexibilité de l’emploi sur la durée est l’une des causes des maux dont souffre notre économie du point de vue de la compétitivité. Il faut le rappeler, le chômage coûte cher à la Nation, il épuise les comptes publics alors que le licenciement est une variable d’ajustement pour satisfaire des actionnaires.

Oui, nous ne pouvons pas parler de ce budget sans évoquer les choix économiques et sociaux. Ce qui plombe les finances publiques, c’est le maintien dans une économie de rigueur dont l’objet premier est le maintien de la rentabilité financière et la stabilité de l’État. Notre ambition est radicalement opposée. Pour nous, c’est l’humain d’abord et certainement pas le bonheur des riches !

La politique fiscale que vous proposez avec ce budget sert également les intérêts privés minoritaires. Des orateurs ne manqueront pas de relever les points saillants de ce texte, s’agissant de la réforme de la taxe d’habitation, de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, des portefeuilles financiers ou de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique.

Ce débat est fort éloigné de la situation des 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté !

Mes chers collègues, puisque l’occasion nous en est offerte, comment ne pas pointer qu’il a suffi de l’examen d’un collectif budgétaire pour que nous remarquions qu’un peu plus de 300 grandes entreprises ou groupes généraient, ensemble, rien moins que 1 620 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 80 % du produit intérieur brut du pays, et s’acquittaient de 94 % de l’impôt sur les sociétés, soit un peu plus de 30 milliards d’euros ? Tout est dit ou presque dans ces deux chiffres : 1 620 milliards d’euros d’un côté et 30 milliards d’euros de l’autre.

Année après année, loi de finances après loi de finances, nous avons vu croître et embellir les allégements de fiscalité des entreprises ayant entraîné des pertes de recettes tant pour l’État que pour les collectivités locales, si bien qu’il est possible de penser que la matrice de nos déficits d’aujourd’hui se trouve là.

Et que fait le Gouvernement, si déterminé à réformer la France ? Eh bien, il continue, et même il prolonge et aggrave les travers du passé !

En valeur brute, l’impôt sur les sociétés, ce sont 57 milliards d’euros. Cette somme doit être comparée à l’excédent brut d’exploitation des entreprises, c’est-à-dire à leurs profits bruts, qui sont évalués à 665 milliards d’euros.

Et dire qu’il y a encore des gens pour affirmer que l’économie manque de fonds pour investir ! Ces 57 milliards d’euros ne seront plus que 28,5 milliards à l’arrivée… Nous avons aujourd’hui un impôt sur les sociétés qui pèse, au regard du PIB, ce que pèse l’impôt sur les sociétés perçu par le gouvernement de la République d’Irlande !

Nous connaissons effectivement nombre de chefs d’entreprise, de PME pour tout dire, qui expriment un ressenti assez nettement différent. Je les comprends. Ce n’est pas pour eux que l’on a baissé, par exemple, le taux de l’impôt sur les sociétés. C’est d’abord et avant tout pour que la France devienne, ce qu’elle est devenue en réalité, un paradis fiscal pour les grands groupes à vocation transnationale…

M. Philippe Dallier. Ça, il fallait oser !

Mme Éliane Assassi. … où le gaspillage du capital ira de pair avec les plans sociaux.

Je dirai quelques mots du cadre d’incitation à l’investissement des fameux « premiers de cordée » cités par le Président de la République.

Les Bernard Arnault, aux châteaux juridiquement déplacés, les Marc Ladreit de Lacharrière, généreux mécènes faisant quelques affaires avec les émirats du Golfe, les Patrick Drahi, riches des dettes que vont payer les 5 000 suppressions d’emplois chez SFR… À leur sujet, comme pour d’autres, le temps me manque pour évoquer le scandale inouï de l’évasion fiscale, de ces 1 000 milliards d’euros détournés de l’économie réelle dans le monde pour la satisfaction d’une élite réduite à quelques centaines de personnes.

Il faut dénoncer, oui. Mais maintenant, il faut arranger la loi, rendre illégale l’optimisation fiscale et sanctionner.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Il faut remettre les banques au service de l’intérêt général. Comme le propose mon collègue et ami Éric Bocquet, il faut réunir d’urgence une COP sur l’évasion fiscale, car c’est là un problème planétaire.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Posons la question préalable, là encore.

Voici des gens – le grand patronat, les riches – qui ont bénéficié de la baisse du taux marginal de l’impôt sur le revenu, qui vont tirer parti de la suppression de l’ISF et qui ont su, en leur temps, profiter de la réforme des donations.

Voici des gens qui vont, sans effort excessif, récupérer en 2018 des sommes considérables, sans commune mesure avec l’aumône publique de la baisse de la taxe d’habitation pour les contribuables modestes et moyens, laquelle fait vaciller les collectivités territoriales. Ces dernières sont pourtant au cœur du service public et de l’investissement public.

En cette semaine du congrès des maires, il faut entendre l’alerte envoyée par l’appel de Grigny. Sacrifier les collectivités territoriales, c’est briser le pacte républicain. Avec d’autres, de tous horizons, nous ne laisserons pas faire !

Mes chers collègues, nous ne suivrons pas Emmanuel Macron et le gouvernement d’Édouard Philippe dans le pari sur l’avenir qu’ils viennent d’engager avec ce premier exercice budgétaire. Cadeaux fiscaux consistants, mais incertains en termes d’effets sur l’activité, baisse de la dépense publique, aggravation de la condition des fonctionnaires, absence de réponse aux urgences de la situation sociale du pays, attaques sans précédent contre les collectivités territoriales : tout cela ne peut que justifier l’adoption de la question préalable que nous soumettons à votre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)