M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Nous pouvons et nous voulons débattre,…

Mme Éliane Assassi. Argument suprême !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. … nous sommes donc hostiles à cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.

M. Claude Raynal. J’approuve tout à fait l’avis exprimé par notre rapporteur général par intérim. Je suis simplement étonné qu’il n’ait pas dit la même chose l’année dernière… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Annie Guillemot applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour explication de vote.

M. Didier Rambaud. Bien entendu, les élus du groupe La République En Marche voteront contre cette motion tendant à opposer la question préalable.

Tout d’abord, nous devons respecter le débat parlementaire : dans notre démocratie, il est nécessaire que les différents groupes politiques puissent s’exprimer.

Ensuite, il est opportun que les Françaises et les Français observent la position de ceux qui tiennent un double langage, qui souhaitent peut-être que la France échoue et, surtout, qui n’ont pas su mener les réformes dont notre pays a besoin.

Ce projet de loi de finances, que nous allons étudier, est un budget de transformation. Pour la première fois depuis longtemps, il baisse la fiscalité pesant sur les ménages et sur les entreprises. Il va restituer du pouvoir d’achat à beaucoup de Français : je pense notamment à la réforme de la taxe d’habitation.

Nous aurons le temps, en séance publique, d’évoquer les nombreuses autres transformations assurées par ce budget.

Mes chers collègues, je vous invite à rejeter cette motion !

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.

M. Michel Canevet. Mes chers collègues, après avoir écouté l’argumentaire développé par Mme Assassi, les membres du groupe Union Centriste s’opposeront, eux aussi, à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-358, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2018.

Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 29 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 14
Contre 329

Le Sénat n’a pas adopté.

Mme Éliane Assassi. Quelle surprise ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. En effet ! (Nouveaux sourires.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues, avant tout, permettez-moi de souhaiter un bon rétablissement à Albéric de Montgolfier.

Le texte qui va occuper nos heures et nos journées n’est pas anodin ; mais un projet de loi de finances ne l’est jamais vraiment.

Ce projet de loi de finances s’inscrit dans un contexte européen singulier, qui a de quoi déconcerter : le Brexit qui, comme tous les divorces, n’est pas un moment heureux pour le projet européen, les tensions en Espagne, les incertitudes sur l’avenir budgétaire de l’Italie et, désormais, une crise politique inédite en Allemagne, faute de majorité claire au Bundestag.

Nous n’avons aucune raison de nous réjouir de cette situation, mais nous devons la garder à l’esprit lors de nos débats à venir.

Notre pays, longtemps décrit comme frappé de « fièvre hexagonale » du fait de son instabilité institutionnelle et politique, est à présent un îlot de stabilité sur un continent secoué par les frissons. En effet, l’espoir né de l’élection du Président de la République ne s’arrête pas à nos frontières, et nous avons collectivement l’opportunité de contribuer au retour de la France en Europe. À cet égard, l’avis de la Commission européenne nous pousse à agir, mais pas dans le sens d’une aggravation des déficits.

Nous aurons des débats, parfois techniques, mais cette chance historique est un aiguillon.

La stabilité politique n’est pas synonyme d’inertie. Elle est au contraire une invitation à une transformation profonde de nos politiques publiques et de notre système fiscal.

À présent, nous devons agir à partir d’un diagnostic lucide sur l’état de nos comptes publics, ce qui a été fait par le Gouvernement dès le mois de juillet, sur les freins qui entravent le financement de notre économie, avec un regard critique sur les résultats qui sont en deçà des attentes quotidiennes de nos concitoyens : la politique de l’emploi et la politique du logement.

C’est véritablement le bon moment pour agir. Les signes d’affermissement de la reprise de la croissance sont bien documentés par l’INSEE. Il s’agit de tirer parti de ce contexte économique favorable pour réduire durablement les prélèvements obligatoires et réduire tout aussi durablement certaines dépenses publiques devenues inefficientes.

Cela étant, la dépense publique n’est pas par nature mauvaise. Il n’est d’ailleurs pas rare que ceux qui réclament la réduction de la fiscalité en première partie soient les mêmes qui s’opposent aux mesures d’économies en seconde partie.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Julien Bargeton. À titre indicatif, je rappelle que la dépense publique entre 2002 et 2008 avait progressé en volume de 2,1 % par an, et que le Gouvernement s’est engagé, avec la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, à un ralentissement inédit de la dépense à hauteur de 0,4 % par an entre 2018 et 2022.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, entendons-nous bien sur la notion d’économies. À l’Assemblée nationale, les élus du groupe Les Républicains ont déjà aggravé de 10 milliards d’euros le déficit public en première partie. De votre côté, vous avez creusé le déficit public de 7 milliards d’euros au terme de l’examen du PLFSS au Sénat, et de 5 milliards d’euros au titre du projet de loi de finances rectificative. Je ne doute pas de votre volonté – l’amendement de suppression de l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, en est déjà un premier témoignage – de faire de même au cours de ce débat.

La semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2017, relatif à la taxe sur les dividendes, vous nous avez proposé d’utiliser le surcroît de recettes pour régler ce contentieux. Nous ne vous avons pas entendus, mais peut-être était-ce à cause de la fatigue, défendre une réduction de la dépense publique à ce moment-là. « Étonnant, non ? », pour citer Pierre Desproges, que M. le ministre de l’action et des comptes publics affectionne.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Julien Bargeton. Je doute que cette attitude soit à la hauteur des enjeux du moment.

Il est vrai que le moment est un peu long. Âgé de 44 ans, je n’ai vécu que deux ans dans un pays avec des comptes publics en excédent, car depuis 1975 nous sommes systématiquement dans le rouge. C’est dire !

Ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes collectivement assis. Le Sénat – et je le regrette – n’est plus une évidence pour nos concitoyens, et nous devons être capables de leur redonner confiance en l’action publique. Je conçois que telle ou telle formation politique puisse avoir son agenda interne. Mais ne donnons pas une image caricaturale : notre assemblée, ce budget et, surtout, nos concitoyens méritent mieux.

La première partie, que nous allons examiner, porte sur la fiscalité, et je souhaite m’y attarder un peu.

La stratégie fiscale du Gouvernement passe d’abord par un allégement de la fiscalité pesant sur les ménages. Le principal, mais non unique levier de cette politique est l’exonération de taxe d’habitation pour 80 % des foyers à l’horizon 2020.

La commission des finances a fait le choix, que je n’approuve pas, d’ajourner ce gain de pouvoir d’achat,…

M. Philippe Dallier. Mais c’est une mesure inconstitutionnelle, tout le monde le sait !

M. Julien Bargeton. … qui profitera en priorité aux classes moyennes. Nous aurons, je pense, l’occasion d’y revenir au cours de nos débats, et je ne trahis pas un secret en disant que le chef de l’État abordera ce sujet cette après-midi.

Les membres du groupe La République En Marche souhaitent être partie prenante et force de proposition des initiatives sénatoriales visant à transformer notre fiscalité locale, difficile à piloter pour les élus et incompréhensible pour à peu près tout le monde.

L’exigence de transformation se traduit également dans les mesures relatives à la fiscalité du capital. C’est le cas du prélèvement forfaitaire unique.

L’objectif de cette mesure n’est pas, comme on l’a beaucoup entendu, de faire un cadeau aux Français les plus aisés,…

M. Claude Raynal. C’en est pourtant la conséquence !

M. Julien Bargeton. … mais de faciliter le financement des entreprises.

C’est le même souci qui anime la réforme très commentée de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, laquelle est devenue un totem pour les deux côtés de l’hémicycle. Les uns y voient un moyen de contenir les inégalités de patrimoine, en oubliant au passage que nous sommes en économie ouverte ; les autres souhaitent la suppression totale de l’ISF.

L’ISF est un impôt épouvantail qui n’est pas un atout, dans un contexte de compétitivité internationale. En revanche, l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, est justifié, car l’investissement immobilier au-delà de la résidence principale, reconnaissons-le, n’est pas celui qui contribue le plus à l’économie de la connaissance et de l’innovation, que le Gouvernement souhaite consolider.

Je suis également satisfait de voir que ce budget comporte des mesures fiscales attendues par les entreprises. Nous aurons l’occasion d’en parler lors de l’examen des articles non rattachés.

M. Gérald Darmanin, ministre. Exact !

M. Julien Bargeton. Je pense notamment aux mesures relatives à l’impôt sur les sociétés. S’y ajoute la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en allégements de charges à l’horizon 2019.

Quelques jours après la désignation de notre capitale comme destination de l’Agence bancaire européenne, la suppression de la tranche additionnelle de 20 % de taxe sur les salaires tire, de façon positive, les conséquences que le Brexit entraîne pour la place financière de Paris.

Sur ce point, mon intervention ne peut être exhaustive. Je rappellerai simplement que la politique fiscale n’est pas un jeu de Meccano.

En décidant de supprimer la hausse de la CSG, la majorité sénatoriale a déstabilisé l’ensemble de l’édifice, car si les textes sont distincts, la stratégie fiscale est cohérente. Il est très facile de se faire le défenseur des retraités en omettant de dire non seulement que l’exonération de taxe d’habitation leur profitera, mais aussi que la hausse de la TVA, que certains proposent, frapperait tous les retraités, y compris ceux qui ne sont pas concernés par la hausse de la CSG.

Telle n’est pas notre philosophie de l’action. Clarté des choix fiscaux, crédibilité des hypothèses retenues, contrôle des deniers publics : les élus du groupe La République En Marche ont toutes les raisons de soutenir le projet de loi de finances issu des travaux de l’Assemblée nationale, car il réconcilie l’eau et le feu (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.),…

M. Philippe Dallier. C’est beau comme l’antique, mais c’est too much !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ne soyez pas jaloux !

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Le rouge et le noir, le yin et le yang…

M. Julien Bargeton. … l’eau et le feu de la politique fiscale française des vingt dernières années, la solidité de notre économie et la solidarité entre les citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, au nom du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, permettez-moi de saluer à mon tour, très amicalement, M. le rapporteur général.

Nous entamons aujourd’hui l’examen du premier projet de loi de finances élaboré par ce nouveau gouvernement.

Il s’agit évidemment de donner à l’État un budget pour l’année prochaine. Mais, bien au-delà, ce premier projet de loi de finances fixe clairement les lignes directrices pour le quinquennat qui s’ouvre.

Messieurs les ministres, vous venez d’entrer dans la maison France : aussi pensons-nous qu’il eût été fort utile de procéder à un état des lieux exhaustif de notre société et de la République. Liberté, égalité, fraternité : aujourd’hui, cette magnifique devise est bien souvent remise en cause par la réalité de la vie quotidienne vécue par une très grande majorité de nos concitoyens.

Cet état des lieux eût été facile à établir, compte tenu des nombreux documents disponibles pour ce faire. Je pense aux rapports récents d’organisations non gouvernementales comme OXFAM, le Secours populaire français ou, plus récemment encore, le Secours catholique. Ces organisations sont unanimes, malheureusement, pour relater le constat qu’elles ont pu établir.

Vous nous rétorquerez peut-être, comme d’autres le firent avant vous, que nous ne sommes plus à l’époque de Zola. Certes, et c’est bien là que le bât blesse ! Les données pour 2017 sont absolument effarantes pour un pays comme le nôtre, qui, à ce jour, est encore la sixième puissance du monde.

Nous ne pouvons pas faire l’économie de quelques chiffres. En 2016, les 10 % des Français les plus riches détiennent 56 % des richesses, quand les 50 % les plus pauvres se partagent 5 % de l’ensemble. Plus d’un tiers des Français a « expérimenté » la pauvreté. Le seuil de pauvreté perçu est à un niveau toujours plus élevé, 1 015 euros, et se rapproche dangereusement du niveau du salaire minimum, qui s’établit aujourd’hui à 1 140 euros.

Cette pauvreté qui prend racine dans notre pays a évidemment des conséquences concrètes dans la vie de nos concitoyens : 20 % d’entre eux déclarent avoir renoncé à des soins dentaires du fait de leur coût, 12 % à l’achat de lunettes et 16 % à une consultation chez un médecin spécialiste.

Le concept d’égalité, disais-je en préambule, est quelque peu mis à mal dans notre République : lorsqu’on porte le regard vers le haut de la pyramide, vers les « premiers de cordée », on se dit qu’il y a effectivement quelque argent en ce bas monde.

Un magazine économique aux feuilles de papier glacé publie chaque année, en juillet, un numéro spécial nous présentant le palmarès des 500 premières fortunes de France. Il suffira ici de citer un extrait de l’éditorial du numéro de cette année : « Le constat saute aux yeux, à voir l’évolution du classement des 500 fortunes professionnelles depuis [la] première édition [du magazine] en 1996, le patrimoine des ultra-riches en France a considérablement progressé depuis deux décennies. Les chiffres attestant de leur prospérité impressionnent. Le nombre des milliardaires a explosé, de 11 à 92, et, au total, la valeur des 500 fortunes est passée de 80 à 570 milliards, multipliée par sept. »

En janvier 2015, le ministre Emmanuel Macron conseillait aux jeunes Français d’avoir envie de devenir milliardaires.

M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances. Millionnaire, ça suffit ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. Au regard de ces chiffres, l’opération risque, me semble-t-il, de prendre un certain temps…

Nous pourrions également citer, à titre d’exemple, le cas des 3 250 ménages les plus riches de France qui ont transféré 140 milliards d’euros dans les paradis fiscaux de par le monde. C’est l’occasion de rappeler ici le scandale de l’évasion fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet. Ce dernier est régulièrement révélé de manière spectaculaire dans les médias. Puis, quand le tumulte médiatique s’apaise au bout de quelques jours, le silence se fait, et le scandale continue.

Mes chers collègues, rappelons-le sans cesse, la République perd chaque année entre 60 milliards d’euros et 80 milliards d’euros : c’est l’équivalent du déficit que vous vous apprêtez à voter.

Mes chers collègues, ce combat doit nous rassembler au-delà de nos sensibilités propres, et il doit être mené sans faiblesse, sans compromission. C’est la mère des batailles, au nom de la République et de la démocratie !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Éric Bocquet. Messieurs les ministres, nous ne pensons pas que votre budget soit la bonne réponse au constat que nous venons d’évoquer.

Nous constatons d’abord qu’il s’inscrit dans la lignée des budgets antérieurs – Éliane Assassi l’a rappelé –, enserré dans les carcans que vous vous êtes donnés, après la révision générale des politiques publiques, la RGPP, la modernisation de l’action publique, la MAP, ou encore le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG. Le dogme de la réduction de la dépense publique a encore été réaffirmé ce matin : comme si celle-ci était nuisible par nature, comme si elle ne contribuait pas, elle aussi, à la croissance et au développement ! Aussi cette continuité se traduit-elle dans vos choix budgétaires.

Nous détaillerons notre propos au cours des jours à venir dans cet hémicycle. Aujourd’hui, nous nous contenterons d’évoquer trois mesures fortes de votre projet, au premier rang desquelles la suppression de la taxe d’habitation.

Le fait de commencer par cette question en cette Haute Assemblée a bien sûr un sens très particulier.

Le sujet a été abondamment débattu lors de la récente campagne des élections sénatoriales, et pour cause, il suscite toujours beaucoup d’inquiétude chez les maires et les élus locaux.

Il y avait certainement une réforme à mener en matière d’impôts locaux : cela ne fait aucun doute. Mais elle ne doit évidemment pas éluder le sujet épineux de la valeur locative.

À nos yeux, cette annonce est démagogique. Qu’en sera-t-il demain de la taxe foncière ? Nos concitoyens auront-ils à subir en conséquence des hausses des taxes locales et des tarifs des services publics locaux ? Cette suppression signifie aussi que, à terme, 20 % des contribuables se retrouveront seuls à payer.

Certes, on évoque les compensations par l’État, mais les élus locaux conservent en mémoire la décision de suppression brutale, unilatérale, de la taxe professionnelle, prise il y a quelques années. Cette suppression devait, elle aussi, être compensée à l’euro près : vous le savez, tel ne fut pas le cas. Le compte n’y est pas.

Que se passera-t-il après 2018 ? Les communes seront privées, à terme, de 10 milliards d’euros de ressources. Or, chacun le sait ici, la taxe d’habitation représente environ 35 % de leurs rentrées fiscales. Ces préoccupations se sont largement exprimées cette semaine dans les travées du congrès des maires de France.

Messieurs les ministres, les collectivités territoriales représentent encore plus de 70 % de l’investissement public dans ce pays et seulement 9 % de la dette globale de la France. Nous vous suggérons de les solliciter comme un levier de sortie de crise et non comme une variable d’ajustement budgétaire.

Enfin, cette mesure est combattue par nombre de personnes, car elle est contraire à l’article 72 de la Constitution, qui sanctuarise le principe de la libre administration des collectivités territoriales en leur garantissant leur autonomie financière.

Oui, il faut une réforme de la fiscalité locale, mais une réforme globale et en concertation. Pour ces raisons, nous proposerons la suppression de l’article 3.

J’en viens à l’article 11, qui met en place le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU. Là encore, point de nouveauté : cette disposition figurait par exemple dans les propositions de M. Fillon, candidat du parti Les Républicains lors de la dernière élection présidentielle.

Cette taxation unique à 30 % a pour première conséquence de revenir sur le principe de progressivité de la fiscalité, en vigueur jusqu’à présent. Ainsi, il n’y aura plus de variation en fonction des revenus. Comme tout impôt à taux unique, le PFU sera donc inégalitaire et profitera aux plus aisés.

Cette taxe a deux sources, un taux de cotisations sociales de 17,2 % et un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 12,8 %. À terme, ce dispositif peut donc susciter une forme d’optimisation fiscale, car les revenus du capital seront moins taxés. En conséquence, il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour les finances publiques. Le PFU transformera durablement une fiscalité déjà favorable aux plus aisés en une grande machine à redistribuer à l’envers.

Quant à l’article 12, il supprime l’ISF et met en place l’IFI.

Je relève déjà que, symboliquement, le mot « solidarité » disparaît : dans le contexte d’inégalités aggravées que j’ai précédemment évoqué, ce choix prend un sens très particulier. Ni Jacques Chirac ni Nicolas Sarkozy n’avaient osé toucher à l’ISF : M. Macron le fait.

Selon nous, ce n’est pas en supprimant un impôt socialement juste, ce n’est pas en cédant à une « lubie » du MEDEF, comme le disait lui-même Emmanuel Macron en 2014, que la France deviendra plus attractive. Mais, autres temps, autres mœurs !

Notre gouvernement propose de transformer l’ISF en IFI en sortant de l’assiette de l’ISF les valeurs mobilières, détentions d’actions, d’entreprises, d’obligations, de plans d’épargne en actions, ou PEA, d’assurances vie, etc. Le but est de diriger l’épargne vers les investissements productifs et, nous dit-on, de dynamiser l’économie. La perte de ressources pour l’État est estimée à 3,2 milliards d’euros par an.

L’effet combiné de cet impôt sur la fortune immobilière et du prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes sera absolument hallucinant pour les bénéficiaires de ces dispositifs.

Messieurs les ministres, je m’en réfère à la réponse faite par vos services au courrier que vous a adressé le président de notre commission des finances, Vincent Éblé, le 26 octobre dernier. Le président de la commission vous interrogeait quant aux conséquences de la mise en œuvre et de l’IFI et du PFU. Les éléments de réponse sont tout à fait édifiants. Nous en citerons quelques-uns.

Avec le PFU, les 100 premiers contribuables à l’ISF gagneront chacun, en moyenne, 582 380 euros par an.

Pour les 1 000 premiers contribuables, le gain moyen lié au PFU s’élèvera à 172 220 euros par an. Le bénéfice lié à la mise en place du PFU apparaît ainsi extrêmement concentré : 44 % du gain total est capté par le 1 % des ménages dont le revenu est le plus élevé. Cerise sur le gâteau, dernier élément d’analyse, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF, le gain total lié aux deux réformes peut être estimé à environ 1,5 million d’euros par an, soit un montant supérieur à l’ISF qu’ils acquittaient jusqu’à présent !

C’est aussi un symbole sidérant que la sortie des yachts et autres lingots d’or de l’assiette de l’impôt.

Messieurs les ministres, vous allez bientôt ressembler à Don Salluste dans La Folie des grandeurs !

M. Gérald Darmanin, ministre. « Et mes acclamations ? Mon enthousiasme ? » (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

M. Éric Bocquet. Pour illustrer concrètement les effets de notre proposition, citons le cas d’un PDG du CAC 40. Cette personne, qui a souhaité garder l’anonymat, détient un bien immobilier de 1,5 million d’euros et 15 millions d’euros de valeurs mobilières diverses. L’ISF actuel lui vaudrait une contribution de 195 700 euros ; avec l’IFI, elle paiera la somme de 3 900 euros.

M. Éric Bocquet. M. le Président de la République aura du mal à se débarrasser, pendant ce quinquennat, du sparadrap du Président des riches, version 2 !

Enfin, je dirai un mot de l’article 15, qui réduit l’assiette de la taxe sur les transactions financières.

Par ce projet de loi de finances, le Gouvernement propose de revenir sur l’une des mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2017 : l’élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières française aux opérations dites « intraday ». Ces opérations dénouées au cours d’une même journée sont considérées comme les plus spéculatives.

Cette extension du champ de la taxe sur les transactions financières avait été obtenue de haute lutte, après cinq années d’âpres débats dans l’hémicycle. Elle est censée entrer en vigueur au 1er janvier 2018 et contribuer à l’amélioration du rendement de ladite taxe : de 1 milliard d’euros environ actuellement, celui-ci atteindrait, après l’élargissement aux opérations « intra-day », entre 2 et 4 milliards d’euros.

Chacun se souvient aussi que, en juin dernier, la Cour des comptes a publié un rapport à charge tirant à boulets rouges sur la taxe sur les transactions financières et sur l’éventuelle extension de celle-ci. Sans doute convient-il de rappeler ici que ce sont bien les élus, dans cette République, qui fixent les règles et lèvent l’impôt pour financer l’intérêt général.

On comprend bien le sens de ce signal fort adressé à l’industrie financière européenne, notamment après le Brexit : rendre la place financière de Paris plus attractive – pour les financiers.

Vous nous expliquez, monsieur le ministre, qu’il faut encourager ceux qui prennent des risques et libérer la fortune d’un excès de taxes pour orienter les capitaux vers l’économie réelle.

D’illustres de vos prédécesseurs, en France et ailleurs, ont puisé aux mêmes sources du néolibéralisme. Pensons à Mme Thatcher, qui, dès les années 1980, tenait le même discours, dans les mêmes termes exactement, au sujet de la célèbre théorie du ruissellement que vous nous vendez aujourd’hui, devenue théorie des « premiers de cordée » dans sa version 2017. Premiers de cordée dont on apprend que beaucoup transfèrent leur richesse sous des cieux fiscaux plus cléments, aux Bermudes, à Jersey ou à l’île de Man – pas pour investir, mais pour fuir l’impôt…

Cette théorie du ruissellement n’a jamais fait la preuve de son efficacité. En effet, alors que la distribution des dividendes tend à diminuer partout dans le monde, la France reste championne d’Europe dans ce domaine.

Vous avez raison quand vous exprimez le souhait d’orienter l’argent vers l’économie réelle ; mais votre méthode ne répond pas du tout à cet objectif. Chacun sait pertinemment que moins de 2 % des transactions financières dans le monde ont un lien avec l’économie réelle !

Ce projet de loi de finances aurait dû être l’occasion de s’attaquer frontalement à la question criante des inégalités, au nécessaire renforcement des services publics et à la domination insolente des marchés financiers dans l’économie. Ce n’est pas le chemin que vous avez choisi.

Vos premières mesures montrent déjà leur nocivité. Songeons à la grande inquiétude des élus locaux à la suite des annonces de cet été sur les collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, votre budget va aggraver les inégalités. Allez-vous, demain, appliquer la double peine aux plus démunis ? Allez-vous persister dans vos choix généreux à l’endroit des plus aisés ?

L’état des lieux présenté au début de notre intervention n’étant pas pris en compte, vous comprendrez que le groupe CRCE ne puisse pas apporter son soutien à votre projet de loi de finances pour 2018 ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)