M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
Discussion générale (suite)

Exécution des peines des auteurs de violences conjugales

Discussion et retrait d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi sur le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales, présentée par Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues (proposition n° 621 [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 300, rapport n° 299).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi.

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai souhaité déposer, avec le soutien de la grande majorité des membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, a pour objet d’aborder les problèmes rencontrés dans l’application et l’aménagement des peines prononcées à l’encontre des auteurs de violences conjugales et de tenter d’y apporter une solution.

Les circonstances qui m’ont conduite à prendre cette initiative sont non seulement le résultat d’une réflexion personnelle engagée sur le fond dans le cadre des travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre depuis mon élection au Sénat en 2008, mais aussi le fruit de rencontres avec les acteurs associatifs dans mon département, la Haute-Garonne.

J’ai été alertée par un collectif associatif sur l’incompréhension des victimes de violences conjugales et de leur famille face aux conséquences de certaines décisions judiciaires en matière d’aménagement des peines. Les faits relatés posent le problème dans son ensemble et nous conduisent à nous interroger.

Un homme peut-il être placé derrière les barreaux pour de menus trafics de stupéfiants alors qu’un autre est laissé en liberté surveillée quand une décision de justice atteste que, à plusieurs reprises, il a violemment frappé sa compagne ?

Si l’on peut comprendre la démarche des juges de l’application des peines qui autorisent ces aménagements, on ne peut rester sourd à la détresse des familles, et souvent des enfants : le bourreau de leur mère est laissé libre à la suite d’une décision de justice qui l’a pourtant reconnu coupable. Le poids symbolique de cette pratique est extrêmement lourd de conséquences. C’est un contre-signal adressé en matière de lutte contre les violences conjugales.

On objectera peut-être que ma proposition de loi risque d’aggraver le phénomène de surpopulation carcérale. Les lieux de privation de liberté sont surchargés et la restriction des aménagements de peine aurait pour conséquence directe une augmentation des effectifs de ces établissements, mais les violences conjugales sont très spécifiques.

Ces violences se caractérisent par un dénominateur commun à l’auteur des faits et à la victime : je veux parler du déni, nourri par le phénomène de l’emprise. C’est une caractéristique constante de ce type de délit.

Le législateur ne doit perdre de vue ni cette particularité ni la question de l’avenir des enfants, lesquels sont souvent pris au piège dans des situations délétères pour leur construction. Il nous faut les protéger. Trop souvent, ils sont les premiers témoins, otages et malheureusement victimes collatérales prises dans les mailles des violences conjugales.

La réponse judiciaire à ces violences particulières est-elle appropriée ? Telle est la question que j’ai voulu soulever aujourd’hui.

Les institutions doivent réagir à la mesure du problème, car laisser les violences s’installer dans l’intimité des couples, c’est laisser le phénomène s’aggraver en fréquence et en intensité. Certains experts ont même proposé de supprimer les mains courantes en cas de violences conjugales, car elles donnent le signal aux victimes que leur plainte ne sera ni prise au sérieux ni suivie d’effet. Je ne suis pas allée jusqu’à cette extrémité dans ma proposition de loi, mais j’ai entendu les conseils de juges expérimentés.

L’arsenal juridique dont nous disposons prévoit insuffisamment une prise en charge des auteurs de violences, laquelle devrait se faire en amont, dès les premiers signalements.

J’ai choisi de déposer cette proposition de loi pour relever l’inadaptation des mesures alternatives à la privation de liberté aux cas de violences conjugales, a fortiori aux cas d’emprise, et pour nous conduire à nous interroger collectivement sur les situations concrètes et insupportables auxquelles sont confrontées les victimes et leurs familles.

Comment s’assurer que des aménagements de peine ne soient pas prononcés lorsque la liberté surveillée expose les victimes ou leurs familles à de nouvelles violences ? Nos magistrats sont-ils suffisamment formés pour déceler les phénomènes d’emprise poussant certaines victimes à demander elles-mêmes la remise en liberté de leurs agresseurs ? Autant de questions sans réponses…

Si je comprends la démarche des juges de l’application des peines qui prononcent ces aménagements, dont je n’ignore pas les raisons, je considère que le législateur ne peut rester sourd à la détresse des familles des victimes. C’est la raison pour laquelle mon texte prévoit d’exclure des dispositifs d’aménagement des peines, notamment ab initio, les auteurs de violences conjugales, afin de les maintenir à distance de leurs victimes.

Pour autant, j’ai bien entendu les réserves juridiques exprimées par nos collègues de la commission des lois, et je suis sensible à leurs arguments. Selon eux, l’article 1er aurait pour conséquence d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention alors que celles-ci pourraient réduire le risque de récidive. Ils ont par ailleurs estimé que l’article 2 porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Je peux le comprendre.

Mais c’est aussi à la loi de mettre en place les moyens de protéger les victimes en leur permettant de sortir du cercle infernal des violences. Actuellement, ce n’est pas le cas.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Que faites-vous pour les assassins ?

Mme Françoise Laborde. Selon le rapport de la commission, « le champ des infractions retenues pour l’application de ces dispositions apparaît d’inégale gravité, contrairement à celui des infractions terroristes dont les auteurs font l’objet d’un régime dérogatoire d’exécution des peines. »

Tout est question, en effet, d’appréciation de la gravité des infractions. Même si je ne mets pas sur le même plan terrorisme et violences conjugales, l’ampleur dans notre pays du fléau que nous évoquons est telle qu’on peut le considérer comme étant d’une extrême gravité.

Notre responsabilité face aux victimes est collective. Permettez-moi de vous rappeler le contexte global en quelques chiffres. Ces dix dernières années, le bilan des violences au sein des couples en France est toujours aussi implacable. Dans un rapport récent, la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes rappelait que, entre 2006 et 2016, 1 200 femmes sont mortes sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire intime. Cela représente un meurtre sur quatre commis en France.

Les violences au sein du couple restent donc un fléau, une réalité cruelle, en dépit de la mobilisation des services publics et du renforcement du cadre législatif. Plus de 223 000 femmes sont encore victimes de violences conjugales chaque année.

Cette question devra être abordée dans le cadre du projet de loi de programmation pour la justice que vous viendrez nous présenter dans les prochains mois, madame la ministre. Parmi les cinq chantiers de la réforme, celui sur le sens et l’efficacité des peines a retenu toute mon attention, et ma proposition de loi y aura toute sa place, car elle en relève. Elle pourrait peut-être également trouver un écho favorable dans le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles qui sera prochainement soumis au Parlement.

À la veille d’une réforme judiciaire et d’une loi contre les violences sexistes et sexuelles, je comprends que ma proposition de loi ne satisfasse pas les juristes les plus émérites de notre assemblée. J’espère néanmoins, mes chers collègues, que mes arguments vous auront convaincus de la nécessité de faire évoluer ces questions, dans le véhicule législatif qui conviendra, et conformément à l’esprit de ma proposition de loi. Il s’agit de renforcer l’efficacité des peines alternatives, de la façon la plus adaptée possible aux spécificités des actes de violence envers les femmes, dans les situations d’emprise conjugale.

D’expérience, je sais qu’il peut être nécessaire de déposer une proposition de loi pour ouvrir un débat de société et faire bouger les lignes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Dany Wattebled applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Mme Françoise Laborde prévoit la création d’un régime dérogatoire en matière d’exécution des peines applicable – et c’est ce qui nous gêne – aux seuls auteurs de violences conjugales.

Ces derniers seraient exclus de l’attribution des crédits de réduction de peine. Les personnes incarcérées pour ces violences ne pourraient également plus solliciter une suspension ou un fractionnement de leur peine pour un motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social. Enfin, ces personnes ne pourraient plus bénéficier de mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur.

Cette proposition de loi vise ainsi à appliquer le régime dérogatoire créé par la loi du 3 juin 2016, applicable aux personnes condamnées pour terrorisme, aux auteurs de violences conjugales. Nous partageons tous ici, chère collègue, l’objectif d’améliorer la lutte contre les violences conjugales. – en tant qu’adjointe à la sécurité de Tourcoing, j’ai été régulièrement confrontée à ces horreurs –, mais il nous faut avant tout être efficace.

La commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi en raison des nombreuses difficultés juridiques et pratiques qu’elle présente. Nous ne voulons pas céder à la démagogie ; vous non plus, je suppose. Nous essayons d’être rigoureux, car c’est l’essence même du travail du Sénat.

Tout d’abord, le champ des infractions retenues pour l’application du régime dérogatoire suscitait des questions. En premier lieu, il recouvre des violences d’inégale gravité. Par exemple, l’homicide par conjoint n’est pas visé alors qu’est inclus le délit d’appels malveillants. En second lieu, il concerne des infractions qui ne peuvent, par définition, être commises par un conjoint à l’encontre de sa victime. Par exemple sont visées certaines infractions pénales uniquement constituées lorsque les violences s’exercent en groupe : je pense au délit d’embuscade, ou encore en bande organisée.

En outre, il serait incohérent et contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi d’exclure les seuls auteurs de violences conjugales du bénéfice des crédits de réduction de peine et de la possibilité de voir leur peine aménagée dans un centre de semi-liberté, par exemple.

Comme je l’ai indiqué, cette proposition de loi s’inspire du régime dérogatoire applicable en matière de terrorisme. Or les dispositions dont il s’agit semblent difficilement pouvoir être étendues au champ des infractions retenues dans la proposition de loi qui recouvrent des comportements d’une inégale gravité. Certaines infractions visées ne sont réprimées que d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. À l’inverse, les infractions terroristes sont au minimum punies d’une peine de sept ans d’emprisonnement et au maximum de la réclusion criminelle à perpétuité. Ces infractions ne sont pas comparables.

Surtout, la commission des lois a estimé que cette proposition de loi serait contre-productive au regard de l’objectif poursuivi.

Par exemple, l’article 1er prévoit de réduire les mesures d’aménagement pouvant être proposées aux condamnés déjà incarcérés : or, a fortiori dans un cas de violences conjugales, il est nécessaire d’éviter les sorties sèches et d’accompagner les libérations des condamnés incarcérés par des mesures probatoires. Les suivis probatoires permettent d’obliger les condamnés à suivre des traitements, à se soigner, à ne pas rencontrer la victime, à participer à des groupes de parole. Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ces sujets avec des magistrats en commission.

Enfin, la proposition de loi ne semble pas répondre au problème soulevé.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le tribunal correctionnel, d’aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d’emprisonnement prononcées. Dès le stade du jugement, le tribunal correctionnel peut en effet aménager une peine d’emprisonnement en optant pour un placement sous surveillance électronique ou pour une mesure de semi-liberté. Aucune disposition n’est proposée pour modifier la procédure d’examen systématique par le juge de l’application des peines, en vue d’un aménagement, des peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans des condamnés non incarcérés. C’est cette procédure qui est en réalité très critiquée. Cette proposition de loi ne changerait donc rien au constat de non-exécution des petites peines d’emprisonnement.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique, en application de l’article 723-7 du code de procédure pénale.

Or je rappelle que le Sénat a déjà adopté plusieurs réformes d’envergure du régime d’exécution des peines. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous vous en inspirer. Nous reprendrons avec vous ce chantier quand vous le souhaiterez.

En janvier 2017, le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale, présentée par MM. François-Noël Buffet et Bruno Retailleau. Son article 20 vise à supprimer le principe de l’attribution automatique de crédits de réduction de peine pour tous les condamnés détenus et à adapter en conséquence le régime actuellement prévu pour les réductions supplémentaires de peine – c’est l’article 721-1 du code de procédure pénale –, lequel deviendrait le seul régime de réduction de peine.

Surtout, en octobre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentée par le président de la commission des lois, Philippe Bas. Son article 27 prévoit la suppression de l’obligation d’examen, par le juge de l’application des peines, avant mise à exécution, de toutes les peines d’une durée inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, ou un an en état de récidive légale.

Cette mesure permettrait de répondre à la légitime incompréhension des victimes, dont vous parliez tout à l’heure, chère collègue, ou de leurs proches de ne pas voir incarcérer une personne condamnée à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, par exemple.

Beaucoup de choses doivent encore être faites pour améliorer la protection des victimes de violences conjugales. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame Laborde. Il faut notamment généraliser le dispositif téléphone grave danger ou encadrer les dépôts de plainte. Néanmoins, ce texte ne paraît pas répondre aux problèmes soulevés. Il serait au contraire contre-productif pour lutter contre la récidive en matière de violences conjugales.

En tant que parlementaires, nous devons être sincères. Écrire des textes pour le seul plaisir de les écrire, ce n’est pas la devise du Sénat. Ensemble, soyons efficaces, objectifs, pour protéger les personnes les plus vulnérables, les victimes, qu’il s’agisse de femmes ou d’enfants. Nous avons encore beaucoup de choses à faire, madame Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Guillaume Arnell applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’initiative prise par le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et plus particulièrement par Mme Françoise Laborde, que je salue amicalement, mérite toute notre attention, même si, je le dis d’emblée, le Gouvernement ne pourra pas la suivre pour des raisons que j’évoquerai et qui rejoignent pour l’essentiel celles qui viennent d’être exposées par Mme la rapporteur.

Votre initiative, madame Laborde, doit en effet être saluée, car elle nous donne l’occasion de revenir sur la question des violences conjugales, ces violences inacceptables dont sont parfois témoins les enfants, comme vous l’avez rappelé, et contre lesquelles les pouvoirs publics mènent une politique inscrite dans la durée, avec une grande continuité d’action.

S’inspirant du régime applicable aux auteurs d’infractions terroristes depuis la loi du 21 juillet 2016, le texte prévoit de durcir les conditions d’incarcération des auteurs d’infractions commises à l’encontre de leur conjoint, concubin ou partenaire de PACS.

Plus précisément, ce texte prévoit, en son article 1er, que les personnes condamnées pour des faits de violences, de harcèlement, d’enregistrement et de diffusion d’images violentes, ou encore de viol commis à l’encontre de leur conjoint ne pourront dorénavant plus bénéficier de certains aménagements de peine, comme la suspension ou le fractionnement de peine, le placement extérieur ou la semi-liberté.

Il prévoit, par ailleurs, dans son article 2, que ces mêmes personnes ne pourront plus non plus bénéficier de crédits de réduction de peine.

Cette proposition a naturellement retenu l’attention du Gouvernement, tant celle de la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marlène Schiappa, que la mienne.

Vous le savez, le ministère de la justice est particulièrement impliqué dans la lutte contre les violences conjugales qui constitue l’une des priorités de la politique pénale que nous défendons depuis de nombreuses années.

De même, je porte une attention toute particulière à la question de l’exécution des peines et de l’adaptation de notre politique pénitentiaire aux différents besoins de la société. Ce sujet fera d’ailleurs l’objet, d’ici à l’été, de débats devant le Parlement lors de l’examen du projet de loi de programmation pour la justice, texte qui comportera des mesures pénales pour redonner du sens et de l’efficacité à la peine.

À cet égard, le Gouvernement ne peut que se féliciter de l’attention portée par votre assemblée à ces questions. Nous avons déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’en débattre, tant au sein de la commission des lois que dans cet hémicycle.

Cela étant dit, je pense néanmoins que, si le texte qui vous est présenté aujourd’hui part d’un objectif louable, il pose des difficultés de principe d’un point de vue juridique et de nature pratique.

Les dispositions de cette proposition de loi, si elles étaient adoptées, pourraient ainsi, et de manière paradoxale, se révéler plutôt contre-productives au regard de l’importante mobilisation dont fait actuellement preuve le ministère de la justice sur ces questions à travers une politique pénale et pénitentiaire méticuleusement construite ces dernières années.

Pour ces raisons, je l’ai dit, le Gouvernement ne pourra pas être favorable à ce texte, même s’il reconnaît l’intérêt des objectifs poursuivis.

Dans un premier temps, j’évoquerai les difficultés soulevées par cette proposition de loi. Elles sont de deux ordres : d’opportunité et de constitutionnalité.

J’évoquerai les difficultés en termes d’opportunité, tout d’abord. Le mécanisme proposé exclut systématiquement les auteurs d’infractions commises sur leur conjoint de certains aménagements de peine. Or cette adaptation des modalités d’exécution des peines est indispensable en termes d’efficacité.

On le sait, il n’y a rien de pire, en matière de prévention de la récidive, qu’une sortie de détention « sèche », sans accompagnement par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, accompagnement que permettent justement les mesures d’aménagement de peine.

En la matière, il convient de laisser à la disposition du juge de l’application des peines la plus large palette possible de mesures, afin qu’il puisse mettre en place un suivi individualisé et adapté à la problématique de l’auteur.

Cette adaptation est nécessaire, car les faits de violences conjugales peuvent être extrêmement divers. Certains sont habituels au sein du couple, d’autres peuvent survenir de manière ponctuelle, voire unique, par exemple lors d’une séparation.

Par ailleurs, il n’y a pas de profil type d’auteur de violences conjugales. Dans certains cas, un contexte de dépendance alcoolique chez l’auteur des faits peut être détecté. Il est alors impératif que le juge de l’application des peines puisse en tenir compte, aménager la peine et prévoir à cette occasion une mesure de soins de cette addiction. Un tel accompagnement peut éviter de nouveaux passages à l’acte liés à ladite addiction.

Dans d’autres cas, les ressorts du passage à l’acte peuvent trouver leur racine dans une structuration pathologique de la personnalité et du caractère de l’auteur.

On le voit bien, on ne peut pas, en la matière, raisonner à l’aune d’un mécanisme prévoyant une exclusion automatique de telle ou telle mesure d’aménagement de peine. Les magistrats doivent rester en mesure d’apprécier, en fonction des faits commis, des éléments de personnalité de l’auteur, des expertises psychologiques réalisées, du projet professionnel présenté par le condamné, de l’intérêt de la victime, si l’octroi d’un aménagement est ou non opportun.

J’insiste à cet égard sur le fait que la préservation des droits et la protection de la victime font bien partie intégrante des critères examinés par les magistrats lorsqu’ils apprécient l’opportunité de l’octroi d’une mesure d’aménagement de peine.

Quelles sont les mesures d’aménagement de peine que la proposition de loi entend désormais prohiber pour ce type de condamnés ?

Il s’agit tout d’abord des mesures de suspension et de fractionnement de peine. Ces mesures peuvent être décidées pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social et sont destinées à faire face à des situations particulières qui s’opposent, matériellement et en opportunité, au maintien en détention. Les exclure pour une certaine catégorie d’auteurs d’infraction rendrait en pratique beaucoup plus complexe la prise en charge de ce public par l’administration pénitentiaire et par l’autorité judiciaire.

Il s’agit ensuite de la semi-liberté et du placement extérieur. Ces mesures permettent à l’heure actuelle d’offrir un accompagnement soutenu et un encadrement renforcé grâce à l’hébergement en centre pénitentiaire de semi-liberté ou dans une structure associative conventionnée en placement à l’extérieur, au sein de l’association Emmaüs, de l’Armée du salut ou de l’association Horizon à Meaux, par exemple. De telles mesures se révèlent également opportunes lorsque sont prononcées, dans ce cadre, certaines interdictions prévues par le code pénal, comme celles de résider hors du domicile conjugal ou de ne pas paraître à ses abords. Elles permettent également d’imposer à l’intéressé certaines obligations, comme celle de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique.

Il s’agit enfin de la suppression des crédits de réduction de peine. Cette suppression aurait des conséquences très négatives, me semble-t-il, sur la mobilisation des personnes détenues pour ce type de faits dans le cadre de leur parcours d’exécution de peine, dès lors que leur mauvaise conduite en détention ne pourrait plus entraîner de retrait du crédit de réduction de peine par le juge de l’application des peines.

Si le dispositif que vous proposez, madame la sénatrice, était adopté, il pourrait paradoxalement en résulter un moins bon suivi en sortie de détention des auteurs de violences conjugales. Par ailleurs, ces mêmes détenus pourraient ne plus être encouragés à adopter un comportement adapté pendant la durée de leur emprisonnement.

À ces difficultés en termes d’opportunité s’ajoutent des difficultés de nature constitutionnelle.

Cette proposition de loi se heurte aux principes constitutionnels – vous le craigniez d’ailleurs vous-même, madame la sénatrice – d’égalité, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines.

Ces principes, appliqués au cas présent, exigent en effet un traitement équivalent des auteurs d’infractions commises à l’encontre de leur conjoint et des auteurs d’infractions de même gravité. Or cette proposition de loi, qui prévoit un régime dérogatoire, introduit une distinction difficile à justifier en droit entre des situations de gravité équivalente.

D’une part, les condamnés visés par ce texte se verront appliquer un régime plus rigoureux que certains condamnés pour des infractions réprimées plus sévèrement. Par exemple, une personne condamnée pour des faits d’agression sexuelle commise sur un mineur de moins de quinze ans pourra bénéficier de l’ensemble des mesures d’aménagement de peine offertes par la loi, ainsi que de la totalité des crédits de réduction de peine, alors que la même personne, condamnée pour des faits de violences par conjoint, ne le pourra pas.

D’autre part, la proposition de loi vise non pas toutes les infractions susceptibles d’être aggravées par la conjugalité, mais seulement certaines d’entre elles, introduisant par là même une rupture d’égalité entre auteurs d’infractions au préjudice de leur conjoint.

Ainsi, à la lecture du texte proposé, il apparaît que le condamné pour violences conjugales sera exclu du bénéfice des crédits de réduction de peines et de certains aménagements, tandis que le condamné pour agression sexuelle sur son conjoint pourra, quant à lui, en bénéficier.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Pour autant, l’occasion m’est donnée d’insister sur les actions que nous menons en la matière. Je tiens à vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur le fond, nous partageons pleinement l’objectif des auteurs de ce texte, à savoir mieux protéger les victimes de ce type de faits inacceptables.

Après avoir évoqué les difficultés soulevées par la proposition de loi, je rappellerai brièvement que les dispositions légales en vigueur permettent déjà la prise en charge efficiente des auteurs de ces infractions.

Le ministère de la justice – tant l’autorité judiciaire que l’administration pénitentiaire – mène en effet, en la matière, une politique pénale et pénitentiaire particulièrement volontariste visant tout à la fois à prévenir la récidive chez les personnes condamnées, mais également à mieux protéger les victimes.

En matière de prévention de la récidive, dans le cadre du suivi des personnes placées sous main de justice, les services pénitentiaires d’insertion et de probation mettent en œuvre, sous le contrôle des juges de l’application des peines, des modalités de suivi individualisées et différenciées en fonction des problématiques à l’origine de leurs passages à l’acte délictueux.

Les méthodes utilisées, qu’il s’agisse d’entretiens motivationnels, de participation à des groupes de parole, visent à modifier les schémas comportementaux des personnes condamnées pour violences conjugales en les sensibilisant à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

À ce titre, plusieurs dispositifs spécifiques sont mis en œuvre par l’administration pénitentiaire, en liaison notamment avec des associations spécialisées, plus particulièrement avec celles qui interviennent en matière d’aide aux victimes.

Ainsi, en milieu fermé, des actions visant à lutter contre les stéréotypes fondés sur le sexe dans les lieux de privation de liberté sont mises en place. Dans ce cadre, on veille à ce que la gamme des formations ou des activités proposées aux personnes détenues, y compris les activités sportives et culturelles, soit aussi large que possible, en y incluant des dimensions liées au respect d’autrui, aux violences conjugales et aux violences faites aux femmes.

En milieu ouvert et en milieu fermé, les services pénitentiaires d’insertion et de probation développent des dispositifs de prise en charge collective, sous la forme de groupes de parole animés par des conseillers d’insertion et de probation et appelés « programmes de prévention de la récidive ». Ces programmes visent à faire travailler collectivement les condamnés sur le passage à l’acte délictueux et sur ses conséquences pour la victime et la société. Il y est ainsi question de confronter les vécus et d’apporter un certain nombre de repères – rappel à la loi, éducation civique, mise en commun des expériences – à des détenus ou à des probationnaires ayant commis des actes de même nature, afin de faire évoluer la représentation que se font les intéressés de leurs gestes et, partant, de prévenir la réitération du passage à l’acte.

En 2016, 35 programmes de prévention de la récidive relatifs aux violences conjugales et intrafamiliales ont ainsi été organisés sur le territoire national au bénéfice de 1 360 personnes placées sous main de justice.

Cette démarche dynamique de prévention de la réitération ou de la récidive trouve également une illustration au travers du développement, en milieu ouvert, des stages de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et les violences sexistes, stages créés par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. En 2016, 67 stages de cette nature ont été organisés au bénéfice de 388 personnes placées sous main de justice.

Pour protéger les victimes de violences conjugales, nous menons également un certain nombre d’actions.

En complément des dispositifs juridiques existants, qui permettent notamment l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal, le ministère de la justice généralise actuellement un dispositif qui a fait ses preuves : le « Téléphone grave danger ».

Ce dispositif de téléprotection peut être attribué, pour une durée de six mois renouvelable, par le procureur de la République à une victime de violences conjugales, dont l’auteur est soumis à une mesure d’interdiction d’entrer en contact.

Il est d’une grande utilité pour sécuriser les femmes victimes de violences conjugales. Connu également sous son sigle TGD, il permet en effet d’alerter rapidement les forces de l’ordre et de géolocaliser la personne bénéficiaire si celle-ci se sent en danger.

En décembre 2017, le nombre de TGD déployés en juridiction s’élevait à 543. Dans le cadre d’un nouveau marché public entré en vigueur en 2018, il sera prochainement porté à 634.

Le déploiement du TGD s’inscrit dans le cadre du nouveau plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2017-2019, qui prévoit de nombreuses mesures, parmi lesquelles l’extension de ce déploiement aux territoires d’outre-mer.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, la politique pénale et pénitentiaire en matière de lutte contre les violences conjugales est une politique publique particulièrement volontaire et aboutie, qui s’inscrit, je tiens vraiment à le souligner, dans une grande continuité d’action depuis plusieurs années.

Les peines encourues en matière de violences conjugales, qui, je vous le rappelle, vont de trois à dix années d’emprisonnement en fonction de l’incapacité totale de travail constatée, et la politique pénale empreinte de fermeté menée par les parquets attestent de la pleine conscience et de la mobilisation des pouvoirs publics dans la lutte contre ce type de faits tout simplement inacceptables.

Cette politique ne peut toutefois se réduire à une approche purement sécuritaire et à un traitement qu’on pourrait qualifier d’exclusivement « carcéral » des auteurs de ce type de faits. Au travers de la politique pénale et pénitentiaire que je viens de décrire, le Gouvernement souhaite consolider l’édifice, patiemment et méticuleusement construit tout au long de ces dernières années, afin de prévenir les violences conjugales, de protéger les victimes et de réprimer les auteurs.

Pour l’ensemble de ces motifs, et malgré tout l’intérêt que présente cette proposition de loi, le Gouvernement ne pourra que donner un avis défavorable au texte qui vous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et Mme la rapporteur applaudissent également.)