Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Madame la secrétaire d’État, cela fait plus de quarante ans que des lois imposent comme principe essentiel l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Or, en 2018, l’écart salarial à poste égal est de 10 %. C’est une différence injustifiée et une véritable discrimination. Et c’est un échec collectif, vous venez de le souligner.

Il est bien sûr urgent de faire respecter la loi, mais c’est surtout en amont qu’il faut travailler à changer les mentalités, car si, pour la même tâche, une femme est payée moins cher qu’un homme, cela sous-entend qu’elle a moins de valeur. C’est le constat que nous faisons à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, que préside ma collègue Annick Billon.

Tout le monde doit s’y mettre : Gouvernement, élus, partenaires sociaux, entreprises publiques et privées. Mais l’exemple doit venir du sommet de l’État.

Vous avez récemment déclaré, madame la secrétaire d’État, que, dans le monde professionnel, lorsqu’on cherche des femmes compétentes, on en trouve.

Pourriez-vous donc être notre porte-parole auprès du Président de la République, car, parmi les douze conseillers nommés auprès de lui, on ne compte qu’une seule femme ? (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Et, sur les cinquante-trois membres de son cabinet, on ne compte que treize femmes, soit 22 % ! (Mêmes mouvements.)

Montrons l’exemple ! Les mots doivent faire place aux actes. Le Président de la République a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes la grande cause du quinquennat. Mais, au-delà des annonces, ce sont des actions que les Français attendent. Je reste sceptique quant à vos annonces, et nous serons extrêmement vigilants.

Madame la secrétaire d’État, vous engagez-vous à venir nous confirmer prochainement que vous avez modifié cet équilibre auprès du Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, vous évoquez deux sujets qui sont liés, et que je résume : comment faire le changement ?

Pour faire le changement, chacun doit s’impliquer à son niveau.

Le secteur public doit donner l’exemple. On pourrait penser que la tâche y est plus aisée, que les classifications et les statuts facilitent l’égalité, mais, dans les faits, l’accès aux carrières n’y est pas forcément le même pour les femmes et les pour les hommes : malgré les grands progrès qui ont été réalisés dans le passé, nous n’y sommes pas encore. C’est pourquoi nous avons prévu pour la fonction publique le grand plan que j’évoquais à l’instant, qui sera piloté par la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et le secrétaire d’État chargé de la fonction publique

Dans le secteur privé, vous avez raison, il faut non seulement adopter des mesures visant à encourager l’égalité, mais aussi faire prendre conscience aux dirigeants qu’il leur est indispensable de respecter la loi parce que c’est la loi, mais aussi parce qu’ils y ont tout intérêt, comme nous l’avons encore constaté ce matin dans l’entreprise Sodexo : les entreprises qui pratiquent une vraie parité et une vraie mixité à tous les niveaux – je dis bien à tous les niveaux –, sont plus innovantes, plus attractives pour les talents et plus performantes.

C’est pour cette raison que nous avons proposé aux partenaires sociaux – et nous allons en discuter – que, dans les sociétés cotées, les dirigeants aient à se prononcer tous les ans sur deux points.

Premièrement, ils devront délibérer sur le bilan de l’égalité salariale dans les entreprises. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dans une logique de « comply or explain », c’est-à-dire « appliquer ou expliquer », il est difficile de justifier que cela ne fonctionne pas.

M. Gilbert Bouchet. La réponse !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Deuxièmement, ils devront s’expliquer sur la question de la mixité dans les « Top 100 ». (M. Jackie Pierre sexclame.)

Sur cette question, le Gouvernement a fait un grand progrès : il ne vous aura pas échappé que la moitié du Gouvernement est composée de femmes – cela n’a pas toujours été le cas ! – (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et une grande partie des cabinets ministériels sont dès aujourd’hui paritaires.

M. François Bonhomme. Vous êtes trop modeste !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Pas tous, mais on œuvre en ce sens. Il faut encore progresser, on ne dit pas qu’on est parfait.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mais cela se construit, et il faut le faire dans le secteur public comme dans le secteur privé. (MM. Martin Lévrier et François Patriat applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour la réplique, en huit secondes.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Il y a urgence ; on est au pied du mur ! On n’a pas le droit de dire qu’on ne peut pas être parfait. La preuve par l’exemple, voilà ce qui est important, madame la ministre ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

conditions de détention des femmes

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la garde des sceaux, en cette Journée internationale de la femme,…

Mme Éliane Assassi. C’est la Journée internationale des droits des femmes !

Mme Jocelyne Guidez. … je veux appeler votre attention sur une population souvent oubliée et parfois abandonnée : les femmes incarcérées. Au 1er janvier 2018, nous en comptions près de 3 000.

Dans un premier temps, je tiens à saluer la décision visant à installer, au mois de septembre prochain, une crèche pour accueillir les bébés à Fleury-Mérogis. Cette mesure de bon sens mérite d’être généralisée.

Cependant, comme un arbre qui cache la forêt, cette bonne nouvelle masque une situation plus contrastée. Les défis à relever sont encore immenses, en particulier pour ce qui concerne les conditions de détention des femmes.

En effet, dans certains établissements, notamment à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, un accès limité et non quotidien aux douches est à déplorer, tandis que les hommes ont des douches à leur disposition dans leur cellule. Cette triste réalité conduit le personnel soignant à prescrire des « douches médicales ». Cette inégalité de fait est inacceptable.

Par ailleurs, d’autres difficultés sont à souligner : les faibles activités proposées, qui sont souvent limitées aux seules activités ménagères ; la localisation géographique des établissements, complexifiant ainsi le maintien des liens familiaux ; sans oublier l’accès aux soins, notamment les soins gynécologiques.

Comme l’a si bien rappelé la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son avis du 25 janvier 2016, « le principe d’égalité entre les hommes et les femmes doit s’appliquer dans l’intégralité de la société, celle du “dehors” comme celle du “dedans”, et les personnes privées de liberté doivent également en bénéficier sans restriction ».

Mes chers collègues, il y a donc urgence !

En conclusion, les exigences en matière d’égalité et de respect de la dignité humaine ne peuvent nous laisser insensibles.

Madame la garde des sceaux, comment le Gouvernement entend-il pallier ces injustices ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, il m’est difficile de répondre à votre question sans penser à Olympe de Gouges et à sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Au fond, si, aujourd’hui, nous parlons ici, vous, moi-même et tant d’autres, c’est aussi parce qu’elle a dit : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Mais je pense plus précisément à elle parce qu’elle a également explicité dans cette même déclaration que la rigueur de la loi pénale devait s’appliquer de la même manière aux hommes et aux femmes ; c’est une autre version du principe d’égalité.

Or la question que vous soulevez a précisément à voir avec ce principe d’égalité. Aujourd’hui, vous le savez, les femmes sont certes évidemment moins nombreuses que les hommes en détention – 3 000, avez-vous dit, sur 70 000 détenus, mais ce chiffre s’accroît constamment. Nous leur devons à la fois la dignité, le suivi du parcours de détention et la sécurité, bien sûr, pour la société, comme à tout détenu.

Nous héritons d’une situation que nous devons prendre en charge et à laquelle nous devons bien entendu trouver des réponses.

Cette situation est de nature immobilière. Vous l’avez relevé, à juste titre, les quartiers des femmes sont souvent situés dans des endroits vétustes – c’est aussi certes le cas pour les hommes, mais cela vaut particulièrement pour les femmes. Nous devons donc améliorer cet état de fait.

Par ailleurs, nous devons prendre en charge les questions spécifiques aux femmes, c’est-à-dire assurer le suivi, lorsque cela s’avère nécessaire, en période d’accouchement, puis dans les cellules mères-enfants le temps où les enfants leur sont laissés et nous préoccuper, enfin, du lien avec la famille bien entendu et de la réinsertion. Il convient donc d’opérer des évolutions majeures ; nous le savons et nous les prendrons en charge, dans le cadre de la réponse apportée il y a deux jours par le Président de la République à Agen.

Nous apporterons des réponses de nature immobilière. Je puis d’ores et déjà vous indiquer que, dans le nouvel établissement pénitentiaire qui ouvrira en 2020 à Lutterbach, un lieu sera réservé aux femmes, avec des conditions d’accueil tout à fait décentes.

Mme la présidente. Merci, madame la garde des sceaux !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous multiplierons ce type de réponses sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur plusieurs travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

mercosur et veto climatique

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Ronan Dantec. Ma question s’adresse à M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Une commission indépendante composée d’experts, mandatée par le Premier ministre et présidée par l’économiste Katheline Schubert, a remis, en septembre dernier, au Gouvernement un rapport l’alertant sur les impacts environnementaux, climatiques et sanitaires de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le fameux CETA.

Confirmant en partie les craintes qui s’étaient exprimées, les rapporteurs ont fait preuve d’inventivité en proposant la création d’un « veto climatique » face aux impacts de certaines dispositions envisagées quand les objectifs en matière de respect des enjeux liés au développement durable et des accords climatiques ne sont pas respectés et sont « loin d’être atteints ».

À la suite de ces recommandations, vous avez, monsieur le ministre d’État, intégré le principe du veto climatique dans le plan d’action du Gouvernement sur le CETA, sans toutefois en donner les conditions juridiques d’opérationnalité, ce qui a entraîné le scepticisme des ONG environnementales.

Aujourd’hui, les discussions sur les échanges commerciaux avec l’Amérique latine sont en cours dans le cadre du Mercosur. De nombreuses questions de compatibilité des modes de production et de consommation entre les parties prenantes sont là encore au cœur des débats, notamment concernant l’agriculture, et plus particulièrement l’élevage bovin. Le groupe radical du Sénat a d’ailleurs déposé une proposition de résolution, portée par le président Requier, sur ce volet.

Nous pouvons aussi aisément ajouter aux impacts sur l’économie de la viande bovine en France et en Europe les conséquences en termes climatiques, puisque cette production est, nous le savons, fortement émettrice de gaz à effet de serre et responsable de déforestation.

Monsieur le ministre d’État, nous partageons, me semble-t-il, la conviction que les négociations commerciales sont un des principaux leviers de mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat. Je souhaite donc vous poser une double question.

Premièrement, avez-vous défini les critères d’instauration du veto climatique, dont l’utilisation a été recommandée dans le cadre de ce rapport ? Deuxièmement, pourrait-on envisager que ce veto s’applique dans le cadre du Mercosur…

M. Ronan Dantec. … si celui-ci entraîne, comme le CETA, des risques de fragilisation des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Nicolas Hulot, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Ronan Dantec, je rêve d’un temps que j’espère proche où l’on parlera non plus d’accord ou de traité de libre-échange, mais d’accord ou de traité de juste échange.

Vous m’interrogez, monsieur le sénateur, à juste titre – vous savez que je partage votre préoccupation – sur la mise en œuvre du veto climatique dans le cadre du CETA et sur la prise en compte environnementale – ce point fait partie de la même réflexion – dans les accords commerciaux, notamment dans le cadre du Mercosur.

Pour ma part, je me fie aux propos du Président de la République et je fais mienne la ligne qu’il a définie : en matière de politique commerciale, on ne bradera ni nos intérêts ni nos valeurs et évidemment encore moins la planète.

Concernant le veto climatique dans le cadre du CETA, la Commission européenne – où j’étais encore récemment – s’est déclarée prête – il faut prendre en compte cette donnée avec prudence – à travailler à sa mise en place ; c’est une première avancée. Concrètement, cela prendrait la forme d’une nouvelle déclaration juridique interprétative, qui devrait être adossée à la partie consacrée aux investissements du CETA, mais il nous faut encore obtenir l’accord du Conseil avant de pouvoir finaliser le dispositif avec le Canada. Je ne vous le cache pas, nous devrons faire durant le printemps un véritable travail de conviction à la fois auprès de nos partenaires européens et évidemment de nos amis canadiens.

S’agissant du Mercosur, vous avez probablement entendu le Président de la République déclarer très clairement devant les jeunes agriculteurs le 22 février dernier : il y a des lignes rouges en matière d’indications géographiques, sanitaire et phytosanitaire, mais aussi de respect de l’accord de Paris. C’est bien parce que ces lignes rouges ont été affirmées que l’accord n’a pas encore été conclu. Le Président de la République avait alors aussi rappelé que l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur n’entrerait pas en vigueur tant que l’Union n’aura pas renforcé ses normes sanitaires et environnementales et que l’on n’aura pas obtenu de garanties quant au respect de ces normes. La France s’opposera à la mise en œuvre du Mercosur si ce travail n’est pas fait en amont. L’accord n’entrera donc pas en vigueur si nous n’avons pas satisfaction sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur plusieurs travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

formation professionnelle

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre du travail.

Madame la ministre, la formation professionnelle est la pierre angulaire de la lutte contre le chômage et du renforcement de la compétitivité des entreprises.

La volonté, louable, de réformer la formation professionnelle n’est pas nouvelle : l’atteste la création du compte personnel de formation, le CPF, sous le précédent gouvernement.

Votre projet contient certaines avancées pour les travailleurs, j’en conviens : droit à la formation accru pour les salariés faiblement qualifiés, création d’un compte personnel de formation de transition, par exemple. Mais il est aussi porteur d’interrogations, d’inquiétudes, de défiance, de regrets.

D’abord, sur la méthode d’un big-bang, au moins pour le volet gouvernance, proposé de manière unilatérale, sans concertation, des inquiétudes sont nées, au premier rang desquelles la monétisation du CPF. Comment ne pas craindre un affaiblissement du droit à la formation de certains salariés ? Les 500 euros d’aujourd’hui ou de demain suffiront-ils à financer les 20 heures de formation d’hier, et ce dans tous les territoires ?

Ensuite, nous nous interrogeons sur la place des régions dans la gouvernance de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi.

Votre projet opère un transfert des organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, vers l’URSSAF. Ce dernier organisme ne doit pas conduire à écarter les branches professionnelles ni les organisations syndicales de la définition des besoins en compétence. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

La réforme, enfin, va dans le sens de l’individualisation. Mais la formation professionnelle ne peut se réduire à « un clic » via une application mobile. Ces éléments ne doivent pas entraîner une régression de l’accompagnement du salarié dans l’exercice de son droit à la formation.

Madame la ministre, le big-bang annoncé sera-t-il à la hauteur des attentes sociales et des mutations de notre économie ? Le doute est permis quand ni les chômeurs de longue durée, ni les travailleurs handicapés, ni les indépendants n’y ont trouvé place. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Daudigny, l’enjeu que nous avons en matière de formation professionnelle est aujourd’hui double.

Notre système, qui constituait une grande avancée – la France était en avance dans les années soixante-dix et quatre-vingt –, est aujourd’hui en échec dans le domaine de l’égalité des chances. En effet, il n’est pas juste : les ouvriers et les employés ont deux fois moins de chances de se former que les cadres, alors qu’ils n’ont pas moins de besoins ; seul un chômeur sur dix a accès à la formation chaque année ; les salariés des petites et moyennes entreprises ont deux fois moins de chances de se former que ceux des grandes entreprises ; 500 000 travailleurs handicapés sont au chômage, faute de qualifications pour la plupart d’entre eux, parce qu’ils en ont eu peu dans le cadre de leur formation initiale et n’en ont toujours pas en formation continue, et je pourrais continuer ainsi la liste.

Si l’on ne change pas radicalement quelque chose dans notre système de formation professionnelle, nous ferons le même constat sur le plan social : le train de la croissance va reprendre, entraînant des créations d’emplois, et une grande partie de nos concitoyens ne pourront pas monter dans ce train parce qu’ils n’auront pas les compétences nécessaires.

Du côté des petites et moyennes entreprises, là non plus le compte n’y est pas. Avec les transformations majeures à venir, à savoir la transition écologique et la transformation numérique – tous les métiers sont concernés –, on estime que, dans les dix ans à venir, 50 % des métiers vont être profondément transformés. Là encore, si l’on n’inverse pas les choses, si l’on ne donne pas la priorité aux TPME, les très petites ou moyennes entreprises, celles-ci vivront dans dix ou vingt ans des désastres, alors qu’elles constituent notre terreau économique rural.

Pour ces raisons, j’ai salué l’accord des partenaires sociaux sur les droits des salariés, qui va beaucoup plus loin : les salariés auront plus de droits. Dans le même temps, nous le savons, aujourd’hui, le système n’aide pas les petites entreprises, ni les moins qualifiés pour nombre de raisons qu’il serait trop long de vous exposer maintenant, mais que j’aurai l’honneur de vous présenter lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ; nous pourrons alors entrer dans le détail du dispositif.

Pour conclure, je veux dire que l’unité en euros est plus juste : une caissière de supermarché aura le même droit à la formation qu’un ingénieur. Et je vous en convaincrai, j’en suis certaine. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

représentation proportionnelle

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Luche et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Depuis dimanche dernier, l’Italie observe au Palais du Quirinal le président Sergio Mattarella tenter de dénouer le nœud gordien issu des urnes… Tout comme la France observait il y a soixante ans le président René Coty à l’Élysée.

C’était chez nous le temps de la proportionnelle avec ses majorités éphémères, construites sur des compromis de couloir. C’était le temps où l’on changeait de gouvernement tous les cinq mois.

Aujourd’hui encore, il y a des pays sans exécutif, avec un gouvernement sortant qui expédie les affaires courantes. Cette situation a duré des mois en Belgique en 2007 et en 2010 ; des mois en Espagne voilà deux ans, cinq mois en Allemagne récemment, et c’est désormais au tour de l’Italie.

Car, au-delà des formes multiples que prennent, dans chaque pays, les expressions extrêmes ou démagogiques, il existe, monsieur le Premier ministre, un dénominateur commun à tous ces exemples : la proportionnelle intégrale ou partielle. (Mme Brigitte Lherbier et M. Jacques Genest applaudissent.)

Grâce au général de Gaulle et aux pères fondateurs de la Ve République, les Français élisent, quant à eux, leurs députés au scrutin majoritaire à deux tours. Ils bénéficient en retour de majorités claires et stables.

Monsieur le Premier ministre, au vu des situations vécues par nos voisins et amis, le Gouvernement est-il toujours enclin à introduire une dose substantielle de proportionnelle ? Peut-il prendre le risque d’ajouter à terme aux difficultés économiques du pays une crise politique ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la révision constitutionnelle à venir concernant à la fois le nombre de parlementaires et le mode de scrutin qui permettra de désigner les parlementaires représentant le peuple.

M. Philippe Bas. La question porte seulement sur le mode de scrutin !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez commencé votre propos en parlant de l’Italie et en mentionnant René Coty. Sachez que cette allusion va droit au cœur du Havrais que je suis, car il était Havrais.

Vous avez ensuite évoqué le risque politique qui, selon vous, s’attache au blocage institutionnel et serait nécessairement lié au scrutin proportionnel.

Le débat entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel est ancien. Je me permets de vous faire observer, monsieur le sénateur, que la Ve République elle-même a vécu pendant un temps avec un scrutin proportionnel intégral.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Merci Mitterrand !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si l’on peut s’interroger sur les décisions qui ont été prises par les majorités issues de ces scrutins, personne, monsieur le sénateur – et certainement pas le Sénat ! –, aucun citoyen de bonne foi ne peut dire que les institutions auraient été pendant ces années-là bloquées. En aucune façon !

Je me permets également de vous faire observer, monsieur le sénateur, qu’il est arrivé que des majorités relatives gouvernent sous la Ve République, et ce n’était pas lorsque le scrutin proportionnel intégral était en vigueur. (M. François Bonhomme sexclame.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Comme quoi, vous le savez parfaitement, monsieur le sénateur, les choses sont parfois un peu plus compliquées que ce qu’elles donnent à voir.

Je me permets enfin de vous faire remarquer que le système allemand, qui repose sur la proportionnelle, a permis le renouvellement pendant plusieurs mandats des mêmes majorités (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), des majorités stables sous Helmut Kohl, sous Gerhard Schröder et sous Angela Merkel.

M. François Grosdidier. Ce n’est plus le cas aujourd’hui !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ces majorités ont permis, reconnaissons-le, une action publique cohérente, courageuse et continue.

Si je vous dis cela, monsieur le sénateur, c’est parce que le Président de la République s’est engagé pendant sa campagne à introduire une dose de proportionnelle dans la désignation des députés. Je relève d’ailleurs que la dose de proportionnelle existe au Sénat, et je n’ai pas compris que vous proposiez de revenir sur ce point.

Pourquoi introduire une dose de proportionnelle pour l’élection des députés ? Pour permettre à des pans assez larges de la population française et des électeurs français d’avoir la garantie d’être représentés au sein de l’Assemblée nationale. Une dose de proportionnelle comprise entre 10 % et 25 % : telle est la proposition qui a été faite. Entre 10 % et 25 % – M. de La Palice n’aurait pas dit mieux –, cela veut dire que le scrutin majoritaire prévaudra entre 75 % et 90 %. Je ne crois pas qu’avec une telle modification nous remettions en cause la logique des institutions.