M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui pourrait se résumer en deux mots : « confiance » et « simplification ».

Vous le savez autant que moi, la confiance ne se décrète pas. Elle s’obtient par l’action et par un travail quotidien. Une fois perdue, elle ne se regagne que difficilement. Or la trop grande complexité administrative et, pour ainsi dire, la déshumanisation des services publics auront, de proche en proche, contribué à dégrader la confiance des administrés dans leur administration.

Il est ici question de la confiance réciproque entre citoyens et administration, mais également de la confiance des entreprises en l’efficacité de l’État.

Ce projet de loi procède du constat selon lequel l’imbrication des procédures entrave trop souvent le bon fonctionnement des services publics, alimentant à mesure la défiance des particuliers comme des entreprises.

Afin de simplifier les procédures auxquelles, chaque jour, des millions de Français sont soumis, et afin de restaurer le lien de confiance qui doit unir chacun d’entre nous à l’administration, nous devons préférer l’action aux propos incantatoires. Tel est l’objet de ce texte. Il faut s’en féliciter.

Cependant, avec ce projet de loi, il s’agit moins de regrouper la totalité des mesures de simplification voulues par le Gouvernement que d’améliorer l’ensemble des procédures, des recours et des relations entre l’administration et le public. On ne peut qu’être d’accord avec cet objectif.

Aussi saluerai-je la sagacité de la commission spéciale et de ses rapporteurs, qui ont su veiller à la qualité législative, en évitant de transformer ce texte en une loi fourre-tout, tout en lui ôtant ses mesures jugées superfétatoires.

Dans sa version transmise par l’Assemblée nationale, le projet de loi prévoyait, en effet, un grand nombre de rapports, pas toujours utiles – les membres du Parlement en savent quelque chose –, et habilitait de manière démesurée le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance.

Je prendrai, à ce titre, l’exemple de l’article 26 bis, qui a été très justement supprimé par la commission, car il retirait au législateur ses compétences en matière de création et de fonctionnement des modes d’accueil de la petite enfance. La commission a, ainsi, veillé au respect des compétences du Parlement. Ce ne peut être qu’une bonne chose !

Permettez-moi à présent, mes chers collègues, de revenir sur quelques mesures symboliques du projet de loi. Je le ferai en trois points.

Il s’agit, tout d’abord, de la confiance de l’État en la bonne foi des citoyens. L’article 2 symbolise, en ce sens, l’esprit et la philosophie du texte.

Le droit à l’erreur qu’il introduit va permettre une certaine réhumanisation des rapports entre citoyens et administration. Tout le monde peut se tromper en étant de bonne foi. C’est pourquoi il nous semble primordial qu’avant toute sanction l’administration puisse, dans un périmètre nécessairement délimité, inviter l’usager à régulariser sa situation.

Pour ce qui est de l’instauration du droit au contrôle opposable, en fixant un délai maximal de six mois, la commission spéciale l’a rendu effectivement opérationnel et véritablement incitatif.

De même, un citoyen de bonne foi ne perdra plus le bénéfice d’un avantage fiscal s’il manque à une obligation déclarative. Il bénéficiera aussi de l’intervention d’un médiateur en cas de conflit avec les organismes de sécurité sociale.

Il s’agit, ensuite, de la confiance réciproque – et nécessaire ! – entre l’État et les collectivités territoriales.

À propos du chapitre Ier, nous devons, en tant que représentants des collectivités territoriales, nous réjouir de l’article 2 bis A, introduit lors des travaux de la commission, sur l’initiative de notre collègue Sylvie Vermeillet, qui étend aux collectivités le droit à régularisation en cas d’erreur.

Par ce biais, les relations que les collectivités entretiennent avec l’État ou avec les organismes de sécurité sociale s’en trouveront apaisées, la bienveillance de l’État envers elles induisant une reconnaissance de leurs mérites dans la conduite de missions parfois difficiles à accomplir.

Il s’agit, enfin, de la confiance mutuelle entre l’État et les entreprises.

En effet, comme les citoyens et les collectivités, les entreprises ont elles aussi besoin d’avoir confiance dans l’État pour prospérer et faire avancer le pays.

Ainsi, l’article 7, qui donne la priorité à l’accompagnement continu des entreprises dans leurs obligations déclaratives et qui inscrit dans la loi le souhait qu’avaient émis bon nombre d’entre elles, va dans le sens d’une relation de confiance. De même, la durée des contrôles administratifs sur les TPE et les PME sera limitée. Ce sont là des mesures que nous approuvons.

L’administration est, bien entendu, au cœur même de ce texte. Sans elle, aucune confiance n’est possible. Sans elle, il n’y a pas de lien avec les citoyens et, en définitive, pas de services publics !

C’est pourquoi il est indispensable que le Gouvernement alloue effectivement à la formation des fonctionnaires la somme de 1,5 milliard d’euros prévue sur les cinq prochaines années. Ce n’est que par les fonctionnaires que la réforme deviendra effective. Il est, par exemple, impensable que l’administration puisse, avec la création puis l’extension du certificat d’information prévues à l’article 12, répondre dans les trois mois à l’usager sans ces moyens nouveaux.

Mais, malgré ces quelques mesures satisfaisantes, nous ne devons et ne pouvons pas nous contenter de ce projet de loi. Le travail n’est pas fini. Ce texte est un premier pas, utile, mais insuffisant.

Je le répète : la confiance est quelque chose qui se construit. Et, comme pour toute construction, il faut que les bases soient solides. C’est pourquoi, tout comme nous serons vigilants lors de la ratification des ordonnances, nous veillerons à ce que les décrets d’application soient bien pris et à ce que les expérimentations fassent l’objet d’évaluations.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes favorables à ce texte et aux idées qui le sous-tendent. Si l’ambition est grande, il faudra cependant redoubler d’efforts et y mettre tous les moyens nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Jean-François Husson, président de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en tant que président de la commission spéciale, je reviendrai non pas sur les différentes mesures du présent projet de loi, mais, d’une part, sur la procédure et, d’autre part, sur la philosophie générale qui a inspiré nos travaux.

Les conditions d’examen du texte ont été marquées par deux particularités.

Tout d’abord, nous avons constitué une commission spéciale, réunissant des parlementaires de différentes commissions. Les sept commissions permanentes étaient représentées. Certes, le choix de la commission spéciale soulève encore des réticences quand plusieurs commissions s’estiment compétentes sur un même texte. Au vu de notre expérience, je crois pouvoir dire cependant que cette formule a été appréciée, parce qu’elle permet de réfléchir ensemble, dans la diversité de nos compétences, et de nous enrichir mutuellement de nos expériences respectives.

La commission spéciale a également eu l’honneur de mettre en application, pour la première fois, la procédure de législation en commission, telle qu’elle résulte de la modification de notre règlement en date du 14 décembre 2017, plus précisément sa nouvelle formule, qui est la législation partielle en commission. Nous avons montré, je crois, que cette procédure n’enlevait rien à la qualité des débats ni au sérieux de l’examen des dispositions d’un projet de loi. D’ailleurs, je remercie mes collègues d’avoir accepté ce challenge que je leur avais proposé. Je pense que la généralisation de l’usage de la législation en commission nécessitera un apprentissage progressif et que cette procédure est particulièrement bien adaptée aux textes techniques, les débats sur les politiques lourdes ayant évidemment vocation à demeurer effectués en séance publique, selon la procédure classique.

Pour un bon usage de la législation en commission, il est aussi important de conclure un pacte de confiance entre les parlementaires des différentes sensibilités compte tenu des différentes possibilités d’utilisation du veto qui sont aujourd’hui inscrites dans les textes.

Dans le cas de la législation en commission partielle, le choix des articles est évidemment essentiel. La principale difficulté réside dans les délais très courts qui nous sont donnés pour effectuer ce tri et présenter des propositions satisfaisantes.

En tout état de cause, cette première expérience montre que le Sénat sait moderniser et simplifier son mode de fonctionnement, privilégiant la fluidité et l’efficacité au service de la qualité dans l’élaboration de la loi.

Je dois reconnaître, sur cet aspect de procédure législative, un contraste certain avec les manières du Gouvernement, qui sont à l’opposé de relations de confiance avec le Parlement, avec 12 demandes d’habilitations à légiférer par ordonnance dans le projet de loi de 40 articles que vous avez déposé, monsieur le secrétaire d’État, sur le bureau de l’Assemblée nationale, une procédure accélérée, dont la justification m’échappe toujours, engagée dès le 27 novembre 2017, alors que vous n’avez pas prévu d’inscrire la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire ou la nouvelle lecture à l’ordre du jour du Parlement avant le mois de mai prochain, et une étude d’impact médiocre, dénoncée par l’avis du Conseil d’État.

La commission spéciale a cherché à recueillir le plus d’observations et d’avis possibles sur les différentes mesures qui figurent dans le projet de loi, d’abord par le biais des auditions tenues en réunion plénière, mais aussi grâce au travail remarquable de ses deux rapporteurs – je veux de nouveau les féliciter –, qui ont réalisé de nombreuses auditions ouvertes à leurs collègues de la commission. La commission a également recueilli sur internet les contributions de nos concitoyens, acteurs publics ou usagers des services, via un espace participatif que nous avons ouvert. Nous avons été très intéressés par ces contributions, de grande qualité, dont une sélection figure d’ailleurs en annexe au rapport de la commission.

À titre personnel, j’ai aussi organisé des réunions avec les services déconcentrés de l’État, en particulier la direction départementale des finances publiques, la direction départementale des territoires, le préfet et ses services, mais également les élus locaux, maires et présidents d’intercommunalité. Ces réunions ont été très instructives et les opinions qui se sont exprimées ont largement rejoint celles qu’ont manifestées les sénateurs lors des réunions de la commission spéciale.

De manière générale, les réactions que suscite le texte sont d’abord empreintes de curiosité et d’espoir, mais, assez rapidement, on passe à la perplexité, si ce n’est à la déception.

Le sujet que nous abordons au travers de ce projet de loi, celui des relations entre le public et les administrations, soulève, en effet, beaucoup d’attentes : nos concitoyens – particuliers, associations et entreprises – demandent plus de simplicité, plus de bienveillance et de souplesse, plus de rapidité dans le traitement des demandes, plus d’attention et de conseil. Au reste, ces demandes légitimes se renforcent face à deux phénomènes : un droit qui se complexifie et une société qui s’habitue à des réactions rapides, voire immédiates, du fait des technologies numériques – on pose une question et on veut une réponse dans la seconde.

L’intitulé du projet de loi et son annexe renvoient ainsi à une société où tout est réglé en deux clics, où le citoyen-contribuable-usager gère ses situations administratives via internet, dont il maîtrise évidemment toutes les subtilités, et où l’erreur qu’il peut commettre est aussitôt corrigée par une administration disponible et indulgente. C’est merveilleux !

Cette vision idéalisée est pourtant contredite par certaines réalités, et d’abord par les inégalités dans l’accès aux procédures dématérialisées, soit pour des raisons d’infrastructures défaillantes dans nos territoires, soit pour des raisons culturelles et sociales. Pensons à ceux que l’on appelle les « invisibles », les « illettrés » du numérique. En légiférant, nous devons toujours avoir présent à l’esprit le caractère universel de la portée de la loi.

Le scénario idéal qui nous est proposé est également contredit par la réalité d’une administration d’exécution, loin des administrations centrales productrices de normes, qui subit l’inflation réglementaire, qu’il lui revient de mettre en œuvre. Sur ce point, d’ailleurs, arrêtons d’accabler le législateur ! Je rappelle que la loi produit moins de normes que le règlement. On fixe à cette administration des objectifs difficiles, voire impossibles à tenir en même temps : contrôler plus et conseiller mieux, avec des moyens réduits et, malheureusement, des administrés éloignés des lieux possibles de rencontre, de contact et donc de proximité.

Enfin, les moyens de l’administration ne sont pas à la hauteur. Je pense tout particulièrement à l’archaïsme des systèmes d’information de l’État et de leurs applications logicielles.

Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, vous comprendrez que nous ayons du mal à croire à cette société idéale ou idyllique du 100 % numérique que vous nous promettez pour 2022. D’ailleurs, nous lui préférons une société 100 % humaine. Au demeurant, devons-nous privilégier un numérique humain ou un humanisme numérique ? Les deux ! Et concilions-les dans ce même objectif.

De fait, ce qui suscite le doute et la réserve de la commission spéciale, c’est le décalage trop souvent constaté entre les ambitions déclarées et les moyens que vous nous donnez. L’histoire récente des relations entre l’administration et les citoyens est malheureusement celle d’une succession de lancements de démarches-qualité sans évaluation des résultats, de plans de communication mal suivis d’effets. Ce n’est pas ainsi que l’on renforce la confiance. Il est à craindre que ce texte ne s’inscrive dans cette lignée.

Vous souhaitez faire passer l’action publique d’une logique de moyens à une logique de résultat. Nous partageons l’objectif. C’est un bouleversement considérable.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-François Husson, président de la commission spéciale. Je pensais disposer de dix minutes, monsieur le président !

M. le président. Non, le temps qui vous a été alloué est de sept minutes. Vous l’avez déjà dépassé d’une minute.

M. Jean-François Husson, président de la commission spéciale. Au temps pour moi ! J’assume mon erreur. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Au reste, je constate que je bénéficie d’applaudissements bienveillants de l’assemblée… (Nouveaux sourires.)

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous proposez au Parlement de vous autoriser à engager de nombreuses expérimentations, nous demandons avec insistance que les évaluations de ces expérimentations soient établies sur des critères déterminés à l’avance que vous pourriez nous transmettre, dans une démarche bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. J’ai moi-même fait preuve de bienveillance !

La parole est à Mme Michelle Meunier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Jérôme Durain l’a rappelé tout à l’heure, ce texte de loi pour un État au service d’une société de confiance nous a permis d’aborder une multitude de sujets tenant aux relations entre les citoyens, les entreprises et l’administration. C’est un exercice particulier pour notre assemblée, peu habituée à débattre, dans ce format et sur un même texte, de sujets aussi divers que le rescrit fiscal, le code des douanes, le droit du travail, le régime d’autorisations environnementales… J’en passe.

Cette accumulation nous a inquiétés, ne nous en cachons pas. Nous n’avons pas toujours perçu de quelle manière cet amoncellement de sujets aussi variés et abordés de façon parcellaire pouvait créer les conditions d’une société de confiance.

Patchwork d’idées, réécriture législative de dispositions récemment adoptées : sur la méthode de travail, la confiance n’était pas toujours au rendez-vous. Et, sur l’ambition de simplification, ce projet de loi me semble passer à côté de l’enjeu essentiel : s’assurer que l’administration est toujours présente, effective, pour accompagner les plus fragiles.

En matière de patchwork, j’avais fait part, en commission spéciale, de mon très grand étonnement à la lecture de l’amendement gouvernemental visant à instaurer l’article 26 bis relatif à l’habilitation à prendre, par ordonnances, toute mesure facilitant l’implantation, le développement et le maintien de modes d’accueil de la petite enfance.

Ces dispositions, en vigueur dans plusieurs types d’établissements – crèches, microcrèches, multi-accueils… –, qui diffèrent par leurs statuts et leurs modes de gestion – associative, municipale ou intercommunale, publique ou privée –, méritent un plus large débat que celui que permet une simple ordonnance. Il s’agit de la vie quotidienne de près de 900 000 enfants accueillis, de leurs parents et des professionnels qui travaillent dans ces structures ! Nous ne pouvons nous passer de débat sur un sujet aussi sensible.

Je me félicite donc de la sagesse de la commission spéciale du Sénat qui a permis la suppression de cet article 26 bis, par l’adoption des amendements identiques de Mme la rapporteur et de moi-même, au nom du groupe socialiste et républicain. Je formule le vœu, monsieur le secrétaire d’État, que notre message soit entendu et que la lecture à l’Assemblée nationale ne remette pas ces dispositions à l’ordre du jour.

Un autre grief adressé à ce projet de loi réside dans la volonté de réécrire des pans très récents de notre législation, tout juste entrés en application, sans attendre que l’encre sèche. Instaurer une société de confiance mérite de prendre le temps et le recul nécessaire pour évaluer les dispositions en vigueur !

À cet égard, l’article 33 relatif à la simplification des modalités de consultation du public lors de la création d’installations classées pour la protection de l’environnement venait heurter de plein fouet de très récentes dispositions.

Je me félicite également que seule la consultation électronique ait été supprimée et que le Sénat ait donc choisi de renforcer l’évaluation de la participation du public. La méfiance suscitée chez nos concitoyens par certaines installations agricoles intensives, par exemple, nécessite que l’on conserve des procédures de consultation humanisées, en présence des commissaires enquêteurs.

Plus d’humanité, plus d’attention à l’égard de nos concitoyens les plus fragiles, c’est ce qui devrait caractériser une administration soucieuse d’instaurer un climat de confiance. Pourtant, ce n’est pas à ce défi que s’attaque ce projet de loi. Nous le regrettons.

Sur le plan des moyens humains accordés à l’administration publique, le compte n’y est pas, comme mon collègue l’a rappelé.

Sur un autre plan, votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, manque d’ambition : il ne répond aucunement à l’exigence d’un réel accès aux droits. Comme le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, est venu nous le rappeler, l’accès aux droits est la question centrale.

Avec mes collègues socialistes, j’espère que cet examen en séance aboutira à la mise en place d’un dispositif ambitieux qui consacre une part des économies réalisées par la dématérialisation de notre administration au profit de la réduction de la fracture numérique. Nous ne pouvons nous résigner à ce que nombre de nos concitoyens se voient rejeter d’un système de plus en plus déshumanisé, robotisé, où l’algorithme décide et exclut les illettrés numériques.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, faute d’y voir un acte majeur de simplification administrative et une remise au premier plan d’une administration inclusive, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les membres de la délégation sénatoriale aux entreprises – j’ai l’honneur de présider celle-ci – ne font pas un seul déplacement sur le terrain sans entendre les entreprises déplorer la complexité de l’administration et dénoncer son approche sourcilleuse, voire suspicieuse.

C’est pourquoi mon collègue Olivier Cadic et moi-même avons présenté un rapport intitulé Simplifier efficacement pour libérer les entreprises. À la suite de celui-ci, nous avons déposé plusieurs textes, dont une proposition de résolution qui appelait le Gouvernement « à orienter l’administration vers le service aux entreprises, notamment en donnant la priorité à la simplification », et à « passer d’une logique reposant sur la défiance […] à une logique fondée sur la confiance. »

Vous le voyez, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui s’inspire largement des travaux de notre délégation. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

La stratégie nationale d’orientation de l’action publique vers une société de confiance, annexée à l’article 1er, nous brosse le tableau d’un monde idéal, où l’administration facilitera enfin la vie des entreprises et leur fera a priori confiance. Nous rêvons, avec vous, monsieur le secrétaire d’État, que l’impulsion que veut donner ce texte soit suivie d’effets concrets.

Mais notre rêve ne va-t-il pas tourner court ? Par exemple, la prise en compte de la capacité financière du contribuable, proclamée dans cette annexe, ne trouve pas dans le texte de déclinaison concrète pour les entreprises. De même, l’objectif de simplification affiché ne va pas assez loin : il faudrait s’assurer que la création d’une norme nouvelle entraînant une charge supplémentaire pour les entreprises s’accompagne de l’abrogation de normes représentant une charge au moins équivalente.

La délégation aux entreprises accompagne donc le changement d’état d’esprit que marque le texte, mais elle est lucide sur le caractère largement incantatoire de l’ensemble de ses dispositions.

Diverses mesures, apparemment séduisantes, sont décevantes à l’examen : prévoir que l’absence d’une pièce non essentielle dans un dossier ne peut pas conduire l’administration à suspendre l’examen de la demande, c’est bien, mais savoir pourquoi cette pièce est demandée par l’administration, alors qu’elle n’est pas essentielle, serait tout de même beaucoup mieux ! Consacrer la procédure du rescrit contrôle est sans doute utile, mais simplifier le code général des impôts le serait bien davantage. Et les rares surtranspositions sur lesquelles le texte revient, en matière environnementale, ont été introduites par ordonnances en août 2016 et janvier 2017. L’important est donc de trouver comment discipliner l’administration, plutôt que de rectifier après coup, ce qui nourrit l’instabilité législative.

En outre, de nombreuses avancées prévues par le texte sont soumises à des exclusions, des conditions ou des expérimentations qui en réduisent considérablement la portée. Ainsi, pour mettre en œuvre le principe « dites-le-nous une fois », votre texte ne propose qu’une expérimentation sur quatre ans et renvoie à un décret en Conseil d’État la délimitation du champ des données concernées. Or ce sont 10,7 millions de pièces justificatives que l’administration sollicite chaque année. La simplification est donc urgente. L’expérimentation, réduite, est-elle à la hauteur de l’enjeu ?

Au total, la volonté du Gouvernement de faciliter la vie des entreprises apparaît bien timide.

Aussi, nous vous proposons d’aller plus loin, en soumettant l’administration à une évaluation régulière par les entreprises et en se donnant les moyens de simplifier le droit applicable aux entreprises. En Allemagne, le Nationaler Normenkontrollrat, le NKR, a permis d’alléger la charge administrative de 14 milliards d’euros en cinq ans. C’est pourquoi nous pensons que le plus efficace serait de charger un organe ad hoc d’améliorer le droit pour les entreprises et de procéder à la contre-expertise des études d’impact produites par l’administration.

Sur ces sujets, je veux féliciter le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour leur démarche pragmatique, leur grande écoute et leur bon sens.

Pour conclure, mes chers collègues, faisons en sorte que ce texte soit vraiment utile aux entreprises, particulièrement aux plus petites d’entre elles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, sur des travées du groupe Union Centriste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)

M. Michel Vaspart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je tiens à mon tour à féliciter le président et les rapporteurs de cette commission, dont j’ai été membre, pour la façon remarquable dont ses travaux ont été menés et l’ambiance excellente dans laquelle elle a travaillé.

Monsieur le secrétaire d’État, il est difficile d’identifier la portée réelle des textes que le Gouvernement nous présente, au-delà du vocabulaire employé et de la communication devenue habituelle.

Ainsi, ce projet de loi a été présenté par le ministre de l’action et des comptes publics comme une révolution des relations entre l’administration et les Français. Or, comme souvent, le champ de la révolution annoncée est bien moins important que la communication qui en a été faite. Même si les amendements des rapporteurs ont permis de donner un peu plus de corps à des concepts juridiques souvent flous, du moins imprécis, prenez garde aux déceptions, monsieur le secrétaire d’État !

Nombre d’amendements déposés en commission spéciale ont été rejetés comme étant des cavaliers législatifs. J’espère vivement que les amendements de séance déposés, visant en particulier à lutter contre les surtranspositions dans le secteur agricole, où elles sont si incomprises, pénalisantes et contre-productives, pourront être discutés et intégrés au texte.

À propos du droit à l’erreur, qui constitue le point central du projet de loi, il a été justement rappelé par plusieurs de mes collègues que celui-ci existe depuis longtemps dans les domaines fiscal et douanier. En matière fiscale, le contribuable est toujours présumé de bonne foi, et les majorations de 40 % ou de 80 % ne peuvent être appliquées que si l’administration apporte la preuve d’une intention de frauder. En matière douanière, les infractions font l’objet d’une transaction dans 99 % des cas, aboutissant, pour 20 % d’entre eux, à la suppression totale des pénalités.

Je veux maintenant évoquer les deux vraies nouvelles dispositions que contient le projet de loi dans le domaine fiscal.

La garantie fiscale, qui ne figurait pas dans le texte initial, a été introduite à l’Assemblée nationale. Avec celle-ci, les entreprises bénéficieront d’une vraie sécurité juridique inédite. Il faut saluer cette introduction, qu’il faudra évaluer.

L’autre disposition a priori substantielle du texte concerne la généralisation de la relation de confiance, inscrite à l’article 7.

Expérimentée depuis 2013, elle consiste à valider en amont les options fiscales d’une entreprise dans le cadre d’un dialogue et sur une base contractuelle. Il s’agit d’une avancée dont il faudra suivre la portée : l’habilitation à légiférer pour expérimenter une relation de confiance reste floue, même si elle a été précisée en commission sur l’initiative des rapporteurs.

On peut aussi se demander si toutes les entreprises de la taille d’une PME ont le temps et les moyens de répondre à ce genre de sollicitation.

Le texte prévoit, à l’article 16, d’expérimenter, dans deux régions, une limitation de la durée cumulée des contrôles administratifs sur les PME. Toutefois, ce principe est déjà assorti de nombreuses exceptions. Par ailleurs, les PME attendent plutôt une simplification et une adaptation spécifique de la réglementation à leurs particularités.

L’article 15 A interdit le recours aux numéros surtaxés par les administrations de l’État, au plus tard en 2021. Cette disposition étonne, même si la commission a décidé de conserver cet article. Souvenons-nous qu’en 2010 déjà, le gouvernement de l’époque avait, à la suite de la publication d’un rapport sur l’accueil à distance dans les administrations sur le site internet de l’Inspection générale des finances, enjoint les centres d’appels des principales administrations à facturer leurs appels au prix d’une communication locale.

Il faut malheureusement en déduire que les consignes données par un gouvernement sont encore loin d’être respectées par nos administrations. C’est dire s’il y a lieu de modifier la culture et les habitudes d’un certain nombre d’entre elles.

Monsieur le secrétaire d’État, dix années sont passées sans que cette injonction soit suivie d’effet. La question est donc de savoir qui décide.

Certes, quelques mesures relèvent du domaine législatif, mais la plupart d’entre elles concernent le fonctionnement même de notre administration, son évolution culturelle et organisationnelle. Ces mesures relèvent donc d’abord des ministres nommés pour cela et des hauts fonctionnaires chargés des directions et des services de nos administrations pour faire en sorte de passer d’un service public à un véritable service au public et de retrouver enfin la confiance de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)