compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche,

M. Joël Guerriau.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 86 du 10 avril 2018 sur l’amendement n° 43 rectifié bis, déposé à l’article 1er du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, M. Michel Magras a été comptabilisé comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, lors du scrutin n° 87 du 10 avril 2018 sur l’article 1er du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, Mme Évelyne Perrot a été déclarée comme ayant voté contre, alors qu’elle souhaitait voter pour. Elle est en effet favorable à la circonscription unique, et non à la circonscription régionale.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi

Mme la présidente. Par lettre en date du 10 avril 2018, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 19 avril, le soir, et, éventuellement, du vendredi 20 avril, le matin et l’après-midi, de la suite de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Acte est donné de cette demande.

4

Candidatures à une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 du règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

5

Candidatures à une mission d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-sept membres de la mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir, créée sur l’initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 du règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

6

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Discussion générale (suite)

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (texte de la commission n° 353, rapport n° 352).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 4

M. François Pillet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le mercredi 14 mars 2018, la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, après deux lectures dans chaque assemblée, est parvenue à un accord.

Je salue à ce titre la qualité du travail commun réalisé avec nos homologues de l’Assemblée nationale, en particulier avec le rapporteur du texte Sacha Houlié, de même que celui qui a été effectué avec le Gouvernement, dans un esprit très constructif.

Trois dispositions étaient encore en discussion lors de cette commission mixte paritaire : la caducité de l’offre de contrat en cas de décès de son destinataire ; les clauses pouvant être contestées en raison d’un caractère prétendument abusif dans les contrats d’adhésion ; enfin, la révision judiciaire du contrat à la demande d’une seule des parties en cas de changement de circonstances imprévisible.

La commission mixte paritaire a retenu la position du Sénat sur les deux premiers points et nous nous en sommes remis à celle de l’Assemblée nationale sur le troisième.

La plupart des apports du Sénat en première lecture ont été conservés ; il est vrai que, pour ne pas contribuer à l’instabilité du droit, ils étaient limités à la correction des malfaçons et des difficultés d’interprétation les plus fortes.

Parmi les apports du Sénat, citons en particulier la nouvelle définition du contrat d’adhésion et le champ de la sanction des clauses abusives dans ces contrats ; la mise en cohérence de l’obligation précontractuelle d’information et de la définition de la réticence dolosive ; la meilleure articulation des règles en matière de capacité et de représentation avec le droit des sociétés ; les critères autorisant le paiement en devises sur le territoire français, en accord avec les pratiques jusque-là admises ; ou encore l’affirmation claire selon laquelle la loi nouvelle ne doit pas s’appliquer aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

La commission des lois avait par ailleurs levé plusieurs difficultés d’interprétation, sans modifier le texte, en précisant, dans le cadre des travaux préparatoires, le sens qu’il convenait de donner à certaines dispositions. Ces interprétations ont été partagées par le Gouvernement et l’Assemblée nationale.

Sur la révision judiciaire du contrat pour imprévision à la demande d’une seule des parties, nous savons bien que cette innovation, critiquée, sera systématiquement écartée dans les contrats où les parties seront bien conseillées… Cette innovation restera donc, à notre avis, sans grande portée.

Ce débat aura eu le mérite de mettre en lumière le caractère éminemment politique de la réforme du droit des contrats, réalisée par ordonnance au prétexte qu’elle était technique, alors qu’il s’agissait en réalité de faire de vrais choix politiques, dont le Parlement a été dessaisi et sur lesquels nous avons décidé de ne pas revenir.

Cela nous donne matière à réflexion pour le futur, en particulier pour la réforme de la responsabilité civile, au moins aussi importante que celle du droit des contrats. Le Sénat s’en est d’ailleurs déjà saisi, puisque mon collègue Jacques Bigot et moi-même venons d’engager une mission d’information sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un réel plaisir que je vous retrouve aujourd’hui au terme du processus de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime général des obligations.

C’est devant votre assemblée que s’était ouverte la phase parlementaire de cette procédure législative. C’est devant votre assemblée qu’elle s’achève aujourd’hui, traduisant le point d’aboutissement de cette réforme que l’on peut qualifier d’historique, longtemps annoncée et sans cesse repoussée.

Cette ratification est un succès, puisque la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, ce dont je ne puis évidemment que me réjouir. Mais au-delà de l’accord qui vous est aujourd’hui soumis, le succès de cette ratification tient, aux yeux des membres du Gouvernement, à la qualité des débats auxquels elle a donné lieu, ainsi qu’à l’esprit de responsabilité qui a animé les deux assemblées à chaque étape de la discussion.

En effet, sans attendre la commission mixte paritaire, chacun a su faire un pas vers l’autre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune, mais je tiens à le réaffirmer aujourd’hui, la qualité de ce travail parlementaire vous doit beaucoup, monsieur le rapporteur,…

M. Michel Savin. Très bien, monsieur le rapporteur !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … ainsi qu’à Sacha Houlié, votre homologue à l’Assemblée nationale.

Le texte qui vous est soumis est un texte exceptionnel à plusieurs égards. Il est d’une ampleur rare – près de 350 articles – et d’une technicité toute particulière, qui a conduit le rapporteur de votre commission des lois à mener un travail d’analyse tout à fait considérable. C’est surtout un texte fondamental pour les relations économiques, des plus usuelles aux plus exceptionnelles.

Cet exercice de ratification présentait également un enjeu capital en termes de sécurité juridique. Il appartenait naturellement au Parlement de se saisir de l’ordonnance et d’en modifier les termes, s’il le jugeait nécessaire. Mais il fallait parallèlement prendre en considération le fait que ce nouveau droit des contrats était entré en vigueur depuis plus d’un an et que les praticiens se l’étaient d’ores et déjà approprié, au prix d’importants efforts d’adaptation compte tenu de l’ampleur que je relevais précédemment.

Cet enjeu, monsieur le rapporteur, vous l’avez immédiatement saisi et ne l’avez jamais perdu de vue. Vous avez veillé à concentrer les débats sur les modifications qui vous sont apparues strictement nécessaires. Finalement, sur les 350 articles environ de l’ordonnance, seulement une vingtaine se trouve modifiée à l’issue de ces débats particulièrement riches.

Les modifications apportées n’avaient, pour la grande majorité d’entre elles, qu’un seul objectif : préciser la loi pour renforcer la sécurité juridique. L’exigence de sécurité juridique a réellement guidé les travaux de votre commission des lois, qui a par ailleurs proposé de nombreuses lignes d’interprétation, confirmées au cours des débats par le Gouvernement, puis par l’Assemblée nationale. Ces travaux préparatoires constitueront – c’est certain – un outil précieux pour l’ensemble des praticiens.

Au-delà de la correction de quelques malfaçons, les deux lectures ont permis aux deux assemblées de converger sur de nombreux points. Pour en donner quelques exemples, je pourrais citer la définition du contrat d’adhésion, figure contractuelle devenue incontournable, qui a fait son entrée dans le code civil et qui est désormais clarifiée ; le sort des sûretés en cas de cession de contrat ou de dette a, lui aussi, été précisé, tandis que le mécanisme de la réduction du prix a été rendu plus lisible.

Sur d’autres points, les modifications apportées ont permis de compléter très utilement le texte de l’ordonnance. Ainsi en est-il, par exemple, de la disposition relative à la réticence dolosive, qui a été mise en cohérence avec la solution retenue en matière de devoir général d’information. Il en résulte que l’estimation de la valeur de la prestation est désormais exclue du champ de la réticence dolosive, afin d’inscrire dans la loi la jurisprudence Baldus.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, les points les plus débattus furent liés, sans surprise, à deux des innovations majeures de l’ordonnance : la prohibition des clauses abusives et la révision pour imprévision.

Sur le premier point, le texte qui vous est aujourd’hui soumis définit clairement et opportunément le champ de la prohibition des clauses abusives.

L’étendue de ce champ a donné lieu à un débat extrêmement soutenu. Au terme de vos travaux, celui-ci recouvre désormais les clauses non négociables au sein des contrats d’adhésion. Cette modification, qui ne remet pas en cause le caractère protecteur de cette disposition, est parfaitement cohérente avec les critères dégagés au cours de la navette sur la définition du contrat d’adhésion : c’est précisément la soustraction de ces clauses à la négociation qui justifie l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat.

Le second point majeur de débat porta sur les prérogatives du juge en matière d’imprévision. Le principe même de la révision du contrat pour imprévision n’a pas été remis en cause, démontrant ainsi le consensus existant sur l’utilité de cette innovation majeure de l’ordonnance pour adapter notre droit des contrats aux bouleversements économiques qui peuvent affecter leur exécution.

Le seul point de désaccord résidait dans la faculté pour le juge de réviser le contrat à la demande d’une seule des parties. Le Gouvernement était et reste persuadé de l’utilité de prévoir cette option, sans laquelle l’efficacité du dispositif risquait d’être paralysée en cas de mauvaise foi de l’un des contractants.

Les débats nourris sur ce sujet auront permis de rappeler, s’il en était besoin, le caractère supplétif de cette disposition et surtout d’en démontrer, au-delà de ces murs, l’utilité en certaines hypothèses, en ce sens que la rupture du contrat ne se révèle pas toujours la solution économiquement la plus adaptée.

Ainsi, au-delà de la confrontation des points de vue, nécessaire sur ces dispositions importantes, le dialogue constructif des chambres, dont je remercie une nouvelle fois chacun des protagonistes, aura permis d’écrire un texte à la fois cohérent et amélioré. L’équilibre de l’ordonnance se trouve pleinement maintenu à l’issue de cette ratification, qui confère à ce texte majeur toute la valeur juridique qu’il mérite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme va aujourd’hui être parachevée par votre vote. Elle se termine donc, tout au moins dans sa première étape, car elle doit désormais se prolonger par la nécessaire refondation du droit de la responsabilité civile. Votre assemblée s’en est d’ores et déjà saisie, puisqu’elle a confié à vos collègues François Pillet et Jacques Bigot une mission d’information sur ce projet, élaboré selon la même méthode ouverte et transparente que celui de la réforme des contrats.

Je forme donc aujourd’hui le vœu que l’esprit de responsabilité et de compromis qui a présidé aux travaux de l’ambitieuse réforme qui s’achève aujourd’hui nous permette de poursuivre demain, ensemble, dans ce même élan, la modernisation de notre droit civil. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme nombre d’entre nous, je salue le compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue ; il va permettre de clore treize ans de réflexions. Si certaines réformes d’envergure nécessitent de s’inscrire dans le temps long, on peut raisonnablement considérer que celle-ci a souffert de certains temps morts législatifs et de son lot d’incertitudes…

Alors que nous nous préparons à ouvrir les discussions sur les chantiers de la justice, cette expérience devrait nous inviter à réfléchir à la question du recours aux ordonnances pour de telles modifications, qui sont de grande envergure et dépassent une simple codification à droit constant.

Il est clair que le raccourcissement du mandat donné au Président de la République rend la conduite de tels chantiers plus délicate, dans des délais extrêmement courts, qui conduisent soit à négliger la consultation en amont, soit à léguer ces chantiers, inachevés, à la postérité. C’est une contrainte à laquelle Portalis a échappé…

Nous considérons que, dans ces conditions, le recours aux ordonnances ralentit le processus législatif global et expose inutilement les personnes tenues d’appliquer le droit au risque de revirements législatifs au moment d’une ratification intervenant après une alternance, surtout si l’ordonnance procède à des transformations substantielles.

En ce qui concerne la ratification, toutefois, je crois que le succès de la commission mixte paritaire illustre le sens des responsabilités qui prévaut au Parlement, lorsqu’il s’agit de conduire des réformes de fond sans mettre en danger la sécurité juridique de nos concitoyens.

En effet, le texte issu de la commission mixte paritaire répond aux objectifs fixés en 2016 par le précédent gouvernement au moment du dépôt de l’ordonnance : d’abord, le renforcement de l’accessibilité de notre droit des contrats, pour lutter contre l’éparpillement des normes que nous connaissions depuis 1804 ; ensuite, une plus grande protection de la partie la plus faible du contrat ; enfin, une modernisation de notre droit pour répondre à un souci d’attractivité économique.

Cette dernière version permet un bon équilibre entre les différentes propositions de nos deux chambres, alors que les débats conduits en commission mixte paritaire se sont en réalité concentrés sur trois points techniques.

Il s’agissait, en premier lieu, de l’article 4 portant sur la caducité de l’offre en cas de décès, mesure introduite sur l’initiative de notre rapporteur François Pillet, que je salue pour son travail avisé sur ce dossier. À ce sujet, l’Assemblée nationale s’était montrée quelque peu réticente, invoquant notamment les contrats immobiliers, mais, selon nous, le maintien de la caducité garantit une plus grande clarté et sécurité juridique. C’est pourquoi nous nous félicitons du pas fait par l’Assemblée nationale en ce sens.

Ensuite, je me réjouis que, après trois modifications, nous ayons trouvé un terrain d’entente sur les contrats d’adhésion.

L’Assemblée nationale, qui, de prime abord, souhaitait étendre la possibilité d’utiliser le dispositif des clauses abusives à l’ensemble du texte, s’est également rangée à l’avis de notre chambre. La rédaction voulue par les députés aurait permis que toutes les clauses d’un contrat puissent être frappées de nullité, à l’exclusion de celles qui déterminent l’objet du contrat, comme le prix. Ils ont finalement accepté que cette disposition ne s’applique qu’aux clauses non négociables.

Sur ce sujet, on peut considérer que la qualification en clause abusive ne dépend pas seulement du contenu de celle-ci. Elle s’apprécie surtout par rapport à l’équilibre général du contrat. Ainsi, un déséquilibre causé par une clause non négociable peut très bien être compensé par une clause négociable.

Enfin, revenons sur l’article 8 : notre chambre était peu disposée à consacrer la théorie de l’imprévision dans notre droit civil. Je considère que cette disposition contribuera à apaiser les relations contractuelles, en permettant une demande de révision du contrat par l’une des parties en cas d’échec de la renégociation. Le recours au juge devrait également permettre de les pacifier : il faut voir cette mesure, non comme une contrainte, mais d’abord comme un appel aux parties à trouver un accord à l’amiable.

Actuellement, la partie rencontrant des difficultés à exercer le contrat ne peut en demander la révision. Elle est même poussée à aller jusqu’au bout de celui-ci, quand bien même l’exécution du contrat est excessivement difficile pour elle et sa réalisation vitale pour son activité.

Par exemple, elle ne peut pas y mettre un terme pour contracter avec un autre partenaire à un moindre coût. Faire en sorte, comme le souhaitait la Haute Assemblée, que les deux parties soient d’accord pour demander la révision aurait bloqué toute renégociation, la partie favorisée n’y ayant généralement aucun intérêt. La version proposée par les députés et intégrée dans le texte me paraît donc plus adaptée.

Les membres du groupe du RDSE voteront donc ce texte, qui constitue un équilibre très acceptable et préserve la sécurité juridique de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je note, en préambule, que le recours à une ordonnance n’a pas empêché l’amélioration et l’enrichissement du présent texte par le Parlement. Cela dit, je me concentrerai aujourd’hui sur le projet de loi dont nous sommes effectivement saisis…

M. Michel Savin. C’est mieux, en effet ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Arnaud de Belenet. Je vous remercie de votre contribution à mon intervention, cher collègue.

Le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 est le fruit d’une quinzaine d’années de travaux, qui ont été nourris pas la doctrine, les praticiens du droit et les acteurs économiques – un processus long, mais nécessaire, tant notre droit était devenu obsolète.

Cette réforme visait un triple objectif : la codification de la jurisprudence, qui s’était développée depuis deux siècles ; l’amélioration de la lisibilité, donc de l’accessibilité du droit des contrats ; enfin, le renforcement de l’attractivité du droit français vis-à-vis des entreprises, en clarifiant et en adaptant ce dernier aux enjeux de l’économie mondialisée.

Je tiens ici à saluer sincèrement le travail colossal effectué par notre rapporteur François Pillet, ainsi que l’esprit de responsabilité qui a présidé à nos travaux, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, lors des deux lectures.

Grâce à ce dialogue des chambres, marqué par la volonté de tendre vers le compromis, nous parvenons à un texte amélioré, dont l’équilibre et l’essence demeurent fidèles à ce que le Gouvernement souhaitait lui conférer. Enfin, je salue les discussions qui ont eu lieu en commission mixte paritaire : pragmatiques, elles ont permis de trouver un accord.

Sur les 350 articles de l’ordonnance, subsistaient, en commission mixte paritaire, trois points d’achoppement.

En ce qui concerne la caducité de l’offre en cas de décès de son destinataire et la définition des clauses abusives dans un contrat d’adhésion, la position du Sénat a été retenue, puisque le rapporteur de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié, a notamment accepté de limiter l’application du dispositif des clauses abusives aux seules clauses non négociables.

Sur le troisième point – la révision du contrat par le juge en cas d’imprévision –, notre rapporteur, qui a rappelé tout à l’heure l’ampleur de cette disposition, a accepté, dans sa sagesse, la rédaction des députés.

Notre rapporteur nous évite ainsi un désaccord sur une question qui, au fond, n’a que peu de conséquences juridiques ; par là même, il fait montre d’un esprit constructif, auquel le groupe La République En Marche est particulièrement sensible. Nous apprécions cet état d’esprit, conscients de sa valeur, et nous espérons qu’il ne sera pas une exception… (Applaudissements au banc des commissions. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit lors des précédentes discussions générales, ce texte a deux mérites essentiels : premièrement, rendre le droit des obligations plus visible et plus accessible en y intégrant une foisonnante jurisprudence ; deuxièmement, renforcer la protection de la partie faible, en introduisant la notion de bonne foi à toutes les étapes de la conclusion du contrat et celle de vice du consentement pour tenir compte de la violence de la vie économique, qui – on le sait – ne fait pas de cadeau.

Le texte permet ainsi de corriger les éventuels déséquilibres entre les parties et consacre le devoir général d’information.

À l’issue de la commission mixte paritaire restaient trois points de discussion.

S’agissant de la caducité de l’offre de contrat en cas de décès de son destinataire, l’Assemblée nationale a suivi la version du Sénat, qui étend la caducité de l’offre en cas de décès de l’auteur ou du destinataire. Cette solution nous convient.

S’agissant de la révision judiciaire du contrat en cas de changement de circonstances imprévisible, en revanche, c’est la version de l’Assemblée nationale qui a prévalu, version prévoyant une possible révision à la demande d’une seule des parties.

Ayant soutenu cette position lors de nos discussions et défendu alors l’amendement déposé par Mme la garde des sceaux, je ne puis que me féliciter de ce choix, qui est conforme à l’esprit général des propositions de notre commission des lois, visant, je le répète, à renforcer la protection de la partie faible.

Le troisième point concernait la définition des clauses abusives dans un contrat d’adhésion. L’Assemblée nationale a accepté la version du Sénat, qui prévoyait de limiter l’application du dispositif des clauses abusives des contrats d’adhésion aux seules clauses non négociables, et non à toutes les clauses, comme le souhaitait l’Assemblée nationale au nom de l’intérêt des parties les plus faibles.

En l’occurrence, je ne puis que regretter ce choix qui, encore une fois et sur ce point précis, est en contradiction avec l’esprit général dans lequel la commission des lois du Sénat a abordé la problématique contractuelle.

Je constate que, finalement, le texte issu de la commission mixte paritaire va plutôt dans le sens que souhaitait le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, à l’exception du troisième point que je viens d’évoquer. Cette exception n’est cependant pas suffisante pour remettre en cause nos votes précédents, qui étaient favorables à la révision.

Préférant oublier que cette révision a été réalisée par ordonnance et mettant de côté, pudiquement, l’impact de ces novations législatives sur la charge de travail des tribunaux, qui n’en manquaient déjà pas, notre groupe votera le texte issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Martial Bourquin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Joissains, pour le groupe Union Centriste.

Mme Sophie Joissains. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la différence des pays placés sous le régime de la common law, la France est un pays de droit écrit au sein duquel sont garanties l’accessibilité de la norme et la sécurité juridique.

Pourtant, paradoxalement, notre droit des contrats et notre régime des obligations souffrent, depuis de nombreuses années, d’une imprévisibilité et d’un manque crucial de lisibilité, plusieurs dispositions étant clairement obsolètes.

En 2004, à l’occasion du bicentenaire du code civil, un projet de réforme du droit des contrats avait été annoncé.

C’est ce long processus que nous allons aujourd’hui clore, en ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Sur la forme, et c’est aussi un véritable problème de fond, le Sénat s’était opposé de nouveau – et à juste titre ! – au recours aux ordonnances, estimant que cette voie n’était pas justifiée pour une réforme qui n’était pas uniquement technique, mais reflétait aussi des choix de nature éminemment politique.

Sachez-le tout de même, la marge de manœuvre des parlementaires était d’autant plus réduite que nous avons dû ratifier cette ordonnance plus d’un an après son entrée en vigueur.

En dépit de ces problèmes récurrents, le Sénat a fait preuve de responsabilité en s’attachant à clarifier le texte de l’ordonnance sans en modifier le sens, ni l’esprit.

Sur le fond du sujet, nos deux assemblées se sont accordées sur le caractère essentiel d’une réforme unanimement saluée par les acteurs du droit.

Cette ordonnance présente un double objectif : il s’agit de renforcer, d’une part, l’attractivité du droit français, d’autre part, la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant tant sa lisibilité que son accessibilité.

Le texte de l’ordonnance porte ainsi la consécration de mécanismes juridiques issus de la pratique, comme la cession de dettes ou la cession de contrats, tout en les simplifiant. Nos deux assemblées ont convergé sur de très nombreux points, en s’accordant sur la clarification de la définition du contrat d’adhésion et sur l’amélioration de la lisibilité du mécanisme de la réduction du prix. Les solutions innovantes introduites par l’ordonnance ont été évidemment les points les plus débattus.

Deux d’entre elles, la prohibition des clauses abusives dans un contrat d’adhésion et la révision judiciaire pour imprévision, restaient encore en discussion lors de la commission mixte paritaire.

Il s’agissait également de trouver un accord concernant la caducité de l’offre à la suite du décès de son destinataire.

Sur ces trois sujets, la commission mixte paritaire est parvenue à la conclusion d’un accord, ce dont nous nous félicitons sincèrement. Je tiens ici à saluer particulièrement le travail accompli par notre rapporteur, François Pillet.

S’agissant de la caducité de l’offre de contrat en cas de décès de son destinataire, la position du Sénat a été suivie.

Le silence de la loi sur ce sujet constituait une source d’incertitude pour les héritiers qui, après le décès d’un proche et en cas de litige avec l’auteur du contrat, devaient s’en remettre aux tribunaux.

Les clarifications que nous avons apportées devraient donc garantir aux parties un régime stable et protecteur.

Aussi, à l’article 7, conformément au souhait du Sénat, le dispositif de lutte contre les clauses abusives dans les contrats d’adhésion a été limité aux seules clauses non négociables.

Les dispositions ayant trait à la révision judiciaire du contrat pour imprévision ont suscité plus de débats.

Il était question de savoir si le pouvoir de révision pouvait émaner d’une des deux parties uniquement, ce qui, pour le Sénat, constituait un gage d’insécurité juridique.

Toutefois, dans la mesure où cette hypothèse devrait heureusement rester théorique, sinon lettre morte, il a été décidé de se rallier à la position de l’Assemblée nationale, dans un esprit de compromis auquel nous nous sommes pleinement associés.

Mes chers collègues, aujourd’hui, je serai brève, soulignant que le projet de loi ratifiant cette ordonnance offre à nos partenaires économiques un cadre sécurisant et dote la France d’instruments juridiques modernes et lisibles.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)