M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’ordre international reste imparfait et quand le désordre devient insupportable, la légitimité fondée sur les droits élémentaires et universels doit l’emporter.

J’ai écouté avec attention les propos qui viennent d’être tenus. Nous mesurons, nous aussi, l’extrême complexité et l’enchevêtrement du dossier syrien.

La décision du chef de l’État et de nos alliés nous apparaît justifiée. Elle témoigne d’une constance de notre position dans la région.

Dans la nuit du 6 au 7 avril, dans le but de reconquérir le dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale, l’armée syrienne a lancé une terrible offensive sur la ville de Douma, provoquant la mort d’une centaine de civils selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Comme l’horreur n’était pas encore à son comble, les secouristes comprirent à leur arrivée que de nouvelles attaques chimiques venaient d’avoir lieu. Les premiers signes apparents sur les victimes – des images insoutenables – étaient effectivement symptomatiques d’une telle attaque. Avec les premières analyses, le doute n’était plus permis.

C’est ainsi qu’à nouveau, le samedi 7 avril, à Douma, des dizaines d’enfants, de femmes et d’hommes ont été tués à l’arme chimique, tandis que des centaines d’autres étaient grièvement blessés.

De même que la survenance d’une attaque chimique est avérée, la responsabilité du régime syrien ne fait pas de doute, eu égard aux faits et à l’évaluation internationale publiée le 14 avril par la France.

Au cours des sept dernières années, en utilisant du gaz sarin contre son peuple, le régime de Bachar al-Assad a transgressé un interdit du XXIe siècle. Il a enfreint des normes internationales. Il n’a eu de cesse, surtout, de mépriser l’humanité.

L’emploi d’armes chimiques par Damas constituait pourtant une ligne rouge, cette ligne rouge qui, maintes fois bafouée, mais réaffirmée par nos soins en mai dernier, avait été posée dès 2012 par l’ancien président Barack Obama, avant d’être reprise par la France et le Royaume-Uni.

La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques constituent un danger réel pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective, mais aussi une menace pour la paix et la sécurité internationale.

La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques s’inscrivent en totale violation du droit international, que ce soit la non-prolifération ou le droit international humanitaire, mais aussi en totale violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dès 1925, un premier protocole prohibait l’usage d’armes chimiques lors de guerres. Une convention internationale d’interdiction des armes chimiques suivra en 1993, signée à Paris et à laquelle Damas est partie prenante depuis 2013.

Cette année-là, le régime syrien avait même pris l’engagement devant la communauté internationale de démanteler intégralement son arsenal. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Conseil de sécurité en avait pris acte en septembre 2013, dans sa résolution 2118.

Dans cette résolution est ainsi clairement établi que, si la Syrie violait cet engagement, elle encourrait l’application de mesures découlant du chapitre VII de la Charte des Nations unies, lequel porte sur l’emploi de la force armée en cas de menace contre la paix.

Le régime de Damas savait donc à quoi il s’exposait, ce qui ne l’a pas empêché de prendre ces décisions délibérées.

Le fait qu’il emploie contre son peuple des armes chimiques barbares, et ce de manière répétée, ne pouvait plus perdurer. Par notre silence et notre inaction, nous n’étions certes pas complices de ces atrocités, mais nous en devenions des acteurs passifs.

Que fallait-il faire d’autre ?

Au nom de la défense de l’humanité, les dernières attaques imposaient donc une réaction urgente, proportionnée, ciblée et ponctuelle de notre part.

C’est la raison pour laquelle, dans la nuit de vendredi à samedi, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni ont tenté de détruire – je ne sais pas s’ils y sont parvenus – l’arsenal chimique clandestin syrien se trouvant dans la banlieue de Damas et sur deux autres sites.

Nous tenons, nous aussi, à rendre hommage à nos soldats et à nos armées, dont le professionnalisme est un exemple pour tous. Les opérations menées par la France ont été parfaitement conduites, avec une efficacité dont peu de pays sont aujourd’hui capables. Au dire des autorités syriennes et russes, aucune victime civile ou militaire n’est à déplorer.

Monsieur le ministre, nous entendons vos propos quant aux objectifs concis de cette opération. Nous les soutenons et estimons que cette réaction était légitime. Il y allait de notre responsabilité, mais aussi de notre devoir moral, compte tenu du dernier blocage de la Russie, empêchant toute réaction possible du Conseil de sécurité.

À ceux qui ont pu reprocher un alignement français sur la politique américaine, nous répondons qu’ils ont tort. La France est une puissance mondiale faisant preuve d’une constance extrême sur le sujet et disposant d’une autonomie stratégique, qu’elle tente par ailleurs d’ancrer dans un cadre européen. Enfin, la France fait surtout de la défense de la paix et de la sécurité internationale un impératif permanent.

À ceux qui ont pu dénoncer l’absence de mandat onusien, nous posons cette question : qui viole aujourd’hui le droit international en massacrant en toute impunité sa population, sous les yeux de la communauté internationale ?

À ceux qui nous accusent d’entraîner la France dans une guerre aux objectifs flous, nous répondons qu’en aucun cas nous ne déclarons la guerre au régime de Damas, vous l’avez répété encore à l’instant, monsieur le ministre. Nous rappelons simplement Damas à ses engagements concernant la destruction de son arsenal chimique.

Monsieur le ministre, la légitimité de cette frappe ne nous exonère pas d’un autre devoir, celui de consacrer tous nos efforts politiques et diplomatiques à trouver une issue la plus rapide possible à ce conflit, qui ne s’est que trop envenimé.

Nous devons le faire avec tous nos partenaires et, surtout, dans le cadre des Nations unies, qui reste et restera l’enceinte garante de la paix et de la sécurité internationale, celle dans laquelle l’humanisme doit primer.

Nous savons que vous en avez pleinement conscience, puisque notre pays n’a évidemment pas attendu ces derniers rebondissements pour s’atteler ardemment à cette rude tâche.

En sept ans de guerre civile, nous comptons aujourd’hui 350 000 morts, dont plus de 100 000 civils - parmi eux, 20 000 enfants -, et 12 millions de déplacés, soit les deux tiers de la population. Ces chiffres nous ôtent parfois tout pouvoir de réflexion et nous n’agissons pas.

De son côté, l’UNICEF a déploré une « violence aveugle et extrême » qui a entraîné une augmentation de 50 % du nombre d’enfants tués en 2017, par rapport à l’année précédente. Comme l’a justement dit son directeur au Moyen-Orient, M. Geert Cappelaere, chacune de ces morts « constitue des rappels criants que la guerre en Syrie doit s’arrêter et doit s’arrêter maintenant ».

Ce carnage n’a que trop perduré. Nous demandons donc au Gouvernement de poursuivre ses efforts, afin de permettre, sur le terrain, l’application d’un cessez-le-feu et l’accès humanitaire aux populations civiles, comme l’exigent les résolutions du Conseil de sécurité restées lettre morte.

Il faut aussi soutenir l’action des organisations non gouvernementales, dont le courage et l’engagement sont remarquables, terminer la lutte contre les terroristes de Daech – les mêmes qui ont organisé une série d’attentats sanglants sur notre territoire –, rétablir la paix et la stabilité en Syrie et dans la région, en enclenchant une dynamique collective pour parvenir à une solution politique inclusive, et, enfin, faire en sorte que la Syrie respecte ses engagements et se débarrasse de ses stocks d’armes chimiques.

Nous saluons donc le fait que la France et ses deux partenaires aient, sitôt ces frappes ponctuelles terminées, présenté un projet de résolution sur la Syrie dans le cadre du Conseil de sécurité.

Ce projet, visant à relancer les négociations, se décline en un volet chimique, avec un mécanisme international d’enquête et d’établissement des responsabilités ; un volet humanitaire, avec un « cessez-le-feu durable » ; un volet politique qui « exige des autorités syriennes qu’elles s’engagent dans des négociations intersyriennes de bonne foi, de manière constructive et sans préconditions ». On peut rêver, mes chers collègues, mais essayons tout de même !

Nous espérons donc que chaque membre du Conseil de sécurité, surtout la Russie, saura prendre ses responsabilités.

Nous saluons les déclarations de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, rappelant, au nom des États membres, ce samedi, que l’utilisation de substances chimiques en tant qu’armes est « un crime de guerre et un crime contre l’humanité ».

De même, nous saluons les conclusions du conseil Affaires étrangères de ce matin.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe La République En Marche se félicite de la tenue de ce débat parlementaire, conforme à l’article 35 de la Constitution. Il soutient le Gouvernement dans son action car, quand la barbarie gifle l’humanité, l’humanité doit gifler la barbarie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, dans la nuit de vendredi à samedi, Emmanuel Macron a pris, seul, une décision d’une grande gravité : engager nos forces armées dans une action de guerre en dehors de toute légalité internationale.

Je le dis d’emblée, je n’accepterai pas l’argument d’autorité consistant à dire que, si l’on n’approuve pas cette intervention, on soutient ipso facto le dictateur Assad et ses principaux soutiens, la Russie et l’Iran.

L’utilisation d’armes chimiques est intolérable. Tous les efforts de la communauté internationale doivent converger pour que de tels actes soient rendus impossibles, par la destruction systématique, organisée et menée par des experts, et non par des tirs de missile.

Et si cette utilisation d’armes chimiques est avérée, elle doit être sanctionnée par la même communauté internationale.

Monsieur le ministre, il est inadmissible que vous esquiviez le rappel à l’ordre démocratique auquel vous êtes soumis, en érigeant quasiment en complices ceux – et ils sont nombreux, ici comme dans le monde entier – qui souhaitent faire le pari de la paix plutôt que celui de la guerre, ceux qui refusent les aventures militaires mises au service d’intérêts géopolitiques de tel ou tel pays. Je pense, en l’occurrence, à ceux des États-Unis, qui, depuis la chute de l’Union soviétique, se voient comme le gendarme du monde.

Nous avons pu constater le résultat du conflit mené en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001 et, surtout, de la guerre menée en Irak en 2003, non seulement en absence de toute preuve, mais, pire, sur le fondement de preuves truquées, présentées par M. Colin Powell, alors secrétaire d’État américain à la défense.

Nous avons pu constater, encore, les conséquences désastreuses de l’opération libyenne, sur les plans tant humanitaire que militaire.

Durant des années, la France s’est refusée à suivre les faucons américains, à l’image de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité, voilà quinze ans.

La construction de cette voix de la France, forte, indépendante, facteur de paix, déjà gravement abîmée, en particulier par l’intervention aventureuse en Libye, s’effondre aujourd’hui avec l’alignement sur la politique américaine.

Le bombardement de la Syrie par 103 missiles, dont 12 Français, est un acte de guerre, n’en déplaise au Président de la République qui, hier soir encore, lors de sa longue intervention télévisée, le qualifiait d’« acte de représailles ».

Quelle est, monsieur le ministre, la différence entre un acte de guerre et une déclaration de guerre ? Comment considérerions-nous une telle frappe sur notre territoire ?

Vous le savez bien, ce débat sémantique est de première importance, car c’est en fonction de la nature de l’action menée que le Parlement est amené, ou non, à se prononcer au préalable sur une intervention militaire à l’extérieur de nos frontières.

Le Président de la République n’a pas dit la vérité aux téléspectateurs : il a affirmé que l’article 35 de la Constitution, qui organise la consultation du Parlement, avait été approuvé par référendum, comme l’ensemble de la Constitution, en 1958. C’est faux ! L’article 35 a été fortement modifié en 2008, lors de la révision constitutionnelle proposée par Nicolas Sarkozy, révision constitutionnelle qui, il faut le rappeler, a été adoptée à une voix de différence. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) À l’époque, nombreux sont ceux qui protestaient contre l’abaissement du Parlement, privé par cette réforme du droit de vote pour autoriser ou non une intervention.

Je ne peux résister d’ailleurs au plaisir de citer M. François de Rugy, actuel président de l’Assemblée nationale et pilier du dispositif macronien, défendant un amendement en ces termes : « Nous souhaitons revenir sur cette conception française du “ domaine réservé ” du Président de la République en matière de politique étrangère et de défense. […] Mieux vaudrait dire clairement, et c’est le sens de notre amendement, que “ toute intervention des forces armées à l’extérieur du territoire de la République est autorisée par le Parlement”. »

La question n’est pas secondaire ; il s’agit d’une question démocratique de première importance !

Bombarder un État qui, même si nous condamnons son dirigeant, est un État souverain, est un acte potentiellement lourd de conséquences, susceptible d’embraser la région, voire le monde.

Même dans le respect de la légalité, les représentants du peuple doivent être codécideurs, et c’est d’autant plus vrai si la légalité internationale n’est pas respectée !

Sur ce point, ce n’est pas la démonstration quelque peu hasardeuse d’un mandat conféré, de fait, par une résolution de 2013 non respectée, qui nous convaincra.

La Charte des Nations unies est claire. Une intervention peut être décidée dans trois cas : vote du Conseil de sécurité, demande de l’État concerné ou légitime défense. Nous n’étions dans aucun de ces trois cas ; nous sommes sortis de la légalité internationale !

L’absence de consultation préalable du Parlement et de vote de ce dernier, a priori ou a posteriori, n’est pas acceptable au regard de la responsabilité engagée.

Comment ne pas constater que cette mise à l’écart de nos assemblées, de la représentation du peuple, intervient alors qu’un projet de révision constitutionnelle, actuellement entre les mains du Conseil d’État, porte de nombreuses atteintes aux prérogatives du Parlement ? M. Macron doit prendre garde à la tentation autoritaire qui s’affirme de jour en jour !

Si la situation évolue – on peut effectivement s’interroger sur la réalité des preuves, que vous peinez tant à nous présenter, et pour cause : les enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, l’OIAC, diligentés par les Nations unies, sont arrivés en Syrie samedi, le jour même des frappes –, cette évolution pourra justifier que l’Assemblée nationale et le Sénat se prononcent par un vote dans de brefs délais sur l’action décidée ce week-end et sur la politique de la France en Syrie.

Un moyen existe, l’article 50-1 de la Constitution, qui permet au Gouvernement d’organiser, sur un thème donné, un débat éventuellement soumis à un vote. Ce débat peut être demandé par un groupe parlementaire, ce que nous ne manquerons pas de faire si les circonstances l’exigent.

Cette procédure aurait pu et dû être utilisée aujourd’hui pour restaurer quelque peu les droits du Parlement dans cette affaire. C’est d’ailleurs ce que j’ai proposé hier matin à Matignon.

Cette question des preuves de la responsabilité du régime syrien est donc centrale.

Le document que vous avez présenté samedi, élaboré par vos services de renseignement, ne constitue pas un fondement suffisant. De plus, pouvez-vous nous garantir que la source n’émane pas d’autres services de renseignement ? Si cela était le cas, la prudence, vu le passif de 2003 que je rappelais, est de mise.

Cette intervention est-elle un succès du point de vue de ses propres objectifs ? Nul ne le sait et les preuves, là encore, seront difficiles à fournir.

Ce qui est certain, c’est qu’à la suite des attaques de samedi les défis et les craintes sont nombreux devant nous.

Bachar al-Assad sort indéniablement renforcé ; il a quasiment gagné cette terrible guerre civile aux 350 000 morts. Et Daech est toujours là. Recep Tayyip Erdogan profite de l’agitation alentour pour mener, dans l’indifférence générale, sa guerre contre les Kurdes et sa politique d’occupation d’une partie du territoire syrien. Hassan Rohani, renforcé par ailleurs par les déclarations irresponsables de Donald Trump, apparaît constructif dans le dossier nucléaire face au dirigeant américain, ce qui pourrait paraître un comble.

Qui peut croire, mis à part le Président de la République, que les attaques de samedi remettront tous les acteurs autour de la table ?

Cette intervention s’inscrit dans la course à l’échalote des grandes puissances mondiales et régionales, pour servir au mieux les intérêts dans la région, pétrole et gaz obligent.

Sortir du droit international, comme Emmanuel Macron l’a fait, c’est conforter la tentation hégémoniste d’Erdogan dans la région.

Sortir du droit international, c’est conforter la droite et l’extrême droite israéliennes dans l’oppression et la répression du peuple palestinien, malgré de multiples résolutions onusiennes, et laisser faire des tueries comme celle de ce vendredi.

Sortir du droit international, c’est laisser libre cours au conflit opposant l’Iran et l’Arabie saoudite pour le leadership régional.

Sortir du droit international, c’est laisser l’Arabie saoudite mener cette sale guerre au Yémen, sans réaction, ou presque, de la communauté internationale, surtout pas de notre pays.

Pourquoi donc ? Parce que l’Arabie saoudite est le deuxième client de la France marchande d’armes, avec des contrats qui se chiffrent depuis 2013 en milliards d’euros.

Nous n’avons pas accepté la visite d’affaire du sulfureux prince héritier à Paris. Rien ne justifie, et surtout pas le commerce, d’accueillir ainsi l’héritier d’un pouvoir féodal, violent et antidémocratique. Monsieur le ministre, allez-vous agir pour que cesse la livraison d’armes aux groupes terroristes – parfois nos armes ?

De toute évidence, l’émotion n’est pas la même à Paris selon le lieu où les victimes tombent. L’utilisation de l’arme chimique est inacceptable et tombe sous le coup de lois internationales spécifiques. Elle mérite un combat international collectif implacable. Mais les civils qui meurent au Yémen ou à Gaza méritent aussi l’intervention de notre pays, et cette intervention se fait attendre !

Le temps politique est venu, avancez-vous. Croyez-vous que lancer des missiles, comme vous l’avez fait, favorisera la paix ? Nous ne le croyons guère !

Pourtant, il faut coûte que coûte avancer vers un règlement pacifique.

Notre pays doit soutenir tous les efforts pour repousser la guerre et faire converger les conférences d’Atlanta et de Genève. La participation des différents acteurs de ces conflits est un préalable incontournable, qui ne préjuge pas de la nécessaire évolution politique en Syrie.

J’espère que l’action de samedi dernier sera à répertorier comme un faux pas, un faux pas risqué, mais qui peut être réparé si vous décidez de soustraire la France à l’influence américaine, marquée par notre pleine intégration à l’OTAN, et à replacer notre pays au centre des discussions.

Cette action, enfin, a montré que l’Europe de la paix, permettant de rétablir un dialogue, vigilant, avec la Russie et d’agir avec force pour redresser le Proche-Orient et le Moyen-Orient, reste à construire.

Quelle cohérence à débattre sans prise de décision sur un sujet aussi sérieux que la guerre ?

« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires », avait dit Georges Clemenceau. Je dirai aujourd’hui qu’elle est par ailleurs trop sérieuse pour en éloigner les citoyennes, les citoyens, leurs représentantes et leurs représentants.

Désaccord sur l’opportunité, désaccord sur le fond, désaccord sur la forme de l’opération… Notre opposition aux attaques de samedi est donc totale, et nous veillerons à stopper l’engrenage dangereux qui s’est ainsi enclenché. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. - M. Vincent Éblé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Cambon, mes chers collègues, après sept ans d’une guerre qui a déjà fait plus de 500 000 morts, plus de 1 million de blessés, provoqué le départ hors de Syrie de plus 5 millions de réfugiés et le déplacement intérieur de 6 millions de personnes, il ne semble faire aucun doute que le régime de Bachar al-Assad s’est livré, le 7 avril dernier, à plusieurs attaques chimiques létales sur le quartier de Douma, faisant plusieurs dizaines de victimes, après des centaines d’autres dans le passé, dans d’atroces et insoutenables conditions.

La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a ainsi été franchie. Le droit international comme les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été bafoués.

Monsieur le ministre, disons-le d’emblée : le groupe Union Centriste, pour lequel je m’exprime à la demande de notre président Hervé Marseille, soutient l’initiative et l’action mesurées et proportionnées qui furent celles, dans la nuit de vendredi à samedi, du chef de l’État et de nos armées, même si un certain nombre d’interrogations ont été exprimées par plusieurs de nos collègues.

Nous voulons à cette occasion rendre hommage à nos militaires, qui combattent sur tous les fronts pour défendre notre liberté et notre sécurité. Leur professionnalisme, leur courage et leur excellence font notre fierté et notre admiration. Ils font également notre réputation internationale. Nous saluons d’ailleurs les soldats français qui ont été attaqués à Tombouctou par des djihadistes, l’ennemi commun là encore.

Ne nous y trompons pas : l’attaque chimique de Douma n’était que la dernière d’une bien longue série de crimes de guerre attribués au régime syrien, le plus souvent par des enquêtes internationales.

Dans un monde qui n’a jamais été aussi instable et imprévisible, l’usage de ces armes prohibées par le droit international représente un véritable défi adressé à l’humanité et réveille, en particulier chez nous Français, le traumatisme de l’utilisation des armes chimiques pour la première fois durant la Grande Guerre. Un siècle après, ce fléau n’a pas été annihilé.

Les frappes de la nuit de vendredi à samedi nous obligent à établir un parallèle avec août 2013. Beaucoup d’entre nous, rappelez-vous, étions à l’époque partagés sur l’opportunité d’une intervention : il y avait, d’un côté, l’abomination et l’horreur de l’utilisation de l’arme chimique – je me souviens d’avoir été à l’époque, comme rapporteur pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans un camp de réfugiés syriens près de Gaziantep, en Turquie, et j’ai vu dans le regard de nos interlocuteurs, qui m’ont d’ailleurs appris cette action terrible, ce qu’ils pouvaient attendre de la France – ; il y avait, de l’autre côté, la crainte d’un renversement du régime d’Assad et, conséquemment, d’une victoire islamiste. C’était présent dans tous les esprits.

De même, les déboires en Afghanistan, en Irak et en Libye accentuaient les hésitations.

Or tout autre est la situation aujourd’hui. Le régime syrien est parvenu, avec le soutien de l’Iran et plus encore de la Russie, à reconquérir une grande partie du territoire et ne semble plus menacé à court terme.

Nos frappes ne constituent donc pas la manifestation d’une entrée en guerre contre un pays ou un régime avec la volonté de le voir chuter, mais elles constituent une action punitive. Il est question ici de frappes ciblées et calibrées, fondées sur un faisceau concordant d’indices et de preuves. Avec, en toile de fond, le légitime souci de ne pas ajouter une nouvelle crise à celles, déjà existantes, qui se superposent dans cette région du monde sous l’effet d’acteurs et d’interactions multiples : ainsi de l’Arabie saoudite au Yémen, du conflit israélo-palestinien ou turco-kurde, de l’instabilité croissante au Liban comme de la présence toujours effective de l’État islamique et d’Al-Qaïda.

De l’intervention des forces armées françaises dépendait aussi la crédibilité de notre diplomatie. On peut entendre l’argument selon lequel notre crédibilité, c’était de ne pas être dans ce conflit. C’est un débat digne et responsable. On peut dire également que notre crédibilité, notre spécificité, notre parole particulière, c’est aussi d’être présent lorsqu’il faut l’être. En frappant un centre de recherche et des sites de production reliés au programme chimique clandestin syrien, la France a contribué, avec ses alliés, à faire respecter une « ligne rouge » plusieurs fois rappelée par elle et ses alliés.

Encore une fois, l’enjeu n’est pas de bouleverser le rapport de force en Syrie ni même de provoquer la Russie, contre qui ces frappes n’étaient certes pas destinées, mais qui devraient néanmoins l’inciter à modérer son allié syrien. L’enjeu, par ces frappes exclusivement punitives et dissuasives, c’était de faire respecter les règles de juste conduite, les unes juridiques, les autres morales et humanitaires.

Pour autant, nous n’oublions pas les minorités, principalement chrétiennes, qui, en Syrie comme ailleurs, ont à juste titre peur d’un avenir incertain.

Mes chers collègues, défions-nous des réactions convenues dès qu’il s’agit de la Syrie et de la Russie. Le dialogue politique avec la Russie doit se poursuivre. Nul n’en disconvient. L’avenir de la région dépendra maintenant des relations que nous réussirons à établir avec le principal allié du régime syrien.

Parmi les Occidentaux, qui mieux que la France pourra mener à bien ce dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine ?

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, notre ennemi commun, c’est Daech. Le Président de la République a appelé l’ONU à reprendre sans tarder l’initiative sur les plans politique, sécuritaire, sur la question chimique et sur le plan humanitaire pour avancer, dans la plus large unité possible, vers un règlement de la crise syrienne. Nous l’approuvons.

L’intervention en Syrie, pour légitime qu’elle apparaisse à nombre d’entre nous, doit en effet s’inscrire dans un cadre onusien. Certes, comme l’atteste le Proche-Orient déchiré depuis plus d’un siècle, les Nations unies ne mettront pas un terme au conflit. Mais l’ONU n’en demeure pas moins le seul cadre institutionnel existant au niveau international.

Reste une question : comment, monsieur le ministre, sortir de l’impasse et surmonter le blocage persistant de la Russie à l’application de la résolution 2118 des Nations unies ? Cela pose d’ailleurs la question, plusieurs fois évoquée par les présidents français et par d’autres, du fonctionnement du Conseil de sécurité : la liste de ses membres permanents l’atteste, il date du monde d’hier, d’une géopolitique qui a profondément évolué, et cette question est plus que jamais sur la table. On parle de cette réforme du Conseil de sécurité, et un jour il faudra parvenir à la faire.

Et puis, alors qu’il est question de relancer l’Europe de la défense, que penser du fait qu’aucun autre État membre de l’Union européenne n’ait participé, même symboliquement, à la coalition ? Même si – que mon propos ne soit pas mal compris – on doit saluer le partenariat avec la Grande-Bretagne, dans l’esprit de Lancaster House. Cela compte, c’est important, car ce sont nos voisins. Mais on ne peut pas dire que l’Europe de la défense était présente. C’est regrettable.

Si nécessaires fussent-elles pour faire respecter le droit et la morale humanitaire la plus élémentaire, les frappes ne régleront pas le conflit. Car, ne soyons pas naïfs, le sort de la Syrie n’est pas entre les mains des seuls Occidentaux : il dépend d’abord de la Turquie, de l’Iran et de la Russie. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle est, à moyen et à plus long terme, la stratégie proche-orientale de la France ?

Pour notre part, et sans faire du départ de Bachar al-Assad le préalable, nous considérons que la France doit pouvoir parler avec l’ensemble des protagonistes, sans exclusive. Elle doit aussi pouvoir remettre au cœur des discussions la question d’une future Constitution et l’organisation – le moment venu, quand les conditions seront réunies – d’élections en Syrie.

« Ce que chacun peut apporter de meilleur au monde, c’est lui-même », écrivait Paul Claudel. Or, mes chers collègues, c’est bien en étant fidèle à sa propre histoire et à son héritage, celui de la défense de la liberté des individus et des peuples à travers le monde, que la France peut apporter quelque chose.

Sachez, monsieur le ministre, que le groupe Union Centriste n’esquivera pas ses responsabilités et adoptera à chaque fois une position responsable lorsque seront en jeu l’intérêt de la France et la dignité de la personne humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)