M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Henno, il est essentiel de garder à l’esprit la distinction entre ceux qui sont persécutés à l’occasion d’un conflit ou en raison de leur race, de leur religion, de leurs croyances politiques, de leurs orientations sexuelles, donc tous ceux qui relèvent de la convention de Genève, d’une part, et celles et ceux qui, d’autre part, se cherchent un avenir différent, ailleurs que dans leur pays d’origine, et dont certains font le choix d’une migration clandestine.

Ce sont deux démarches totalement différentes, et je ne peux, pour ma part, me résoudre à ce fatalisme qui consisterait à penser que pour certains pays, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie du Sud – les ressortissants de ces derniers sont nombreux à avoir emprunté les filières des passeurs clandestins –, l’avenir de leur jeunesse, des plus déterminés, des plus courageux, des mieux formés parfois, passerait forcément par l’exil.

Ce défi relève évidemment d’abord de la responsabilité des autorités de ces pays. Mais c’est aussi notre responsabilité de pays partenaire que de travailler, comme je le disais tout à l’heure, à ce que, par exemple, la croissance économique constatée aujourd’hui en Afrique se traduise véritablement, pour ces jeunes, en développement humain, en possibilités de formation et d’emploi et en confiance dans l’avenir.

Sinon, quelle alternative avons-nous ? Si l’Afrique se développe, nous aurons un partenaire de croissance sur lequel nous pourrons nous appuyer. Si le destin de jeunes Sahéliens, en particulier, consiste nécessairement à aller chercher un avenir ailleurs qu’en Afrique, ici, en Europe, où nous ne pouvons pas tous les accueillir, on aura, en Afrique, de moins en moins de personnes qualifiées, de plus en plus de tensions, et donc de plus en plus de crises à gérer, car elles auront des conséquences sur notre sol.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. Je pense, j’ai même la conviction, que la véritable frontière en matière d’immigration sera demain le Sahara et pas la Méditerranée. Par conséquent, l’Union pour la Méditerranée reste une bonne idée. Elle n’a d’ailleurs pas échoué sur ses objectifs, mais du fait des révolutions arabes et de la crise financière de 2008. Nous pensons donc qu’il est temps de réexplorer cette idée et de travailler à sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, l’Union européenne signait avec la Turquie un pacte migratoire de régulation des flux. Nous, sénateurs français, avions eu l’occasion d’analyser cet accord grâce aux travaux d’une mission d’information ayant pour objectif d’évaluer le bien-fondé et les conséquences de cette réponse, qui nous est apparue comme fragile, ambiguë et partielle face aux enjeux migratoires auxquels l’Europe a été et est confrontée.

À l’aune des mutations politiques dangereuses que connaît la Turquie ces derniers mois, en particulier la reprise du conflit armé entre l’État et le parti du peuple kurde, le bien-fondé de cet accord sombre peu à peu.

Pourtant, le 14 mars dernier, la Commission européenne dégageait une enveloppe supplémentaire de trois milliards d’euros destinée à aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens sur son sol. Cette seconde tranche d’aide montre qu’en dépit des tensions avec Ankara et des défauts de cet accord, ce dernier est encore mis en œuvre.

Bon nombre d’ONG et de personnalités politiques européennes ont appelé à une évaluation juridique de ce pacte. Cet accord serait en effet illégal parce qu’il reposerait sur le postulat erroné selon lequel la Turquie est un « pays tiers sûr ».

Une clarification de la nature de la protection offerte dans un « pays tiers sûr » s’impose. Si nous nous résignons à accepter de sous-traiter le droit d’asile à des pays tiers, ceci doit être au minimum garanti par le caractère effectif de la protection, qui doit être identique à celle qui est accordée dans l’Union européenne – je pense notamment à l’application du principe de non-refoulement.

La Turquie présente-t-elle vraiment un haut niveau de garanties et de protection pour les demandeurs d’asile ?

Le 25 avril dernier, les eurodéputés ont décidé de retirer la Turquie de la liste commune des pays d’origine sûrs. Mais, selon la Commission européenne, ce vote ne concerne pas l’accord bilatéral UE-Turquie, mais seulement les cas de nationaux turcs.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Peut-on penser que le retrait de la Turquie de cette liste aura un impact sur la situation ?

Qu’en est-il, madame la ministre ? Pouvez-vous nous donner la position du gouvernement français sur ce sujet ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Gisèle Jourda, je voudrais rappeler que la déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016 a permis que le nombre d’arrivées dans les îles grecques baisse de 97 % et que le nombre de décès de migrants en mer Égée soit divisé par 10. Ce dispositif a permis de lutter efficacement contre les filières de passeurs ; nous sommes donc attachés à sa poursuite et à sa reconduction.

Je rappelle aussi ce que je disais tout à l’heure : la Turquie est le pays au monde qui accueille le plus grand nombre de réfugiés. C’est un effort colossal, pour lequel nous avons des garanties en matière de qualité de la protection accordée à ces réfugiés. Je précise notamment que les enfants réfugiés, en Turquie, sont scolarisés. Je précise également que, grâce au soutien de l’Union européenne, les réfugiés qui se trouvent en Turquie ont accès aux soins.

Je voudrais plus généralement indiquer que nous travaillons à la poursuite de notre coopération avec la Turquie en matière d’aide aux réfugiés. Ce que vous avez mentionné à propos du Parlement européen est une discussion : ce n’est en rien une décision.

Je voudrais en outre préciser que l’aide européenne versée au profit des réfugiés en Turquie l’est très majoritairement, presque exclusivement, à des acteurs non étatiques – collectivités locales, associations – qui viennent en aide à ces réfugiés et font un travail qui mérite d’être salué.

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer la présence dans notre tribune d’honneur de Mme Christine Defraigne, présidente du Sénat belge. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la ministre.)

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue en cette journée de l’Europe.

C’est aussi l’occasion pour moi de souligner l’excellence des relations d’amitié et de travail entre nos deux institutions.

À l’issue de notre séance, Mme Defraigne aura un entretien avec le président Jean Bizet et le bureau de la commission des affaires européennes sur les grands sujets de l’actualité de l’Union européenne. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent, ainsi que Mme la ministre.)

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L’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières

Suite d’un débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

M. le président. Nous reprenons le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur l’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières.

Débat interactif (suite)

M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de m’étonner que nous ayons ainsi coincé cet important débat entre deux ponts, comme si l’on souhaitait traiter la question des frontières européennes et de l’immigration en catimini.

M. Roger Karoutchi. Le 9 mai, c’est le 9 mai !

M. Sébastien Meurant. Une mésaventure qui m’est arrivée récemment renforce ma crainte en ce domaine. Rapporteur spécial de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration », j’avais souhaité me procurer un document signalé par la commission des affaires européennes « arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés lors de l’évaluation de 2016 de l’application, par la France, de l’acquis de Schengen dans le domaine de la gestion des frontières extérieures ».

Ce document – vous aurez remarqué le magnifique jargon technocratique qui le caractérise – émane de l’Europe. Mon collaborateur s’étant vu refuser la consultation de ce document, je me suis moi-même rendu à la commission des affaires européennes, où l’on m’a signifié que j’avais le droit de le lire, mais non de le copier ou d’en emporter un exemplaire, comme s’il était normal de cacher aux parlementaires des recommandations de l’Union européenne à la France sur un sujet parfaitement régalien.

Ma première question, madame la ministre, est donc la suivante : si l’on souhaite réconcilier les Français avec la politique et la construction européennes, ne pensez-vous pas qu’il serait légitime d’associer le peuple français et ses représentants aux débats fondamentaux portant sur notre sécurité, sur nos frontières et sur l’immigration ?

Ma deuxième question a trait à ce que votre ministère a fait en réponse à la recommandation du Conseil européen dont je parlais à l’instant. Cette recommandation m’a en effet fait froid dans le dos. On y lit que, dans le port de Calais, les informations ne circulent pas bien d’une équipe à l’autre ; qu’à Roissy, les effectifs sont insuffisants pour assurer les vérifications aux frontières, et qu’il y manque du matériel adéquat ; qu’à Orly, les contrôles des membres d’équipage laissent à désirer. Il s’agit de la France !

Pourriez-vous nous dire, madame la ministre, si ces graves défauts relevés par le Conseil européen existaient réellement, ou s’ils n’étaient qu’imagination de technocrates bruxellois ? Et si ces défauts existaient bel et bien, qu’avez-vous mis en place pour remédier à cette situation préoccupante pour la sécurité des Français et pour l’identité de la France ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je devrai me répéter – je vous prie à l’avance de m’en excuser –, mais il me semble que d’ici très peu de temps, vous aurez tout loisir de débattre et de vous exprimer sur la politique migratoire de notre pays. Je suis surprise que vous mettiez en avant le fait que la représentation nationale n’y soit pas associée ; c’est tout le contraire qui est vrai.

S’agissant du document que vous mentionnez, à ma connaissance, l’évaluation faite par la Commission européenne de la mise en œuvre par la France du dispositif de Schengen est pour le moment encore provisoire. Nous n’avons pas reçu d’évaluation définitive. Je ne suis donc en situation ni d’analyser cette évaluation ni d’y apporter une réponse. Je m’engage devant vous à revenir sur cette question et à vous répondre lorsque la Commission européenne nous aura adressé son évaluation définitive.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je voudrais vous faire part de l’inquiétude qui est la nôtre lorsque nous voyons l’absence de résilience des pays de l’Union européenne face à la crise migratoire. Il faut regarder ce qu’ont fait, en la matière, le Liban, la Turquie ou la Jordanie.

La crise humanitaire n’est pas terminée en Syrie : d’autres vagues peuvent arriver. Or l’absence de résilience conduit l’ensemble des pays européens à envisager leurs relations avec leurs voisins, en particulier leurs voisins du Sud, d’abord par le biais de cette politique migratoire – c’est profondément désastreux.

Nous ne parviendrons pas à faire quoi que ce soit, sur le long terme, si nous sommes obsédés par la gestion à court terme des migrations. Le cas échéant – on le sent bien chez certains responsables européens –, on préfère, à nos portes, des régimes autoritaires à des régimes démocratiques, au motif que ces derniers, s’ils peuvent bien représenter des solutions à long terme, nous posent problème à court terme. La pression à nos frontières n’ira qu’en s’aggravant tant que nous ne changerons pas de paradigme, tant que nous considérerons que des régimes autoritaires à nos portes sont une garantie de surveillance des frontières de l’Union européenne.

Madame la ministre, j’ai deux questions. D’une part, quelle est la position de la France face aux propositions de la Commission européenne tendant à conditionner l’attribution de visas à des ressortissants de pays dont les gouvernements refuseraient de donner des laissez-passer consulaires ?

D’autre part, la position de la France pourrait-elle être d’œuvrer en faveur d’une possibilité de contrôle parlementaire, tant par les parlements nationaux que par le Parlement européen, sur l’ensemble des moyens qui sont donnés par l’Union européenne aux pays du Sud avec lesquels nous développons des politiques de régulation migratoire ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, comment parler d’absence de résilience alors que l’Union européenne a accueilli, en 2015, à peu près 1,5 million de demandeurs d’asile d’un coup ?

Mme Esther Benbassa. Pas la France !

M. Jean-Yves Leconte. La Jordanie a fait plus !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Ne nous jetons pas toujours la cendre à la figure ! Sachons aussi reconnaître ce que l’Europe a su faire de positif.

Mme Esther Benbassa. L’Allemagne, la Suède, oui ; pas la France !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. La Jordanie a fait plus, la Turquie a fait plus, certes.

Je vous rappelle quand même, madame la sénatrice Benbassa, que beaucoup de demandeurs d’asile ne souhaitaient pas venir en France à cause du niveau de chômage qui y prévalait, et préféraient partir en Allemagne ou en Suède.

Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias. Vive le shopping !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je voudrais aussi indiquer que lorsqu’il s’agit d’un conflit comme le conflit syrien, il est assez habituel que les personnes fuyant une zone de guerre cherchent à rester à proximité, parce qu’elles ont l’espoir – et nous partageons cet espoir avec elles – de pouvoir revenir un jour dans leur pays d’origine. L’idée, lorsque l’on fuit son pays en guerre, n’est pas nécessairement de partir sur un autre continent.

Vous m’interrogez sur la position qui est la nôtre en matière de laissez-passer consulaires.

Nous souhaitons clairement une amélioration de la délivrance des laissez-passer consulaires par les pays dont sont originaires des migrants économiques illégaux que nous voulons raccompagner. Nous menons ce dialogue avec l’ensemble de ces pays, comme le font aussi, bilatéralement, nos partenaires européens. Et la question de la délivrance de visas, en particulier de visas officiels, à un certain nombre de ressortissants de ces pays, est posée.

Vous m’interrogez également sur le contrôle parlementaire de l’aide au développement européenne. Mais le Parlement européen contrôle l’aide au développement versée par l’Union européenne. Si vous avez, monsieur le sénateur, une question particulière et un souhait particulier s’agissant de ces questions de contrôle, je vous invite à me les communiquer et je vous répondrai par écrit.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Il ne s’agit pas que de l’aide au développement : des financements particuliers sont donnés dans le cadre de la régulation des flux migratoires. Pour ce qui concerne ces politiques, qui ne sont pas des politiques d’aide au développement européennes, à l’évidence, nos collègues députés européens se heurtent à des blocages – ils nous le disent – dès qu’ils demandent ce qu’il en est de l’usage des fonds.

Si l’on veut régler le problème à long terme, on ne peut pas se contenter de donner de l’argent aux gouvernements qui, y trouvant une source de revenus, délivreront les laissez-passer consulaires. Il faut travailler sur le long terme !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Ah ! sur dautres travées.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, pour une fois, je serai d’accord avec mon collègue Leconte – il faut qu’il s’en remette : ceci ne se produira pas souvent. (Sourires.)

Madame la ministre, on a l’impression que tous ces débats ne servent à rien. Quant à moi, j’ai voté pour le « non » à Maastricht, après quoi je suis presque devenu un gentil garçon européen. Franchement, à suivre les débats européens sur les problèmes d’immigration, on se demande si on est sur la même planète !

Dans la pratique, soit il s’agit de débats très techniques, et de modifications à la marge, soit les vrais problèmes ne sont pas abordés. J’ai écouté sur ces questions Mme Merkel en juillet dernier, le président de la Commission européenne en octobre, mais aussi l’actuel président de la République qui, lorsqu’il était candidat, parlait d’un plan Marshall pour l’Afrique. Si l’on veut réguler l’immigration, disait-il, il faut se décider à consacrer des moyens à un tel plan ; à défaut, de toute manière, et quelles que soient les bornes et les réglementations existantes, lorsque surviendra l’explosion démographique en Afrique, où voulez-vous qu’aillent les Africains, sinon par définition vers l’Europe ?

Or je constate que le Parlement européen et la Commission européenne n’avancent pas d’un iota sur ce sujet. Le budget européen est ridicule. On va donner trois francs six sous, ou plutôt trois euros six sous, à l’un, deux euros six sous à l’autre. Mais, en réalité, il n’y a pas de plan Marshall, pas de décisions d’investissement, pas de vraie politique consistant à identifier la source de l’immigration et les moyens d’aider à la tarir, donc à faire en sorte que ces hommes et ces femmes n’aient plus besoin de venir vers l’Europe. Tant qu’on ne le fait pas, pardonnez-moi, madame la ministre, on ne fait que du bricolage ! Et cette situation peut perdurer longtemps.

Je suis, moi, pour le contrôle des frontières, pour la révision de Dublin, pour la révision de Schengen, pour une politique plus ferme en matière d’immigration. Mais je suis aussi pour un vrai plan Marshall, et nous en sommes très loin. Que fait la France en la matière ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Karoutchi, j’espère ne pas vous effrayer, mais je crois que je suis d’accord avec vous.

M. Roger Karoutchi. Je m’en vais, alors ! (Sourires.)

M. André Gattolin. Les grands esprits… !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. C’est l’effet du 9 mai, une fois par an ! Mais je vous promets que je ne le répéterai pas. (Nouveaux sourires.)

Je voudrais tout de même vous rassurer : l’Union européenne est le premier donateur d’aide à l’Afrique. Pays membres et Union européenne confondus, ce sont 19 milliards d’euros d’aide au développement qui viennent d’Europe vers l’Afrique chaque année. S’agissant de l’aide plus spécifiquement destinée à lutter contre les migrations, le Fonds fiduciaire d’urgence atteint 3 milliards d’euros, et nous allons chercher à l’abonder de nouveau, tant avec des crédits européens qu’avec des crédits émanant des États membres.

Pour ce qui concerne la France, vous connaissez l’engagement du Gouvernement à augmenter le niveau de l’aide au développement à hauteur de 0,55 % du PIB, et à concentrer cette aide au développement en direction de l’Afrique et, en Afrique, en direction des pays qui en ont le plus besoin, qui se trouvent au Sahel.

Je n’ai parlé que d’aide au développement ; je n’ai pas parlé de notre action militaire, qui sert aussi à la stabilisation de cette partie de l’Afrique et à la lutte contre le djihadisme, ce dernier comptant parmi les raisons pour lesquelles des Africains choisissent de migrer vers l’Europe. Ce faisant, par notre action, qui est nationale, avec Barkhane, mais pour laquelle des partenaires européens, notamment, nous rejoignent, nous contribuons à la stabilisation du Sahel et à la lutte contre les origines des migrations.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.

M. Roger Karoutchi. J’entends bien, madame la ministre. Mais beaucoup de Français, et beaucoup d’élus, sont, comme moi, pour une politique de meilleur contrôle à l’entrée sur le territoire, pour une politique qui rompe avec le droit d’asile à tout va, lequel n’a plus de sens : s’il y a 102 000 demandeurs d’asile, c’est que tous ne fuient pas les persécutions ! C’est ainsi ! Et si l’on veut respecter le droit d’asile, il faut le ramener à sa vraie valeur.

Mais, en même temps, comme dirait le Président de la République, je suis conscient que si l’on ne change pas la donne chez nos voisins, nous serons perpétuellement sous la pression.

Faites les deux, madame la ministre ! (M. Antoine Lefèvre applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le respect des accords de Schengen, plusieurs pays ont rétabli les contrôles à leurs frontières nationales : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Italie, la République tchèque, la Slovaquie, la Belgique, la Pologne, Malte et la France. Les autres l’ont fait en raison de la crise migratoire ; nous l’avons fait pour contrer la menace terroriste à la suite des attentats du 13 novembre 2015.

Mais la crise migratoire nous touche tout autant que les autres. L’Union européenne fait face à une crise sévère, qui nourrit d’ailleurs des mouvements populistes dans nombre de ses États membres. En 2017, les États membres de l’Union européenne ont accordé un statut protecteur à 538 000 demandeurs d’asile venant principalement de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. Les principaux pays ayant accordé un statut sont l’Allemagne, pour 60 % du total, la France, l’Italie, l’Autriche, la Suède, la Grèce, la Belgique et le Royaume-Uni.

Face à la crise migratoire qui a commencé en 2015, l’Union européenne n’a pas toujours vu juste. Le système des hotspots a par exemple échoué. Il s’agissait de centres d’enregistrement des migrants destinés à répartir les nouveaux arrivants. L’Union européenne a été mise face à la faiblesse de sa politique d’immigration et d’asile.

Selon vous, madame la ministre, quels sont les principaux impacts de cette crise migratoire ? Elle a connu son apogée en 2016, mais elle perdure. Rappelons que l’Union européenne, ce sont 500 millions d’habitants, dont 35 millions sont nés à l’extérieur des frontières, 20 millions sont étrangers et 1 million sans papiers. Les conflits, notamment en Syrie, perdurent. Les migrants venant d’Afrique sont très nombreux également. Les migrants économiques se mêlent aux réfugiés de guerre.

Hormis le renforcement des contrôles aux frontières, l’une des solutions semble résider dans une meilleure coopération de l’Europe avec les pays tiers. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire comment l’Union européenne entend renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pellevat, je voudrais revenir sur un chiffre : 100 000 demandes d’asile, ou presque, ont été formulées en France en 2017. Il s’agit effectivement d’un nombre élevé : au moment où, dans d’autres pays de l’Union européenne, ce nombre décroissait, il augmentait encore dans notre pays.

Mais je voudrais apporter une indication qui me paraît aussi importante pour éclairer l’ensemble de notre débat : la première nationalité de demandeur d’asile, en France, en 2017, est la nationalité albanaise. Il ne s’agit donc pas de Sahéliens, de Syriens ou d’Irakiens ; ces Albanais viennent dans l’Union européenne sans avoir besoin de demander de visa et, une fois sur le sol de l’Union, pour une partie d’entre eux, demandent l’asile.

Sur ce sujet, nous sommes mobilisés. Nous sommes mobilisés bilatéralement, avec l’Albanie, d’abord et avant tout pour lutter contre la criminalité organisée, contre les trafics d’êtres humains, sans lesquels ces personnes ne pourraient pas venir et rester sur notre territoire.

Je voulais faire cette réponse, car je constate, à la lumière de l’ensemble des échanges que nous avons eus, que notre vision de la situation des demandes d’asile en France pouvait être parfois biaisée ou influencée par les discours politique ou médiatique. Nous devons traiter cette question de l’immigration en provenance d’un pays des Balkans.

Pour le reste, je crois avoir déjà répondu précédemment à votre question.

Il faut renforcer les frontières extérieures et le contrôle des frontières extérieures, avec une augmentation à la fois des moyens de FRONTEX et de ceux donnés aux États membres.

Il faut aussi harmoniser le régime européen de l’asile, afin de permettre le rapprochement des critères et des procédures et de faire en sorte qu’il y ait plus de responsabilité à l’entrée. Vous avez évoqué l’échec des hot spots. Mais c’était l’échec de la responsabilité. Nous devons faire plus et mieux dans les pays de première entrée.

Il faut également faire en sorte qu’un mécanisme de solidarité partagé par tous – la solidarité au sein de l’Union européenne ne doit pas être un vain mot – fonctionne en cas de crise grave.

Il faut enfin mieux travailler au développement des pays d’origine, ainsi qu’à la stabilisation des pays de transit.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Une petite dernière pour la route ! (Sourires.)

Madame la ministre, l’Europe a-t-elle encore un poids à l’échelon international ? A-t-elle réussi à se doter d’une politique étrangère, d’une politique de défense, bref d’une politique tout court qui ait une influence ?

Nous venons de voir le président des États-Unis retirer son pays de l’accord sur le nucléaire iranien, sous les applaudissements de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, des pays du Golfe, du Maroc, qui, lui, a rompu ses relations avec l’Iran. J’entendais à l’instant M. le ministre des affaires étrangères indiquer à l’Assemblée nationale que cela était, certes, regrettable, mais que l’accord ne contenait effectivement rien sur la balistique de l’Iran ou sur les tentatives d’hégémonie de ce pays sur le Proche-Orient.

Par conséquent, madame la ministre, ma question est simple. Je me suis rendu en Israël la semaine dernière avec une délégation de membres du groupe France-Israël, présidé par M. Dallier ; l’Europe est considérée par les Israéliens, et pas seulement par eux, comme ayant un peu « dévissé » à l’échelon international. En tout cas, elle n’apparaît plus forcément comme une puissance susceptible d’apporter une garantie. Nous avons un vrai problème à cet égard.

N’avez-vous pas le sentiment que, s’agissant de l’Iran ou d’autres dossiers, nos interlocuteurs n’ayant pas une grande confiance dans la puissance ou l’unité de décision de l’Europe, celle-ci soit en réalité un lion d’argile, capable certes de rugir, mais pas de faire peur à qui que ce soit ?