M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je ne vais pas vous faire une réponse « pour la route ». (Sourires.)

Nous venons de débattre pendant plus d’une heure de l’attractivité de l’Europe pour des centaines de milliers de personnes à travers le monde. Nous savons aussi qu’un certain nombre de pays sont candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Nous ne voyons jamais notre attractivité ; nous ne voyons que nos faiblesses.

Nous avons regretté le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire signé avec l’Iran. Et, dans le concert des nations, peu nombreux sont ceux qui applaudissent. Ceux qui, comme nous, considèrent que l’accord reste valable et qu’il faut toujours en être partie prenante sont infiniment plus nombreux.

Certes, il faut élargir l’accord et avoir une préoccupation forte concernant les activités balistiques de l’Iran ou son rôle au Moyen-Orient ; nous l’avons dit. Le Président de la République est allé en parler avec le président américain, qui a lui-même laissé la porte ouverte à un futur accord. Ce sera très précisément le rôle de l’Europe – mais, vous avez raison, pour cela, il faut une Europe unie, parlant d’une seule voix – de convaincre les uns et les autres de revenir à la table et de faire en sorte que l’accord nucléaire iranien, qui était un immense progrès dans la lutte contre la prolifération, puisse trouver un nouveau développement.

Il serait tout de même paradoxal que l’Iran soit puni d’avoir respecté cet accord au moment où la Corée du Nord, qui, elle, est allée jusqu’au développement d’armes nucléaires, serait récompensée de n’avoir respecté aucun traité international.

Vous avez évoqué la nécessité de bâtir une Europe de la défense. C’est précisément ce que nous faisons. On en a parlé pendant soixante ans sans rien faire ; depuis six mois, on en parle moins, mais on agit beaucoup plus. Je pense à la coopération structurée, à l’ébauche d’un fonds européen de défense et au projet français d’initiative européenne d’intervention, qui permettra demain de travailler sur des opérations extérieures, y compris en gardant le partenaire britannique, dont nous savons qu’il est, avec la France, le seul capable de mener des opérations extérieures efficaces dans le haut du spectre.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.

M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, si même vous rendez hommage à l’action de M. Trump en Corée du Nord, je ne sais que dire ! (Sourires.)

M. André Gattolin. On reste sans voix !

M. Roger Karoutchi. Alors que tous les régimes précédents n’avaient pas réussi à mettre d’accord la Corée du Sud et la Corée du Nord, M. Trump, considéré comme quelqu’un de totalement inculte, y parvient. Finalement, il y a des choses à prendre chez un peu tout le monde.

Je vais vous dire ce qui m’a le plus choqué. Étant un gaulliste frénétique, je considère que la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. Or j’ai entendu un certain nombre de ministres indiquer que le retrait de M. Trump créait un problème pour les entreprises françaises installées en Iran, celles-ci ayant triplé leur chiffre d’affaires depuis trois ans. Je le dis – avec tout le soutien que j’apporte aux entreprises françaises – : la France, ce ne sont pas les entreprises qui s’installent en Iran ; la France, c’est la paix, les droits de l’homme et la liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, je me réjouis tout d’abord de la qualité de nos échanges. Je remercie Mme la ministre de s’être prêtée au jeu des questions-réponses. Je salue la présence de nombre de nos collègues en cette journée de l’Europe, placée cette année entre deux ponts.

Notre collègue Roger Karoutchi a tout à fait raison de se désoler du temps européen, qui est très long, trop long. Le temps européen est celui des alliances, des accords et des votes à la majorité, à la majorité qualifiée, voire à l’unanimité des Vingt-Sept. Aujourd’hui, le temps politique et géostratégique est beaucoup trop long par rapport au temps économique. Nous ne pouvons que le déplorer.

Plusieurs questions ont porté sur la gestion des problématiques migratoires. Notre collègue Roger Karoutchi a regretté que l’Europe ne soit pas suffisamment considérée comme une puissance.

C’est pourtant le fil conducteur que nous avons mis en exergue dans le cadre du groupe de suivi que M. le président du Sénat a chargé la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes d’organiser : l’Europe doit affirmer sa puissance, dans ce moment difficile où nos amis britanniques nous quittent.

La défense, la sécurité intérieure et la gestion de la crise migratoire sont par essence des questions régaliennes. L’Europe doit apporter sa plus-value à son rythme. En général, ce qu’elle fait, elle le fait bien. Mais elle le fait beaucoup trop lentement, ce qui ne passe pas très bien aux yeux de nos concitoyens.

En matière de lutte contre le terrorisme, la création d’une Union de la sécurité et l’amélioration de l’alimentation, de l’utilisation et de l’interopérabilité des bases de données européennes sont essentielles. Je voudrais que la France se fasse davantage entendre à Bruxelles, afin que 85 % des données venant des États membres ne soient pas fournies uniquement par cinq d’entre eux.

J’en viens à la sécurité intérieure. Il est extrêmement important que chaque État membre se dote d’un PNR national.

La défense doit reposer sur une vision stratégique partagée, fondée sur une revue stratégique de la défense européenne. Le couple franco-allemand est essentiel. Disons-le clairement : il a été en difficulté depuis quelques années ; aujourd’hui, il semble de nouveau sur le bon chemin. Au sein de la commission des affaires européennes du Sénat, nous avons souhaité la mise en place d’un Conseil européen de sécurité, d’une structure permanente de planification de commandement et de conduite des missions militaires.

Madame la ministre, j’ai écouté votre réponse sur le contrôle effectif des frontières extérieures et le renforcement opérationnel de FRONTEX. Vous avez indiqué qu’il pourrait y avoir une action sur un État membre après avis et décision du Conseil, sur demande d’un État membre. J’espère que la demande ne prendra pas trop de temps. Nous ne sommes pas dans une structure fédérale, et cela ne sera jamais le cas, ou, du moins, pas avant des lustres. L’Union est une confédération d’États-nations. Ne prenons pas trop de temps pour décider d’une telle action, si ne nous voulons pas que l’Europe perde de sa puissance et de sa crédibilité.

L’Europe doit apporter un appui plus généreux de ses fonds de cohésion. Nous avons manqué de générosité et de solidarité à l’égard de l’Italie. C’est sans doute ce qui explique les résultats électoraux du Mouvement 5 étoiles. Faisons très attention à cela.

Comme je l’ai souligné tout à l’heure, la politique de retour ne fonctionne pas. L’esprit de La Valette s’inscrit précisément dans celui des propos que Robert Schuman avait prononcés le 9 mai 1950. Pour ma part, j’aimerais une approche un peu plus « autoritaire » : tout pays tiers qui n’accepterait pas d’entrer dans le jeu d’une politique de retour ne devrait plus être bénéficiaire d’une aide au développement. L’Europe est un grand pays, solidaire et généreux. Mais la générosité a des règles. Nous savons très bien qu’un certain nombre d’États, notamment africains, n’accordent des retours et des réintégrations que sur les doigts d’une seule main. Nous ne pouvons pas accepter cela. De mémoire, le dernier cadre financier pluriannuel prévoyait 55 milliards d’euros d’aide au développement, distribués ensuite par l’ONU. On perd un peu la « traçabilité » de ces aides. Je souhaite que la France puisse tenir un tel discours.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Notre collègue Philippe Pemezec a parlé de « quotas » et de « plafonds » ; ce sont des mots que l’on n’entend pas beaucoup en France, mais de grandes démocraties ont décidé d’y recourir. Elles ne sont pas moins bien considérées sur la scène internationale.

Si l’on peut se réjouir dans la première approche du cadre financier pluriannuel, qui dote cette politique d’un certain nombre d’allocations financières, je regrette – mais ce sera l’objet d’un autre débat – que cela s’effectue au détriment de la politique agricole commune et des fonds de cohésion, qui ont tous deux leur importance ; ce n’est pas notre collègue François Patriat qui me démentira.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La politique agricole commune reste éminemment stratégique : bien qu’ancienne, elle n’a jamais été aussi moderne. Nous en débattrons prochainement de nouveau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

7

L’Union européenne face aux défis de la compétitivité, de l’innovation, du numérique et de l’intelligence artificielle

Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur l’Union européenne face aux défis de la compétitivité, de l’innovation, du numérique et de l’intelligence artificielle.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat disposera d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission auteur de la demande.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce 9 mai, journée de l’Europe, le second débat européen portera donc sur les défis en matière de compétitivité, d’innovation, de numérique et d’intelligence artificielle. Certains de nos collègues – je songe à André Gattolin et à Colette Mélot – sont très compétents sur ces sujets.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La compétitivité économique de l’Union européenne est un défi majeur.

Le marché unique est une grande réalisation. Mais il doit d’abord être un atout pour les producteurs européens. Certes – et heureusement ! –, l’Europe n’a pas fait le choix du repli, dont les conséquences économiques seraient néfastes. Elle s’est ouverte sur le monde. Mais, en acceptant l’ouverture, elle doit aussi veiller à préserver ses intérêts économiques. Nous souhaitons en particulier que l’Union soit ferme et unie face aux initiatives américaines concernant l’aluminium et l’acier. Où en est-on des discussions avec les autorités américaines ? Nous attendons vos réponses sur ce sujet qui fait votre quotidien, madame la secrétaire d’État.

Le marché unique doit bénéficier aux producteurs européens. Pour cela, l’action de l’Union doit développer une ambition. Or nous sommes loin d’une véritable stratégie industrielle européenne qui permettrait à notre continent de reconquérir le terrain perdu dans ce domaine.

L’Europe doit rattraper son retard en matière d’investissement. Nous avons soutenu l’augmentation de la capacité et de la durée du Fonds européen pour les investissements stratégiques. La Commission européenne propose désormais de créer un nouveau fonds d’investissement qui permettrait, par le jeu de garanties, de mobiliser 650 milliards d’euros d’investissements. Il faut parallèlement lever les obstacles réglementaires aux investissements.

L’énergie doit être une priorité. L’Europe ne sera pas compétitive sans une énergie sécurisée, accessible et bon marché. Nous appuyons le projet d’une Union de l’énergie, tout en veillant à une bonne articulation entre les compétences de l’Union et celles des États membres. Pouvez-vous nous éclairer sur l’état des discussions en cours sur le paquet de textes présentés par la Commission européenne ?

Je voudrais également souligner que les membres de la commission des affaires européennes du Sénat ont été extrêmement attentifs s’agissant de l’émergence de Nord Stream 2. L’Allemagne sera demain un hub gazier européen. À mon avis, cela l’oblige économiquement et politiquement à certains engagements vis-à-vis d’autres États membres.

L’innovation doit constituer une autre priorité. L’Europe peut apporter une réelle plus-value dans ce domaine. La Commission européenne propose un nouveau programme, intitulé Horizon Europe, doté de 97,6 milliards d’euros, soit 53 % d’augmentation par rapport au cadre actuel. Elle souhaite afficher clairement la priorité accordée à l’innovation, avec un Conseil européen de l’innovation, qui constituerait un guichet unique en matière d’innovation de rupture. Quelle est l’appréciation du Gouvernement sur ces initiatives ?

Personnellement, j’attire depuis quelque temps déjà l’attention du Gouvernement sur deux points bien particuliers. D’une part, l’Europe n’est pas dotée de supercalculateurs de nouvelle génération alors que nos voisins d’outre-Atlantique et le bloc asiatique le sont. D’autre part, sur le sujet un peu délicat de l’évolution de la sélection variétale et les biotechnologies, j’aimerais avoir votre analyse à propos des fameux NBT, pour New Breeding Techniques, qui constituent à mon avis un passage obligé s’agissant de la compétitivité de certaines filières agricoles.

Dans cette mobilisation pour la compétitivité européenne, l’Union économique et monétaire doit occuper une place centrale. C’est pourquoi son approfondissement doit demeurer une priorité. Dans le cadre du groupe de suivi sur la refondation, le Sénat avait formulé des propositions. Pour le prochain cadre financier, la Commission européenne prévoit un programme de soutien aux réformes, à hauteur de 25 milliards d’euros, et une fonction de stabilisation de l’investissement, avec une capacité de prêts de 30 milliards d’euros. Une feuille de route franco-allemande a été annoncée. Mais, à ce stade, on constate plutôt des divergences. Cela nous désole. Pouvez-vous nous rassurer sur une position commune de la France et de l’Allemagne d’ici au prochain sommet de la zone euro et au Conseil européen de fin juin ?

Le numérique est un autre grand défi de l’heure. L’Europe a pris conscience de son retard dans l’innovation et la régulation, mais également de sa faiblesse vis-à-vis des grands acteurs privés de l’internet. Face à des comportements contestables, comme l’optimisation fiscale ou l’abus de position dominante, les pouvoirs publics paraissent plus enclins à la fermeté. La Commission européenne a proposé une stratégie globale et ambitieuse. L’entrée en vigueur du règlement sur la protection des données personnelles doit être saluée.

Et si l’Europe a eu un retard technologique important, elle a, je le crois, aujourd’hui ouvert une nouvelle porte, celle de l’éthique. Songeons au contentieux entre Facebook et Cambridge Analytica. Il y a là, me semble-t-il, une piste à creuser de plus en plus.

Le droit européen de la concurrence doit être aussi plus efficace. Le Sénat préconise de simplifier le déclenchement des mesures conservatoires, afin d’éviter que ne persistent des entorses aux règles de concurrence pendant la durée souvent très longue des procédures déclenchées par la Commission européenne. Je pense à l’affaire Google ou – c’est le dossier de l’heure – à l’affaire Air France-KLM, à la suite du contentieux entre l’entreprise et Ryanair ou certaines compagnies du Golfe.

Nous devons encadrer spécifiquement les plateformes numériques structurantes pour l’économie, en leur appliquant notamment le principe de loyauté. Que peut-on attendre des propositions de la Commission européenne dans ce domaine ?

Nous devons aussi parvenir à une taxation effective des revenus créés par l’activité numérique, en matière de fiscalité directe comme indirecte, avec une assiette rattachée au territoire de l’activité effectivement réalisée, que l’on appellerait « présence digitale significative ». Pouvez-vous éclairer le Sénat sur les discussions en cours ?

Je regrette que le Conseil européen n’ait pas cru bon d’adopter la position de la France en la matière et ait préféré se retrancher sur la position de l’OCDE. Je sais bien que la position française n’est pas parfaite. Mais le dispositif aurait au moins le mérite d’être enclenché dès maintenant.

À l’ère numérique, le droit d’auteur et les droits voisins doivent être pérennisés par une assise territoriale réservée. Il faut parallèlement veiller à favoriser l’accès aux œuvres et à préserver la juste rémunération des auteurs et le financement de la diversité culturelle. Nous avons besoin d’un pilotage stratégique et d’une grande cohérence entre la politique de concurrence et la politique industrielle. Il faut soutenir la croissance des start-up européennes en Europe, en mobilisant les outils de financement et en levant les barrières à leur développement européen. L’Union européenne doit aussi défendre son ambition numérique dans les négociations commerciales en cours.

Je veux souligner l’enjeu de la cybersécurité et l’importance stratégique de développer des compétences et des capacités publiques et privées. C’est la souveraineté proprement dite des États qui peut être mise à mal, de même que le développement d’une économie numérique, lequel ne peut que reposer sur la confiance de ses acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de votre invitation. Nous le savons tous : le cadre européen est primordial pour notre économie. Et quel meilleur jour pour débattre des défis auxquels fait face l’Union européenne en matière de compétitivité, d’innovation, de numérique et d’intelligence artificielle ?

Nous vivons une époque où les innovations structurantes, les évolutions techniques, les approches nouvelles en termes de production, de collaboration, de services ou de consommation s’accélèrent fortement et bouleversent non seulement les chaînes de valeur, mais aussi nos modes de vie.

Ce qui est frappant également, c’est que l’origine de ces innovations se diversifie. Elles ne sont plus l’apanage des grandes puissances occidentales ni de grands groupes industriels historiquement établis. Il faut de plus en plus raisonner en dynamique, et anticiper plutôt que s’adapter.

La compétitivité de l’Europe dans la durée repose largement sur sa capacité à intégrer les nouvelles technologies dans les produits de ses entreprises, dans les processus de production, dans leurs relations avec les clients et les partenaires.

Dans la concurrence mondiale, notre continent a des atouts majeurs à faire valoir : une recherche de qualité, un tissu d’entreprises dynamiques, des têtes de filières qui créent de l’activité au sein de l’Union européenne, des compétences et des valeurs.

Mais il faut aller plus loin si nous voulons que l’Union européenne joue pleinement son rôle de grande puissance économique mondiale au profit des citoyens européens.

Nous devons définir et défendre une stratégie industrielle vraiment européenne, notamment sur l’innovation de rupture ; ce sera le premier thème de mon intervention. Nous devons aussi défendre nos valeurs, que ce soit en menant une politique commerciale ferme et sans naïveté ou en répondant aux défis posés par le développement des acteurs numériques ; ce sera le second thème de mon propos.

La période est décisive, car nous devons prouver notre capacité à relever ces défis, en particulier avec le lancement des discussions sur le prochain budget européen, qui doit être à la hauteur des enjeux.

Premier point, nous devons bâtir une Europe de l’industrie, à la pointe de l’innovation de rupture.

Face à la Chine ou aux États-Unis, une stratégie industrielle purement nationale n’a plus grand sens. Le Gouvernement entend bien pousser auprès de la Commission et de nos partenaires européens des initiatives ambitieuses et concrètes en matière de politique industrielle européenne.

C’est à l’échelle européenne que nous pouvons créer des écosystèmes industriels de pointe et des « champions » capables de peser sur la scène mondiale. C’est aussi par l’Europe que pourra s’établir notre autonomie stratégique dans des technologies-clés : la cybersécurité, le véhicule autonome et connecté, l’aéronautique et l’espace, l’intelligence artificielle. L’Europe nous donne la force de frappe nécessaire pour mener de grands projets industriels intégrés, du laboratoire à l’usage : dans les supercalculateurs, par exemple, ou les nanotechnologies. En matière de R&D, l’Union européenne s’est dotée de bons instruments, mais ils concernent surtout l’innovation incrémentale.

Les sujets complexes d’innovation radicale méritent une approche spécifique et un cadre fortement mutualisé en Europe.

Notre puissance de feu en matière d’innovation de rupture est déterminante pour notre compétitivité. Elle repose sur des projets qu’on appelle « deep tech », c’est-à-dire très intensifs en recherche et développement, qui requièrent dès le départ des financements massifs et risqués. La bonne échelle, c’est donc l’échelle européenne.

Pour répondre à cet impératif, le Président de la République a proposé la création d’une agence européenne pour l’innovation de rupture. Nous ne pouvons pas prendre de retard. Dès 2019, un prototype d’agence doit être mis en place au niveau européen.

Enfin, nous devons saisir le tournant de l’intelligence artificielle. Au niveau national, d’abord, où c’est une priorité avec le déploiement de 1,5 milliard d’euros en cinq ans, mais surtout avec un programme très structuré. En Europe, ensuite, en soutenant la stratégie formulée par la Commission européenne, en particulier sur les trois axes proposés : la compétitivité technologique et économique ; l’anticipation des changements socio-économiques ; la création d’un cadre juridique et éthique.

Comme vous l’avez mentionné, monsieur le président de la commission des affaires européennes, le paquet énergie-climat est également un sujet essentiel pour notre industrie. Nous entendons bien pousser à la mise en œuvre des conclusions de la COP21, en particulier en ce qui concerne les enjeux environnementaux, tout en prenant en compte les défis industriels de certains secteurs – je pense notamment aux électro-intensifs.

Deuxième point : nous voulons une Europe ouverte, mais également capable de défendre ses valeurs, ses intérêts et son modèle économique. Il est absolument nécessaire de défendre des relations commerciales ouvertes et réciproques, à l’heure où se développent des pratiques commerciales déloyales et la tentation du protectionnisme. Nous devons agir fermement, dans le respect du droit, pour défendre, moderniser et renforcer les règles du commerce international et permettre ainsi à nos entreprises d’évoluer dans un environnement sûr et favorable à l’innovation et aux investissements.

Mais ouverture ne signifie pas naïveté ; nous voulons aussi nous protéger lorsque des pays tiers ciblent, de façon parfois agressive, des entreprises stratégiques en Europe. C’est pourquoi nous devons adopter rapidement le règlement sur le filtrage des investissements étrangers en Europe.

S’agissant des enjeux nouveaux liés à l’économie numérique, l’Europe doit proposer un modèle juste et efficace. Elle a su le faire en matière de protection des données personnelles. Il faut avancer sur deux autres défis qui sont posés.

D’une part, sur la fiscalité : il n’est pas acceptable que les grandes entreprises du numérique ne paient que 9 % d’impôts en Europe, contre 23 % pour les acteurs traditionnels.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat. C’est non seulement injuste, mais aussi dangereux pour notre compétitivité et pour nos finances publiques.

D’autre part, sur la concurrence : c’est un fait, les distorsions de concurrence existent pour les plateformes qui n’ont pas les mêmes obligations réglementaires, sociales et fiscales.

Nous sommes déterminés à contrôler et à sanctionner les pratiques déloyales, car il faut assurer la juste concurrence et des relations commerciales équilibrées entre les acteurs économiques. Nous le faisons sur le plan national. En mars dernier, Bruno Le Maire a assigné Google et Apple en justice pour pratiques commerciales abusives, comme il l’avait fait contre Amazon en 2017.

Nous portons ces principes au sein de l’Union, où nous voulons une régulation européenne des relations d’affaires des plateformes avec leurs partenaires. La France s’est mobilisée pour que la Commission européenne propose un tel encadrement, et nous soutenons entièrement le projet déposé le 26 avril dernier, en particulier la mise en place d’un observatoire européen sur la loyauté des plateformes numériques. Ce projet doit aboutir.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat. Pour conclure ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de revenir plus en détail sur les nombreux points soulevés par M. le président de la commission des affaires européennes, lesquels ne manqueront pas, j’en suis certaine, de susciter d’autres questions, je souhaite dire que nous voulons une Europe qui défend ses intérêts, une Europe qui met au cœur de ses projets la compétitivité et l’industrie, une Europe qui se positionne avec force sur les grands enjeux technologiques d’avenir. Voilà les grands messages que je souhaitais vous adresser en ouverture de ce débat. Je me ferai un plaisir de préciser tous ces points en répondant à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires européennes et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Débat interactif