M. Alain Milon. Il semblerait qu’un enfant sur quatre soit victime de violences physiques, un sur cinq de violences sexuelles et un sur dix de violences psychologiques. C’est le constat terrible d’une enquête épidémiologique et clinique américaine, qui a d’ailleurs été confirmé par le Conseil de l’Europe. En France, 2,7 millions d’enfants pourraient donc être concernés par ce genre de violences. Selon une étude anglaise, les enfants handicapés courraient 2,8 fois plus de risques d’être l’objet de violences sexuelles.

Afin que l’on puisse dépister au plus tôt ces violences sur mineurs, nous réclamons une extension de l’obligation de signaler pour tous les médecins de notre pays. Nous pensons que le signalement n’est ni une dénonciation ni une accusation : les médecins font part de leurs soupçons, ils n’ont pas à apporter de preuves ni à mener d’enquête avant de signaler.

Cette obligation de signaler existe depuis plus de cinquante ans aux États-Unis. Elle s’est étendue au Canada, à l’Australie, et actuellement vingt-deux pays européens l’appliquent. En France, elle figure à l’article 40 du code de procédure pénale. Mais, et c’est tout le problème, le champ de cette obligation, signifiée par les termes « est tenu », est limitée chez nous aux médecins fonctionnaires de l’État, c’est-à-dire, essentiellement, les médecins de l’éducation nationale, et aux médecins de la fonction publique territoriale, ceux de la protection maternelle et infantile, la PMI, et de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE.

Cette obligation ne concerne donc pas la majorité des médecins, c’est-à-dire ceux appartenant à la fonction publique hospitalière, ceux qui exercent dans les centres médico-psychologiques ou les institutions privées et, évidemment, les médecins libéraux. Ayant la faculté de choisir entre signaler et s’abstenir de signaler, ces médecins sont encore exposés à un dilemme : soit ils signalent, et ils risquent des poursuites et des sanctions disciplinaires, soit ils ne signalent pas, et ils risquent des poursuites pour entrave à la saisine de la justice.

La solution pour mettre un terme à cette situation est législative. Il faut donc amender l’article 226-14 du code pénal. C’est l’objet des deux amendements que je présente au travers de cette intervention, celui-ci et l’amendement n° 2 rectifié quater.

Je précise que l’instauration de l’obligation de signaler a été recommandée par l’Association mondiale de psychiatrie dès février 2009, par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 18 novembre 2009, par le Comité des droits de l’enfant le 17 février 2011 et par les deux rapporteurs spéciaux des l’Organisation des Nations Unies le 7 mars 2011.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié bis.

Mme Michelle Meunier. Cet amendement a lui aussi pour objet le repérage et la prévention précoces des mauvais traitements et des violences envers les enfants.

Il s’agit d’inscrire explicitement dans la loi l’obligation de signalement par les médecins des suspicions de violences sur mineurs. L’introduction de cette obligation permettrait, selon des études américaines, de multiplier par quatre le taux de cas confirmés de signalement et de diviser par trois le risque, pour un enfant, de mourir sous les coups qui lui sont infligés. Dans certains États des États-Unis, le nombre de décès est ainsi passé de 3 500 à moins de 1 000.

Cela permettrait également de réduire le long chemin de souffrance des victimes, car le signalement est la clé d’entrée dans le parcours de soins, de rompre le cycle de la violence le plus tôt possible et, comme l’a dit hier Mme la garde des sceaux, de prendre en charge les agresseurs, les auteurs de violences, afin qu’ils ne récidivent pas auprès d’autres victimes. C’est là aussi l’enjeu de ce texte.

Cet amendement répond à une préoccupation de nombreux médecins, notamment de pédiatres et de pédopsychiatres, mais aussi de médecins généralistes. On ne peut que déplorer que 2 % seulement des signalements auprès des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes soient le fait de médecins, alors que, on le sait, ils sont confrontés, dans leur cabinet, à davantage de cas.

Au travers de l’amendement n° 14 rectifié bis, qui viendra ensuite en discussion et est identique à l’amendement n° 2 rectifié quater de M. Milon, nous proposons des mesures de protection des professionnels de santé qui sont amenés à signaler les mauvais traitements qu’ils constatent dans leur cabinet.

Article additionnel après l'article 2 bis C - Amendements n° 1 rectifié quater et n° 13 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Article additionnel après l'article 2 bis C - Amendement n° 27 rectifié

M. le président. L’amendement n° 141, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’article 2 bis C

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les 1° et 2° sont ainsi rédigés :

«  Au médecin, à tout autre professionnel de santé et à toute autre personne qui informe le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire, ou toute autorité médicale ou administrative, des sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ; cette information peut être faite sans l’accord de la victime ; lorsqu’elle concerne un mineur, cette information peut être faite à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles ;

« 2° Hors les cas mentionnés au 1° , au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de toute autre autorité judiciaire, ou toute autorité médicale ou administrative, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ; »

2° Après le mot : « établi », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « que la personne a agi de mauvaise foi en connaissant l’inexactitude des faits signalés. »

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. La maltraitance des mineurs est bien évidemment insupportable et inacceptable. Cet amendement vise à clarifier un dispositif qui est devenu illisible à force de réformes successives. Il tend à affirmer clairement les compétences et les facultés de chaque personnel soumis au secret professionnel en matière de saisine soit du procureur de la République, soit des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes – les CRIP – relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être.

L’amendement vise surtout à réaffirmer l’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire des professionnels de bonne foi, dont les médecins, en imposant, pour que leur responsabilité puisse être engagée, d’établir leur mauvaise foi et leur connaissance de l’inexactitude des faits signalés. Les professionnels doivent savoir qu’ils ne pourront jamais être condamnés pour avoir violé le secret professionnel en toute bonne foi et pour de bonnes raisons. Ce renforcement de l’immunité pénale a pour objectif de les inciter à dénoncer davantage les faits de maltraitance.

Article additionnel après l'article 2 bis C - Amendement n° 141
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Article additionnel après l'article 2 bis C - Amendements n° 2 rectifié quater et n° 14 rectifié bis

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de la Gontrie, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 2 bis C

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 2° de l’article 226-14 du code pénal est complété par les mots : « et le signalement est obligatoire ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement va exactement dans le même sens que ceux de nos collègues Alain Milon et Michelle Meunier, mais présente une rédaction plus simple.

L’obligation de signalement est un sujet dont nous discutons régulièrement au Sénat. Nous en avions parlé lors de l’examen de la loi 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance ou de la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé. Ce texte visait à préciser que les médecins ne peuvent pas être poursuivis parce qu’ils ont fait un signalement. En effet, une espèce de légende urbaine selon laquelle un médecin peut être traîné en justice pour diffamation a cours dans le milieu médical. Malgré le vote de la loi Giudicelli, elle n’a pas été dissipée et les choses ne sont pas totalement clarifiées.

Les médecins généralistes sont probablement les personnes les mieux à même d’identifier des mauvais traitements. Or on est toujours étonné par la faiblesse du nombre de signalements effectués par les médecins généralistes au regard du nombre d’enfants qui auraient dû faire l’objet d’un signalement.

Cette disposition peut paraître quelque peu injonctive à l’égard des médecins, mais je crois que le moment est venu de la voter et d’expliquer aux médecins qu’ils sont des acteurs de la prévention des violences faites aux enfants. On ne peut pas se passer d’eux pour identifier et prévenir les violences, et ainsi protéger les enfants.

Article additionnel après l'article 2 bis C - Amendement n° 27 rectifié
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Article 2 bis D (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Les amendements nos 2 rectifié quater et 14 rectifié bis sont identiques.

L’amendement n° 2 rectifié quater est présenté par MM. Milon, Lefèvre, Panunzi, Mouiller, Rapin, Savary et Cardoux, Mmes Imbert, Bonfanti-Dossat, Deseyne, Gruny, Lassarade et Lavarde, MM. Morisset et Chaize, Mme Puissat, MM. Sol et Bazin, Mmes Deroche et Estrosi Sassone, MM. Gilles, Cambon, Pierre, H. Leroy et Bouchet, Mme Micouleau, M. Kennel, Mme A.M. Bertrand, M. Bonne, Mmes de Cidrac, L. Darcos et Malet, M. Savin, Mmes F. Gerbaud, Deromedi, Eustache-Brinio, Dumas et Procaccia, M. Laménie, Mme Garriaud-Maylam, MM. Revet, Dufaut, Buffet, Huré, Sido, Brisson et Paul et Mme Keller.

L’amendement n° 14 rectifié bis est présenté par Mme Meunier, MM. Roger, Bérit-Débat et Iacovelli, Mme Jasmin, MM. Courteau, Duran et Mazuir, Mmes Conway-Mouret, Ghali, M. Filleul et Lienemann, MM. Vaugrenard, Antiste et Daudigny, Mmes Tocqueville, Blondin, Préville, Bonnefoy et Van Heghe, M. Lalande, Mme Guillemot, MM. P. Joly et Madrelle, Mme S. Robert, M. Manable et Mmes Féret, Lepage et Perol-Dumont.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 2 bis C

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l’article 226-14 du code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Aucune action en responsabilité civile, pénale, disciplinaire et administrative ne peut être intentée à l’encontre de tout professionnel ou toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article de bonne foi.

« Nul ne peut dévoiler ou être contraint de dévoiler l’identité ou tout autre élément permettant l’identification d’un professionnel ou de toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article sans son consentement. »

Ces amendements ont été défendus.

Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements faisant l’objet de la discussion commune ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mon sentiment personnel est que tous ces amendements vont dans la bonne direction. J’ai bien sûr une préférence pour celui de la commission, mais je ne méconnais pas l’intérêt des autres. Pour aller encore plus loin, il me semble qu’aucun d’entre eux n’est complètement abouti. Ce qui me paraît important, c’est que l’un au moins de ces amendements, de préférence celui de la commission, soit adopté.

Puisqu’il n’y aura pas de navette en raison du recours à la procédure accélérée, je vous propose, mes chers collègues, de vous rallier à l’amendement de la commission des lois et d’engager très rapidement avec la commission des lois et sa rapporteur un travail pour que, quel que soit l’amendement adopté, nous puissions faire progresser sa rédaction d’ici à la commission mixte paritaire.

Je veux vous expliquer pourquoi je trouve inabouti le traitement de la question par l’ensemble des amendements qui ont été déposés, y compris celui de la commission des lois.

Mme Laurence Rossignol. Pourquoi n’entend-on pas Mme la rapporteur ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Deux hypothèses sont à distinguer.

Première éventualité, la conviction profonde du médecin est que l’enfant se trouvant devant lui a subi des sévices, quelle qu’en soit la nature, appelant une intervention qui prendra la forme, dans l’urgence, d’une saisine du procureur. Dans ce cas, il n’y a pas de question. Tout le monde est absolument d’accord pour dire que, s’il constate des sévices sur un enfant, le médecin doit absolument saisir le procureur ; s’il ne le fait pas, il encourt lui-même des poursuites pénales pour non-dénonciation d’une infraction subie par un enfant. Il n’y a pas à barguigner : c’est clair et net, mais c’est déjà ce que prévoit le droit. Dans cette situation, le médecin doit déroger au secret professionnel, car il n’y a pas de secret professionnel qui tienne face à l’impérieuse nécessité de protéger l’enfant, dès lors que le médecin a la certitude de l’infraction.

Seconde éventualité, le médecin ne sait pas comment interpréter les signes qu’il a sous les yeux ; il ne peut pas dire si les souffrances de l’enfant résultent d’un accident, par exemple, ou de sévices. Que doit-il faire ? Il a le choix entre saisir le procureur ou la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP. Ce n’est pas la même chose.

Le travail de la CRIP consiste à mobiliser tous les personnels sociaux, éducatifs et médicaux qui peuvent avoir été en contact avec l’enfant et la famille, pour essayer de tirer au clair les éléments portés à sa connaissance par le médecin ou, parfois, par le professeur des écoles ou l’infirmière scolaire. À ce moment-là, il appartient au président du conseil départemental, qui est responsable de cette cellule, de prendre toutes dispositions utiles pour protéger l’enfant. Elles peuvent éventuellement, après ce complément d’enquête très rapide, comporter la saisine du procureur afin d’engager des poursuites et, éventuellement, de retirer en urgence l’enfant à sa famille.

Il faudrait faire en sorte que le médecin, en cas de suspicion, s’adresse par priorité à cette cellule plutôt qu’au procureur. En effet, les services de la gendarmerie et de la police reçoivent énormément de plaintes, qu’ils n’arrivent plus à traiter. Les officiers de police judiciaire sont saturés de plaintes. Or le médecin n’a pas la certitude de l’infraction : il a simplement un doute qu’il ne peut garder pour lui, qu’il doit absolument communiquer à une instance qui agira très rapidement pour protéger l’enfant si c’est nécessaire.

Il faudrait donc que, dans cette hypothèse, le médecin qui ne saisit pas la CRIP, alors même qu’il a un soupçon, puisse faire l’objet de sanctions. C’est ainsi que je vois les choses. Les amendements identiques de M. Milon et de Mme Meunier vont tout à fait dans ce sens, mais à une nuance près : ils prévoient non pas expressément une sanction pour non-signalement à la CRIP, mais, en réalité, par une combinaison de textes avec le droit pénal, une sanction pour non-transmission du signalement au parquet et à la police judiciaire.

C’est ce qui me gêne, et c’est la raison pour laquelle j’estime que ces amendements ne sont pas aboutis. Je suis néanmoins d’accord, pour m’en être entretenu notamment avec le président Milon, avec l’idée qu’il faudrait non seulement que le médecin ne soit pas réputé avoir violé le secret professionnel s’il transmet le signalement à la CRIP, mais aussi que, s’il a omis de le faire, il soit passible de sanctions. En effet, nous voulons avant tout protéger l’enfant, ainsi que le médecin qui a fait son devoir, afin qu’il n’encoure pas de reproche pour cette raison.

Ce n’est pas, monsieur Milon et madame Meunier, ce que prévoient vos amendements ; c’est pourquoi je ne peux m’y rallier au nom de la commission. À ce stade, je vous propose de retirer vos amendements au profit de celui de la commission. Ce qui m’importe, en tout état de cause, c’est d’introduire le dispositif dans le texte afin que la commission mixte paritaire puisse le finaliser.

Je suis profondément d’accord avec votre intention, mais je ne veux pas que l’on submerge davantage encore les officiers de police judiciaire et les parquets avec des signalements reposant sur une simple suspicion. Je préfère que l’on s’en tienne, quand il n’y a pas de certitude, à la voie normale, qui consiste à adresser le signalement à la CRIP, en instaurant tout l’appareil de dérogation au secret professionnel, d’une part, et de sanction du médecin n’ayant pas fait de signalement à la CRIP, d’autre part.

Telle est l’économie générale de la réponse que je souhaitais faire au nom de la commission. Je demande donc le retrait des amendements identiques nos 1 rectifié quater et 13 rectifié bis, ainsi que des amendements nos 27 rectifié, 2 rectifié quater et 14 rectifié bis ; à défaut, la commission y sera défavorable. L’important, c’est que nous arrivions à progresser ensemble vers une rédaction qui couvre tout le spectre de nos préoccupations.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement qui a été présenté par Mme la rapporteur au nom de la commission. Nous estimons qu’il permet une clarification du droit actuel en distinguant clairement, d’une part, les signalements d’infractions commises contre des mineurs et des personnes vulnérables que le médecin ou toute autre personne peut effectuer sans recueillir l’accord de la victime, et, d’autre part, les autres signalements, que le médecin doit effectuer avec l’accord de la victime.

De surcroît, cet amendement permet de réaffirmer l’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire des professionnels de santé de bonne foi, en exigeant, pour engager leur responsabilité, d’établir la mauvaise foi et leur connaissance de l’inexactitude des faits qui seraient signalés.

Ces dispositions sont de nature à rassurer et à encourager les professionnels, jusqu’à présent parfois trop réticents à révéler les privations ou sévices qu’ils constatent, par crainte d’être poursuivis.

À l’inverse, le Gouvernement considère qu’il n’est pas opportun d’instaurer pour les seuls médecins, comme le prévoient les autres amendements, une obligation de signalement au procureur. Nous croyons que le médecin doit pouvoir apprécier, selon les circonstances de l’espèce, quelle est la meilleure façon de traiter la situation, qui n’est pas nécessairement un signalement immédiat au parquet.

L’adoption de ces amendements pourrait du reste avoir, nous semble-t-il, un effet pervers grave pour la protection des mineurs : celui de dissuader les parents de faire soigner leurs enfants par un médecin. (Mme Michelle Meunier proteste.)

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas vrai !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais telle est l’opinion du Gouvernement !

Pour cette raison, le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 141 de la commission et demande le retrait des cinq autres amendements.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. D’abord, je voudrais dire à Philippe Bas que je ne retire pas mon amendement. Il me semble plus complet que celui de la commission des lois, qui fait l’impasse sur l’introduction d’une obligation de signalement, sans distinguer non plus les cas de suspicion de violences constituant une infraction au code pénal et devant donc être signalées au procureur et les situations d’informations préoccupantes, qui doivent être signalées à la CRIP. Monsieur le président Bas, l’amendement de la commission n’apporte pas, selon moi, la clarification nécessaire, contrairement aux amendements nos 1 rectifié quater et 13 rectifié bis.

Par ailleurs, lorsqu’un médecin fait un signalement, il engage sa responsabilité envers l’enfant, et c’est le plus important. Il ne s’agit donc pas d’irresponsabilité, bien au contraire.

Quand un médecin a une suspicion, il peut faire un signalement et il a le droit de se tromper de bonne foi. Cela est d’ailleurs explicité dans les recommandations de la Haute Autorité de santé de mai 2011, aux termes desquelles le médecin n’a pas à être certain de la maltraitance ni à en apporter la preuve pour faire un signalement.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Signaler n’est pas dénoncer : il faut véritablement que cela rentre dans l’esprit de nos concitoyens, des travailleurs sociaux et des médecins. C’est la raison pour laquelle je me rallie volontiers à la proposition d’Alain Milon.

Monsieur le président de la commission des lois, vous avez évoqué deux cas, mais, neuf fois sur dix, c’est un troisième cas qui se présente : l’enfant est amené chez le médecin par le père, la mère ou les grands-parents, pour autre chose que les conséquences des sévices subis. C’est dans ce cas-là que le médecin doit vraiment prendre ses responsabilités. Quand on y est confronté, la difficulté est vraiment d’aborder le problème. C’est un peu comme lorsque l’on soupçonne un handicap : quelque chose dans le comportement de l’enfant ne va pas, mais on n’a pas de preuve formelle. Il est particulièrement délicat de l’annoncer à la famille.

C’est la raison pour laquelle il faut que la loi soit simple. Le dispositif de l’amendement d’Alain Milon est « carré ». Il permettra que l’enfant soit pris en compte, bien sûr, et que le médecin soit protégé. Cela est nécessaire si l’on veut que sa mise en œuvre produise des résultats positifs.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. L’amendement de la commission prévoit une obligation de recueillir l’accord de la victime dans la deuxième hypothèse, celle dans laquelle des sévices sont simplement suspectés, et non avérés. Cela me paraît très dangereux. C’est placer l’enfant dans une situation de conflit de loyautés terrible ! Lui demander s’il faut dénoncer ses parents, c’est s’exposer à ce que, très souvent, l’enfant réponde par la négative. D’ailleurs, s’il était d’accord pour dénoncer ses parents, il l’aurait déjà fait. S’il n’a rien dit, c’est parce qu’il ne veut pas les dénoncer. Ce n’est donc pas une bonne formule que d’exiger l’accord de la victime.

Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, j’ai sursauté quand vous avez dit que cette mesure conduirait les parents maltraitants à ne pas emmener leurs enfants chez le médecin. C’est objectivement faux ! Quand on connaît un peu le sujet de la maltraitance des enfants, on sait que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les parents d’enfants maltraités conduisent aussi leurs enfants chez le médecin, par exemple pour les faire vacciner. (M. René-Paul Savary approuve.) Votre argument n’est donc pas recevable.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Il me semble utile d’apporter une précision immédiatement : dans la deuxième hypothèse, il s’agit évidemment des majeurs, et non des mineurs. Je reprendrai la parole tout à l’heure.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Si l’on veut être positif, on peut se féliciter que le sujet émerge et que la nécessité de trouver une solution semble faire consensus. C’est le sens, me semble-t-il, de l’intervention du président de la commission des lois.

Pour autant, l’amendement de la commission des lois a, selon moi, un défaut majeur : il ne prévoit pas d’obligation de signalement. Dès lors, on voit bien que l’ensemble du mécanisme est conçu différemment. L’architecture du dispositif est déjà assez sophistiquée – j’imagine que les organisations professionnelles de médecins indiqueront à leurs membres comment procéder –, mais l’absence d’obligation de signalement est un vrai problème à nos yeux. C’est pourquoi nous voterons les amendements identiques de Michelle Meunier et d’Alain Milon.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Je ne partage pas votre avis, madame Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas un avis !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Si, c’en est un ! Vous avez un avis, comme j’ai le mien.

Je suis élue de la Sarthe, là où est survenue l’affaire de la petite Marina.

Mme Laurence Rossignol. Elle avait vu un médecin !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Il est exact que, en général, les parents maltraitants observent un certain nombre d’obligations : inscrire leurs enfants à l’école, les emmener chez le médecin, les faire vacciner, etc. Cependant, ces parents adoptent aussi des stratégies d’évitement dès lors qu’ils se sentent en danger d’être dénoncés. C’est ce qu’avaient fait les parents de la petite Marina : ils déménageaient, changeaient leurs enfants d’école, consultaient d’autres médecins lorsqu’ils avaient le sentiment qu’ils risquaient d’être dénoncés.

Nous pensons donc – je ne dis pas que c’est une vérité absolue, mais c’est notre avis, fondé sur les auditions que nous avons menées et sur un certain nombre de cas que nous avons étudiés de longue date, Nicole Belloubet, Agnès Buzyn et moi-même – qu’adopter cette mesure risque d’avoir pour effet pervers de conduire ces parents à ne plus emmener leurs enfants chez le médecin.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Je voudrais donner lecture de l’article R. 4127-44 du code de la santé publique, qui régit les devoirs du médecin dans de tels cas et lève des ambiguïtés :

« Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

« Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience. »

L’obligation d’alerter figure donc déjà dans le code de la santé publique !