M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, sur l’article.

M. Xavier Iacovelli. Cet article 18 déstabilise jusqu’au Conseil de l’Europe…

M. Xavier Iacovelli. La commissaire aux droits de l’homme a indiqué suivre avec inquiétude les débats parlementaires relatifs au projet de loi ÉLAN. Elle espère que le Sénat ne va pas abaisser la norme d’accessibilité issue de la loi du 11 février 2005. « C’est une question d’égalité et de dignité, déclare-t-elle, et cela permettrait au législateur de signifier clairement que l’inclusion des personnes en situation de handicap lui importe. »

Oui, cette question nous importe, monsieur le ministre ! L’accessibilité ne peut pas être réduite à des considérations techniques. Je tiens à saluer la démarche de Mme la rapporteur, qui a essayé de trouver un compromis avec le Gouvernement, mais l’accessibilité ne peut pas faire l’objet de solutions de compromis, car elle conditionne la concrétisation des droits des personnes handicapées et elle est un préalable nécessaire à leur participation sociale.

S’il est un projet politique humaniste qui peut encore nous mobiliser, c’est bien celui de la construction d’une société plus inclusive, ouverte à tous et respectueuse des différences. L’accessibilité en est un des principes fondateurs.

Le projet de loi ÉLAN ne constitue pas seulement un recul du droit au logement pour les personnes en situation de handicap et une remise en question des engagements internationaux de la France ; il est porteur d’exclusion et de discrimination, et révèle combien le Gouvernement ignore ces enjeux de société qui ont vocation à améliorer la qualité de vie de tous.

Le Président de la République évoquait l’honneur de la France à promouvoir une société plus inclusive, fraternelle et solidaire. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, épargnez-nous le déshonneur de l’article 18 ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Je souhaitais intervenir à la suite de la déclaration d’irrecevabilité de notre amendement sur la présence d’ascenseurs dans les immeubles d’habitation de trois étages.

Par cet amendement, nous entendions traduire législativement un engagement du Gouvernement. En effet, face à la colère des personnes handicapées contre la baisse du quota de logements accessibles prévue dans ce texte, le Gouvernement tenterait de rectifier quelque peu le tir. Un décret serait en préparation pour rendre obligatoire l’installation d’un ascenseur dans les logements neufs de trois étages. Nous avions ici l’occasion de transformer les promesses en une mesure législative en bonne et due forme.

Aujourd’hui, selon le code de la construction et de l’habitation, les constructeurs ont l’obligation d’installer des ascenseurs dans les immeubles comptant quatre étages et plus. Cette restriction allège considérablement la portée de cette obligation. En effet, hors métropoles, les immeubles construits n’excèdent pas trois étages au-dessus du rez-de-chaussée.

Cette situation est source d’une importante discrimination de fait pour les personnes en situation de handicap et utilisant des fauteuils roulants, ainsi que pour l’ensemble des personnes à mobilité réduite. Je rappelle que la France est l’un des seuls pays d’Europe, avec la Hongrie et la République Tchèque, à maintenir le seuil à quatre étages et plus.

Notre amendement visait à instituer l’obligation d’installation d’un ascenseur à partir de trois étages. C’est d’ailleurs une revendication importante de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteur. Une enquête Ipsos menée en décembre 2017 révèle par ailleurs que 74 % des Français considèrent nécessaire d’installer un ascenseur dans les immeubles de moins de quatre étages, tandis que, pour 48 % des Français, la présence d’un ascenseur est un élément décisif pour choisir un logement.

Nous souhaitions donc traduire législativement les engagements du Gouvernement. Au-delà, nous attendons un engagement ferme et clair du Gouvernement sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Je souhaite insister sur quelques points en réponse à ce qui a été évoqué dans ce débat.

En premier lieu, je m’inscris dans la lignée des propos de M. Guillaume. Il ne faudrait pas croire que, dans ce débat, de fervents défenseurs des personnes en situation de handicap et d’une société inclusive donneraient des leçons à d’autres, qui souhaiteraient détricoter cette société d’inclusion. Le gouvernement auquel j’appartiens n’a absolument aucune leçon à recevoir sur ces sujets : regardez seulement la hausse de l’allocation aux adultes handicapés, ou encore les travaux accomplis par Sophie Cluzel.

Regardons surtout ce dont nous débattons : concernant les habitations, le scandale n’est pas tant le flux que le stock. Certes, depuis 2005, la loi impose tout, mais ce qui a manqué depuis lors, c’est une volonté politique qui dédierait des financements à cette fin.

Selon vous, monsieur Iacovelli, ce texte est un scandale, mais le vrai scandale est le manque de financement dont a souffert, par exemple, l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat. La réalité est que l’ANAH aurait dû accompagner encore plus de transformations de logements non adaptés en logements adaptés. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. Xavier Iacovelli. Vous avez peut-être raison, mais ce n’est pas en supprimant le quota de 100 % que ça changera !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Très clairement, les financements que nous essayons d’apporter à l’ANAH, et qui sont inclus dans la loi de finances pour 2018, permettent aujourd’hui d’offrir beaucoup plus de capacités à cette agence pour intervenir.

Cela dit, qu’est-ce qu’un logement évolutif ? Ce n’est absolument pas un logement qui vise à exclure les personnes en situation de handicap. D’ailleurs, je veux insister sur un point : le terme « évolutif » ne vient pas de Jacques Mézard ou de moi-même, mais de l’Association des paralysés de France, l’APF, l’une des associations qui représentent des personnes en situation de handicap.

M. Xavier Iacovelli. Elles sont toutes opposées à votre projet !

M. Fabien Gay. Ce doit être comme les organisations syndicales de la SNCF ! Vous avez fait de la concertation !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Nous les avons énormément rencontrées, monsieur le sénateur. Je le répète, c’est cette association qui a, elle-même, défini ce qu’est un logement évolutif. C’est avec ces associations que nous sommes en train de finaliser les normes et les décrets qui vont mettre en œuvre ce qu’est un logement évolutif.

Qu’est-ce donc ? Nous sommes partis d’un constat que vous avez tous fait. Prenez un couple avec trois enfants : vous vous rendez compte que, dans leur logement neuf, la salle de bains est parfois presque aussi grande que la chambre. Nous l’avons tous constaté, ce n’est pas quelque chose que nous inventons !

M. Pascal Savoldelli. On ne va pas légiférer à partir d’anecdotes !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. C’est quelque chose qui se retrouve sur le terrain ; vous le savez très bien, monsieur le sénateur. La question fondamentale est la suivante : comment faire en sorte que votre logement vous accompagne ? Un logement évolutif est un logement qui s’adapte à toutes les périodes de votre vie. Au début, vous êtes en bonne santé, vous avez trois enfants ; il vaut mieux alors que la chambre soit plus grande que la salle de bains, cela me paraît une évidence. En revanche, vous avez dans votre famille des personnes qui sont en situation de handicap. Eh bien, le logement évolutif permet dans tous les cas – c’est ainsi qu’il est défini – à la personne en situation de handicap de venir vous rendre visite.

M. Xavier Iacovelli et M. Fabien Gay. Comment ça marche ?

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Le salon ou la pièce commune, ainsi que les toilettes, sont d’ores et déjà, dans tous les logements évolutifs, adaptés à des personnes en situation de handicap.

La seule différence est dans la salle de bains. En effet, quand vous rendez visite à quelqu’un, vous ne prenez pas toujours une douche ! C’est pourquoi la salle de bains n’est, quant à elle, pas directement adaptée.

J’en viens à une seconde période : vous avez un accident de la vie qui fait que, d’un coup, vous êtes en situation de handicap. Dans ce cas, le principe du logement évolutif est de faire en sorte que, dès le début…

M. Fabien Gay. Mais comment ça marche ? Vous ne nous avez pas répondu !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Je vais vous répondre, monsieur le sénateur.

M. le président. Mes chers collègues, merci de bien vouloir écouter M. le secrétaire d’État. Vous pourrez exposer votre position lors de l’examen des amendements de suppression de cet article.

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Admettons que, du fait d’un accident de la vie ou, tout simplement, du vieillissement, vous vous trouvez en situation de mobilité réduite. Que prévoit alors le logement évolutif ? Dès le début, le logement aura été conçu de sorte que l’adaptation du logement se fasse avec des efforts minimes.

Précisément, cela veut dire que, par exemple, la paroi qui sépare la salle de bains des toilettes ne contient ni fluides, ni canalisations, ni câbles électriques. Par ailleurs – c’est aussi une réalité aujourd’hui –, avez-vous déjà essayé de transformer une baignoire en douche, dite « à l’italienne », ce qui permet de faire des transformations ?

M. Fabien Gay. Vous devriez travailler chez Leroy-Merlin, monsieur le secrétaire d’État !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Aujourd’hui, le droit, dans les logements dits « adaptés », ne prévoit rien à ce sujet. Le coût de transformation est prohibitif, tout simplement du fait de problèmes de siphon. (Exclamations dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rachid Temal. Un siphon pour tous !

M. Christophe-André Frassa. C’est consternant de bêtise !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Excusez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs : on peut ne pas être d’accord sur le fond ! Je note d’ailleurs que la position de la commission des affaires économiques est assez proche du texte proposé initialement par le Gouvernement. Je ne suis donc pas sûr que tout le monde soit opposé à nos explications. Surtout, tout ce que je viens de vous dire est la stricte réalité, c’est ce qui se passe sur le terrain.

J’en viens au troisième point – ce que vous évoquez, monsieur le sénateur – : qui finance et qui paie ?

M. Fabien Gay. Enfin ! Vous n’aviez jamais répondu !

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. Nous avons tout à fait répondu, monsieur le sénateur. Il y a deux possibilités. Vous avez les logements sociaux et les logements dits « privés ». Dans les logements sociaux, les bailleurs peuvent financer,…

M. Rachid Temal. Avec quels moyens ?

M. Julien Denormandie, secrétaire dÉtat. … d’autant plus que ces travaux donnent lieu aux exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties que vous connaissez.

Dans un logement privé, en revanche, le droit, y compris constitutionnel, empêche d’imposer au propriétaire de financer des travaux. (Nouvelles exclamations dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Que faut-il faire ? C’est exactement ce que j’évoquais tout à l’heure : il faut arrêter, à un moment, de se cacher derrière son petit doigt. Le scandale est l’absence de fonds suffisants, depuis des années, pour transformer le stock des logements existants. C’est pourquoi nous avons renforcé significativement les crédits et les financements de l’ANAH. C’est ainsi que nous gérons la chose. Cette année, plus de 15 000 logements seront rendus adaptés. Je ne parle pas du flux, je parle du stock : ces changements se font grâce au financement de l’ANAH. Voilà une manière opérationnelle de répondre aux points que vous avez évoqués ! (Exclamations de soulagement sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe-André Frassa. Ça fait avancer le débat !

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de ne pas prendre la parole sans qu’elle vous soit donnée.

Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 16 rectifié bis est présenté par M. Sol, Mmes Delmont-Koropoulis, Joissains, Eustache-Brinio et Deromedi, M. Morisset, Mmes Kauffmann et Lassarade, MM. Bonhomme et Calvet, Mmes Micouleau, Morin-Desailly et Malet, M. Cuypers, Mme Lherbier et MM. Mazuir, Mandelli et Sido.

L’amendement n° 154 est présenté par Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 248 rectifié ter est présenté par MM. Houpert et Frassa, Mme Garriaud-Maylam et MM. de Nicolaÿ, Guerriau, Longeot et Laménie.

L’amendement n° 557 rectifié est présenté par Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Daunis et Kanner, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin et Cabanel, Mme Conconne, MM. Courteau, Duran, Montaugé, Tissot, Lurel et Temal, Mmes M. Filleul, Grelet-Certenais, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean Sol, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié bis.

M. Jean Sol. Le présent article prévoit de réduire à 10 % la proportion de logements neufs accessibles aux personnes handicapées, contre 100 % aujourd’hui, en remplaçant cette obligation de construire des habitations accessibles par celle de bâtir des logements évolutifs.

Cette disposition, outre le fait qu’elle est floue sur ses financements et son application, est de nature discriminante et inégalitaire.

Par sa volonté affichée de simplifier les normes de construction, le projet de loi condamne les personnes handicapées à ne plus pouvoir choisir librement leur lieu de vie, ce qui est en totale contradiction avec l’article 19 de la convention de l’ONU relative au droit des personnes handicapées. Faut-il rappeler que cette convention a été ratifiée par la France en 2010 ?

De nombreuses organisations représentatives des personnes en situation de handicap ont exprimé leur surprise et leurs inquiétudes face à cette régression qui bafoue les droits des personnes handicapées inscrits dans la loi de 2005, si chère à l’ancien sénateur Paul Blanc.

Ce dispositif est aussi en contradiction avec les autres politiques publiques actuelles qui visent à rendre la société plus inclusive. Enfin, il va à l’encontre des adaptations nécessaires à l’évolution de notre population, qui comptera une personne sur trois âgée de soixante ans et plus en 2050.

Je rappelle que le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, a condamné de la façon la plus ferme cet article 18. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées s’y oppose lui aussi.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a dénoncé le principe même des 90 % de logements évolutifs, donc le principe des quotas. Le Conseil de l’Europe, quant à lui, vient d’épingler et de mettre en garde la France, le vendredi 13 juillet dernier, sur la création de quotas de logements accessibles.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons la suppression de cet article, dans l’intérêt tant des personnes actuellement handicapées ou qui le deviendront à la suite d’accidents de la vie – il en arrive des milliers chaque année – que des personnes âgées dépendantes.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 154.

Mme Cécile Cukierman. Nous sommes conscients du travail de Mme la rapporteur et nous lui sommes reconnaissants d’avoir recherché un compromis en rehaussant la proportion de logements qui doivent rester accessibles de 10 % à 30 %. Pour autant, nous sommes opposés au principe même d’abaisser l’objectif de 100 % de logements accessibles. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Comment comprendre une telle disposition, alors même qu’Emmanuel Macron, qui n’était alors, certes, que candidat, déclarait la main sur le cœur qu’il ne voulait plus qu’une seule personne vivant en situation de handicap soit sans solution ? Il faut croire qu’il ne s’agissait que d’un coup de bluff, comme pour le plan Pauvreté, qui a été repoussé aux calendes grecques.

Comment pouvez-vous défendre ce texte, messieurs les ministres, au moment où les schémas régionaux de santé se mettent en place sur tout le territoire et qu’ils ont tous pour objectif de renforcer le maintien à domicile et le développement de l’ambulatoire, avec de plus en plus de soins dits de suite qui se font à domicile ? En outre, on sait tous que la question du vieillissement et de la dépendance est devant nous, sur notre ligne de vie. Reste que les accidents ne sont pas prévisibles. L’adaptabilité d’un logement, alors même qu’on incite de plus en plus les malades à rester le moins possible à l’hôpital et à rentrer chez eux, ne peut donc être anticipée.

Comme les associations l’ont dit, il s’agit d’un recul gigantesque : nous passons d’une obligation de 100 % de logements accessibles à une obligation de 30 % seulement dans les constructions neuves. Le reste des logements neufs devront juste être évolutifs, un terme extrêmement flou. Comment accepter qu’au Sénat, qui a toujours eu le souci d’écrire la loi de façon précise, repoussant les amendements jugés trop flous devant les risques de contentieux, le terme « évolutif », avec toutes les difficultés d’interprétation qu’il pose, comme l’échange avec M. le secrétaire d’État vient de nous le montrer, puisse être retenu ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour présenter l’amendement n° 248 rectifié ter.

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l’amendement n° 557 rectifié.

M. Xavier Iacovelli. L’article 18 du projet de loi initial marque une véritable régression sociale : 90 % des logements neufs seront non plus accessibles, mais seulement évolutifs. Il revient ainsi sur une loi socle de notre République : la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui prévoit que l’intérieur et l’extérieur des locaux d’habitation sont accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap.

L’article 18 va également à l’encontre de la nécessité de prendre en compte tant le handicap que le vieillissement de la population, à un moment où le Gouvernement lui-même promet des mesures en ce domaine. En effet, quelle est la cohérence entre cet article et le maintien à domicile des personnes âgées défendu par la ministre de la santé ? Rappelons que près de 5 millions de Français auront plus de quatre-vingt-cinq ans en 2050.

La France a pris beaucoup de retard en matière d’accessibilité. Or, comme l’a relevé le Défenseur des droits dans un avis du 11 mai 2018, il faut appréhender l’accessibilité comme un véritable enjeu de notre société et anticiper les conséquences sociales et économiques de l’allongement de l’espérance de vie et de l’augmentation du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie.

Par ailleurs, la mise en accessibilité du logement pourra être réalisée par des « travaux simples ». Mais qui aura la charge de ces travaux ? Vous avez partiellement répondu, monsieur le secrétaire d’État, mais cela reste encore flou, tout comme le terme « évolutif ».

Quel est le propriétaire privé qui va accepter d’engager des travaux, et donc des frais, pour procéder à l’adaptation d’un logement afin de le louer à une personne en situation de handicap ? Cette mesure risque d’entraîner une discrimination supplémentaire pour l’accès au logement des personnes handicapées. C’est une évidence ! Un propriétaire sera plus enclin à louer son appartement à une personne valide qu’à une personne porteuse d’un handicap.

Il faut savoir que 6 % seulement des logements sont accessibles en France. Contrairement à ce que dit le Gouvernement, c’est totalement insuffisant pour répondre aux besoins des 850 000 personnes en situation de handicap et cela ne répond absolument pas aux besoins futurs de notre population, à son vieillissement, et à l’augmentation du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie.

Notre groupe demande donc la suppression de l’article 18. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission est défavorable à ces quatre amendements identiques.

Je remercie ceux de nos collègues qui ont mis en exergue nos efforts pour trouver une solution de compromis permettant de faciliter à la fois la construction de nouveaux logements et leur accessibilité. Nous avons en effet considéré qu’on ne pouvait pas en rester au seuil de 10 % de logements accessibles retenu par l’Assemblée nationale. Nous avons donc remonté ce seuil à 30 %, ce qui nous paraît être un bon équilibre. Nous avons également souhaité que, dans les bâtiments ayant moins de dix logements, deux d’entre eux soient accessibles aux personnes en situation de handicap.

Grâce au travail fait par notre collègue Philippe Mouiller, en relation avec les associations s’occupant des personnes en situation de handicap, nous avons également posé comme principe que les processus d’attribution de logements sociaux devaient faciliter l’accès des personnes handicapées à des logements adaptés. Nous avons en outre donné la possibilité aux personnes handicapées qui n’ont pas de logement adapté de saisir directement la commission de médiation dans le cadre du DALO sans condition de délai.

Voilà ce que nous avons essayé de faire. Cette solution n’est peut-être pas satisfaisante, suivant le côté où l’on se place, mais elle me semble être équilibrée.

Je voudrais également vous rappeler que l’on ne peut à la fois réclamer sans arrêt des assouplissements et des simplifications de normes et se contredire…

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. … à travers des prises de position très exigeantes.

Je vous remercie de tenir compte de tout le travail accompli par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jacques Mézard, ministre. Je veux remercier Mme la rapporteur ainsi que la commission du travail effectué dans un souci de compromis et remettre le débat au niveau où il doit se situer. Sans rebondir directement sur les propos de M. Didier Guillaume, je veux aussi rappeler les évolutions législatives ou les non-évolutions législatives qui ont eu lieu depuis 2005. J’invite d’ailleurs ceux qui sont passionnés, à juste titre, par ce débat, à se reporter aux déclarations d’un ancien ministre du logement, Benoist Apparu, en 2013, sur les évolutions législatives qu’il regrettait de ne pas avoir proposées.

Il ne s’agit pas de remettre en cause les droits des personnes en situation de handicap. Il ne s’agit pas non plus d’aller contre la société inclusive. M. le secrétaire d’État a justement rappelé un certain nombre de dispositions qui ont récemment été prises à ce sujet.

La proposition que fait le Gouvernement est plutôt en accord avec l’architecture élaborée par la commission, sauf pour ce qui concerne le taux. Elle ne vise pas à remettre en cause l’accessibilité aux immeubles. Quant aux problèmes d’accès aux étages, ils n’ont rien à voir. Cette question sera abordée lors de l’examen de certains amendements, mais, à mon avis, elle relève du domaine réglementaire.

Il faut savoir que, dans la construction neuve, 5 à 6 mètres carrés en moyenne ne sont pas utilisés pour les pièces à vivre. Ainsi, pour un F3, il y a pratiquement 10 % de la surface qui est bloquée par ce système normatif, et ce au détriment de 100 % de nos concitoyens. C’est fondamental pour comprendre pourquoi nous proposons de mettre en place un système permettant de faire évoluer ces logements en fonction de la situation des personnes.

Je le répète, il ne s’agit pas de remettre en cause les droits des personnes en situation de handicap. Pour avoir souvent rencontré leurs associations, de même que M. le secrétaire d’État., je puis dire que la solution que nous avions trouvée lors de la préparation du texte était tout à fait consensuelle. Reste que chacun a le droit de changer d’avis – cela nous arrive aussi. Pour ma part, je respecte toujours les positions des uns et des autres, comme M. Gay le sait, et je les entends.

Il a été fait référence à l’ancien sénateur Paul Blanc, qui était le rapporteur de la loi de 2005 et qui a beaucoup travaillé sur le sujet. Pour m’être entretenu avec lui, lorsqu’il y a eu ici, au moins à deux reprises, des débats sur le report des délais, je peux vous dire qu’il avait parfaitement conscience que certaines situations sur le terrain étaient très difficiles. Combien d’entre nous, dans notre vie d’élu, ont été confrontés à des situations où il fallait construire un certain nombre d’équipements que personne n’utiliserait jamais ? On a parlé tout à l’heure d’une commune de 20 habitants… Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, qu’il ne faut pas évoluer.

M. Antoine Lefèvre. Il faut être pragmatique !

M. Jacques Mézard, ministre. Monsieur le sénateur Lefèvre, j’allais le dire, vous m’avez devancé de quelques secondes : soyons pragmatiques ! Il s’agit non pas de remettre en cause les grands équilibres, mais de trouver des solutions qui nous permettent d’avancer.

On a vu l’évolution des positions sur les questions d’architecture, et on y reviendra. Je les respecte. De même, on a vu les évolutions sur la loi Littoral. On n’est pas bloqué définitivement. Je sais que beaucoup de travail est fait au Sénat, en particulier au sein de la délégation aux collectivités territoriales, sur les normes. M. le sénateur Pointereau y travaille beaucoup. Chacun sait que, chaque fois que l’on touche à une norme, il y a des réactions, que j’entends, que je comprends, mais si je les écoute toutes, si respectables soient-elles, on ne sortira jamais de cette accumulation normative.

Par ailleurs, on m’a opposé le droit international. J’ai fait vérifier, et je peux vous confirmer qu’il n’y a pas de contradiction avec le droit international.

Il y aura toujours une bonne raison de s’opposer à l’évolution – c’est le cas de le dire – sur les normes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Didier Guillaume a dit que Jacques Chirac avait fait une bonne loi.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Un Corrézien ! (Sourires.)

M. Daniel Chasseing. Il a raison, mais si on lui indiquait que les logements peuvent être évolutifs, je ne pense pas qu’il serait contre. Tous les logements ne doivent pas forcément être adaptés immédiatement aux personnes handicapées. Ce n’est pas une remise en cause de nos politiques en leur faveur. Le problème, c’est de définir ce qu’est un logement évolutif.

Je reprendrai ce qu’a dit M. le secrétaire d’État : les W.-C. doivent être accessibles à une personne en fauteuil roulant, mais un W.-C. normal peut très facilement être adapté ; il faut pouvoir aller à la salle de bains en fauteuil roulant, donc le revêtement de la douche doit être adapté, tout comme la cuisine et l’ascenseur.

Le seuil de 10 % n’est peut-être pas suffisant. La commission s’est prononcée pour 30 %, ce qui paraît être raisonnable. À partir du moment où l’on a bien défini ce qu’est un appartement évolutif, je suis favorable à la position de la commission.