Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je le sais bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Cela n’a donc strictement rien à voir : on ne dégagerait pas des slots pour Emirates ou pour n’importe quelle autre compagnie du Moyen-Orient en privatisant ou pas Aéroports de Paris, la DGAC continuera à les accorder aux compagnies aériennes étrangères. Ne jouez pas avec les peurs des Français !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai pas parlé de slots, j’ai parlé des conditions d’accueil !

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur David Assouline,… Je ne le vois pas, peut-être est-il parti ?

M. Martin Lévrier. Il a pris l’avion ! (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. M. Assouline nous annonce une crise financière supérieure à celle de 2008, dans laquelle nous nous trouverions déjà. La crise de 2008 a été suffisamment cruelle pour les Européens en général, pour les Espagnols, pour les Portugais, pour les Grecs et pour nos compatriotes pour que nous ne jouions pas, une fois encore, avec les peurs des Français. Où voit-il aujourd’hui cette crise financière ?

Il nous parle également de la religion du libéralisme,…

M. Rachid Temal. La vôtre, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. … dont il me semble pourtant qu’il n’y a pas beaucoup de pratiquants dans cet hémicycle ! (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain sexclament.)

Monsieur Richard Yung, je partage totalement votre analyse de cette opération. (Exclamations et applaudissements ironiques sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Marc Daunis. C’est un converti !

M. Bruno Le Maire, ministre. J’aurai l’occasion de revenir sur les arguments que vous avez avancés.

M. Fabien Gay. Cela s’appelle jouer la montre !

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Vincent Capo-Canellas, je vous remercie de votre analyse. Je veux insister sur un point majeur que vous avez souligné : l’apport du Sénat sur la régulation. Le texte qui vous est proposé aujourd’hui est très différent de celui qui est entré en commission au Sénat. Il comporte en effet une consolidation du contrat de régulation économique, le CRE, un renforcement très significatif de l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, l’ASI, ainsi qu’une clause de révision du cahier des charges tous les dix ans. Ces trois avancées de la régulation ont été proposées par le Sénat.

M. Gérard Longuet. Absolument. Bravo à M. Jean-François Husson, notre rapporteur !

M. Bruno Le Maire, ministre. Si vous souhaitez en introduire d’autres, sachez que je suis ouvert à tout ce qui va dans le sens du renforcement de la régulation et de la sécurité de nos concitoyens.

Il vous revient de choisir le texte que vous voulez ou non voir sortir du Sénat. Nous pouvons nous opposer frontalement, et l’on sait très bien alors ce qu’il adviendra de cette opération et dans quelles conditions elle sera adoptée (Exclamations sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), ou, au contraire, essayer d’améliorer le texte qui est entré au Sénat. Je préfère cette seconde option (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.) et c’est avec cette attitude que je me présente à vous aujourd’hui et que je réponds à vos questions.

Madame Éliane Assassi, vous avez évoqué le Charles-de-Gaulle Express. C’est une autre problématique. Pour moi, il est indispensable de doter Paris et la métropole parisienne de cette liaison directe entre la gare de l’Est et l’aéroport Charles-de-Gaulle. Je considère également qu’il s’agit d’une valorisation de cet actif. Nous aurons l’occasion d’en discuter, mais cette infrastructure me semble utile.

Mme Éliane Assassi. Personne n’en veut.

M. Fabien Gay. Et le RER B ?

M. Bruno Le Maire, ministre. L’un n’est pas exclusif de l’autre, même si la question des délais est un débat différent. (M. Rachid Temal sexclame.)

M. Fabien Gay. Tiens donc. Vous devriez essayer de prendre le RER B tous les matins !

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Yves Daudigny, je ne reviens pas sur la comparaison entre les autoroutes et leurs péages et les aéroports, j’ai déjà fait valoir suffisamment d’arguments à ce sujet.

Vous soulignez que la Cour des comptes a noté que, pour les aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, il n’y avait pas eu d’inflexion majeure. C’est la preuve que les changements dans la structure du capital ne modifient pas la gestion stratégique des aéroports. Il n’y a donc aucun motif particulier d’inquiétude, sans compter que les opérations sur les aéroports de Toulouse, Lyon et Nice n’étaient pas entourées des mêmes garanties que celles que nous apportons aujourd’hui. (M. Marc Daunis sexclame.)

Je ne reviens pas, monsieur François Bonhomme, sur la comparaison avec Toulouse et les autoroutes. J’ai suffisamment répondu sur ce point.

Monsieur Philippe Dominati, vous avez évoqué la question du foncier. ADP contrôle, au total, 6 990 hectares de terrains, dont 1 310 hectares d’immobilier et une réserve foncière de 411 hectares. Je veux simplement vous assurer que, au titre du cahier des charges, que vous avez proposé de revoir tous les dix ans, il est prévu que toute modification de l’utilisation et de l’usage de ce foncier non encore bâti nécessite l’accord de l’État. C’est un vrai sujet que vous avez soulevé, mais il n’y a pas lieu d’être inquiet puisque les investissements nécessaires se feront avec l’accord de l’État.

Deuxième point, sur lequel je veux de nouveau insister : aujourd’hui, ces 6 990 hectares appartiennent pour moitié à l’État et pour moitié à des actionnaires privés ; dans soixante-dix ans, ils seront intégralement à l’État. (M. Rachid Temal sexclame.) C’est un changement de donne significatif dans l’opération que nous vous proposons.

Madame Cathy Apourceau-Poly, vous m’avez demandé le cahier des charges : je vous ai indiqué que ce document, qui a été remis à M. Husson il y a quelques jours, vous sera transmis.

Mme Cécile Cukierman semble également être partie. C’est dommage, parce que je conteste absolument le raccourci qu’elle a fait entre les privatisations et la montée du Front national. J’ai rarement entendu cet argument, c’est le mérite du débat parlementaire, mais je ne vois absolument aucun lien entre privatisations et montée du Front national.

En revanche, je vois un lien direct entre la désindustrialisation de notre pays et la montée des extrêmes. Or la meilleure façon de lutter contre la désindustrialisation, c’est d’innover dans les technologies d’avenir et d’avoir un fonds de financement des innovations de rupture qui permette à nos industries d’être à la pointe des technologies qui créeront des emplois demain. Si vous voulez lutter contre la désindustrialisation, soutenez le fonds pour l’innovation de rupture et l’opération qui vous est soumise aujourd’hui !

Monsieur Pascal Savoldelli, vous considérez que cette opération est anticonstitutionnelle. Ce n’est pas l’avis du Conseil d’État, lequel a estimé qu’Aéroports de Paris n’était pas un monopole naturel et n’avait pas vocation à être un service public national. Il y aura des recours, c’est légitime, et le Conseil constitutionnel tranchera, mais nous nous sommes fondés sur l’avis juridique du Conseil d’État, qui me semblait être le mieux placé en la matière.

Madame Sophie Primas, vous avez posé des questions essentielles. Cette opération peut se faire selon différentes modalités : la première est une cession en un bloc qui, s’il dépassait 30 % du capital, appellerait, selon le droit boursier, une offre publique d’achat, une OPA ; la deuxième est une cession par blocs avec des appels d’offres ; enfin, la troisième est que l’État conserve une participation dans Aéroports de Paris, à un niveau qui reste à définir. Rien n’a été tranché sur les modalités de cette opération et j’attends de nos débats qu’ils permettent de nous éclairer sur ce que les parlementaires jugent le plus pertinent en matière de cession des actifs de l’État.

Mme Sophie Primas. La voie est là !

M. Bruno Le Maire, ministre. Vous êtes devant un choix très simple : une opposition en bloc ou la construction d’une opération qui réponde davantage à vos souhaits et à vos évaluations. Là est le débat qui s’offre à nous aujourd’hui. Je le répète, je préfère de loin la seconde option, celle qui nous donne la possibilité de définir ensemble les garanties supplémentaires que vous souhaitez et qui me permet de vous entendre au sujet des modalités selon lesquelles se réaliserait cette opération. Ce choix est souverain et n’appartient qu’à vous, je vous dis ma disponibilité pour élaborer un processus qui corresponde le plus possible à vos objectifs.

J’ai déjà répondu sur la double caisse.

Je suis ouvert à une prise de participation des départements franciliens dans cette cession d’actifs de l’État dans Aéroports de Paris. J’irai même plus loin, je suis ouvert à ce que la région Île-de-France soit représentée comme censeur au conseil d’administration d’Aéroports de Paris après l’opération.

En résumé, et je terminerai par les trois dernières questions qui m’ont été posées, mais en rebondissant sur la question de Mme Primas, je vous propose donc que nous discutions des modalités de cession,…

Mme Éliane Assassi. Vous auriez dû le faire dès octobre !

M. Bruno Le Maire, ministre. … que nous renforcions les garanties sur le contrat de régulation économique, sur l’autorité indépendante et sur le cahier des charges et, enfin, que les collectivités locales d’Île-de-France participent et que la région Île-de-France soit représentée intuitu personae comme censeur au conseil d’administration de la nouvelle entité Aéroports de Paris.

Ces gestes d’ouverture me semblent être de nature à permettre de bâtir avec vous une solution commune.

Monsieur Pierre Laurent, vous me dites que les arguments que j’ai avancés étaient trop légers, je pense vous avoir convaincu, juste avant le dîner, qu’ils pouvaient être un peu lourds quand c’était nécessaire ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.)

Monsieur Claude Bérit-Débat, j’ai déjà répondu sur l’exemple des autoroutes.

Madame Christine Lavarde, la question des investissements d’avenir est très importante. Nous manquons de fonds pour des recherches sur des technologies très pointues et très sensibles sur lesquelles il faut investir, parfois pendant des années et des années à fonds perdus.

Je pense, par exemple, à un projet de financement, par ce fonds pour l’innovation de rupture, d’une étude sur le biais de sélection des algorithmes, qui est un sujet démocratique fondamental. Vous regardez votre iPhone et vous voyez des alertes de presse. Pourquoi telle information est-elle sélectionnée plutôt que telle autre ? Comment l’algorithme a-t-il choisi de vous faire parvenir telle information plutôt que telle autre ? Pourquoi tel relais d’opinion va-t-il arriver chez tel citoyen, plutôt que tel autre ?

Nous le constatons à la faveur de la crise des « gilets jaunes », le choix de l’information qui parvient au citoyen est tout sauf anodin. Travailler sur les biais de sélection des algorithmes est fondamental pour notre démocratie, mais n’est rentable pour aucune entreprise. C’est pourquoi nous avons décidé de faire financer cela par le fonds pour l’innovation de rupture. Les programmes d’investissements d’avenir ne correspondent pas à ce type de recherches, qui sont plus pointues, plus difficiles, mais pas moins essentielles pour l’avenir de notre pays.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais apporter à vos questions sur cette opération, que j’aborde avec un esprit d’ouverture. Je crois fondamentalement que cette cession d’actifs de l’État est l’occasion de redéfinir clairement les rôles respectifs de l’État et de l’entreprise dans notre société. Notre nation a besoin d’un État qui nous protège, qui investisse dans l’innovation, dans la technologie, dans la recherche. C’est également ce qui vous est proposé ici. dans cette opération. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

Rappel au règlement

Article 44
Dossier législatif : projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises
Article 44 (début)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour un rappel au règlement.

M. Gérard Longuet. Je suis attristé, pour le travail du Sénat, que la seule personne qui n’ait pas pu s’exprimer jusqu’au bout fût notre rapporteur, qui a travaillé sur ce sujet et qui, au terme des deux minutes trente qui lui étaient allouées, a été contraint de reporter son explication. (Mme Anne Chain-Larché applaudit.)

Beaucoup d’entre nous, qui ne connaissent pas le sujet parce qu’ils n’appartiennent pas à la commission, mais qui ont des idées assez arrêtées sur l’économie en général, sur les infrastructures, sur leur détention et leur propriété, auraient aimé pouvoir entendre notre rapporteur.

Je remercie le groupe communiste républicain citoyen et écologiste dont presque tous les membres se sont exprimés et je remercie le ministre de leur avoir répondu.

Une bonne partie des membres du groupe socialiste et républicain s’est exprimée.

Dans notre majorité sénatoriale, ceux qui ont des réserves sur ce projet ont pu les exprimer, c’est bien normal, mais celui qui porte notre message n’a pas pu s’exprimer et ce n’est pas tout à fait normal. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Martial Bourquin et Mme Maryse Carrère applaudissent également.)

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est juste.

Mme la présidente. Monsieur Longuet, il faudrait pour cela revoir notre règlement, que j’essaie tant bien que mal d’appliquer et de faire respecter afin que nous puissions continuer à examiner le texte et que chacun puisse prendre la parole dans les limites de temps imposées.

M. le ministre s’est exprimé longuement pour répondre à toutes les questions parce que le règlement l’autorise à le faire sans limite de temps.

Voilà ce qui justifie que certains parlent peu et d’autres beaucoup. C’est l’application de notre règlement et, d’ailleurs, de la Constitution. Rien ne nous empêche de travailler pour changer cette situation.

Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises
Article 44 (interruption de la discussion)

Article 44 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 177 rectifié est présenté par MM. Karoutchi et Allizard, Mme Berthet, MM. Bonhomme, Bonne, Brisson, Cambon, Charon, Chatillon et Chevrollier, Mme Ramond, MM. Cuypers, Darnaud et Daubresse, Mme de Cidrac, MM. de Legge et de Nicolaÿ, Mmes Deromedi et Deseyne, M. P. Dominati, Mme Dumas, MM. Ginesta, Gremillet, Grosdidier, Houpert, Kennel et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Lherbier, Malet et M. Mercier, M. Meurant, Mme Micouleau, MM. Panunzi et Pellevat, Mme Procaccia et MM. Regnard, Revet, Sido, Vaspart, Vial et Segouin.

L’amendement n° 224 rectifié est présenté par M. Gay, Mmes Apourceau-Poly, Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Collombat, Mme Cukierman, M. Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 348 rectifié bis est présenté par M. Hugonet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Cardoux et Danesi, Mme Lopez et MM. Paccaud, Retailleau, Mandelli, Mouiller et Piednoir.

L’amendement n° 393 rectifié est présenté par M. M. Bourquin, Mme Espagnac, MM. Lalande, Tourenne et Jacquin, Mme Artigalas, MM. Durain et Lurel, Mme Tocqueville, MM. Kanner et Assouline, Mme de la Gontrie, MM. Féraud, Iacovelli et Jomier, Mme Taillé-Polian, MM. Temal, Roger, Éblé, Courteau, Antiste et Fichet, Mme Bonnefoy, M. Duran, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l’amendement n° 177 rectifié.

M. Roger Karoutchi. Je vous confirme, madame la présidente, qu’il faudra préciser le règlement.

Mme la présidente. Tout à fait.

M. Roger Karoutchi. Je ne vais pas reprendre tous les arguments qui ont été avancés de manière assez répétitive depuis deux heures. Je ne suis un fanatique ni de l’entreprise publique ni de la privatisation, tout se discute selon les moments, la vie de l’entreprise et les besoins de l’État.

Toutefois, Aéroports de Paris est une entreprise publique en situation de monopole qui marche bien, qui fait des bénéfices, qui investit et qui a beaucoup changé la donne des aéroports franciliens. Elle a beaucoup travaillé avec les collectivités, avec la région, avec les départements et a bénéficié de nombreux aménagements, routiers, ferroviaires et de transport public, réalisés par ces collectivités.

Elle ne s’était jamais plainte jusqu’à présent d’une incapacité à faire.

Je passe sur le fonds d’innovation : 250 millions d’euros, cela représente, certes, une somme importante, mais un redéploiement de la dépense publique devrait permettre de la dégager.

En réalité, vous nous dites vous-même qu’il faut éponger la dette. Tout cela est extrêmement inquiétant.

Je comprends une privatisation quand une entreprise publique ne marche pas et ne peut pas marcher tant qu’elle est tenue par les règles publiques. En l’occurrence, vous nous dites que sur tous les sujets, la sécurité, le personnel, etc., ces règles seront maintenues. Dès lors, pourquoi privatiser ?

Vous nous indiquez qu’il ne s’agit pas d’une privatisation, mais enfin, monsieur le ministre, je vous connais, vous avez le sens de l’État : nous parlons de soixante-dix ans. Pouvez-vous nous dire qui sera au Gouvernement dans cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans ? Quelle conception aura-t-il d’une entreprise concédée ? Comment tout cela sera-t-il géré ?

C’est une entreprise stratégique qui fonctionne, gardez-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 224 rectifié.

M. Fabien Gay. Tous les arguments ont déjà été évoqués, notre collègue Roger Karoutchi vient de le dire. Monsieur le ministre, vous n’avez pas tout à fait répondu sur un point, et je repars de la motion tendant à opposer la question préalable mais aussi de la question posée notamment par Mme Sophie Primas : souhaitez-vous une vente en bloc ou en lots ? Il me semble extrêmement important que vous nous le disiez, parce que la question qui est sur la table est la suivante : Vinci veut-il racheter les parts ?

Nous devons nous dire les choses franchement. Vinci va être indemnisé comme actionnaire minoritaire, mais également pour Notre-Dame-des-Landes, et les parlementaires que nous sommes, ainsi que les Françaises et les Français et les salariés d’ADP ont le droit de savoir si l’on va céder 50 % d’ADP grâce à l’argent public des indemnisations. Si telle est votre volonté, il faut le dire maintenant.

Enfin, madame la présidente de la commission spéciale a posé la question de la commission mixte paritaire. C’est important, parce qu’il y a six mois, nous n’étions pas dans la même situation politique qu’aujourd’hui. Pierre Laurent l’a rappelé, les critiques de cette privatisation émanent de l’ensemble des travées du Sénat, gauche et droite confondues. Si nous faisons ensemble le choix de refuser cette privatisation, monsieur le ministre, dans le contexte politique actuel, vous devrez entendre la voix du Sénat. En effet, il serait assez fou que lors de la commission mixte paritaire vous reveniez à cette privatisation. En effet, dans les temps que nous vivons, nos compatriotes trouveraient scandaleux que l’on passe outre la voix du Sénat, y compris pour privatiser ADP et confier 50 % de son capital à Vinci.

Vous le dites souvent : ne faisons pas peur aux uns et aux autres. Chacun est assez grand pour voter en son âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour présenter l’amendement n° 348 rectifié bis.

M. Jean-Raymond Hugonet. J’ai déposé cet amendement de suppression pour trois raisons principales : la première est financière, la deuxième est politique et la troisième est environnementale – je la développerai un peu plus parce que personne n’en a parlé et que je suis en quelque sorte le régional de l’étape, une partie de la plateforme aéroportuaire d’Orly se situant en Essonne.

La raison financière est très claire ; mes collègues, sur toutes les travées, l’ont exposée quasiment à l’unisson. Le précédent des autoroutes – je vous sais gré de l’avoir admis, monsieur le ministre, car c’est en reconnaissant ses erreurs qu’on avance – a laissé de nombreuses traces dans les mémoires. Et je ne reviens pas sur la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, dans les conditions que nous connaissons.

Sur le plan politique, comme Sophie Taillé-Polian l’a fait observer, proposer la privatisation d’ADP dans le cadre d’un projet de loi fourre-tout et en plein marasme politique et social est malvenu. La question des privatisations – celui qui le dit est plutôt un libéral – doit clairement être traitée de manière indépendante.

S’agissant enfin de la raison environnementale, après vingt ans de mandats locaux à être pris en sandwich entre Aéroports de Paris et la DGAC pour des histoires de survol peut-être relativement méconnues dans cet hémicycle, mais parfaitement connues des Franciliens, je sais, monsieur le ministre, que quand on perd la main dans ce genre d’opérations, on a beau prévoir tous les contrats et toutes les clauses de revoyure que l’on veut, on la perd définitivement. (Mmes Laurence Cohen et Céline Brulin opinent.)

Voilà pourquoi cet hémicycle, à une large majorité, s’oppose très clairement à la privatisation ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour présenter l’amendement n° 393 rectifié.

M. Martial Bourquin. De nombreux arguments ont déjà été présentés, mais une question n’a pas été abordée : l’avis des compagnies aériennes, qu’elles ont fait connaître par la voix de M. de Juniac.

Les compagnies préféreraient que l’aéroport reste public. Pourquoi ? Parce que, chaque fois qu’il y a privatisation, il y a hausse des tarifs. Or, à terme, cela risque de mettre en difficulté certaines d’entre elles, notamment Air France. Cet enjeu est suffisamment important pour être mis au débat. J’insiste : c’est l’association des compagnies aériennes qui a pris position, nettement, sur la question.

Je sais bien, monsieur le ministre, que Vinci n’a pas eu Notre-Dame-des-Landes,…

Mme Françoise Férat. Nous y voilà !

M. Martial Bourquin. … mais ce n’est pas une raison pour lui faire un cadeau avec ADP ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Ce serait un cadeau trop royal : on n’a pas le droit de faire cela, dans l’intérêt national !

Monsieur le ministre, vous avez soutenu que de nombreux aéroports dans le monde sont privés. J’ai sous les yeux la liste exhaustive des aéroports : les plus grands sont tous publics !

M. Fabien Gay. Ils sont publics à 57 % !

M. Martial Bourquin. En effet, mon cher collègue : 57 % d’entre eux sont publics. En Europe aussi, en grande majorité, les aéroports sont publics.

Le groupe ADP a prouvé sa capacité à être une grande entreprise publique, une entreprise qui compte dans le monde des affaires : il a créé des aéroports dans le monde entier et rapporte à l’État des dividendes importants, que nous serons bien contents d’avoir à l’avenir.

Monsieur le ministre, vous vous êtes interrogé : est-ce notre rôle de percevoir des dividendes ? Bien sûr que oui ! Toute la question est de savoir ce que l’on fait de ces dividendes. Les affecte-t-on à l’investissement productif ? Et heureusement que nous percevons des dividendes : si nous nous mettons à les refuser, la dette va exploser !

Si vous voulez un vrai débat, monsieur le ministre, ne dites pas que le Sénat ne sert qu’à aménager le texte de l’Assemblée nationale. Vous pourriez demander au Président de la République le report de cette question, pour qu’un débat beaucoup plus approfondi puisse avoir lieu. Retirer la privatisation d’ADP du projet de loi PACTE, voilà qui traduirait une réelle conception du débat !

Cet après-midi, nous avons un vrai débat. Faisons en sorte que la chambre haute soit écoutée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. La commission spéciale a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat, pour que le débat ait lieu en séance.

Je me réjouis que de nombreux points de vue soient exposés, même si je trouve certaines positions un peu excessives. Quand je considère la situation de la France, il me semble que, nous qui avons à peu près tous gouverné au cours des vingt dernières années, nous avons tous quelques reproches à nous faire. D’ailleurs, les Français ne manquent pas de nous le dire…

Quand j’ai commencé à travailler sur ce dossier, j’avais un a priori plutôt négatif, eu égard notamment au précédent des autoroutes. J’étais contre leur privatisation à l’époque – sans être parlementaire –, et les faits m’ont plutôt donné raison.

Au fur et à mesure des auditions, je me suis efforcé de m’emparer du contenu du texte, mais aussi d’apprécier, de juger, car tel est, je crois, le rôle des parlementaires. À l’heure où les Français s’interrogent à voix haute, voire vertement, sur le bicamérisme, disant qu’il faut dépoussiérer les institutions, que le Sénat est inutile et coûte cher, parce que je crois l’inverse, j’ai eu à cœur que notre assemblée aille au fond des choses.

C’est Augustin de Romanet, lors de sa première audition – tenue pendant l’examen du projet de loi de finances, de sorte qu’un seul collègue m’accompagnait –, qui m’a amené à réfléchir. Par exemple, je ne souscris pas du tout à la formule de la double caisse dont M. le ministre a parlé. La commission spéciale propose à la place un aménagement.

Voyez les autoroutes : coincé par un contrat blindé que les sociétés d’autoroutes appliquent avec force, le Gouvernement a cherché un moyen de faire plaisir – je le dis comme je le pense – aux automobilistes – en fait, à 1 million d’entre eux, ce qui est très peu. Cela passe par une offre commerciale des sociétés d’autoroutes, chargées d’entretenir le réseau routier. C’est exactement la même logique.

Dans la vie économique, l’offre crée le besoin. Si un aéroport fonctionne bien, que les activités de services et de commerce sont profitables, il est logique que, en cas de besoin, une participation soit versée.

Pour finir, j’insisterai sur mon attachement à la régulation ; quand on est plutôt ouvert sur la société d’entreprises et le libéralisme, c’est important. Il ne faut pas de libéralisme sauvage !

Parce qu’un cadre d’action est nécessaire, nous nous sommes attachés à donner un rôle plus important à l’État et à mettre en place des outils de régulation, comme on nous l’avait demandé lors des auditions. Ainsi, Air France a réclamé une régulation, et ce que nous proposons répond presque complètement à ses souhaits, comme le nouveau président-directeur général l’a reconnu au cours d’une audition.

Mes chers collègues, je n’ai pas d’intérêt personnel dans cette affaire. Notre intérêt est de démontrer qu’une assemblée comme la nôtre a un rôle important à jouer dans le fonctionnement d’une démocratie, notamment quand celle-ci est attachée au travail de ses parlementaires ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)