Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez évoqué le manque de développement de la téléphonie mobile, notamment, dans le territoire des Hautes-Pyrénées.

Songez que, si l’on considère les chiffres officiels, l’accessibilité à la téléphonie mobile est assurée dans quasiment 99 % du territoire.

L’une des premières choses que Mounir Mahjoubi et moi-même avons faites il y a deux ans a été de revoir la définition même d’un territoire couvert. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de l’accessibilité à la téléphonie mobile, on n’évoque pas les fameux 500 mètres autour du clocher du village, mais on prend en compte la véritable perception de l’usager : à l’échelle d’un village, la personne est-elle connectée, dispose-t-elle de toutes les barres sur son téléphone ou pas.

Concernant la qualité de la couverture, il n’en reste pas moins vrai, comme vous l’avez dit, que certains sites n’ont aucun accès à la téléphonie mobile.

Songez également que, lorsque Mounir Mahjoubi et moi-même nous sommes saisis de ce dossier, voilà deux ans, je le répète, officiellement, en France, 600 sites étaient des zones blanches. Rien qu’au cours de l’année 2018 on a entrepris la couverture de ces 600 sites. (M. Michel Savin acquiesce.) Cela veut-il dire que l’on aurait éradiqué toutes les zones blanches ?…

M. Julien Denormandie, ministre. Évidemment non ! Pourquoi ? Parce que le problème de fond, c’est la divergence dans l’appréciation de la définition de la qualité ; c’est un point que nous avons revu. Nous nous sommes nous-mêmes, si je puis dire, tiré une balle dans le pied : on pourrait dire que l’on a traité ces 600 zones blanches, mais on compte maintenant des milliers de zones blanches… On en a traité 600 en 2018, on en traitera 700 en 2019. Rien que dans le département des Hautes-Pyrénées, ce sont neuf sites qui ont été visés : deux ont déjà été identifiés, me semble-t-il, et sept restent à l’être. On va ainsi continuer d’année en année.

Nous allons aussi mettre en place un guichet pour accompagner l’ensemble de nos concitoyens à l’accès aux meilleures offres de téléphonie parce que, dans certains cas, comme vous l’avez dit, les coûts sont un peu plus importants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je suis d’accord avec vous, la couverture en téléphonie mobile s’améliore ; elle est importante. Il s’agit, il est vrai, de territoires de montagne difficiles.

Permettez-moi de souligner l’importance de ma question, la diversité des approches des services publics autres que le numérique. Vous avez parlé de l’humain. Mais je tiens quand même à rappeler – je rejoins là ma collègue Anne-Catherine Loisier – que, dans mon département, nombre de services publics ont disparu à cause de suppressions de postes. Il n’y a plus d’accueil ; les gens téléphonent, mais n’obtiennent plus personne ou sont mis en relation avec un répondeur pendant un long moment. On a mis la charrue avant les bœufs. On n’a pas conservé d’accueil, et les personnes se sentent complètement à l’abandon : elles ne savent plus comment faire pour obtenir une carte grise, une carte nationale d’identité, un passeport. D’ailleurs, vous verriez l’attente… C’est une véritable question.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Viviane Artigalas. Je vous assure que, dans les territoires ruraux, les personnes se sentent vraiment abandonnées par l’État et les services publics. (Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la France est une République indivisible, on ne peut pas dire que l’accès au numérique soit homogène dans notre pays, vous l’avez rappelé. Il entraîne une véritable inégalité en matière d’accès aux services publics. Pourtant, que l’on soit dans le Perche, les Cévennes ou le Mantois, on a besoin à la fois de l’un et de l’autre.

Depuis quelques années, nous empruntons le chemin de la fin de l’hyperproximité des services publics. Nous avons dû nous adapter aux fermetures sèches, aux mutualisations et rationalisations de certains de nos services. Nous en connaissons les raisons ; je ne les évoquerai pas.

Pour réduire la fracture territoriale, nous avons fait le choix de dématérialiser certaines fonctions.

Cette orientation stratégique n’est pas dénuée de fondement, car elle permet de compenser, en partie tout du moins, le départ de certains services publics. Le gain potentiel pour l’usager comme pour les services publics peut sembler immense. Je souhaite tout de même insister sur le caractère « potentiel », car, en l’état actuel des choses, l’accès au numérique est insuffisant.

Ne perdons pas de vue plusieurs notions essentielles : le principe de continuité du service public, le principe de l’égalité devant le service public et, enfin, les principes d’adaptabilité et de mutabilité.

Former, accompagner et simplifier doivent être autant de pistes auxquelles il convient de réfléchir en tenant compte des spécificités de nos territoires et de leurs habitants.

Enfin, ayons en tête, monsieur le secrétaire d’État, que le numérique ne doit pas être un palliatif à la disparition des services publics dans nos territoires.

Dans ce contexte, je vous poserai deux questions.

Premièrement, pouvez-vous nous éclairer sur la méthode et les dispositifs qu’il vous semblerait utile de mettre immédiatement en œuvre, afin de corriger la fracture numérique, toujours trop présente, sans que cela se fasse évidemment au détriment du service de proximité ?

Deuxièmement, on connaît l’importance de la qualité d’adressage d’une commune, qui est fondamentale pour l’aménagement du territoire. Or la fracture numérique est parfois due à un manquement en la matière. Que comptez-vous proposer, monsieur le ministre, pour accélérer et améliorer l’adressage dans nos communes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances et du ministre de laction et des comptes publics, chargé du numérique. Madame de Cidrac, votre question est essentielle. Vous l’avez d’ailleurs tous répété, à plusieurs reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, avec vos mots, selon votre expertise et le regard que vous portez sur vos territoires : que fait-on et quelle est la stratégie ?

Je prendrai peut-être un peu de hauteur par rapport à tous les plans très précis que j’ai décrits précédemment.

Tout d’abord, il faut des services publics numériques plus simples et plus accessibles. Cela fait partie de la méthode que j’ai expliquée auparavant.

Ensuite, pour ce qui concerne l’organisation territoriale de l’État, nous ne devons jamais réorganiser territorialement sans nous poser la question de l’accessibilité réelle et physique à un être humain. Quand il s’agit de fermer une trésorerie – et nous en fermerons ! –, a-t-on bien réfléchi à l’alternative en matière d’accueil ? On portait jusqu’à présent un regard différent avec, d’un côté, les services que l’on fermait et, de l’autre, les accueils d’urgence que l’on pourrait créer plus tard. Parfois, les MSAP ont été créées plusieurs années après la fermeture de services publics locaux.

Aujourd’hui, tout le travail que, notamment, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt Jacqueline Gourault et moi-même menons consiste à nous poser la question, à chaque fois que nous fermons un service public, de l’accessibilité territoriale des services publics. Cette question va de pair avec la numérisation. Je le crois très fortement, on ne pouvait pas dire il y a cinq ans que l’on fermait une trésorerie et que l’on ouvrait à la place trois lieux d’accueil avec des agents multidisciplinaires parce que nous n’avions pas les outils pour le faire. Paradoxalement, grâce au numérique, on pourra, demain, fermer une trésorerie et ouvrir trois nouveaux lieux pour faire plus d’humain. C’est ainsi que nous voyons aujourd’hui les choses.

Il n’est pas question, d’un côté, de faire des économies sur le dos de ceux qui sont les plus éloignés des centres actifs et, de l’autre, de tirer les bénéfices du numérique. Non, en même temps, le numérique rend les services publics accessibles à ceux qui savent et rend les humains plus proches pour ceux qui en ont besoin. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’y crois très fortement.

Le numérique peut être la solution, l’élément transformateur pour désenclaver ceux qui se sentent les plus éloignés. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, beaucoup de choses ont été dites à ce stade ; la nécessité de conserver un contact humain a notamment été évoquée. Toutefois, ce débat me met un peu mal à l’aise. Par moments, j’ai l’impression que l’on confond les objectifs et les moyens. La question de fond, c’est celle de l’accès aux services.

La dématérialisation numérique n’est qu’un moyen dans cette affaire. (M. le secrétaire dÉtat opine.) Or vous dites que l’objectif est de faire en sorte que les démarches se fassent de façon dématérialisée.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Dominique de Legge. J’entends bien que vous nuanciez en affirmant que l’on va conserver un contact humain.

Sénateur d’Ille-et-Vilaine, j’ai eu une mésaventure avec une carte grise et j’ai téléphoné à la préfecture. La première chose qui m’a beaucoup frappé, c’est que le service téléphonique est maintenant payant. Ensuite, on tombe sur un disque, qui n’en finit pas, et, au bout de dix minutes ou un quart d’heure, on a enfin quelqu’un.

J’entends vos propos, mais je me permets d’y insister, je ne pense pas que la relation entre l’administré et l’administration puisse se faire au travers d’un écran. D’ailleurs, de ce point de vue, la sémantique est importante. Je crois véritablement que, à un moment donné, nous avons besoin de médiation. D’ailleurs, ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays est bien dû à un manque de médiation.

M. Laurent Duplomb. Exactement !

M. Dominique de Legge. Veillons à ne pas confondre la fin et les moyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub et M. Yves Bouloux applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances et du ministre de laction et des comptes publics, chargé du numérique. Depuis tout à l’heure, on dirait un débat entre personnes qui sont d’accord…

Je le répète encore une fois, on s’est donné comme objectif de rendre les services publics disponibles numériquement d’ici à 2022 pour ceux qui le souhaitent. Aujourd’hui, on ne peut pas exiger d’une maman responsable d’une famille monoparentale de poser une demi-journée de congé pour faire une démarche administrative. Grâce au numérique, ce sont des millions de demi-journées que nous avons libérées et rendues à la vie économique et à la vie personnelle des Français.

Reconnaissons tout de même qu’il s’agit d’un objectif très important pour tous ceux qui savent. Pour les autres, pour tous ceux qui ont besoin de ce contact humain de proximité, le Président de la République a pris, je vous le rappelle, l’engagement de ne pas faire de numérisation sans réhumanisation. Il y aura donc plus d’êtres humains disponibles pour assurer des relations de proximité et accueillir ceux qui rencontrent des difficultés.

Dans le cadre de la loi ÉSOC, la loi pour un État au service d’une société de confiance, nous l’avons rappelé, l’État ne doit pas mettre en place de numéros payants. Nous avons fait cette erreur à un moment, ce fut un égarement passager. Le rôle de l’État est d’accueillir partout où il le peut, par tous les canaux dont auraient besoin les personnes en fonction de leurs capacités, de leur handicap, de leur disponibilité, afin de leur apporter des solutions. Je vais même vous dire un secret, parmi tous ces numéros qui existent encore aujourd’hui, certains ne vous mèneront jamais à un être humain : ce sont des boucles de répondeur, qui, à la fin des fins, vous renvoient toujours à un site internet. Ces numéros-là, nous tentons de les identifier – j’appelle tous les Français à les signaler sur le site NosDemarches.gouv.fr –, car ils n’ont plus leur place dans l’accueil et le parcours du service public.

M. Jackie Pierre. Ils existent toujours !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Le parcours du service public doit démarrer avec un être humain, si la personne en a besoin. Il doit pouvoir démarrer au téléphone si elle le souhaite.

MM. Jackie Pierre, Daniel Gremillet et Laurent Duplomb. C’est faux ! Ces numéros existent toujours !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Donnez-les-moi ! Faisons la liste ensemble ! Ces numéros ne doivent plus exister. C’est une insulte faite aux citoyens que de proposer des numéros de téléphone qui ne mettent pas en relation avec un être humain et ne mènent qu’à des répondeurs. Nous avons commencé à nous atteler à cette tâche.

Concernant la démarche dématérialisée pour l’obtention des cartes grises, la plus contestée par les Français qui rencontraient des difficultés, mais la plus appréciée par les autres, l’enjeu a été l’accueil humain.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat. Si vous avez le moindre problème, sachez que je m’inscrirai toujours dans une démarche de prestation de service, avec une écoute inconditionnelle. Venez me voir, écrivez-moi, et nous trouverons des solutions pour chacun des services que vous identifierez dans chacun de vos territoires. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, je vous crois plein de bonne volonté. Mais, encore une fois, je le répète, à chaque fois que je parle avec mon préfet, mon percepteur de la réforme de l’État, il me répond : dématérialisation. Voilà ce qui me gêne. Il y a là une confusion.

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury.

M. Hugues Saury. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà répondu à certaines des questions que je vais vous poser, mais je vous remercie par avance de bien vouloir compléter vos réponses.

Par la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il est confié aux départements le copilotage avec l’État des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public.

Un rapport du 16 janvier dernier du Défenseur des droits a relevé la fracture numérique existante et l’efficacité des maisons de services au public, les MSAP, pour y remédier. L’État a d’ailleurs annoncé le déploiement des MSAP, cofinancées par le FNADT, le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, et un fonds alimenté par les opérateurs.

Cependant, malgré la poursuite du déploiement et l’abondement des crédits, le dispositif est gelé jusqu’à la mi-2019 à la demande des opérateurs, qui s’interrogent sur l’efficacité de certaines MSAP.

Toutefois, il existe des enjeux immédiats et des dispositifs à mettre en place à court terme tant il est évident que l’accès aux services publics, sous une forme ou une autre, est un enjeu de notre société et une préoccupation de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’ai plusieurs interrogations.

Qu’en est-il des schémas départementaux d’inclusion numérique annoncés par vous-même, monsieur le secrétaire d’État, en décembre 2017, – vous en avez dit un mot – et dont la réalisation devait être confiée aux départements ? Pourquoi avoir gelé l’ensemble du dispositif des MSAP, alors que le déploiement était en phase d’accélération ? Comment et quand les collectivités locales engagées dans la gestion des MSAP vont-elles être aidées financièrement ?

Enfin, le financement par l’État du déploiement de la fibre est gelé, alors qu’il reste un nombre de foyers important à desservir. Est-ce temporaire ou définitif ?

Dans un autre domaine, le dispositif mis en place par l’État pour résorber les zones blanches de téléphonie mobile reste très limité par le nombre de sites possibles au regard de l’ampleur de la problématique – cette question a également été évoquée précédemment. En outre, il est contestable sur la méthode : les collectivités sont parfois obligées de financer des études alors que les opérateurs disposent d’informations précises, mais ne veulent pas les communiquer pour des raisons de concurrence. Quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin d’accélérer et de compléter le déploiement, sachant que l’accès à un service de téléphonie mobile performant est l’un des éléments les plus évoqués pour ce qui concerne la fracture entre l’urbain et le rural ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances et du ministre de laction et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, concernant votre première question, j’ai dressé la liste des dix premiers territoires qui s’étaient engagés dans un véritable travail de dentelle – c’est l’image que nous avons prise précédemment – pour mettre en place les schémas départementaux d’inclusion numérique territoriale. Ceux-ci nécessitent un diagnostic des acteurs en présence, un diagnostic des populations telles qu’elles sont, avec leurs besoins, leurs usages, leurs difficultés – le diagnostic est différent dans chacun des territoires.

Les dix premiers territoires dont je vous ai parlé sont ceux qui, non seulement, ont établi ce diagnostic, mais ont également organisé des discussions entre les élus en y incluant les différents acteurs pour parvenir au schéma final. Mais les autres ont aussi lancé des initiatives.

Le rôle de l’État, en partenariat avec plusieurs régions pilotes, est de coconstruire pendant l’année 2019 avec chaque département un schéma directeur d’inclusion numérique. L’Assemblée des départements de France est notre premier partenaire sur le sujet. Aujourd’hui, tous les départements ont compris que l’inclusion numérique était le nouveau pilier du chapitre concernant l’action sociale territoriale et qu’il était absolument nécessaire qu’ils soient capables d’incarner et d’apporter des solutions locales différentes d’un département à l’autre. C’est cette démarche que nous accompagnons. Les hubs dont nous avons parlé précédemment seront aussi des outils d’accélération pour accompagner ces territoires en vue de définir leur stratégie et, surtout, la mettre en place.

Lorsque vous prévoyez, dans le cadre de votre stratégie, de faire émerger une vingtaine de nouveaux lieux en milieu rural, vous avez besoin d’un lieu d’expertise central capable d’accompagner chacun des lieux qui pourront se développer. C’est tout l’objet de cette stratégie en deux temps : un diagnostic et une vision locale pour la création, l’émergence de lieux, leur financement, avec près de 15 millions d’euros cette année, et l’accompagnement tout au long de la vie, avec le financement des formations et des heures de formation de tous les citoyens qui se réorienteront dans ce domaine. Vous le voyez, c’est à la fois de l’ingénierie, de l’investissement pour ce qui concerne la création et, ensuite, du financement des frais de fonctionnement : l’État joue un rôle d’expertise, d’accompagnant et de déclencheur.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Dans nos territoires de montagne, la couverture numérique en très haut débit, mobile et fixe, est un prérequis pour parvenir au désenclavement et permettre un accès au service public.

La couverture téléphonique et internet sont un impératif, non seulement pour l’accueil de nouvelles populations, mais aussi pour le développement économique et, en particulier, l’activité touristique. Ainsi, l’accès à internet est-il aujourd’hui un critère de choix, tant pour les touristes que pour le maintien des populations et des activités existantes.

Or certains habitants ne peuvent toujours pas utiliser leur téléphone portable pour passer des coups de fil ou accéder à leur messagerie électronique depuis leur mobile. D’autres n’ont pas accès à l’ADSL ; ils sont de facto exclus de la société, et l’activité économique en pâtit.

La dernière loi Montagne – la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne – devait permettre de renforcer l’accès au numérique de ces territoires. Or force est de constater qu’il existe encore de nombreuses zones blanches – cela a été rappelé –, dans lesquelles il est totalement impossible d’avoir accès à la 4G, mais également à la 3G, quand ce n’est pas au GPRS.

Le 14 janvier 2018, un accord a été signé entre l’État, l’Arcep et les quatre opérateurs de téléphonie mobile. Par ce biais, l’aménagement numérique du territoire devient prioritaire dans les conditions d’attribution des fréquences.

Cet accord est contraignant pour les opérateurs, qui vont devoir, d’une part, équiper l’ensemble des sites de téléphonie existants en 4G et, d’autre part, construire d’ici à trois ans 5 000 sites mobiles chacun, sites parfois mutualisés, afin d’accélérer la cadence de déploiement des réseaux mobiles.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part des résultats de cet accord à date ? Comment votre ministère envisage-t-il le déploiement de la 5G dans ces territoires, alors que les fréquences seront attribuées dans les prochains mois ? Les territoires de montagne devront-ils encore attendre une décennie pour y avoir accès ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. J’ai effectué mon premier déplacement en tant que ministre en Isère, à Besse-en-Oisans. J’allais travailler avec un maire d’un village des environs, qui m’avait expliqué avoir mis dix ans pour faire implanter un pylône de téléphonie mobile sur son territoire.

Pourquoi un tel délai ? Il avait dû lever de très nombreuses contraintes. D’abord, il avait fallu convaincre les opérateurs. Ensuite, comme nous en avons débattu précédemment, le maire avait dû, sur la demande d’un certain nombre d’acteurs, dont les architectes des bâtiments de France, faire des tests auprès de toutes les communes avoisinantes pour voir sur quel mont le pylône serait le moins visible. Tout cela a pris dix ans.

À l’occasion de ce déplacement, au moment du pot convivial de fin, j’ai rencontré deux jeunes. Je leur ai dit que c’était très « sympa » de se trouver là ; ils m’ont répondu qu’ils étaient les deux derniers à être restés. Tous les autres jeunes étaient partis parce que le village était une zone totalement blanche depuis dix ans. À partir de l’adolescence, ils allaient faire leurs études ailleurs…

Face à de tels constats, qu’avons-nous fait ? J’évoquais le new deal que nous avons formalisé, imposant aux opérateurs un certain nombre d’objectifs obligatoires.

En Isère, douze zones blanches de la première liste sont déjà identifiées et font l’objet d’un déploiement. Nous continuerons de la sorte, d’année en année.

Mais il faut aussi évoquer les changements en cours sur des dizaines de sites, qui passent des anciennes technologies 2G et 3G à la nouvelle technologie 4G. À l’échelle du territoire national, 3 500 sites ont bénéficié d’une telle évolution depuis le 1er janvier 2018.

Par ailleurs, monsieur le sénateur Savin, vous m’interrogez sur les nouvelles technologies. La fameuse loi Montagne évoquée par vos soins a eu deux effets : d’une part, elle nous a permis d’obliger les opérateurs à procéder à un certain nombre de déploiements – c’est le fameux article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques – et, d’autre part, elle impose à toutes et tous, chaque fois qu’une nouvelle loi est débattue, de porter une attention particulière à ces territoires de montagne, du fait de leurs spécificités.

S’agissant de la 5G, rien n’est défini aujourd’hui. Mais notre préoccupation est tout de même d’éviter que, au motif de la 5G, on oublie la 4G. Il y a là un véritable risque.

Autrement dit, nous avons le souci de passer des anciennes aux nouvelles technologies actuelles – c’est-à-dire la 4G – et de conserver l’état d’esprit qui est le nôtre dans tout le déploiement des technologies futures. Pour autant, il faut éviter de faire des sauts technologiques qui, in fine, desserviraient les territoires que vous défendez. Ce n’est ni votre souhait, ni le nôtre !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.

M. Michel Savin. J’entends cette réponse, monsieur le ministre, mais il y a urgence dans certains territoires, notamment au regard de l’aspect économique. À l’heure actuelle, des stations touristiques de montagne perdent de la clientèle, celle-ci préférant, du fait des difficultés de connexion au réseau internet, séjourner dans d’autres stations.

Pour ces territoires, l’enjeu est économique, avec des emplois à la clé, d’où l’urgence à traiter la question. J’entends les intentions ; il faut passer des intentions aux actes ! C’est une des conditions pour pouvoir maintenir des activités sur ces secteurs, qui sont déjà très défavorisés.

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande.

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat a naturellement une résonance particulière dans le contexte actuel. L’exaspération exprimée au cours des dernières semaines, face aux inégalités vécues et perçues dans les territoires, se nourrit aussi de la fracture numérique.

L’absence d’accès au numérique est aujourd’hui ressentie, par nos concitoyens, comme une forme de déclassement et une véritable injustice, à juste titre.

Ce sentiment devient de plus en plus violent avec la généralisation des services en ligne, dans tous les domaines. C’est la double peine !

Je reviens à la question spécifique de la dématérialisation des services publics et de l’ambition portée par l’exécutif. Comme l’a rappelé le Défenseur des droits, « la mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit […] de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public », ce qui nécessite a minima une connexion internet de qualité et l’accès à des équipements informatiques. Or ces deux conditions évidentes ne sont pas réunies partout – les chiffres en la matière ont été rappelés au cours du débat.

Face à ce constat, quelles réponses apporter ? L’amélioration significative de la couverture numérique du territoire et de l’accès des Français au très haut débit, tant fixe que mobile, reste la condition sine qua non pour lutter contre la fracture numérique.

Faut-il rappeler qu’en moins de dix ans seulement, le déploiement des technologies de l’information et de la communication est devenu une composante essentielle du développement et de la compétitivité des territoires ?

Alors oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, cet enjeu vous engage !

Le plan France très haut débit de 2013, pour internet, et l’accord de janvier 2018 signé entre le Gouvernement, l’Arcep et les opérateurs, pour le mobile, ont suscité de nombreux espoirs. Dans le contexte actuel, la non-réalisation ou un nouveau report des objectifs fixés pourrait avoir des conséquences encore bien pires que celles de l’augmentation inconsidérée de la taxe carbone.

En janvier dernier, devant les maires, le Président de la République a indiqué vouloir mettre la pression sur les opérateurs pour que le déploiement se fasse au bon rythme.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que les engagements seront bien tenus, à l’horizon de 2020 pour le haut débit et de 2022 pour le très haut débit, et, surtout, que l’ensemble des foyers et des entreprises françaises disposeront d’un accès à internet performant d’ici là ?

Quels nouveaux leviers l’exécutif entend-il actionner pour contraindre les opérateurs ?

Pour les zones qui ne pourront pas techniquement avoir accès à la fibre jusqu’au domicile en 2020, le Gouvernement a ouvert, à compter du 1er janvier 2019, un guichet « cohésion numérique des territoires », doté de 100 millions d’euros. Cette enveloppe est-elle réellement à la hauteur des besoins ? C’est une véritable question !

Outre la couverture numérique des territoires, la dématérialisation des services publics devra nécessairement s’accompagner d’une attention particulière portée à la capacité des familles à s’équiper en matériel informatique. En 2017, 19 % de la population ne possédait pas d’ordinateur, le prix du matériel étant le premier frein.

Le sujet de l’obsolescence programmée des appareils et de ses conséquences, tant économiques qu’écologiques, doit également être soulevé par l’État, de même que l’accessibilité et les conditions de résiliation des abonnements internet.

Autre danger, la dématérialisation de l’intégralité des services publics en 2022, très largement évoquée dans cet hémicycle aujourd’hui, ne peut se résumer à compenser la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire. Ce danger me paraît, hélas, trop réel pour qu’on n’y revienne pas.

Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, nos concitoyens demandent avant tout une présence physique des services publics dans les territoires.

Prenons pour exemple la télémédecine : si celle-ci représente un vecteur important d’amélioration de l’accès aux soins, en particulier dans les zones sous-équipées, elle ne saurait se soustraire aux actes médicaux classiques et à la présence, sur nos territoires, de professionnels de santé.

En outre, la dématérialisation des services publics pourra fonctionner seulement si elle s’accompagne d’un effort de simplification et de rationalisation. À ce titre, la proposition du Défenseur des droits d’instaurer un identifiant unique me paraît intéressante et prioritaire. Simplifions la vie de nos concitoyens !

Enfin, si l’État s’est engagé à fournir un nouvel effort financier en faveur des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités en décembre dernier, ce dont je me félicite, il faut aussi être cohérent.

Je citerai à cet égard une situation très concrète, actuellement vécue dans le Grand Est, une région qui s’est largement impliquée dans le déploiement du très haut débit en fibre jusqu’à l’habitant. Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qui dit fibre dit passage possible dans des domaines forestiers… Pour 550 kilomètres de domaines forestiers gérés par l’Office national des forêts, l’ONF, ce sont 66 millions d’euros qui sont réclamés par cet organisme ! C’est problématique, car c’est un coût pour le contribuable, un surcoût pour le projet et des freins à la réalisation des travaux.

En conclusion, permettez-moi d’évoquer l’important travail que notre collègue Patrick Chaize a réalisé au niveau du Sénat, lequel a adopté, l’année dernière, une proposition de loi. Je souhaite vraiment, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous fassiez vôtre ce texte, car il est dans l’intérêt de tous nos territoires et de l’ensemble des Français sur ces territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)