M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai la faiblesse de penser que, s’il y avait plus de lois utiles, elles vieilliraient mieux… (Sourires.)

M. François Bonhomme. Comme les sénateurs !

M. Pierre-Yves Collombat. Mais c’est un autre débat. Pour l’heure, je me contenterai de quelques remarques, l’essentiel ayant été dit par notre rapporteure et les précédents intervenants.

Il s’agit d’une proposition consensuelle, qui se prête parfaitement à la procédure de législation en commission, d’autant que les amendements déposés et votés n’appellent pas de commentaires particuliers, ce qui n’a pas toujours été le cas – je pense notamment à l’examen récent de la proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France, dont la mouture initiale a été substantiellement transformée, par les amendements, ce qui aurait dû entraîner un examen en séance publique selon la procédure classique.

Le groupe CRCE votera donc cette proposition de loi sans difficulté.

Une question ne s’en pose pas moins : même si l’on peut se féliciter de l’initiative de nos collègues et du fait que ce travail de simplification se fasse sur l’initiative de parlementaires, n’est-ce pas plutôt la mission du Conseil d’État, dont une partie des membres a choisi, il est vrai, de remplir d’autres fonctions que celles pour lesquelles ils ont été formés et recrutés ? Je ne pense pas que Vincent Delahaye me contredira sur ce point… (Sourires.) Pour autant, le travail est fait !

Une remarque pour conclure. L’une des origines du problème traité par cette proposition de loi est la dispersion du droit relatif à un domaine dans des lois spécifiques et des fragments d’autres lois, ce qui rend le tout illisible, donc incompréhensible pour le commun des mortels, qui est pourtant censé ne pas ignorer la loi. Cela n’empêche d’ailleurs pas le Conseil constitutionnel de censurer, au cas par cas et selon son bon plaisir, les textes qu’il juge incompréhensibles. Il fait certainement une sélection…

J’ai toujours été frappé par notre étrange façon de légiférer, en supprimant des mots, des bouts de phrases, des alinéas, tant et si bien que, à la fin, on ne sait plus où on en est, sauf à pouvoir consulter avec son ordinateur en temps réel Légifrance. Si l’on s’épargnait ces facilités, les textes seraient plus intelligibles et le travail auquel nous nous livrons aujourd’hui serait moins nécessaire.

Comme je l’ai dit, le groupe CRCE votera cette utile proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.

Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’objectif de cette proposition de loi, qui résulte de la mission dite « Balai », est de procéder à l’abrogation de textes considérés comme manifestement inutiles.

Dans cette première étape ont été retenus d’abord quarante-quatre, puis quarante-neuf textes adoptés entre 1819 et 1940 et n’ayant fait l’objet d’aucune exécution par le pouvoir réglementaire ou d’application par un juge. C’est donc bien une chasse aux « fossiles », avec même quelques bijoux, comme cette loi du 12 février 1916 sur le trafic des monnaies nationales. Nous pourrions nous demander, si nous ne retirons pas un peu de travail, et quelques bons moments, aux futurs archéologues du droit ! (Sourires.)

De fait, on peut tout à fait suivre les attendus d’un tel texte sur la nécessité de nettoyer l’arsenal juridique, et par là le simplifier, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité – c’est bien l’intitulé de cette proposition. Voilà pourquoi plusieurs collègues ont cité Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

Sans suspense, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi : de manière évidente, l’abrogation de ces textes, à quelques exceptions près, qui ont fait l’objet d’amendements de notre rapporteure auxquels nous avons souscrit, ne risque en rien de déstabiliser notre arsenal juridique.

Cela dit, tout en votant cette proposition de loi, nous nous permettons de nous interroger sur l’utilité réelle et la nécessité juridique d’un tel train d’abrogation, car il n’y a pas véritablement d’insécurité juridique.

En effet, ces textes ont fait l’objet, pour à peu près la moitié d’entre eux, d’une abrogation tacite, et, pour d’autres, d’une abrogation que l’on pourrait qualifier d’expresse, dans la mesure où il y a eu, par coordination avec d’autres textes, une abrogation de fait. Les derniers de ces textes présentent un caractère désuet, puisque l’adoption de dispositions ultérieures leur a ôté toute portée. Mais, comme le disait notre collègue Collombat, le travail a été fait…

Prenons acte qu’il convient de sortir de cet exercice assez vite pour nous concentrer sur des simplifications plus contemporaines et plus nécessaires ! Nous pensons, en effet, que l’essence même du Parlement, ce n’est pas de supprimer des « fossiles législatifs », mais de répondre aux enjeux de la société contemporaine. Ce que nous n’aimerions pas, c’est que l’opération Balai ne se transforme en un camion du même nom… Le Parlement doit plutôt être un instigateur de lois utiles.

Quant à la méthode, monsieur le secrétaire d’État, je vous rejoins tout à fait : c’est un exemple positif en termes de concertation. J’espère qu’elle sera aussi utilisée non pas pour supprimer des « fossiles » de notre arsenal juridique, mais pour construire des lois qui répondent effectivement aux problèmes contemporains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier tous ceux qui m’ont remercié. (Sourires.)

Je suis heureux que tant de nos collègues aient accepté de cosigner cette proposition de loi et je dois excuser l’absence de Valérie Létard, qui ne peut malheureusement être présente aujourd’hui et qui m’a accompagné dans ce travail. Je remercie aussi le président Gérard Larcher de son soutien, car il a accepté que nous mettions en place cette mission, dite « bureau d’abrogation des lois anciennes inutiles » ou « Balai ».

Notre collègue Laurence Harribey s’est interrogée : cette mission est-elle véritablement utile ? J’aurais tendance à répondre : le ménage est-il utile ? Chacun en fait chez soi et, si je ne suis pas un spécialiste du balai, j’aime tout de même que certains coups soient donnés… (Sourires.)

Par rapport au nombre de textes adoptés depuis que Montaigne, dans ses Essais, avait parlé du nombre de lois en France par rapport au reste du monde, notre législation n’a, c’est vrai, cessé de s’alourdir, de se complexifier, voire de s’obscurcir.

Notre démarche a commencé par ce constat : notre arsenal législatif est aujourd’hui un tel mastodonte que l’affirmation selon laquelle nous serions progressivement passés d’un État de droit à un État de paralysie par le droit ne serait pas excessive !

En effet, l’ampleur de notre législation est telle qu’il est impossible de dénombrer avec exactitude le nombre de lois en vigueur dans notre pays. Pour preuve, le Conseil d’État estime à 10 500 ce nombre quand Légifrance comptabilise 2 707 textes législatifs. Quant à l’exécutif, monsieur le secrétaire d’État, il n’a jamais été en mesure d’indiquer clairement ce nombre, si ce n’est a minima et par des voies détournées, en décomptant le nombre de pages du Journal officiel.

Cette situation résulte de notre histoire politique et juridique. Elle n’a véritablement connu que la nuit du 4 août 1789 comme moment d’abrogation de normes devenues désuètes et injustifiées !

Depuis cette nuit glorieuse, la République est retombée dans une certaine logique corporatiste, visant à normer toutes les activités, à légiférer sur tout et tout le temps ! Si bien que si les régimes passent, les lois, elles, demeurent !

Par exemple, parmi les lois que cette proposition de loi a dénombrées, il en est certaines dont l’origine peut en effet remonter jusqu’à 1819. C’est dire si la longévité de lois inutiles est, en France, inversement proportionnelle à la lisibilité de notre bloc législatif !

Ces dernières années, le législateur n’a pas été avare de lois dites de simplification. Depuis 2004, plus de dix lois de simplification du droit ont vu le jour. Si celles-ci étaient, bien évidemment, profitables, il n’en demeure pas moins que leurs auteurs ont souvent omis de réaliser le travail préalable d’allégement de la loi avant de la simplifier. Or ce travail préliminaire est indispensable afin de permettre au citoyen d’appréhender la réalité de la loi qu’il n’est pas censé ignorer.

Un stock trop élevé de lois est de nature à rendre leur accès plus ardu et leur compréhension plus épineuse en ne permettant pas de séparer les lois réellement effectives de celles qui n’ont plus qu’un intérêt quasi archéologique.

Certes, la présente proposition de loi ne vise que la suppression de quarante-neuf lois quand d’innombrables normes s’ajoutent chaque année à notre arsenal législatif. Certains diront qu’il s’agit d’une goutte de simplification dans un océan de normes. Néanmoins, elle doit être la goutte qui fera déborder le vase de l’allégement législatif.

Nous abrogeons aujourd’hui des lois aussi désuètes que celle qui organisait la chasse au sanglier en 1904, celles qui étaient relatives au Mont-de-piété, devenu depuis bien longtemps le Crédit municipal de Paris, aux bureaux de bienfaisance, devenus CCAS, les centres communaux d’action sociale, aux sociétés de patronage, devenues les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ou encore celle qui réprimait le trafic des monnaies nationales, alors que nous sommes passés à l’euro depuis près de vingt ans !

En votant pour cette première proposition de loi, qui est notre point de départ, nous confirmons un travail qui associe le Parlement, le monde du droit, ainsi que le Conseil d’État et, bientôt la Cour de cassation. Un cap est fixé. La prochaine étape sera d’abroger les lois manifestement obsolètes, postérieures à 1940. Ensuite, nous nous emploierons à identifier les dispositions législatives inconventionnelles. Il nous restera, enfin, à débusquer les malfaçons législatives, à savoir les textes contradictoires insuffisamment précis.

Par ailleurs, je propose que le Gouvernement se fixe comme règle de bonne conduite de supprimer deux anciennes lois dès lors qu’une nouvelle est adoptée. Ainsi, nous combattrons durablement l’excès de normes.

Vous l’aurez compris, la tâche que nous commençons aujourd’hui, en votant cette proposition de loi, sera longue, mais exaltante. Ensemble, rédacteurs, protecteurs, techniciens de la loi, nous comptons bien redonner à celle-ci sa pleine force par davantage de lisibilité. N’oublions que si une société a besoin de normes, il en va des normes comme du poivre et du sel : leur absence comme leur excès rend le tout inconsommable ! Il nous faut retrouver, là comme ailleurs, le juste sens des proportions ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour explication de vote.

Mme Josiane Costes. « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. […] il faut être sobre de nouveautés en matière de législation ». Tels furent les mots prononcés par Portalis en 1801, lors de la présentation du code Napoléon, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues.

Il n’est pas difficile de s’apercevoir combien nous nous sommes affranchis, au fil des années, de ces principes pleins de bon sens.

Le législateur français a surtout, ces dernières années, été très, voire trop prolixe. Il a malheureusement aussi, très souvent, succombé à la tentation de légiférer dans l’immédiateté, en réponse à l’immédiateté et aux faits divers.

Cette prolifération législative et réglementaire aboutit à des aberrations. Elle est aggravée par le quinquennat et les alternances tous les cinq ans. On en arrive à légiférer de nouveau, alors que les décrets d’application de la précédente loi promulguée ne sont pas encore sortis ! Il est, hélas, logique que dans ces conditions, la loi soit pour nos concitoyens non plus un repère, mais beaucoup trop une contrainte, mal comprise dans leur vie quotidienne.

Au fil du temps, notre droit a accumulé, codifié, stocké des paquets de normes conduisant logiquement à des contradictions et à un manque de cohérence néfaste.

Néfaste pour le citoyen, d’abord, car si nul n’est censé ignorer la loi, encore faut-il que cette loi soit compréhensible et accessible pour tout un chacun. Si des efforts ont été faits avec la création des dispositifs d’accueil des justiciables, parmi lesquels on peut citer les conseils départementaux de l’accès au droit, les antennes locales du Défenseur des droits, ou encore les bureaux d’aide juridictionnelle pour les justiciables les plus démunis dans notre pays, il reste que l’inflation législative réduit considérablement leurs effets.

Néfaste également, et en conséquence, pour notre démocratie, car à force de légiférer sur tout, c’est en premier le principe fondamental de liberté qu’on oublie et qu’on bafoue. La multiplication des normes restreignant de fait la liberté individuelle est en effet, à notre sens, un phénomène très préoccupant.

C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE a accueilli très favorablement la création de cette mission Balai, chargée de faire la chasse aux fossiles législatifs et aux lois obsolètes.

La proposition de loi qui en découle est également très bienvenue. Je veux d’ailleurs saluer et remercier la rapporteure, Nathalie Delattre, de son travail remarquable et de la pertinence de ses amendements.

Cette proposition de loi contribuera très certainement, si elle est adoptée, à améliorer la lisibilité et la compréhension de notre droit, un objectif à valeur constitutionnelle qu’il est très urgent de prendre au sérieux.

D’ailleurs, dans le cadre de la préparation de la réforme institutionnelle à venir, le groupe de travail rassemblé autour du président du Sénat a proposé d’inscrire cet objectif de lisibilité dans le texte constitutionnel et nous ne pouvons que nous en réjouir. Il s’agirait d’y inscrire que « la loi et le règlement répondent aux exigences d’accessibilité, de clarté et de nécessité des normes ».

Toutefois, nous considérons qu’il faut également aller plus loin en modifiant nos comportements et nos méthodes de travail. Il est important et de notre responsabilité de légiférer d’une main tremblante.

Nous devons refuser de céder aux sirènes de l’instantanéité et du court terme. Le Président de la République, lui-même, a déclaré devant le Congrès à Versailles que la loi ne devait pas « accompagner servilement les petits pas de la vie de notre pays ». À cet égard, la décision du Gouvernement, au début du quinquennat, de supprimer un décret à chaque nouveau décret pris va dans le bon sens.

Je veux également saluer ici le travail du Conseil national d’évaluation des normes. Dans une société en perpétuel mouvement, le droit doit être le garant des repères. Il ne s’agit pas de revendiquer un conservatisme mauvais teint, à rebours des évolutions sociales et sociétales. Non, il s’agit de réfléchir à une meilleure cohérence et à une meilleure clarté de notre droit. Il s’agit de moins légiférer, mais de mieux légiférer. C’est en adoptant cette démarche que nous garantirons la liberté de nos concitoyens, ainsi que la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes
 

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Juste mesure du bénévolat dans la société française

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur la juste mesure du bénévolat dans la société française.

La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je dois tout d’abord remercier M. le président, qui a accédé à ma demande d’organiser un débat sur le sujet, non pas du bénévolat, mais de la juste mesure du bénévolat en France.

J’en rêvais, lorsque j’étais bénévole dans la Nièvre. Je rêvais de pouvoir un jour porter cette voix-là, ces mots-là, à la tribune du Parlement !

Lorsque l’on évoque le bénévolat, selon que l’on soit en région parisienne, en métropole, dans une grande ville, une ville de taille médiane ou en milieu rural, la perception n’est pas la même de ce maillage discret, subtil, et pourtant omniprésent et indispensable. Et la perception est également bien différente selon que l’on soit, ou que l’on ait été un jour soi-même bénévole ou non.

Face à cette réalité à plusieurs vitesses, j’ai décidé de ne vous donner aucun chiffre. Comme l’amour qui ne se quantifie pas, comme la générosité qui n’a ni prix ni limite, le bénévolat ne se chiffre pas ! Je pense sincèrement que tout décompte serait forcément incomplet et inexact.

Le bénévolat est partout, le bénévolat est discret. Il est si facile de ne pas le voir, il est très dangereux de ne pas le voir. Pour l’estimer justement, il faudrait pouvoir recenser toute la part du temps et de l’énergie qui sont donnés sans contrepartie, en dehors et au-delà d’une activité indemnisée.

Je souhaite aujourd’hui vous proposer une méthode inversée : demandons-nous ensemble, pour connaître sa juste mesure, sa vraie place, ce qui se passerait dans notre société si le bénévolat en disparaissait du jour au lendemain.

Comme beaucoup d’entre vous, je pense, en tout premier lieu, au bénévolat associatif. Le tissu associatif, avec ses multiples facettes, est totalement structurant.

Les récents débats sur le texte en faveur de l’engagement associatif furent l’occasion d’évoquer cette forme de bénévolat.

Craignant de faire des oublis, je vais essayer de lister ce qui me vient en tête.

Que deviendrait notre paysage quotidien sans associations culturelles, artistiques, touristiques, sportives, humanitaires, sociales ou environnementales ? Quelle serait la vie dans nos collectivités sans nos comités des fêtes, nos clubs de loisirs, nos rencontres sportives, nos concerts, nos expositions ? Que resterait-il de notre patrimoine sans les milliers de bénévoles qui œuvrent à sa préservation et sa mise en valeur ? Sans le bénévolat, qu’adviendrait-il de l’aide alimentaire, de l’aide à l’intégration sociale, à la lutte contre les addictions, de la solidarité face aux difficultés de la maladie et du handicap ?

Il ne resterait plus grand-chose de la pratique du sport, de la vie sociale ! Il ne subsisterait guère d’animations, de fêtes, de soutien, de fleurissement, de lieux d’accueil !

Du jour au lendemain, si tous ceux qui donnent de leur temps, de leur plein gré et sans contrepartie financière, cessent leur engagement, alors, c’est également la fin des commémorations, des cérémonies mémorielles ! J’attire votre attention sur ce que cela signifie.

Voici une question à laquelle vous n’aviez peut-être pas pensé, mes chers collègues : qui développe le devoir de mémoire sur l’ensemble du territoire national ? Les associations d’anciens combattants principalement ! Et que dire de la représentation professionnelle dans tous les corps intermédiaires ? C’est un autre aspect du bénévolat, également indispensable.

Plus de Croix-Rouge, de Secours populaire, de Restos du Cœur ! C’en serait fini de l’Ordre de Malte, d’Emmaüs et de la Fondation Abbé Pierre, avec le risque d’avoir des affamés dans la rue ! Il n’y aurait plus de visiteurs dans les hôpitaux ni dans les Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il faudrait oublier, dans tant d’endroits, l’aide aux devoirs, à l’alphabétisation ou à la formation ! Est-ce anecdotique ?

Il faudrait aussi renoncer au jumelage entre pays et entre villes, là où on essaye de prévenir la guerre par l’amitié entre les peuples.

Dans beaucoup d’endroits, il n’y aurait plus de bibliothèques. À ce sujet, je vous livre un témoignage que j’ai reçu d’une bibliothécaire communale : « Je tiens seule dans mon village une petite bibliothèque associée à la bibliothèque départementale. Grâce à mes efforts, 500 livres par an sont empruntés dans une commune de 602 habitants. Le partenariat avec la bibliothèque départementale a dû être formalisé en 2017 et depuis, il a fallu créer une adresse informatique professionnelle et saisir sur un logiciel les données de 2018 : 2 heures de travail, 225 réponses à apporter. Tout cela pour obtenir en retour les informations suivantes : le pourcentage d’emprunteurs actifs par rapport à la population, soit 2,990, le nombre de mètres carrés de la bibliothèque par rapport au nombre d’habitants et les crédits d’acquisition par habitant. C’est effarant, j’aimerais comprendre à quoi ça sert … » J’avoue que moi aussi, j’aimerais comprendre !

Un point lecture de proximité est indispensable. Mais les politiques publiques sont-elles cohérentes si, d’une part, elles établissent des programmes de subventions et si, d’autre part, elles découragent les bénévoles ? Et je ne parle pas de la complexité des dossiers de subvention ni des normes !

J’ai dressé, dans le champ de l’associatif, un rapide tour d’horizon, incomplet. Et j’ai lancé un premier signal d’alarme !

On peut aller encore plus loin et toucher du doigt une autre réalité. Il ne faut en aucun cas opposer la France des villes à la France des campagnes, mais, il faut le dire, en milieu rural, la plupart des élus sont également bénévoles. C’est une réalité dont il faut aussi prendre la pleine mesure.

Avez-vous bien conscience, mes chers collègues, que sans bénévolat, il n’y a plus d’élections, car ce sont des élus, dans leur majorité bénévoles, qui tiennent les bureaux de vote ? Tous ceux-là ont donné, en 2017, quatre dimanches pour l’organisation des scrutins nationaux.

L’entretien de nos communes repose, pour une très grande part, sur un investissement bénévole. Et heureusement ! Car les étrangers, vous le savez, sont très sensibles au charme et au pittoresque de nos 36 000 communes. Ils sont nombreux à venir en France trouver précisément cela.

Les élus ruraux entretiennent, parfois avec leur propre matériel et toujours sur leur temps personnel, beaucoup de voiries secondaires. Ils accomplissent toutes les tâches pour lesquelles leur commune n’a pas de budget.

Il faut aussi évoquer et approfondir tout le champ de la sécurité civile, du premier secours aux habitants, du maintien de l’ordre. Je ne sais pas si, au banc des ministres, on a bien idée de la réalité dont je parle.

Je vais vous donner un autre exemple. J’ai rencontré il y a peu Bernadette, maire depuis vingt ans d’une petite commune rurale de quelques dizaines d’habitants. Depuis des années, son adjoint et elle-même ne perçoivent aucune indemnité, ce qui constitue la seule marge d’investissement de cette commune. Ce qui leur fait dire avec un petit sourire : « Comme ça, on a pu changer les fenêtres de la mairie. »

Bernadette achète de sa poche les timbres et offre les vins d’honneur. Son époux vient régulièrement, avec son tracteur et en utilisant son propre carburant, tondre la pelouse de la mairie. Le mari de l’adjointe effectue gracieusement tous les petits travaux d’entretien et les petites réparations. Auparavant, Bernadette a été, pendant seize ans, présidente d’une communauté de communes. Pendant seize ans, ni elle ni aucun des vice-présidents n’a touché un seul euro d’indemnités. Son cas n’est pas unique, bien au contraire. Et il s’agit bien de bénévolat, d’un bénévolat invisible depuis Paris.

Ces bénévoles entretiennent les bâtiments, offrent du matériel scolaire, font l’animation, l’encadrement, le nettoyage, le suivi, la prévention, assurent le soutien des personnes fragiles ou en difficulté, font les courses et le maintien de l’ordre. Ils débouchent les canalisations, gèrent les animaux errants, comme les dépôts d’ordures, et j’en passe !

Monsieur le secrétaire d’État, prendre la juste mesure du bénévolat en France, c’est comprendre que les bénévoles, les élus ruraux en première ligne, portent notre pays à bout de bras !

Le président Larcher lui-même, le 17 janvier dernier, a dit : « Dans les petites communes, beaucoup d’actions pour la collectivité reposent sur le bénévolat. Les communes sont les seules à participer à la réduction des dépenses publiques. » Ce ne sont pas de vains mots !

Sous-estimer le bénévolat, considérer, comme beaucoup, qu’il n’y a là qu’activités de loisirs plaisantes et marginales serait prendre un risque de paralysie générale.

Renvoyer chez eux nos bénévoles au motif qu’il vaut mieux désormais se restructurer et se professionnaliser est une hérésie gravissime.

Proposer les réorganisations territoriales comme solution aux difficultés du monde rural est une fausse bonne solution.

Tout d’abord, ce n’est pas en additionnant plusieurs pauvres qu’on fait un riche.

Ensuite, en procédant ainsi, on renvoie chez eux des milliers de bénévoles au lieu de les préserver et de les soutenir.

Croyez-vous que le mari de Bernadette viendra tondre la pelouse de la commune d’à côté ? Non ! Il faudra embaucher un agent communal, puis un autre, pour remplacer le premier quand celui-ci sera malade. Il faudra acheter un tracteur, le faire réviser, acheter du carburant. Il n’y aura pas d’économies, car, à chaque fois que l’on perd un bénévole, il faut payer pour le remplacer.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite véritablement, sans sourire et parce que ce que je vous dis est grave, que tout le monde prenne la juste mesure du bénévolat dans notre pays. Il y a encore des hommes et des femmes capables de dire comme ce président d’association : « Se sentir utile et faire quelque chose pour les autres est notre moteur ». Les élus ruraux savent de quoi ils parlent, mais cette réalité échappe à beaucoup.

Le bénévolat en France est un trésor inestimable, qu’il faut traiter comme tel. S’il venait à s’épuiser ou à disparaître, compromis en particulier par des restructurations maladroites, on ne pourrait pas le reconstituer.

Avant de décourager définitivement les bénévoles français, l’État doit faire ses comptes et se demander s’il dispose des sommes colossales qui lui permettraient de les remplacer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)