compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

M. Yves Daudigny.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019
Discussion générale (suite)

Entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France en 2019

Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 (projet n° 493, texte de la commission n° 499, rapport n° 498).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019
Exception d'irrecevabilité

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 26 mai prochain, les Français se rendront aux urnes pour élire leurs députés européens. Cette élection, nous en avons déterminé les règles l’année dernière, lors de l’examen de la loi relative à l’élection des représentants au Parlement européen : une circonscription unique et une répartition proportionnelle des sièges français entre les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés.

Ces principes, il n’est pas question de revenir dessus ; si nous nous retrouvons aujourd’hui, ce n’est pas vraiment de notre fait, c’est parce que, depuis l’examen de ce texte, le contexte géopolitique a changé. En effet, à la suite de la décision du Royaume-Uni d’enclencher la procédure prévue à l’article 50 du traité sur l’Union européenne et de quitter l’Union européenne, le Brexit était initialement prévu pour le 29 mars dernier, c’est-à-dire deux mois avant les élections européennes.

En conséquence, une partie des sièges britanniques au Parlement européen – vingt-sept des soixante-treize sièges, pour être précis – avait été répartie entre les différents États membres, et la France avait obtenu cinq sièges supplémentaires, passant ainsi de soixante-quatorze à soixante-dix-neuf élus au Parlement européen.

Néanmoins, vous le savez, les choses ne se sont pas passées, du côté britannique, comme prévu et les difficultés politiques internes de nos voisins ont poussé le Conseil européen à accorder un premier délai, puis un second courant jusqu’au 31 octobre 2019, pour permettre au Royaume-Uni de se mettre d’accord avec lui-même… La conséquence de ce délai, vous la connaissez : le jeudi 23 mai, les Britanniques voteront pour élire leurs soixante-treize députés européens, et la nouvelle répartition des sièges au Parlement européen ne pourra pas être immédiatement effective.

Il nous fallait donc nous adapter, et le faire vite, pour permettre au scrutin qui aura lieu le 26 mai en France de se dérouler sans aucun risque, et dans les meilleures conditions possible. C’est précisément l’objet de ce texte, adopté lundi à l’Assemblée nationale et examiné hier par votre commission.

L’idée est simple ; il s’agit, dans un premier temps, d’attribuer les soixante-quatorze sièges français puis, dans un second temps, une fois le Brexit survenu, d’attribuer les cinq sièges supplémentaires, dans les mêmes conditions que les soixante-quatorze premiers.

Vous comprenez tous, naturellement, la nécessité de l’examen, de l’adoption et de la promulgation de ce texte avant le scrutin du 26 mai en France ; c’est impératif pour assurer que ce scrutin puisse se dérouler sans aucun problème. Je sais que le Sénat a parfaitement pris conscience de la nécessité de traiter ce texte en responsabilité, et je veux sincèrement l’en remercier. Je souhaite également remercier le rapporteur Alain Richard du travail qu’il a réalisé sur ce texte, qui a rendu possible une coconstruction législative avec l’Assemblée nationale, que je salue.

Enfin, je souhaite revenir sur un amendement du groupe du RDSE, qui a été déclaré irrecevable en commission, car il n’a pas trait au texte proprement dit, mais qui s’appuie sur des préoccupations que certains élus ont pu relayer, y compris auprès du ministre de l’intérieur. Il s’agissait d’un amendement d’appel relatif aux panneaux électoraux disponibles dans certaines communes, alors que le nombre de listes qui concourent au scrutin du 26 mai est très important – on en compte trente-quatre.

Il s’agit d’une préoccupation légitime, que je comprends et à laquelle je souhaite répondre dès maintenant. L’installation de trente-quatre panneaux peut effectivement provoquer des difficultés, notamment dans les petites communes. Cette élection ne doit évidemment pas engendrer de lourdeurs ni de frais supplémentaires pour les communes, mais le droit électoral doit néanmoins être respecté. Or je souhaitais indiquer que les panneaux électoraux sont justement conçus pour permettre de placer deux affiches côte à côte, et qu’il est donc d’ores et déjà possible et légal, si c’est nécessaire, de diviser par deux le nombre de panneaux électoraux devant les bureaux de vote.

Vous le voyez, tout doit être mis en œuvre pour que les élections européennes se passent au mieux. Il est donc nécessaire de répondre à cette préoccupation des maires, tout comme il est nécessaire et urgent de tirer les conséquences des changements liés au Brexit. Tel est l’objet précis du texte que nous allons examiner maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le report de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été décidé le 10 avril dernier, sur la demande des autorités britanniques, par le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de Gouvernement.

Cette même décision tire les conséquences de ce report pour la vie des institutions européennes ; en effet, en 2019, une grande partie de ces institutions sera renouvelée. L’annexe de cette décision indique bien que l’on revient à la répartition des sièges issue d’une décision du Conseil européen de 2013 prise en vue des élections européennes de 2014. Ainsi, la mise en œuvre de la redistribution des sièges à laquelle le Conseil européen a procédé l’année dernière doit être différée ; cela fait partie des effets en chaîne du maintien temporaire du Royaume-Uni dans les institutions.

La répartition des sièges fondée sur la décision de juin 2018, qui tirait les conséquences de la sortie du Royaume-Uni – il s’agit d’une obligation que la France doit transcrire dans sa législation –, s’appliquera donc : ces cinq sièges, que nous appelons « supplémentaires », écherront à la représentation des électeurs français lorsque le Royaume-Uni sera sorti des institutions européennes. Ces sièges se différencient ainsi légèrement des soixante-quatorze sièges dont nous allons élire les titulaires, le dimanche 26 mai.

La loi d’adaptation doit être promulguée avant cette date, afin de garantir tant la sincérité du scrutin et la clarté de l’information à destination des électeurs que la sécurité juridique de l’attribution des sièges.

Le Sénat se le rappelle, par la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, nous avons actualisé le mode le scrutin de cette élection, en appliquant le système de la représentation proportionnelle entre les listes de candidats, à l’échelle nationale. Il est donc évident dans l’esprit de tous, y compris de ceux de nos collègues qui n’ont pas approuvé cette modification du mode de scrutin, que ce n’est pas à l’occasion de la répartition des cinq sièges supplémentaires en jeu que l’on changera ce mode de scrutin.

Par conséquent, le présent projet de loi dispose, avec beaucoup de simplicité et de rigueur, que l’on appliquera entre les listes ayant obtenu 5 % des voix le mode de scrutin à la représentation proportionnelle, avec répartition à la plus forte moyenne, pour soixante-quatorze sièges, avec effet immédiat le soir du 26 mai prochain. Il précise ensuite que la commission nationale de recensement des votes désignera également les futurs titulaires des cinq sièges supplémentaires, sur le fondement des mêmes listes et des mêmes nombres de suffrages, mais avec soixante-dix-neuf sièges. L’entrée en fonction de ces élus « en attente » sera subordonnée à l’entrée en vigueur effective du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Toutefois, je me permets d’exprimer un léger regret à cet égard ; nous n’avons pas été suffisamment précis lors de la concertation que le Gouvernement, la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale et moi-même avons eue il y a quelques jours. En effet, cette sortie se traduira sans doute, en réalité, par une série de dates d’effet – du point de vue financier, commercial ou encore pour l’application des traités.

Aussi, il faut que cela ressorte clairement de nos travaux préparatoires, la date d’effet de l’entrée en fonction de ces cinq représentants supplémentaires – cela est d’ailleurs également vrai pour nos voisins et amis attributaires de sièges supplémentaires – doit être la date de la sortie des représentants du Royaume-Uni des institutions de l’Union, c’est-à-dire le jour où le Royaume-Uni cessera juridiquement d’être membre de l’Union européenne, où il ne sera plus lié par les traités qui régissent celle-ci et où ses représentants quitteront la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne, le Conseil européen, le Conseil des ministres et le Parlement européen. Telle est, me semble-t-il, la date qui doit faire référence.

À la suite de l’Assemblée nationale, et dans le cadre de la concertation préalable que j’évoquais, la commission des lois a travaillé, en plein accord politique – il y a peu de débats en la matière –, sur la conséquence de cette décision européenne. Nous ne voyions pas de divergence, mais nous souhaitions que la rédaction du texte soit la plus claire possible.

Le travail de l’Assemblée nationale s’est achevé dans de bons délais – M. le secrétaire d’État l’a rappelé –, dès lundi dernier. Grâce à notre concertation préalable, nous avons pu rédiger un rapport présentant l’intégralité des sujets en jeu aux sénateurs. La commission n’a pas vu de source de désaccord avec l’Assemblée nationale sur le texte transmis ; elle n’a pas identifié de motif de modification de ce mécanisme simple, robuste et nécessaire.

C’est pourquoi elle vous propose d’adopter conforme ce projet de loi, tel qu’il nous a été transmis de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019
Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 16.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2 du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 (n° 499, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.

M. Jean Louis Masson. L’article 14 du traité sur l’Union européenne, dit « traité de Lisbonne », définit le cadre de la répartition des sièges de députés européens entre les États membres : « Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. Leur nombre ne dépasse pas sept cent cinquante, plus le président. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de quatre-vingt-seize sièges.

« Le Conseil européen adopte à l’unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation, une décision fixant la composition du Parlement européen, dans le respect des principes visés au premier alinéa. »

En application de cet article 14, une décision du Conseil européen du 28 juin 2013 a fixé le nombre des représentants au Parlement européen élus dans chaque État membre pour la législature 2014-2019. Toutefois, cette décision viole de manière flagrante le principe de proportionnalité dégressive prévu par cet article, ce qui pénalise la France et, dans une moindre mesure, plusieurs autres pays.

L’article 1er de cette décision rappelle pourtant les deux principes appliqués. Il rappelle d’une part le principe du nombre minimal – six – et du nombre maximal – quatre-vingt-seize – de sièges de chaque pays, sur un total d’au plus sept cent cinquante et un, dans l’Union à vingt-huit membres : « La répartition des sièges au Parlement européen utilise pleinement les nombres minimaux et maximaux fixés par le traité sur l’Union européenne afin de refléter aussi étroitement que possible les tailles des populations respectives des États membres. »

Il rappelle, d’autre part, le principe de la proportionnalité dégressive : « Le rapport entre la population et le nombre de sièges de chaque État membre avant l’arrondi à des nombres entiers varie en fonction de leurs populations respectives, de telle sorte que chaque député au Parlement européen d’un État membre plus peuplé représente davantage de citoyens que chaque député d’un État membre moins peuplé et, à l’inverse, que plus un État membre est peuplé, plus il a droit à un nombre de sièges élevé. »

Or, après avoir rappelé ces principes, le Conseil européen a fait exactement le contraire : le tableau de la répartition des sièges est en totale contradiction avec les principes sus-évoqués, affirmés par le Conseil européen lui-même. En effet, en application de la proportionnalité dégressive, la France, qui est moins peuplée que l’Allemagne, devait également avoir un ratio moins élevé d’habitants par siège. C’est pourtant le contraire qui a été décidé, puisque ce ratio était de 852 539 habitants pour l’Allemagne et de 883 756 habitants pour la France.

Lors de la préparation des élections de 2019, le Parlement européen a transmis au Conseil européen ses propositions de nouvelle répartition des sièges. À cette occasion, le Parlement a reconnu que « la répartition actuelle des sièges ne respecte pas le principe de proportionnalité dégressive à plusieurs égards et qu’elle doit donc être modifiée en vue de la composition du Parlement européen après les prochaines élections européennes, en 2019 ». La résolution du Parlement européen adoptée le 7 février 2018 souligne aussi que la décision du Royaume-Uni, pays qui compte soixante-treize représentants, de se retirer de l’Union européenne juste avant les élections de 2019 est l’occasion de remédier aux distorsions constatées.

Finalement, par une décision du 28 juin 2018, le Conseil européen a fixé la nouvelle répartition des sièges. Cette décision réduit de sept cent cinquante et un à sept cent cinq le nombre de sièges, en supprimant quarante-six des soixante-treize sièges britanniques, les vingt-sept autres sièges étant répartis entre quatorze pays de l’Union européenne pour compenser leur sous-représentation.

En particulier, la France obtient cinq sièges supplémentaires, ce qui permet de respecter l’article 14 du traité de Lisbonne, puisque, dorénavant, le ratio d’habitants par siège serait, en tenant compte des chiffres actualisés de population, de 854 838 pour l’Allemagne et de 843 818 pour la France.

Toutefois, ce correctif était fragile, puisque la décision du Conseil prévoyait aussi le cas où le Royaume-Uni serait encore membre de l’Union européenne au moment des élections de 2019. Dans cette hypothèse, la répartition des sièges entre les États devait rester la même que celle qui a été utilisée lors des élections de 2014.

Dans la mesure où la décision du Conseil européen du 28 juin 2018 devait être adoptée à l’unanimité des pays membres, il est donc clair que le gouvernement français a sciemment accepté une autre option, par laquelle, en cas de retard ou d’abandon du Brexit, en violation du traité de Lisbonne, notre pays n’obtiendrait pas le nombre de sièges qu’il devrait avoir au sein du Parlement européen.

Lors de la séance du 17 octobre 2018, j’avais interrogé Mme Loiseau, à l’époque ministre chargée des affaires européennes, sur cette question : « Pire encore, en totale violation du traité de Lisbonne, la France a un ratio d’habitants par siège plus défavorable que l’Allemagne. Si ceux qui essaient de torpiller le Brexit parvenaient à leurs fins, cette injustice subsisterait. En effet, lors du Conseil européen du [28] juin 2018, la France a accepté que, en cas d’abandon du Brexit, la répartition actuelle des sièges soit maintenue à notre détriment, et ce en violation du traité de Lisbonne. »

La ministre m’a répondu en m’accusant de diffuser des informations inexactes : « Nous avons obtenu, contrairement aux informations qui vous ont été communiquées et qui sont inexactes, de rattraper ce qu’un mandat précédent n’avait pas su défendre, c’est-à-dire le nombre de députés européens auquel la France a droit. »

Vous le savez, j’ai de la suite dans les idées ; j’ai alors posé la question écrite suivante à Mme Loiseau : le « Conseil européen a décidé que si le Brexit ne se concrétisait pas, la répartition des sièges entre les États resterait inchangée par rapport à la législature précédente. Dans cette hypothèse, la France continuerait à être victime d’une violation flagrante du traité de Lisbonne. La Constitution prévoyant que les traités internationaux doivent être respectés, » je lui demandais « s’il serait alors encore légal d’organiser en France des élections européennes sur cette base. »

Cette fois – mieux vaut tard que jamais –, Mme Loiseau a fini par admettre que, en cas de retard ou d’annulation du Brexit, il y avait un problème, mais elle s’est justifiée par une nouvelle contre-vérité, pour être poli. Selon elle : « En tout état de cause, si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil européen du 28 juin 2018 deviendrait caduque » – c’est totalement faux –, « obligeant ainsi ledit Conseil européen à adopter une nouvelle décision ayant pour objet de fixer la composition du Parlement européen pour la prochaine législature. »

C’est faux, je le disais, et, lors de la séance du Sénat du 14 février 2019, j’ai donc de nouveau effectué un recadrage en indiquant : « la décision [du Conseil européen] du 28 juin 2018 a prévu que, si le Royaume-Uni était toujours membre de l’Union européenne au moment des élections, l’ancienne répartition des sièges continuerait à s’appliquer jusqu’au départ effectif du Royaume-Uni. Dans ces conditions, si le Royaume-Uni partait dans six mois, dans un an ou dans dix ans, » voire ne partait pas, « on serait dans une situation évidente de violation du traité de Lisbonne ».

Je continuais en m’adressant ainsi à la ministre : « Madame le ministre, je vous ai interrogée sur cette problématique par une question écrite n° 7142 au mois de novembre 2018. Vous m’avez répondu : “si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil du 28 juin 2018 deviendrait caduque”. Madame le ministre, c’est de l’enfumage total et un mensonge à un double titre. […] Tout d’abord, rien n’indique dans la décision du Conseil du 28 juin 2018 que celle-ci deviendrait caduque en cas d’abandon du Brexit. Par ailleurs, les négociations avec le Royaume-Uni peuvent s’éterniser et durer pendant un an, deux ans ou plus : pendant toute cette période, nous continuerions à être dans une situation de violation du traité de Lisbonne. »

Eh bien, mes chers collègues, comme je le pressentais depuis plusieurs mois, nous sommes bel et bien dans une situation de violation du traité de Lisbonne, et nul ne sait si le Brexit aura lieu.

Le 26 janvier 2018, la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a adopté un rapport sur la répartition des sièges entre les États membres. En annexe, ce rapport comporte, pour chaque pays, les ratios officiels, pour l’Union européenne, d’habitants par siège dans les deux hypothèses – avec ou sans Brexit. On constate donc que, en l’absence de Brexit ou en attendant que celui-ci se produise, l’Allemagne, pays le plus peuplé, a maintenant un ratio de 854 838 habitants par siège alors que ce ratio est, pour la France, compte tenu de l’évolution démographique, de 900 833 habitants par siège et, pour le Royaume-Uni, accessoirement, de 895 085.

La violation du principe de représentation proportionnelle dégressive est ainsi flagrante, au détriment de la France et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni.

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Jean Louis Masson. Étant le pays le plus peuplé, l’Allemagne aurait dû avoir un ratio d’habitants par siège supérieur à celui de la France ; ce n’est pas le cas, ce qui constitue une violation flagrante du traité de Lisbonne.

Comme chacun le sait, la Constitution donne la priorité aux traités internationaux en vigueur sur les lois nationales. Dans la mesure où le projet de loi que nous examinons entérine la violation de l’article 14 du traité de Lisbonne, il n’est manifestement pas conforme à la Constitution ; aucun parlementaire honnête ne peut le nier.

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, monsieur Masson.

M. Jean Louis Masson. C’est pourquoi je vous propose d’adopter la présente motion.

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Richard, rapporteur. La commission ayant adopté le projet de loi, elle est très clairement défavorable à cette motion.

Les chiffres que cite M. Masson sont conformes à la réalité, et il est vrai que l’on en revient à une répartition des sièges qui résulte d’une décision antérieure. Rappelons que cette décision est soumise à une double condition : l’unanimité des représentants des vingt-huit États membres et l’existence d’une majorité au sein du Parlement européen ; une telle décision ne se modifie donc pas si simplement.

Il ne s’agit là que d’une question d’application du droit dans le temps. De manière provisoire, la nouvelle répartition, qui satisfait pleinement aux exigences du traité, ne pourra s’appliquer ; elle n’entrera en vigueur que dans quelques mois, lors de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne. En attendant, nous vivrons sous le régime d’une décision antérieure du Conseil européen, qui ne tient pas complètement compte des chiffres actuels de population ; c’est une situation provisoire, ce qui est parfaitement admissible en droit.

Cela ne me paraît donc pas constituer une violation du traité justifiant que le Sénat interrompe sa discussion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette motion, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote. (Exclamations.)

M. Jean Louis Masson. Non seulement le texte que nous examinons n’est pas conforme au traité de Lisbonne, même si c’est pour une période limitée, mais, en outre, le fait de dire qu’on est, depuis 2014, dans une situation de violation du traité et qu’on y reste n’est quand même pas une justification. On était déjà dans une telle situation auparavant et, je le répète, on y reste ; même si l’on y reste provisoirement, cela constitue quand même une violation du traité de Lisbonne.

Je considère donc que cela n’est pas conforme à la Constitution.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 16, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 18.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’entrée en fonction de représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 (n° 499, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion. Je vous prie de respecter le temps de parole qui vous est imparti, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. J’ai essayé de soulever, en commission, le problème du financement, notamment bancaire, des campagnes électorales dans le cadre des élections européennes. Mon intervention n’a pas été bien reçue, mais je veux quand même profiter de l’examen de ce texte relatif aux élections européennes pour évoquer la problématique du financement, par les banques, des campagnes électorales.

Par le passé, le financement des campagnes électorales était pour le moins opaque. Aux alentours de 1990, plusieurs affaires judiciaires ont été à l’origine d’une réglementation qui a plafonné les dépenses électorales, puis qui a, surtout, interdit les dons de personnes morales. En contrepartie, l’État a pris en charge les dépenses engagées par les candidats jusqu’à la moitié du plafond autorisé.

Pour les élections où le plafond de dépenses est élevé – élections présidentielle, européennes ou régionales –, le système atteint toutefois ses limites, car les candidats doivent avancer des sommes considérables, et ils ne sont remboursés que plus de six mois après l’élection en question. De ce fait, ils sont obligés de souscrire des emprunts auprès des banques.

Or on constate que, selon leurs affinités politiques, les banques pratiquent une discrimination entre les candidats. En général, elles accueillent avec beaucoup de bienveillance les demandes d’emprunt formulées par les partis dits « bien-pensants » ; au contraire, les partis qui contestent le système dominant sont, eux, victimes d’un ostracisme systématique. Lors de l’élection présidentielle de 2017, le Front national avait ainsi été obligé de souscrire un prêt auprès d’une banque étrangère, car les banques françaises lui refusaient tout financement.

En matière électorale, l’argent est le nerf de la guerre et un parti qui est privé de moyens financiers pour faire campagne, subit un handicap rédhibitoire.

Si une banque accorde un prêt à un candidat et le refuse à d’autres, le bénéficiaire profite, à l’évidence, d’un avantage en nature par rapport à ses concurrents. Or un tel avantage accordé par une personne morale est interdit.

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la CNCCFP, est très vigilante dans certains domaines. Par exemple, lorsqu’un candidat bénéficie gratuitement d’une salle municipale pour tenir une réunion, la CNCCFP exige la preuve que les autres candidats sont traités sur un pied d’égalité ; à défaut, elle pénalise le compte de campagne du bénéficiaire de la salle.

Or une location de salle correspond à un avantage insignifiant par rapport à un prêt bancaire, lequel peut s’élever à plusieurs millions d’euros pour une élection nationale. Il est donc vraiment regrettable que la CNCCFP, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État n’aient pour l’instant pas réagi à l’encontre des discriminations pratiquées par les banques.

Le problème est incontestable et il faut rendre hommage à François Bayrou, l’éphémère garde des sceaux du premier gouvernement d’Édouard Philippe, d’avoir évoqué le problème en proposant la création d’une banque de la démocratie.

Malheureusement, les partis politiques dominants sont également ceux qui profitent du système, car leurs réseaux d’influence leur permettent d’obtenir des prêts sans grande difficulté.

Ainsi avantagés par rapport aux autres partis politiques, ils ne souhaitent pas que cela change. Lors du débat parlementaire, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, les grands partis se sont entendus pour torpiller l’idée d’une banque de la démocratie. À la place, ils ont créé un ectoplasme, à savoir le médiateur du crédit.

En effet, non seulement ce dernier a une efficacité totalement nulle, mais il nie l’existence de tout problème et justifie les discriminations pratiquées par les banques.

Lors des élections européennes de 2019, certains candidats ont été de nouveau confrontés aux mêmes difficultés que lors de la présidentielle de 2017. En l’espèce, le remboursement forfaitaire maximal de l’État est de 4,37 millions d’euros pour les listes atteignant le seuil requis de 3 % des suffrages exprimés. Les listes ayant, selon des sondages constants, la quasi-certitude de dépasser ce seuil auraient donc dû pouvoir emprunter sans problème auprès des banques.

Pourtant, dès le début de la campagne, la presse a évoqué l’impossibilité pour certains partis politiques de souscrire des emprunts auprès des banques. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les exemples les plus cités sont ceux de partis qui contestent la pensée dominante : l’un à l’extrême droite, le Rassemblement national, ou RN, l’autre à l’extrême gauche, La France insoumise, ou LFI.

Cela est d’autant plus inacceptable que tous les sondages donnent la liste du Rassemblement national en première ou en deuxième position, avec plus de 20 % des suffrages. Ils donnent également la liste LFI aux environs de 9 %, soit trois fois plus que le seuil requis pour le remboursement.

À très juste titre, un représentant de la liste du Rassemblement national a fait le triste constat, dans Le Figaro du 6 février dernier, qu’il revient « désormais aux banques de dire qui a le droit de se présenter ou non. ». De son côté, dans le même journal, un membre de la liste LFI indique : « Ce n’est pas aux banques de décider quelles sont les bonnes idées et quelles sont les mauvaises. C’est au peuple français de se prononcer. »

Dès février 2019, il était évident que le médiateur du crédit, qui venait d’être mis en place, ne servait à rien. Pire encore, les discriminations bancaires lui semblaient acceptables. Ainsi, toujours dans Le Figaro du 6 février 2019, au sujet de la liste du Rassemblement national, il indiquait : « Il y a un certain nombre de critères à respecter. Celui de la solvabilité ne pose pas problème pour le Rassemblement national. Celui de la conformité, de la réputation et de l’image, c’est une autre chose. »

Ce pseudo-médiateur du crédit trouve donc normal qu’une banque défavorise un candidat en fonction de sa réputation au sein des pseudo-élites du microcosme politique. À mon avis, c’est scandaleux.

Dans un article du 6 avril 2019, le journal Le Monde a relancé le débat sous le titre « Européennes : les partis peinent à financer leur campagne ». À lui seul, cet article prouve que les banques ont choisi leur camp, et ce d’autant plus que le directeur d’une grande banque française s’englue dans de fausses explications : « C’est une mauvaise querelle qui nous est faite. Des partis sans financement public parce qu’ils n’ont pas de parlementaires, avec peu de ressources et peu de garanties de franchir le seuil des 3 %, se posent en victimes. Mais les banques ne peuvent pas financer une activité à fonds perdu dès le départ. Ce serait quasiment du don. »

C’est vrai, mais ce n’est pas du tout ce qui est pratiqué. À l’évidence, ce directeur aurait mieux fait de se taire, puisque le Rassemblement national remplit toutes les conditions énoncées : il bénéficie d’un financement public, il a des parlementaires et tous les sondages indiquent qu’il va pulvériser le seuil de 3 %. C’est bien la preuve du double langage du système bancaire.

Dans le même article, le médiateur du crédit réagit, une nouvelle fois, en totale contradiction avec sa mission. En effet, à l’égard des candidats victimes des banques, il propose une solution pour le moins surprenante : « Il n’est pas anormal de faire appel aux militants pour financer une campagne, les partis sont aussi faits pour ça. » Ainsi, selon lui, i1 y aurait deux catégories de candidats : d’une part, ceux qui ont le soutien des banques et qui, avec leur aide, peuvent financer sans problème leur campagne ; d’autre part, les victimes des banques qui n’ont qu’à se débrouiller, soit en faisant appel aux militants afin de rassembler les 4,37 millions d’euros correspondant au futur remboursement par l’État, soit en faisant campagne avec un handicap considérable par rapport à ceux qui sont aidés par les banques.

Lors de la réunion de la commission des lois du 10 avril 2019, j’ai fait part de ma profonde indignation à l’égard du fonctionnement des banques. On ne peut refuser un prêt à des candidats, dont les sondages montrent qu’ils obtiennent largement plus de 10 % des intentions de vote, au seul motif que l’on craigne qu’ils n’atteignent pas le seuil de 3 %. Ce sont véritablement de faux arguments. Nous ne sommes plus en situation d’égalité des chances. Comme je l’ai souligné alors : « Si ce n’est pas de l’ostracisme, je ne vois pas ce que cela peut être. Il y a clairement du favoritisme au profit de certains et au détriment d’autres. En toute honnêteté, je ne suis pas sur la liste du Rassemblement national, mais je ne trouve pas normal qu’il y ait de telles discriminations. » C’est manifestement un avantage en nature au profit des partis qui bénéficient sans problème de prêts des banques.

Il est donc absolument indispensable de garantir l’égalité de traitement entre candidats en créant une obligation pour les organismes bancaires d’accorder les mêmes conditions à tous les candidats. À défaut, il faut que le candidat ayant bénéficié des conditions les plus favorables soit réputé avoir reçu un avantage en nature de la part d’une personne morale. Le candidat et l’organisme bancaire seraient alors passibles des sanctions prévues pour la violation de l’article L. 52-8 du code électoral.

Je regrette vivement qu’il n’ait pas été possible, lors des travaux en commission ou même en séance, de traiter correctement ce problème. Il s’agit d’une réelle discrimination. On ne peut, comme le laisse entendre un directeur de banque, favoriser un parti au détriment d’un autre dont les idées ne nous conviennent pas.