compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 22 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du mercredi 22 mai, M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a demandé le retrait de la proposition de loi portant adaptations législatives aux spécificités des territoires d’outre-mer soumis à une pression migratoire importante, inscrite à l’ordre du jour du mercredi 12 et du jeudi 13 juin 2019.

Acte est donné de cette demande.

3

 
Dossier législatif : projet de loi pour la conservation et la restauration  de la cathédrale Notre-Dame de Paris  et instituant une souscription nationale à cet effet
Discussion générale (suite)

Conservation et restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet (projet n° 492, texte de la commission n° 522, rapport n° 521).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la conservation et la restauration  de la cathédrale Notre-Dame de Paris  et instituant une souscription nationale à cet effet
Article 1er

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, monsieur le président de la commission des finances, cher Vincent Éblé, monsieur le président de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture, cher Jean-Pierre Leleux, monsieur le rapporteur de la commission de la culture, cher Alain Schmitz, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, cher Albéric de Montgolfier, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous nous rappelons tous où nous étions, le lundi 15 avril au soir, quand nous avons vu pour la première fois les images de Notre-Dame embrasée. C’était il y a exactement six semaines.

Plus qu’un monument, plus qu’une cathédrale, elle est une part de la France, de son histoire, de son identité. Elle est une part de nous-mêmes.

Voilà qui explique que ce feu nous ait touchés au cœur.

Voilà qui explique que nous ayons tressailli en imaginant le pire, en imaginant que nous assistions, peut-être, aux derniers instants de Notre-Dame de Paris.

Voilà qui explique, aussi, l’extraordinaire mobilisation qui a suivi, si tant est qu’on puisse expliquer une mobilisation d’une telle ampleur.

Ce fut, d’abord, la mobilisation de femmes et d’hommes qui, parfois au péril de leur vie, ont arrêté l’embrasement et sauvé les œuvres exceptionnelles présentes dans la cathédrale : les sapeurs-pompiers de Paris, aidés et renforcés par leurs collègues des autres départements d’Île-de-France, mais aussi les policiers, les agents du ministère de la culture, de la Ville de Paris et du diocèse.

Je veux très sincèrement, une nouvelle fois, les remercier pour leur engagement. Si les voûtes restent encore très fragilisées, l’édifice est aujourd’hui largement sauvé. Nous le devons à leur professionnalisme, à leur dévouement, à leur courage.

Cette mobilisation, c’est aussi celle d’experts, d’institutions et d’entreprises dont les promesses de dons et les propositions d’aide en compétences se sont multipliées.

Surtout, c’est une mobilisation populaire. Des centaines de milliers de dons de particuliers ont afflué de toutes parts, de France et de par le monde. Aujourd’hui encore, ils continuent de nous parvenir.

Il fallait créer un cadre pour les accueillir, pour accompagner, encourager, encadrer cet élan de générosité, pour assortir cette ferveur exceptionnelle d’un dispositif exceptionnel.

C’est le sens du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet.

Oui, nous restaurerons Notre-Dame de Paris !

Le Président de la République a fixé un objectif : cinq ans. C’est un délai ambitieux et volontariste, qui permet de motiver les équipes et de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés.

Pour autant, dans cette tâche qui nous attend, nous ne confondrons jamais vitesse et précipitation. Nous devons offrir à Notre-Dame une restauration à la hauteur de sa splendeur, à la hauteur de ce qu’elle symbolise.

Sur un certain nombre de points, il y a urgence à intervenir ; sur d’autres, nous devrons prendre le temps de la réflexion. La situation actuelle de Notre-Dame nous impose ces deux temporalités. Il me semble que ce texte parvient à les concilier.

Alors oui, nous voulons aller vite. On nous l’a reproché, mais l’élan de générosité, lui aussi, s’est déclenché vite. Ce sont les dons pour Notre-Dame qui ont abondé vite ! Et il fallait pouvoir y répondre tout aussi vite. C’est ce que nous avons fait, et je l’assume pleinement.

Que nous aurait-on dit si nous avions laissé fleurir les arnaques, les faux sites internet, les fausses cagnottes en ligne, si nous n’avions pas lancé la souscription nationale, alors que Notre-Dame appartient à la Nation tout entière ?

Que nous aurait-on dit si nous n’avions rien fait ?

On nous aurait dit que l’État manquait à sa mission, et on aurait eu raison de nous le dire, car c’est à l’État d’intervenir pour protéger ce patrimoine commun. Ce n’est pas un péché d’orgueil et ce n’est pas déplacé.

C’est la responsabilité de l’État, à la fois, d’encadrer la souscription nationale dédiée, en fixant, par la loi, les règles qui lui sont applicables, et d’apporter des garanties de sécurité et de transparence aux centaines de milliers de donateurs français ou étrangers.

Cette transparence, nous la leur devons. Je veux les remercier, très sincèrement, pour leur générosité. Ils ne seront pas trahis : leurs dons iront à Notre-Dame de Paris, uniquement et intégralement, à sa conservation, à sa restauration et à son entretien, à court et moyen terme. Nous y veillerons ; soyez-en assurés.

Certains avancent l’idée que nous aurions déjà collecté trop de fonds, plus qu’il n’en faut pour restaurer la cathédrale. Mais si certains dons nous sont déjà parvenus, d’autres sont encore en attente de concrétisation.

En outre, le coût total des travaux n’a pas encore été chiffré. En effet, pour l’instant, les travaux portent seulement sur la mise en sécurité de l’édifice, qui reste, je veux le redire, fragile au niveau de la voûte.

Permettez-moi à cette occasion de remercier très sincèrement, pour leur dévouement et leur réactivité, les entreprises, qui, dès le lundi soir, avec les services du ministère de la culture, ont entrepris un travail exceptionnel pour sauvegarder l’essentiel. Merci à elles et à toutes leurs équipes, pilotées par Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, et son équipe, qui se sont mobilisés pour prendre les dispositions d’urgence, sans oublier les équipes de la direction générale des patrimoines et de la DRAC d’Île-de-France.

Ce n’est qu’ensuite que nous passerons à la phase de diagnostic, puis à la restauration elle-même.

Dans ces conditions, il est prématuré d’affirmer que nous aurions des surplus à gérer.

Pour opérer cette souscription nationale, outre les versements directs à l’État, nous pouvons compter, depuis le 16 avril, sur la mobilisation de trois fondations reconnues d’utilité publique – la Fondation de France, la Fondation du Patrimoine et la Fondation Notre-Dame – et du Centre des monuments nationaux, opérateur du ministère de la culture. Je veux les en remercier.

Des conventions pourront être passées entre l’État et chacune des trois fondations reconnues d’utilité publique, ainsi qu’avec certains donateurs. L’adoption par l’Assemblée nationale, en première lecture, d’un amendement sur ce point a permis de faire progresser le texte en explicitant cette démarche.

Dans un même souci de transparence quant à l’emploi des fonds collectés, un comité de contrôle sera mis en place. Il réunira le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions chargées des finances et de la culture du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce contrôle devra se faire en articulation avec la Cour des comptes et sans préjudice de ceux auxquels elle pourra procéder.

Par ailleurs, la transparence quant au suivi de la souscription et de l’application du dispositif fiscal afférent a été renforcée par des amendements adoptés par l’Assemblée nationale et votre commission.

C’est une transparence à l’égard du Parlement, d’abord. L’article 5 bis dispose que le Gouvernement lui rendra compte, dans un rapport, de la part et du montant des dons effectués au titre de la souscription nationale ayant donné lieu à une réduction d’impôt, ainsi que de la participation des collectivités territoriales.

C’est une transparence à l’égard du public, aussi. L’article 7, tel que modifié par l’Assemblée nationale, impose la publication d’un rapport sur la collecte des fonds, leur provenance et leur emploi.

Concernant l’emploi des fonds, je tiens à rappeler que le présent texte ne portera évidemment pas atteinte aux principes des lois de 1905 et de 1907 : il ne remet en cause ni le principe de laïcité ni les droits du culte affectataire, c’est-à-dire la répartition des prérogatives et des responsabilités entre l’État et l’Église catholique.

L’intégralité des dons passera ainsi par la souscription nationale, à l’exception de ceux qui ont spécifiquement pour objet de financer la restauration des biens appartenant au diocèse ou, plus généralement, les besoins relevant de l’exercice du culte.

Cette loi, je le disais, doit garantir la transparence de la souscription nationale ; elle doit aussi en fixer les règles.

En ce qui concerne les particuliers, la loi introduit un dispositif fiscal spécifique pour accompagner leurs dons.

Je tiens à saluer le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, ainsi que le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, pour le travail que nous avons réalisé en étroite collaboration.

Dans la limite de 1 000 euros, le projet de loi porte de 66 % à 75 % le taux de réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers en faveur du Trésor public, du Centre des monuments nationaux et des trois fondations que j’ai mentionnées.

Ce dispositif, je le rappelle, ne concerne que les particuliers et les entreprises unipersonnelles. Il a été conçu de manière à couvrir les dons du plus large nombre de Français.

Il est précisément limité, dans le temps, puisque cet avantage fiscal ne concerne que les dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019, et dans les montants, puisque le plafond de don éligible à la réduction fiscale est fixé à 1 000 euros.

Ces limites n’empêchent de donner ni au-delà de cette date ni au-dessus de ce plafond. Seulement, dans ce cas, l’avantage fiscal associé au don sera celui de droit commun.

Les collectivités territoriales et leurs groupements pourront aussi participer au financement des travaux, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale.

L’article 4 lève toute incertitude éventuelle tenant aux règles habituelles de compétence ou à la condition d’intérêt local.

Le ministre de l’action et des comptes publics aura l’occasion de le redire : les dépenses des collectivités en faveur de Notre-Dame seront considérées comme des dépenses d’équipement. Elles ne seront donc pas prises en compte pour appréhender le plafond annuel d’évolution des dépenses de fonctionnement de 1,2 %.

Sur tous ces sujets, je le disais, nous irons vite, mais nous ne nous précipiterons pas. La restauration ne se fera pas dans la hâte. Elle doit être à la hauteur, je l’ai dit et je le répète, de la splendeur de Notre-Dame de Paris.

Nous devons faire en sorte que cette restauration soit exemplaire. Nous saurons prendre en compte l’avis des professionnels du patrimoine, des conservateurs, des architectes, des historiens, des universitaires et de tous ceux qui œuvrent à l’entretien, à la conservation et à la restauration de nos monuments. Nous saurons les écouter et nous saurons leur faire confiance.

Un temps doit être laissé à la réflexion, pour nous permettre de faire, en temps voulu, tous les choix qui s’imposent. Je veux les anticiper, tant que faire se peut, dans la loi, pour éviter d’avoir à revenir devant vous demain.

Nous sommes en train de réfléchir à l’organisation optimale pour mener à bien ce chantier au regard des objectifs fixés. Le choix d’organisation n’est pas encore finalisé, mais notre réflexion avance. Nous nous donnons notamment la possibilité de créer un établissement public nouveau à cet effet.

Quel que soit le choix d’organisation retenu, il permettra de prendre en compte l’avis des professionnels du patrimoine au travers d’un conseil scientifique, qui sera le garant de la qualité scientifique et historique de la restauration.

Quoi qu’il en soit, je veux affirmer devant vous trois points capitaux.

Premièrement, la maîtrise d’œuvre de ce chantier sera effectuée, dans les règles de l’art, par les architectes en chef des monuments historiques, en l’occurrence Philippe Villeneuve, qui a la charge de Notre-Dame de Paris.

Deuxièmement, comme il se doit dans un chantier de cette ampleur, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture sera régulièrement consultée sur l’avancée des travaux et les choix de restauration. J’en profite pour saluer une nouvelle fois son président, Jean-Pierre Leleux, ainsi que Catherine Morin-Desailly.

M. Roger Karoutchi. Et nous, alors ? (Sourires.)

M. Franck Riester, ministre. Je salue évidemment aussi Roger Karoutchi, quoiqu’il ne fasse pas partie de cette commission !

Cette commission se réunira le 4 juillet au sujet des opérations liées à Notre-Dame, comme j’ai pu l’annoncer devant votre commission de la culture.

Troisièmement, quel que soit le choix d’organisation qui sera retenu, il devra permettre de prendre en compte les intérêts légitimes des principales parties prenantes intéressées à la restauration, notamment le diocèse et la Ville de Paris.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si aucune opération de restauration de monument historique n’avait encore donné lieu à une telle adaptation législative, c’est parce que nous sommes face à une situation exceptionnelle.

Le chantier qui s’annonce est ambitieux et unique. Pour le mener au mieux, nous voulons nous donner la possibilité d’assouplir certaines dispositions, essentiellement de procédure, mais il va de soi que les assouplissements aux législations en vigueur seront strictement proportionnés aux besoins du chantier.

Il n’est pas question de se servir de la restauration de Notre-Dame pour piétiner le droit français et européen du patrimoine, de l’environnement, ou de l’urbanisme. Cela n’a bien évidemment jamais été l’intention du Gouvernement.

Je veux le dire et le redire : en tant que ministre de la culture, je serai inlassablement le garant de la protection du patrimoine et j’aurai à cœur de mobiliser l’ensemble des ministres concernés.

Le travail interministériel des prochaines semaines nous permettra de définir, ensemble, les assouplissements et les adaptations à prévoir, qui porteront essentiellement sur des questions de procédure, sans remettre en cause le fond des législations applicables.

À chaque instant, nous imposerons la préservation de l’intérêt historique, artistique, architectural et symbolique du monument. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – MM. Rémi Féraud et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – MM. Rémi Féraud et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. Alain Schmitz, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi pour engager la restauration de Notre-Dame ? Voilà sans doute l’une des questions que nous nous sommes tous posées lorsque, seulement neuf jours après avoir été saisis d’effroi devant les ravages qu’un funeste incendie causait à la cathédrale, ce texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Sans doute faut-il préalablement répondre à plusieurs autres questions pour pouvoir répondre correctement à celle-ci.

Premièrement, fallait-il faire appel à la générosité du public pour financer les travaux de restauration de Notre-Dame, monument historique à la charge de l’État ?

La mission d’information sur le mécénat culturel, qu’a présidée notre collègue Maryvonne Blondin et dont j’ai été le rapporteur, avait alerté l’an passé sur les effets d’éviction que pouvait entraîner le recours de l’État à des procédures de souscription pour la restauration des monuments historiques qui lui appartiennent.

Certes, la situation m’apparaît un peu différente dans le cas présent, mais convenons que l’élan de générosité du public a précédé l’annonce de la souscription nationale.

Je note que le ministre de la culture s’est par ailleurs engagé à ce que l’État prenne en charge le surcoût si le produit de la souscription se révélait insuffisant pour couvrir le coût des travaux. Il a indiqué que l’État était prêt à assurer le financement au-delà des crédits inscrits sur le programme 175 et a garanti que sa participation ne se ferait pas au détriment d’autres chantiers et d’autres monuments. Ce sont des engagements importants, qu’il nous appartiendra évidemment d’évaluer dans les années à venir.

Deuxièmement, cette souscription nationale devait-elle être lancée par le biais d’une loi ?

Il est clair qu’un décret aurait été tout à fait suffisant d’un point de vue juridique.

M. Alain Schmitz, rapporteur. Reconnaissons néanmoins que ce choix donne l’occasion d’un débat public au sein de la représentation nationale sur le sujet de la restauration de Notre-Dame, ce qui est tout à fait souhaitable au regard de l’enjeu soulevé par la perspective de cette restauration et les polémiques qu’elle suscite.

Troisièmement, la majoration du taux de la réduction d’impôt accordée aux particuliers pour les dons qu’ils effectuent au titre de la souscription nationale est-elle vraiment utile ?

Les dons et promesses de dons ont afflué avant même l’annonce de cette majoration, ce qui laisse à penser que l’incidence de celle-ci sur l’acte de don est négligeable. C’est avant tout l’émotion créée par un tel événement qui motive les donateurs. C’est d’ailleurs ce que semble indiquer le ralentissement des dons versés aux fondations reconnues d’utilité publique.

Pour avoir été le rapporteur, l’an passé, de la mission d’information sur le mécénat culturel, j’ai pu constater combien nous disposions déjà d’un dispositif fiscal particulièrement attractif, que beaucoup d’autres pays nous envient, au point de s’en être largement inspirés pour élaborer leur propre législation en matière de soutien au mécénat.

Limitée aux dons des particuliers à hauteur de 1 000 euros, cette majoration exceptionnelle du taux de 9 points est avant tout symbolique. C’est un moyen de remercier nos compatriotes pour leur générosité et de reconnaître le caractère exceptionnel du chantier de Notre-Dame.

C’est pourquoi il n’y a pas lieu de la remettre en cause. Sans doute nous faudra-t-il même garder ce cas à l’esprit dans quelques mois, lorsque des propositions de remise en cause de notre régime de mécénat pourraient venir sur la table à l’occasion du prochain projet de loi de finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Prudence !

M. Alain Schmitz, rapporteur. Quatrièmement, le recours aux ordonnances ne trahit-il pas les incertitudes et la précipitation du Gouvernement, alors que celles-ci portent sur des sujets qui auraient justifié que le Gouvernement prenne davantage son temps ?

Sur les neuf articles du projet de loi, deux articles habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Alors que le Parlement regarde toujours avec beaucoup de méfiance les articles d’habilitation, qui réduisent significativement sa capacité à procéder à un examen attentif des dispositions qui lui sont soumises, les deux articles d’habilitation du présent texte portent sur des sujets à la fois majeurs et fort peu consensuels : la création d’un établissement public spécifiquement chargé de la restauration de Notre-Dame, d’une part, et l’octroi de dérogations aux législations existantes pour faciliter la réalisation de ce chantier, aussi exceptionnel soit-il, d’autre part.

Sans compter que ces deux dispositions ont été interprétées par beaucoup comme des marques de défiance à l’égard, à la fois, des capacités propres au ministère de la culture à conduire lui-même ce projet, compte tenu du souhait qui transparaît de nommer Jean-Louis Georgelin à la tête du futur établissement public, et des règles qui régissent la protection patrimoniale. Cette suspicion est d’autant plus grande que ces dispositions interviennent après les atteintes portées à notre législation en matière de patrimoine par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

Sur la question de l’établissement public, n’oublions pas que le ministère de la culture a déjà plusieurs choix de maîtres d’œuvre pour conduire ce chantier : la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, qui assume traditionnellement ce type de mission et qui est à la manœuvre, depuis le 15 avril, pour conduire – je souhaite lui rendre hommage – toutes les opérations de sécurisation ; mais aussi le Centre des monuments nationaux et l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture.

Alors qu’une circulaire du Premier ministre devait prochainement être publiée, demandant qu’aucun établissement public ne soit créé sans qu’un autre soit préalablement supprimé, on peine à comprendre la volonté de créer un nouvel établissement.

Au demeurant, il faut reconnaître que cette solution a été utilisée à de multiples reprises par le passé, avec succès : le Grand Louvre, la bibliothèque François-Mitterrand, ou encore le musée du Quai Branly en témoignent. Elle peut constituer une garantie de transparence pour un chantier exceptionnel et financé d’une manière particulière, en l’occurrence une souscription. Elle peut donc être acceptable, sous réserve d’en encadrer les missions et le fonctionnement. C’est ce que nous avons cherché à faire en commission, en précisant le caractère administratif de l’établissement, en le plaçant sous la tutelle du ministère de la culture et en rappelant que la maîtrise d’œuvre serait conduite sous l’autorité des architectes en chef des monuments historiques.

Ce qui n’est pas acceptable, en revanche, c’est de laisser ainsi planer l’ambiguïté sur la solution qui sera retenue par l’État in fine, entre les moyens qu’il a déjà à sa disposition et la création d’un nouvel établissement public. C’est se défier du Parlement et faire fi de la nécessaire intelligibilité de la loi !

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Alain Schmitz, rapporteur. De la même manière, les dérogations aux règles de droit commun prévues à l’article 9 nous semblent inutiles si l’objectif est de gagner du temps sur les démarches administratives.

En effet, les demandes d’autorisation concernant Notre-Dame pourront parfaitement être traitées de manière prioritaire par les services de l’État moyennant des instructions en ce sens. Il est absurde de se laisser enfermer dans le délai de cinq ans annoncé par le Président de la République s’il doit conduire à rogner sur la qualité du chantier, dont nous savons tous qu’il sera observé par le monde entier, ou à écarter nos entreprises et nos compagnons spécialisés dans la restauration du patrimoine, que nous souhaitons mettre en valeur à l’occasion de ce chantier exceptionnel.

Aucune cathédrale n’est restaurée pour seulement une dizaine d’années ! Il faut se donner le temps de la réflexion et consulter le plus largement possible les experts. Le délai de cinq ans ne doit pas être autre chose qu’une ambition au service d’une mobilisation.

Nous pensons également que ces dérogations pourraient se révéler dangereuses si l’objectif est de permettre à l’État de s’affranchir de règles que les autres propriétaires doivent mettre en œuvre lorsqu’ils conduisent des projets de restauration, quand bien même leur ampleur est différente.

L’étude d’impact, qui manque de précision sur ce point, ne permet guère de connaître les dispositions exactes susceptibles de faire l’objet de dérogations. Il est probable qu’elles concernent un champ plus large que celle qui serait destinée à permettre de choisir l’Inrap, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, sans passer par la voie des appels d’offres.

Nous estimons, dans ces conditions, que le risque de jeter le discrédit sur l’ensemble de notre législation est énorme et constituerait, à coup sûr, un précédent désastreux – je pèse mes mots – pour l’avenir.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Tout à fait !

M. Alain Schmitz, rapporteur. C’est pour cette raison que nous avons supprimé l’article 9 lors de l’examen du projet de loi en commission, la semaine dernière.

Oui, le chantier de Notre-Dame est un chantier exceptionnel. Oui, le chantier de Notre-Dame est un chantier emblématique. C’est la raison pour laquelle il doit être un chantier exemplaire.

N’oublions pas que la présence de Notre-Dame a constitué un élément déterminant dans l’inscription du bien « Paris, rives de la Seine » sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui implique un certain nombre d’obligations pour notre pays dans la manière dont nous le restaurons.

Nous n’avons pas besoin d’un geste architectural pour que Notre-Dame devienne « plus belle encore ». Notre-Dame a toujours été un joyau. Elle a une histoire, dont nous ne saurions faire abstraction ; qu’on le veuille ou non, Viollet-le-Duc en fait partie.

Par chance, les relevés de la charpente et de la flèche existent, les statues et le coq qui ornaient la flèche ont été sauvés. Alors, pourquoi écarter d’office l’option d’une restauration fidèle, alors même que c’est probablement celle qui permettrait de gagner le plus de temps ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Alain Schmitz, rapporteur. Avons-nous vraiment besoin de laisser notre marque sur la cathédrale ? Si marque il doit y avoir, doit-elle vraiment porter sur la flèche ? Il me paraît primordial que les décisions qui seront prises soient parfaitement documentées pour permettre aux générations futures de comprendre ce qui nous a amenés à ces solutions.

Nous devons aussi mettre à profit ce drame autant que faire se peut. S’il doit bien y avoir un « avant » et un « après » le 15 avril, selon vos mots, monsieur le ministre, cela concerne moins l’esthétique d’une nouvelle flèche que la manière dont nous percevons notre patrimoine et dont nous le protégeons.

Le chantier de Notre-Dame doit devenir une vitrine de notre régime de protection patrimoniale, une vitrine de nos savoir-faire dans ce domaine, bref une vitrine à la hauteur de notre réputation !