M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le secrétaire d’État, alors que le Président de la République avait vaguement laissé supposer le possible abandon de la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique, le Premier ministre puis vous-même avez au contraire confirmé cet objectif. Peut-être est-ce une nouvelle traduction du « en même temps » ?

C’est surtout en contradiction totale avec ce qu’exprime le pays, à savoir la nécessité de renforcer les équipes soignantes dans les hôpitaux, de réduire les effectifs dans les classes, de reconquérir l’égalité républicaine grâce à des services publics de proximité, modernisés, à même de faire reculer les inégalités.

Je veux en premier lieu souligner les conséquences de votre projet en matière d’éducation. Nous connaissons une crise de recrutement dans le métier d’enseignant, ainsi qu’une augmentation très inquiétante du nombre de démissions, encore récemment relevée dans le bilan social de l’éducation nationale. Il faut donc redonner attractivité et reconnaissance à la profession.

Vous choisissez une réponse court-termiste en généralisant le recours aux contractuels, alors que 20 % des agents de l’éducation nationale le sont déjà. Pour les seuls enseignants, le nombre a presque doublé en dix ans.

Cela risque de se traduire par une dégradation de la qualité des enseignements. Car la contractualisation ne signifie pas seulement précarité et instabilité pour les agents. Elle signifie aussi moindre exigence du recrutement, manque de formation et d’expérience, et par conséquent moindre qualité de l’enseignement dispensé. À l’inverse exact du besoin de renforcement de la formation des enseignants, que nous avons identifié, au Sénat, à plusieurs reprises.

Et avec la réduction constante des places aux concours – 45 postes de professeurs des écoles ouverts de moins, par exemple, cette année dans l’académie de Rouen –, le recrutement risque de se faire peu à peu essentiellement par contrat, comme c’est déjà le cas pour les accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH. Or nous voyons précisément combien, dans ce secteur, le recours au contrat entraîne des situations chaotiques, intolérables, pour les enfants comme pour les accompagnants.

Prendre en compte les nouveaux besoins, comme celui d’accompagner les enfants en situation de handicap, dans le cadre d’une école inclusive, voilà qui contribuerait à une modernisation de la fonction publique !

Il est d’autant plus regrettable de ne pas s’engager dans cette voie qu’un consensus se dessine aujourd’hui autour de la nécessité de sécuriser et de professionnaliser ces personnels. Ainsi pourrait être créé un corps de la fonction publique, afin de répondre à un besoin permanent, qui constitue objectivement une mission de service public. Il pourrait s’agir de l’une des mesures phares d’une loi ayant pour ambition de moderniser la fonction publique, plutôt que de la démanteler.

Je souhaite aussi évoquer les agents de la direction générale des finances publiques, qui font face à un plan social déguisé accompagnant la fermeture de nombreuses trésoreries dans nos territoires, alors même que la mission de service public de celles-ci est essentielle pour les particuliers, mais aussi pour les élus des petites communes qui ont besoin de ces services, afin de gérer les finances communales.

Enfin, le transfert des conseillers techniques sportifs aux fédérations, adopté par l’Assemblée nationale, est une mesure particulièrement funeste, car très peu – pour ne pas dire aucune – de fédérations sportives sont en mesure d’accueillir ces conseillers et de pérenniser réellement leur emploi. Cela contribuerait à déstabiliser un peu plus le modèle français du sport, en pleine préparation des jeux Olympiques de Tokyo, avant ceux de Paris.

La ministre des sports a indiqué qu’elle n’utiliserait pas cette disposition. Mais le plus sûr serait évidemment de la supprimer du texte. Vous pouvez compter sur nous pour intervenir en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers de ce projet de loi, le Gouvernement s’enorgueillit de poser les bases d’un « nouveau contrat social » avec la fonction publique.

En novembre 2018, monsieur le secrétaire d’État, vous nous annonciez la couleur en demandant à l’administration de faire sa « révolution culturelle ».

Derrière ce vocabulaire empreint de sobriété, si caractéristique de la Macronie, que doit-on imaginer ? Plus de moyens, une meilleure écoute des demandes des agents, un renforcement de la fonction publique ? Parce qu’après tout cette fonction publique, qui est un atout pour notre pays, mérite bien cela, ne croyez-vous pas ?

Les bons chiffres économiques dont vous vous félicitez régulièrement, les investissements étrangers de plus en plus nombreux, ne croyez-vous pas qu’ils sont dus aussi à l’avantage compétitif que représente le maillage du service public dans notre pays ?

On aurait donc pu imaginer que vous renforceriez la fonction publique. Mais de renforcement, il n’y aura pas. Vous vous abritez derrière les totems de la souplesse, de l’agilité, des managers.

Il est vrai qu’en termes de souplesse idéologique et de gestion des ressources humaines vertueuse M. Macron est un spécialiste. L’Élysée a pourtant fait l’expérience des risques liés au recrutement de contractuels aux fiches de poste mal libellées et au profil incertain !

Ces totems trompeurs dissimulent mal une orientation très libérale. Lors de la dernière campagne présidentielle, M. Fillon avait inquiété une partie des agents de l’État en évoquant 600 000 suppressions de postes dans la fonction publique.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. 500 000 !

M. Jérôme Durain. M. Macron, qui n’était pas de droite, jouait aux offusqués : il n’en supprimerait que 120 000.

Oui, des suppressions, il y en aura. Combien ? On ne le sait pas. Cela dépend de l’humeur du jour. De M. Darmanin, soit l’aile droite du Gouvernement, ou de vous, monsieur Dussopt, qui êtes supposé incarner l’aile gauche, qui tient les comptes ? Qu’importe, puisque vous allez mettre en place la boîte à outils pour fragiliser durablement la fonction publique. Vous faites du « Fillon light » : il y a moins de suppressions de postes, mais le goût de la fragilisation du service public est bien le même.

Dans la période, le premier message à envoyer aux fonctionnaires, qu’ils travaillent aux urgences, dans les prisons, à l’école, sur les routes, consiste à les assurer de notre fierté, de nos encouragements et de notre écoute. À l’inverse, vous faites le choix de dépouiller les instances de dialogue social de leurs attributions.

Alors que s’ouvre le procès de France Télécom, groupe qui incarne à merveille les différences entre une gestion de service public et un management libéral à l’anglo-saxonne, vous exposez les trois versants de la fonction publique à cette culture qui risque de précariser les agents publics et d’affaiblir le service public !

Quand la presse se fait l’écho de harcèlement envers des déléguées départementales aux droits des femmes, vous revoyez à la baisse les exigences des dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, issues de l’accord du 30 novembre 2018 !

Votre projet de loi abandonne ainsi la trajectoire ambitieuse lancée sous le précédent quinquennat. De 2012 à 2017, l’objectif de primo-nomination féminine a été relevé de 20 % à 40 %. Une politique volontariste qui a fait la preuve de son efficacité, mais qui n’est, hélas, pas poursuivie. L’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat, ce ne sera pas pour la fonction publique.

Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire pour relancer le contrat social qui vous lie aux déléguées départementales aux droits des femmes qui luttent pour se faire titulariser ?

Vous supprimez les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, et les commissions administratives paritaires qui permettent d’assurer transparence et équité dans les décisions individuelles relatives aux carrières des agents sont dépouillées de leurs attributions. Elles ne traiteront plus de mobilité, de mutation, d’avancement et de promotion. Comment ces femmes défendront-elles leurs droits demain, alors même qu’aujourd’hui elles doivent lutter quand des structures adéquates existent pourtant ?

Je comprendrais, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’appréciiez pas mon intervention. Mais j’aimerais que vous vous prononciez sur le cas de ces féministes fonctionnaires du quotidien.

Je comprendrais aussi que mon argumentaire contre certains aspects de votre projet de loi ne vous convainque guère. Mais Didier Marie et moi-même avons aussi des propositions à faire, au nom du groupe socialiste, visant à la défense d’un service public renouvelé, attractif pour ses agents et efficace pour les usagers.

Pour lutter contre la précarité, nous voulons élargir l’assiette de la prime de précarité à l’ensemble des CDD et limiter le nombre de renouvellements de CDD possible.

Alors que vous ouvrez la porte à d’innombrables mouvements de personnel en partance de la fonction publique, nous souhaitons renforcer les obligations déontologiques qui régissent les hauts fonctionnaires : remboursement de la pantoufle surveillé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, vérifications fiscales, engagement de servir, lutte contre les conflits d’intérêts.

Pour pallier la perte d’attractivité induite par votre réforme, nous souhaitons ouvrir certains concours de la fonction publique territoriale aux candidats justifiant d’une certification professionnelle, et améliorer les possibilités de proroger les présences sur les listes d’aptitude.

Concernant le recours accru au contrat, nous souhaitons étendre la règle selon laquelle un emploi public ne peut être réservé à un contractuel, mettre en place les mêmes conditions de diplôme ou d’expérience professionnelle entre titulaires et contractuels, veiller à éviter les écarts de salaire entre eux.

Nous proposons également un droit à la déconnexion pour les agents publics et souhaitons aligner la fonction publique sur le régime plus favorable du code du travail en matière de congés pour décès familiaux. Nous avons été stoppés par l’article 40 de la Constitution, mais nous invitons le Gouvernement à reprendre certaines de nos propositions à son compte.

Autre proposition que nous avons déjà faite par le passé : nous voulons revenir sur le jour de carence pour les fonctionnaires. Mais cet amendement a, lui aussi, été retoqué sur le fondement de l’article 40… Les premiers résultats relativisent pourtant les bienfaits de cette mesure, que vous aurez l’occasion de nous présenter, monsieur le secrétaire d’État.

J’aimerais sortir des propositions concrètes pour aborder un point qui me tient à cœur : la manière.

Monsieur le président Bas, madame, monsieur les rapporteurs, j’ai personnellement trouvé exaspérantes les conditions d’examen de ce projet de loi en commission.

On sait que le Gouvernement donne un sens très personnel au mot « concertation ». Ainsi, après quinze mois de concertation et alors que tous les syndicats sont hostiles à ce texte, on nous parle de nouveau contrat social. C’est, hélas, le lot quotidien des parlementaires ! Nous avons travaillé sur ce texte dans des conditions qui ne permettent pas d’être de bons managers, comme dirait M. Dussopt. Nous travaillons vite et mal. Nous avons passé à peine une matinée en commission sur ce projet de loi dont l’examen va nous réunir de nombreux jours et nuits en séance. La procédure accélérée rencontre ses limites !

Pendant ce temps, le Président de la République ne cesse de répéter que le Parlement ne travaille pas assez vite. On croit rêver !

Le groupe socialiste, vous l’aurez compris, tentera malgré tout de remplir son office en ayant en tête les surveillants de prison, les enseignants, les policiers, les délégués aux droits des femmes, les agents des lycées. Pour que tous ceux-là et bien d’autres encore puissent servir la France, nous nous opposerons aux mesures qui nous semblent les plus contre-productives et espérons convaincre nos collègues siégeant sur d’autres travées de la pertinence de certaines de nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la fonction publique française telle qu’elle existe aujourd’hui est l’héritière de plusieurs siècles d’histoire, qui ont abouti dans les années quatre-vingt à la création d’un véritable statut général. Aujourd’hui, elle emploie près de 5,5 millions d’agents, soit un ratio de 72 agents pour 1 000 habitants. À titre indicatif, la moyenne européenne est de 60 pour 1 000 habitants.

Fruit d’une concertation lancée dès le printemps 2018, sujet fort du grand débat, le projet de loi de transformation de la fonction publique qui nous est présenté aujourd’hui entend « bâtir la fonction publique du XXIe siècle avec plus de souplesse et de mobilité ». Il affiche donc, tout du moins dans son intitulé, une ambition certaine.

Il vise à moderniser le statut de la fonction publique et les conditions de travail, à s’adapter aux réalités du terrain régulièrement décrites par les élus. À ce titre, ce texte prévoit un recours accru aux contractuels, une fusion des instances représentatives du personnel, encourage la rémunération au mérite et touche à l’harmonisation du temps de travail. Il entre dans une nouvelle logique, tournée vers une politique de management, que l’on peut retrouver dans d’autres pays européens tels que l’Allemagne ou le Portugal.

Il s’agit donc avant tout d’un texte technique, dont on peut regretter qu’il ne donne pas une vision claire quant aux missions des agents publics, dans un contexte agité de refonte de notre architecture institutionnelle. Il a cependant le mérite de comporter des outils pratiques et concrets, que le Sénat a renforcés pour conférer les moyens d’agir aux employeurs publics.

En sa qualité de chambre des territoires, le Sénat travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet. Le dernier rapport de notre collègue et rapporteur, Catherine Di Folco, intitulé Dialogue et responsabilité : quatorze propositions davenir pour la fonction publique territoriale, témoigne de nouveau de la réactivité et de l’anticipation du Sénat à réformer, proposer et innover.

La commission des lois, guidée par l’excellent travail des rapporteurs, Catherine Di Folco et Loïc Hervé, a donc retravaillé le texte en profondeur et l’a enrichi de 154 amendements, autour de trois objectifs : mieux répondre aux attentes des employeurs territoriaux ; mieux récompenser le mérite des agents ; mieux accompagner les agents handicapés.

Ces trois axes illustrent à la fois le pragmatisme sénatorial, l’écoute de la Haute Assemblée, sa volonté forte d’intégrer et de faire en sorte que chacun trouve sa place dans la société.

Les 50 000 employeurs territoriaux attendent des réponses et de la souplesse face aux défis et aux contraintes auxquels ils doivent faire face.

Les contraintes sont connues depuis plusieurs années : ce sont les normes, les coupes budgétaires, les transferts de compétences sans moyens supplémentaires, ou encore des mesures qui ont fortement affecté les petites communes, comme la suppression des contrats aidés décidée à quelques jours de la rentrée scolaire de 2017.

Les élus locaux employeurs ont besoin d’information et de visibilité : c’est en ce sens que le Sénat, par l’intermédiaire de la commission des lois, a introduit l’obligation de publier une feuille de route triennale dans laquelle l’État indiquerait l’incidence financière de ses décisions en matière de ressources humaines sur les budgets locaux. Cette obligation de visibilité et de projection devrait permettre aux collectivités de mieux gérer leur masse salariale, de mieux programmer les recrutements dans l’intérêt des agents et de la collectivité. Car le poids budgétaire des agents représente en moyenne, sachons-le, 35 % du budget des collectivités.

La souplesse de la gestion des ressources humaines, quasi généralisée en Europe, est devenue une condition de performance et d’adaptation aux réalités locales.

Il est donc important que les élus puissent assumer pleinement leur responsabilité d’employeur. Ils doivent pouvoir prendre appui pour cela sur la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Dans le même temps, les règles présidant au recrutement, à l’évolution professionnelle, à la formation et au management des agents territoriaux doivent être assouplies.

Ainsi, le projet de loi permet de recruter indifféremment un fonctionnaire ou un agent contractuel sur l’ensemble des emplois de direction de la fonction publique et dans les établissements publics de l’État. Les collectivités de moins de 1 000 habitants peuvent également recruter par voie de contrat sur l’ensemble de leurs emplois permanents.

Le Sénat a souhaité aller plus loin en prévoyant l’élargissement de la possibilité du recours aux agents contractuels, l’encouragement au recrutement sur titres, ou encore plus spécifiquement la facilitation de l’intégration des policiers nationaux et des gendarmes dans la police municipale. Ces dispositions, que la Haute Assemblée avait déjà pu évoquer, devraient conférer à l’employeur une maîtrise dynamique de sa masse salariale, ce à quoi nous sommes tous attachés.

Dans un deuxième temps, l’accent a été porté sur l’encouragement et la gestion de carrière des agents au travers de la rémunération au mérite. Celle-ci est la première attente des employeurs, comme le révèle une étude du Sénat. Véritable serpent de mer, elle fait peu à peu son nid.

Selon les collectivités qui la mettent en place, elle permet de mieux reconnaître et valoriser l’investissement de chacun. Elle permet d’influer sur la motivation, donc sur la performance. Elle doit s’appuyer sur un entretien professionnel objectivé. Sur l’initiative des rapporteurs, les primes des agents prendront désormais en compte les résultats du service, et pas uniquement les résultats individuels. Fixer des objectifs collectifs peut en effet constituer un levier managérial efficace, notamment pour des missions d’exécution.

De même, le régime indemnitaire pourra prendre en considération les spécificités territoriales, auxquelles le Sénat est particulièrement attaché, notamment pour encourager les agents publics à s’installer dans des zones enclavées.

Le Sénat utilise ainsi les leviers pour lutter contre la désertification de nos territoires et le sentiment d’abandon qui s’y développe.

Dans un troisième temps, le recours à l’apprentissage a été renforcé dans la fonction publique territoriale.

L’apprentissage est un levier majeur pour la formation des jeunes, par la transmission du savoir-faire. C’est un sujet auquel je suis particulièrement attachée, puisqu’au cœur de l’action des missions locales. Il permet d’intégrer les jeunes les plus éloignés de la formation par une dimension pratique, tout en leur donnant une première expérience professionnelle au contact de la réalité du monde du travail. Il permet aussi de multiplier les chances du futur diplômé de trouver un emploi.

Les apprentis apportent un regard neuf, une vision nouvelle dans la structure d’accueil, tout en contribuant dans la fonction publique notamment à diversifier les filières de recrutement.

Les administrations publiques peuvent recourir à l’apprentissage depuis la loi du 17 juillet 1992. Pourtant, les collectivités, qui ne peuvent bénéficier des incitations financières prévues pour les entreprises, peinent à recruter des apprentis. Afin de lever cette difficulté et pour pallier celle qui a été renforcée depuis la loi du 5 septembre 2018, a été adopté un amendement prévoyant une participation de l’État à hauteur de 23 millions d’euros au financement de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale ; je m’en réjouis.

Enfin, la commission des lois a souhaité renforcer l’intégration des personnes en situation de handicap. Avec la loi de 1975, puis celle de 2005, a été engagée une politique inclusive de la personne en situation de handicap au cœur de la société.

Aujourd’hui, sur un total de 938 000 travailleurs en situation de handicap, un peu plus de 250 000 sont des agents publics, soit 22 %. Un autre signe encourageant est la progression du taux d’emploi légal des personnes handicapées, qui est passé de 3,74 % en 2006 à 5,61 % en 2018.

Reprenant les préconisations du rapport intitulé Donner un nouveau souffle à la politique du handicap dans la fonction publique, de Catherine Di Folco et Didier Marie, la commission des lois a renforcé à juste titre l’intégration des agents en situation de handicap en prévoyant un ensemble de dispositions complémentaires.

Sera ainsi autorisée une expérimentation pour pérenniser le financement du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, actuellement en péril. Si le modèle économique de ce fonds repose sur une logique incitative, il subit actuellement un effet de ciseaux : depuis 2013, ses dépenses d’intervention sont supérieures aux contributions reçues.

Le nouveau modèle prévu s’organiserait autour d’une part fixe, soit 0,1 %, et d’une part variable basée sur le mécanisme du bonus-malus.

Est également prévue l’intégration dans la fonction publique des apprentis en situation de handicap, sous réserve de leur aptitude professionnelle. Cette disposition permettra de renforcer l’accès à l’emploi public des personnes handicapées, tout en s’inscrivant dans une démarche pragmatique.

En outre, un droit à la portabilité des aménagements de poste, pour que les agents puissent conserver leur aménagement lorsqu’ils changent d’employeur, a été entériné. Là encore, cette proposition relève d’une vision pragmatique et efficace.

Le texte qui nous est soumis a été substantiellement enrichi par la commission des lois. Il permettra de doter les employeurs d’outils rendant possible une gestion stratégique de la masse salariale, et ce dans une perspective d’évolution de la répartition des compétences et des métiers de la fonction publique.

Les volets de l’accès à la fonction publique par la voie de l’apprentissage et du renforcement de l’intégration des personnes handicapées viennent compléter ce dispositif, et je m’en réjouis.

Je voterai donc, comme mon groupe, en faveur de ce projet de loi considérablement enrichi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, nous voilà enfin parvenus à la discussion de ce projet de loi de transformation de la fonction publique, et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous avez annoncé la couleur : transformer la fonction publique, fichtre ! On peut dire que votre texte affiche une ambition qui n’est pas mince !

Transformer la fonction publique, cela signifie faire évoluer les situations, les pratiques et le quotidien de près de 5,5 millions d’agents publics en France. Cela implique aussi d’améliorer le recrutement, la formation et le déroulement des carrières. Cela signifie, enfin, se pencher sur les principes déontologiques qui organisent la fonction publique. En somme, il s’agirait de réinventer celle-ci sans revenir sur la tradition française du service public et sur les grandes lois statutaires de 1983 et 1984.

Vous affirmez que votre projet de loi parvient à cet équilibre, qu’il transforme la fonction publique sans en renier les fondements, voire même qu’il « refonde le contrat social » qui lie les agents au service de notre pays. Qu’en est-il de la réalité de ces dires ? Devant le bric-à-brac de mesures contenues dans le présent texte, on cherche en vain une vision d’ensemble.

Le président de la commission des lois, Philippe Bas, avec le sens de la formule et de la litote qui lui est propre, évoquait une « boîte à outils » ! Cette métaphore traduit le caractère désordonné et parfois hétéroclite du projet de loi.

Sans prétendre à l’exhaustivité, je reviendrai sur quelques-unes de ces mesures.

En premier lieu, il me semble qu’un certain nombre de dispositions répondent aux attentes des employeurs territoriaux et vont dans le bon sens.

Faciliter le recrutement de contractuels, notamment dans les plus petites des collectivités territoriales, donnera une souplesse de gestion grandement attendue par les élus locaux.

Si j’étais malicieux, je dirais que nous aurions été curieux de savoir ce que, encore député de l’« ancien monde », vous auriez pu en dire… Comme il faut être bienveillant – et nous le sommes –, je préfère saluer votre souplesse et votre agilité, qui ne sont pas anecdotiques, ainsi que la vivacité avec laquelle vous défendez une telle disposition. Disons que cela relève des mystères de la conversion ! L’engagement politique comporte sa part d’énigme, il faut le reconnaître.

Cela confirme au moins que ce sont souvent les plus fraîchement convertis à une cause nouvelle qui se révèlent parfois les plus fervents et les plus ardents pour la défendre.

Je retiens également un intéressement croissant des fonctionnaires à l’activité de leur service, qui me semble constituer une évolution positive, au même titre que l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale.

Par ailleurs, j’espère que la fusion de la HATVP et de la commission de déontologie de la fonction publique, fruit des travaux de l’Assemblée nationale, pourra favoriser la diffusion, toujours plus large, d’une culture de la déontologie dans la fonction publique.

Enfin, le projet de loi comporte des mesures intéressantes relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qu’il nous faut saluer, ainsi que des mesures en faveur des personnes handicapées.

Je note au passage que ces dispositions ont été significativement améliorées par des amendements de nos collègues Catherine Di Folco et Didier Marie, qui ont repris les préconisations de leur récent rapport d’information intitulé Donner un nouveau souffle à la politique du handicap dans la fonction publique. Je souhaite que ces éléments trouvent leur place dans le texte final.

Réformer la fonction publique est utile et même nécessaire. J’espère que la discussion de ce projet de loi fera émerger des voies et des outils concrets pour cela. Car il faut que ce texte améliore très concrètement la qualité des services rendus par les administrations aux Français, en particulier dans les territoires, tout en offrant aux agents publics une plus grande fluidité de leurs parcours.

Cela étant dit, sans céder au pessimisme, je n’attends pas de ce texte le changement profond que nos concitoyens souhaitent. Un certain nombre de questions demeurent en effet. Par exemple, quelles missions doivent être remplies par des fonctionnaires, et quelles missions peuvent l’être par des agents contractuels ?

Recourir de manière accrue aux contractuels peut certainement présenter un intérêt. Mais le faire sans l’inscrire dans une démarche plus cohérente revient à prendre le risque du désordre dans les services et de l’incertitude sur la maîtrise des masses financières en jeu.

Une telle démarche impliquerait aussi un travail plus approfondi sur les modalités de recrutement et des concours. Or le projet de loi n’offre pas de réflexion globale satisfaisante sur ces sujets cruciaux. On n’y retrouve guère les ambitions d’une réforme politique d’ampleur. Au lieu de cela, ce texte privilégie un chapelet de mesures techniques qui ne sont parfois pas sans contradiction entre elles. Cette situation laisse craindre une occasion manquée, même après quinze mois de discussions entre le Gouvernement et les représentants des agents publics.

Enfin, on reste sceptique devant votre projet de recourir aux ordonnances. Monsieur le secrétaire d’État, était-il nécessaire de remettre à une ordonnance d’importants éléments de réforme du recrutement et de la formation des hauts fonctionnaires, avant même la publication du rapport Thiriez ?

Sur un sujet aussi important que celui de l’avenir de la fonction publique, il serait préférable de se borner à recourir aux ordonnances dans les cas spécifiques où leur plus-value paraît incontestable.

Par exemple, on ne peut qu’accueillir favorablement la codification, par ordonnance et à droit constant, du droit de la fonction publique.

On pourra toujours considérer que ce projet de loi a le mérite de mettre le sujet de la fonction publique sur la table, et, conformément à ses habitudes, le Sénat s’efforcera d’apporter une contribution riche et utile.

À ce titre, je tiens à saluer tout particulièrement le travail considérable des rapporteurs de la commission, Catherine Di Folco et Loïc Hervé. Ceux-ci ont fait œuvre d’orfèvre, afin d’améliorer le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale.

Leur attention s’est notamment portée vers les enjeux locaux, comme les conditions de la mobilité des personnels vers les polices municipales.

Nous restons donc sur notre faim, même si nous nous efforcerons d’être une force de proposition agissant en faveur d’une réforme réelle de la fonction publique, afin de pouvoir aboutir à un texte qui soit véritablement une amélioration. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)