compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

Mme Patricia Schillinger.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 juillet 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observations ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès de deux anciens sénateurs

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Charles Ceccaldi-Raynaud, qui fut sénateur des Hauts-de-Seine de 1995 à 2004, et André Geoffroy, qui fut sénateur du Var de 2002 à 2004.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la création de l’Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Scrutin pour l’élection de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et de deux juges suppléants à la Cour de justice de la République.

Mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement au scrutin secret pour l’élection à la Cour de justice de la République.

Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences et la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.

Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.

Pour le cas du vote pour un titulaire assorti du nom de son suppléant, la radiation de l’un des deux noms entraîne la nullité du vote pour l’autre.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je remercie nos collègues Mmes Jacky Deromedi et Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Les juges à la Cour de justice de la République nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.

Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et de deux juges suppléants à la Cour de justice de la République. Il sera clos dans une demi-heure.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la Polynésie française
Discussion générale (suite)

Polynésie française

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la Polynésie française (proposition n° 666, texte de la commission n° 681, rapport n° 680).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la Polynésie française
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Sénat est appelé à examiner aujourd’hui des dispositions extrêmement attendues en Polynésie française, comme j’ai pu le constater voilà quelques heures à peine sur place, auprès aussi bien du Gouvernement du pays que des magistrats et, surtout, des habitants.

Outre l’article relatif à l’aéroport, ceux qui portent sur l’indivision foncière constituent une réforme importante, sur laquelle les Polynésiens fondent beaucoup d’espoir. C’est cet espoir qui s’est exprimé mercredi dernier, lorsque j’ai inauguré le tribunal foncier de Papeete.

Pour le Sénat, ces dispositions ne sont pas inconnues, puisque votre assemblée les a déjà adoptées, lors de l’examen du texte devenu la loi du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Comme vous le savez, ces éléments ont été écartés par le Conseil constitutionnel, par sa décision du 27 juin dernier, pour des motifs uniquement procéduraux. Ces dispositions, introduites en cours de débat, ont en effet été considérées comme des cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel.

Dès que la décision du Conseil constitutionnel a été connue, M. le député Guillaume Vuilletet, rapporteur du texte, dont je salue l’initiative, a souhaité soumettre de nouveau ces dispositions annulées au Parlement, via un vecteur dédié.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement soutient évidemment cette initiative et a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de la session extraordinaire. Ce soutien gouvernemental est d’autant plus naturel que les dispositions relatives à l’indivision ont été construites grâce à un travail très minutieux accompli par la Chancellerie avec le Gouvernement de la Polynésie et sa direction des affaires foncières, les magistrats présents sur place, les avocats, les notaires, les géomètres, les généalogistes même, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs locaux intéressés.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ces dispositions ; votre rapporteur, M. Darnaud, vous les rappellera certainement. Je souhaiterais m’arrêter ici un instant sur la méthode que nous avons employée.

Cette méthode montre que la justice sait s’adapter aux réalités et aux besoins des justiciables, partout en France, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer. Nous avons, pour cela, inversé la logique qui a longtemps prévalu concernant les outre-mer. Souvent, trop souvent, la République a préféré plaquer un modèle unique sur l’ensemble des territoires et des populations, alors que la diversité des situations exigeait, au contraire, que l’on trouve des solutions un peu différenciées, approchant au plus près les réalités que nous avions à traiter. Des progrès ont été accomplis ces dernières années, mais beaucoup reste encore à faire pour inverser cette logique et acquérir ce « réflexe outre-mer » que promeut ma collègue Annick Girardin.

La manière d’aborder la question foncière dans les outre-mer, et singulièrement en Polynésie, illustre cette volonté qui est la nôtre de changer de logiciel.

Sur l’indivision, je ne vous apprendrai rien : ce phénomène a été particulièrement bien analysé dans le rapport de 2016 de la délégation sénatoriale aux outre-mer, coordonné par votre collègue Thani Mohamed Soilihi. Ce rapport constitue le travail de référence sur cette question. Il y était fait le constat d’un état généralisé d’indivision transgénérationnelle, rendant difficile toute utilisation ou disposition de la terre.

Pour la Polynésie française, le rapport avait mis en avant les particularités historiques, culturelles, juridiques propres à ce territoire, qui conduisent à des situations totalement inextricables, avec, souvent, un nombre très important de co-indivisaires – plus encore que dans les autres outre-mer –, pouvant atteindre plusieurs centaines de personnes dans certains cas.

Parmi ces spécificités, celle relevant de la géographie n’est pas la moindre : la dispersion des co-indivisaires sur un territoire aussi grand que l’Europe rend les choses très complexes. À cela s’ajoutent, entre autres particularités, l’absence fréquente d’adresses précises empêchant de localiser correctement les ayants droit, de les attraire à la cause, de les assigner et de leur signifier les décisions, le nombre important de contentieux de revendication de terres sur le fondement de la prescription acquisitive, le recours quasiment systématique aux partages judiciaires, ce qui allonge considérablement les délais de procédure, et, enfin, l’absence de représentation obligatoire par avocat en première instance.

Aussi, aujourd’hui, ne pouvons-nous que constater qu’en Polynésie française appeler tous les héritiers à la succession est pratiquement impossible. Cette réalité est bien identifiée par le Gouvernement, ainsi qu’en témoigne la mise en œuvre récente de moyens inédits. En cela, je poursuis et intensifie une action dont les premiers éléments ont été mis en place par mes prédécesseurs, Christiane Taubira et Jean-Jacques Urvoas.

Une importante avancée résulte de la mise en place, le 1er décembre 2017, d’un tribunal foncier à Papeete, fonctionnant sur le mode de l’échevinage et doté de moyens humains et matériels propres. Il est désormais installé dans un bâtiment neuf adapté à ses missions et à l’accueil des justiciables. Sa création et son fonctionnement constituent une réussite, comme j’ai pu le constater sur place, auprès aussi bien des magistrats que des justiciables. Le stock des dossiers, ainsi que leur durée moyenne de traitement, ont été notablement réduits, ce qui favorise l’apaisement des situations. Les Polynésiens, désormais dotés d’un tribunal dédié aux affaires de terre, se sont pleinement approprié ce dispositif, ainsi qu’en l’augmentation récente du nombre des requêtes déposées.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Par ailleurs, afin de soutenir l’action de la direction des affaires foncières de Polynésie, la pratique du salariat d’avocats dédiés au contentieux foncier par cette direction a pu être consacrée dans la loi organique de juillet dernier.

Cependant, les moyens ainsi mis en place devaient impérativement être accompagnés de mesures relatives au fond du droit des indivisions et des successions. C’était une revendication ancienne des autorités polynésiennes et des magistrats exerçant sur place, revendication qui n’avait jamais pu aboutir compte tenu de la complexité des situations. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Cette question avait déjà été mise en avant par les parlementaires de Polynésie, en particulier la sénatrice Lana Tetuanui, que je salue ici chaleureusement, lors de la discussion, en 2018, de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, à laquelle le Gouvernement a apporté son soutien. Ce texte est désormais entré en vigueur à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à Mayotte, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Lors des débats sur cette proposition de loi, en 2018, la situation propre à la Polynésie française a été mise en évidence. Il fallait aller plus loin pour apporter des réponses adaptées, notamment à l’impossibilité d’attraire l’ensemble des indivisaires aux instances en partage dans ces archipels du Pacifique.

Pour être honnête, je dois dire que, de prime abord, l’ampleur des dérogations au droit commun qui étaient sollicitées avait alors appelé des réserves des services de la Chancellerie. Il était indispensable d’approfondir davantage la réflexion afin de trouver un équilibre entre la nécessité de mettre en place des outils pragmatiques et efficaces pour lutter contre l’indivision et le respect des droits fondamentaux, tels que le droit de propriété, les droits de la défense de l’ensemble des héritiers indivisaires et les droits des conjoints survivants.

C’est ainsi que, le 4 janvier 2018, lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale en outre-mer, je m’étais engagée devant vous, en réponse à la sénatrice Tetuanui, à ce que la question de l’indivision en Polynésie française soit expertisée sérieusement et rapidement par la Chancellerie afin d’aboutir à des solutions concrètes.

Cet engagement a été tenu avec la création d’un groupe de travail, lancé en 2018 et piloté par mon cabinet, le Gouvernement de la Polynésie et les parlementaires élus dans ce territoire, dont je salue l’investissement personnel. Ce groupe de travail a réuni pendant plusieurs mois des représentants de la direction des affaires civiles et du sceau, de la direction générale de l’outre-mer et de la direction des affaires foncières de Polynésie, mais également des magistrats, des avocats et des notaires de Papeete.

Cette étroite collaboration a été fructueuse, puisqu’elle a débouché, en quelques mois, sur la rédaction de plusieurs dispositions, que vous avez votées par voie d’amendements lors de l’examen du projet de loi sur la Polynésie française et qui sont reprises stricto sensu dans cette proposition de loi. Ce texte comporte ainsi des dispositifs innovants, dont certains sont l’adaptation de ceux adoptés dans le cadre de la loi du 27 décembre 2018 pour les autres outre-mer. Je pense par exemple à l’attribution préférentielle, à l’omission d’héritier et au partage amiable à une majorité qualifiée. D’autres dispositions visent à répondre à la situation spécifique de la Polynésie française, avec notamment le partage par souche et le droit de retour légal des frères et sœurs.

La rédaction concernant le partage par souche témoigne vraiment du souci commun du Gouvernement de la République et du Gouvernement de la Polynésie française d’avancer ensemble, puisque, si l’ossature du dispositif que nous proposons d’inscrire dans la loi est de la compétence de l’État, il est renvoyé, pour le détail de son organisation, à la loi du pays, s’agissant notamment de règles de procédure civile qui relèvent de la compétence propre de la Polynésie française.

Lors d’une réunion de travail tenue sur place, dimanche dernier, il y a donc quarante-huit heures, avec le président de la Polynésie française, Édouard Fritch, et plusieurs de ses ministres, nous avons évoqué ces questions et passé en revue toutes les actions engagées par son gouvernement pour s’attaquer à l’indivision. Je dois avouer que j’ai été très impressionnée par l’ampleur de l’action qui est menée sur place, avec le souci constant de tenir compte des réalités de chaque île, la situation pouvant varier d’un archipel à l’autre.

C’est donc un texte important qui vous est soumis aujourd’hui.

J’ajouterai que cette proposition de loi comporte également une disposition relative au contrat de concession d’un aérodrome relevant de la compétence de l’État en Polynésie française. Vous avez d’ailleurs déjà examiné et voté ce dispositif, qui a été écarté par le Conseil constitutionnel pour les mêmes raisons que les précédentes dispositions.

La réactivité du député Vuilletet et votre engagement pour nos compatriotes polynésiens, soutenu par le Gouvernement, nous permettent d’espérer un vote conforme de votre assemblée et une entrée en vigueur très rapide de ces textes, moins d’un mois après la décision du Conseil constitutionnel. C’est vraiment important pour la Polynésie. Je peux vous assurer que, dans tous les archipels, des îles Marquises aux Australes, en passant par les îles de la Société et les Tuamotu-Gambier, on attend ce texte.

Je sais que cette rapidité de réaction a conduit à laisser de côté deux dispositions également censurées par le Conseil constitutionnel. On peut le regretter, mais je suis certaine que nous trouverons à la rentrée les moyens de les reprendre de manière aussi efficace.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Conseil constitutionnel dira tout aussi efficacement que c’est hors sujet !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement y sera attentif, comme il l’est toujours à l’égard de nos compatriotes ultramarins. Je peux vous l’assurer. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, chers collègues, en déposant sa proposition de loi, le 1er juillet dernier, notre collègue député Guillaume Vuilletet a souhaité réagir à la décision de non-conformité partielle rendue par le Conseil constitutionnel le 27 juin 2019 concernant la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

Le Conseil constitutionnel, saisi de cette loi ordinaire par le Premier ministre en même temps que de la loi organique adoptée le même jour, a en effet estimé que certains articles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions initiales ; il a prononcé une censure d’office sur le fondement de l’article 45 de la Constitution.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale a voulu rétablir rapidement les articles censurés en déposant cette proposition de loi. C’est une initiative louable, qui a cependant été conduite de manière quelque peu précipitée et incomplète.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Huit articles ont été censurés comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel. Or seuls six d’entre eux ont été repris dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

M. Bruno Sido. Le compte n’y est pas !

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Ont été laissées de côté les dispositions relatives aux crématoriums et à la dépénalisation du stationnement payant, pourtant attendues par les Polynésiens.

Je vous rappelle que, faute de base légale, la crémation des corps ne peut être effectuée en Polynésie française. L’article censuré avait été introduit par le Gouvernement à la demande de l’Assemblée de la Polynésie française. Quant à la dépénalisation du stationnement payant opérée par la loi Maptam de 2014, elle empiète sur une compétence locale en matière de réglementation pénale et routière. Là encore, c’est le Gouvernement qui avait souhaité faire sortir la Polynésie du champ du dispositif.

Ces deux sujets méritaient donc d’être repris dans la proposition de loi initiale, mais, passé le dépôt du texte, il est devenu inopportun et impossible de les rétablir : inopportun pour ne pas retarder une adoption conforme et permettre une entrée en vigueur rapide du texte, et, surtout, impossible en raison des règles de recevabilité de l’article 45 de la Constitution.

Je précise que des amendements visant à rétablir ces articles ont été déposés à l’Assemblée nationale, puis au Sénat. Ils ont été déclarés « cavaliers législatifs » à chaque fois, dans la droite ligne de la décision du 27 juin 2019 du Conseil constitutionnel.

Madame le garde des sceaux, nous regrettons cette situation. La rapidité a primé sur l’exhaustivité.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Comme vous venez de le dire, une solution devra prochainement être trouvée, et je souhaite saisir le Gouvernement de cette question, soit pour qu’il intègre les dispositions dans un projet de loi déjà programmé pour la rentrée, soit pour qu’il accepte un calendrier permettant l’adoption rapide, dans les deux assemblées, d’une nouvelle proposition de loi. Je forme le vœu que ces deux dispositions puissent être éventuellement reprises dans le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui sera présenté devant notre assemblée au mois d’octobre prochain.

Le texte qui nous est soumis comprend cinq articles visant à faciliter la gestion et la sortie de l’indivision foncière et un article précisant le cadre des concessions des aérodromes d’État. Le Sénat a déjà eu l’occasion de les examiner et de les adopter.

Les dispositions relatives aux indivisions successorales s’inspirent, pour l’essentiel, des recommandations du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer de 2016 sur la sécurisation des titres fonciers dans les outre-mer.

L’article 1er vise notamment à adapter aux spécificités polynésiennes, en particulier l’ancienneté des successions, la condition de résidence exigée du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire pour bénéficier de l’attribution préférentielle d’une propriété en application de l’article 831-2 du code civil.

L’article 2 prévoit, quant à lui, un dispositif dérogatoire du droit commun permettant le retour à la famille du défunt sans descendant de la totalité des biens immobiliers qu’il détenait en indivision avec celle-ci.

L’article 3 a pour objet d’empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire par un héritier omis.

L’article 4 tend à prévoir un dispositif dérogatoire et temporaire favorisant les sorties d’indivision jusqu’au 31 décembre 2028, en permettant le partage des biens immobiliers indivis sur l’initiative du ou des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers en pleine propriété des droits indivis.

L’article 5 institue une expérimentation, jusqu’au 31 décembre 2028, du partage par souche, tel qu’il est opéré par la cour d’appel de Papeete, en interprétant de manière extensive la notion de représentation de l’article 827 du code civil.

Enfin, l’article 6 de la proposition de loi précise le cadre juridique dans lequel l’État peut concéder l’exploitation d’un aérodrome qui relève de sa compétence en Polynésie française, en prévoyant la création d’une société dans laquelle la Polynésie pourrait être associée à sa demande.

Tous ces articles avaient été introduits par le Sénat, en commission ou en séance, dans la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Ils reprennent à l’identique les rédactions issues du texte élaboré le 7 mai 2019 par la commission mixte paritaire et approuvé par les deux chambres. La seule modification, apportée par l’Assemblée nationale, a été la simplification du titre initial.

En cohérence avec ses précédents travaux et afin de permettre, comme chacun le souhaite, une entrée en vigueur rapide des articles en discussion, la commission des lois a adopté le texte sans modification. Mes chers collègues, je vous propose d’adopter à votre tour la proposition de loi sans modification, même si elle est malheureusement incomplète. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Lana Tetuanui. Madame la garde des sceaux, après votre voyage de vingt heures au-dessus du Pacifique et de l’Atlantique, je vous souhaite un bon décalage horaire pour les deux jours à venir ! (Rires.)

Il n’est pas question pour moi de m’étendre aujourd’hui sur le contenu de cette proposition de loi, puisque nous avons déjà examiné et voté ces dispositions spécifiques à la Polynésie française en matière de gestion du foncier et de plateformes aéroportuaires relevant de la compétence de l’État en Polynésie française. Il s’agit bien de deux sujets d’envergure pour le développement économique et durable de ma collectivité, dont l’urgence était signalée par les autorités du pays.

Je tiens à remercier M. le député Guillaume Vuilletet, du groupe En Marche !, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, et le Gouvernement de l’examen de cette proposition de loi en procédure accélérée, à la suite à la censure du Conseil constitutionnel prononcée le 27 juin dernier.

En effet, certaines dispositions des deux lois se rapportant au statut d’autonomie de la Polynésie française adoptées en mai dernier ont été censurées.

À ce sujet, j’ai bien relevé le déclassement en loi ordinaire d’une disposition symbolique et fondamentale aux yeux des Polynésiens, portant sur notre contribution à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation.

C’était, hélas, prévisible à la lecture de l’avis du Conseil d’État du 29 novembre 2018. Cette disposition est donc déclassée en loi ordinaire : dont acte. Ainsi, force est de constater que la rédaction actuelle de l’article 74 de la Constitution ne nous permet pas de conférer de valeur organique à de telles dispositions, qui sont pourtant fondamentales pour nous, en Polynésie.

En conséquence, il m’appartiendra, lors de la révision de nos institutions, de solliciter une modification de l’article 74 de la Constitution pour y intégrer au mieux la « reconnaissance particulière de l’État à l’égard de la Polynésie française » afin de tenir compte de nos intérêts propres au sein de la République et de permettre la sanctuarisation de la dette dite « nucléaire ». Comptez sur moi, le moment venu, pour « revendiquer » l’inscription de cette assise forte et pérenne dans l’article 74 de notre Constitution, pour l’avenir de mon territoire.

Pour en revenir à cette proposition de loi, le Conseil constitutionnel a donc censuré un certain nombre de ses articles au motif qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs », ne présentant pas de rapport avec les dispositions du texte initial. Je découvre une jurisprudence renforcée et sévère du Conseil constitutionnel, dont découle un droit d’amendement fortement encadré et limité.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! C’est vrai !

Mme Lana Tetuanui. Néanmoins, le Gouvernement central s’est aussitôt engagé à reprendre en partie ces dispositions et à les représenter via le bon vecteur législatif. Ainsi, cette proposition de loi reprend six articles tels qu’ils avaient été adoptés par le Sénat et l’Assemblée nationale.

Il s’agit, en premier lieu, des cinq articles relatifs à la gestion et la sortie de l’indivision, qui adaptent tout particulièrement les règles en matière d’indivision successorale aux spécificités polynésiennes, avec un dispositif d’attribution préférentielle, un retour à la famille du défunt des biens immobiliers qu’il détenait en indivision, des droits spécifiques pour l’héritier omis et un partage possible par souche. Ces dispositions répondent parfaitement à la problématique polynésienne et s’inspirent fortement des recommandations du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer de 2016 sur la sécurisation des titres fonciers dans les outre-mer.

Madame la garde des sceaux, vous vous êtes déplacée en Polynésie française, la semaine dernière, pour l’inauguration du tribunal foncier et pour traiter d’autres sujets relevant de vos compétences. Je vous remercie d’avoir bien voulu confirmer de vive voix, à cette occasion, toutes ces adaptations du code civil au bénéfice de la Polynésie française, tant attendues localement.

En second lieu, le sixième article de cette proposition de loi reprend le cadre juridique dans lequel l’État peut concéder l’exploitation de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, dispositif qui avait été introduit au Sénat par amendement du Gouvernement et qui répond à une demande pressante et légitime des autorités du pays.

Je comprends parfaitement l’urgence à légiférer dans ces deux domaines, mais je ne peux que regretter que, dans cette précipitation, les articles se rapportant aux crématoriums et aux redevances de stationnement soient restés au bord du chemin. C’est bien dommage ! Ces deux articles me tenaient d’autant plus à cœur qu’ils répondaient à une demande des élus locaux.

La sagesse m’a rapidement amenée à renoncer à ma volonté initiale de déposer de nouveaux amendements, de crainte d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Nos collègues du groupe socialiste, eux, ont osé ! (Sourires.)

Quoi qu’il en soit, je ne manquerai pas de représenter ces dispositions manquantes, avec d’autres mesures générales d’adaptation à la Polynésie française relevant du domaine de la loi.

Enfin, je tiens à remercier notre rapporteur, M. Mathieu Darnaud, devenu expert de nos spécificités. Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera unanimement cette proposition de loi. J’appelle l’ensemble de nos collègues à faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)