Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cinq ans après la création des grandes régions et la disparition administrative de l’Alsace sur un coin de table, nous allons entériner la naissance de la Collectivité européenne d’Alsace.

Les divergences sur le texte entre les deux chambres étaient in fine peu nombreuses, ce qui nous a permis d’atteindre un consensus rapidement. Il restera néanmoins un goût de déception globale, tant le champ des possibles induit par le sujet s’est finalement réduit. Je pense particulièrement aux potentielles avancées que le Sénat avait envisagées, mais qui ont finalement été rejetées par l’Assemblée nationale et le Gouvernement, ne laissant que peu de place à la réflexion positive.

Ce texte a néanmoins le mérite d’exister et représente le fruit de l’aboutissement de plusieurs années d’échanges à tous les niveaux. Toutefois, il ne reflète que bien peu les attentes et les besoins des Alsaciens.

M. André Reichardt. C’est exact !

M. Claude Kern. Ce « désir d’Alsace », revendication positive, a été identifié par le préfet Marx dans son rapport. Loin d’évoquer l’aigreur d’un territoire replié sur lui-même, il a entendu souligner ses particularités pour fonder, par une voie originale, un projet politique d’avenir, ancré dans les préoccupations économico-aménagistes de l’époque et profondément européen.

Bien sûr, nous n’étions pas dupes de l’ambition politique de laisser renaître un ensemble institutionnel local qu’une politique récente avait, sans compromis possible, fait disparaître. Nous n’étions pas dupes non plus des difficultés d’explorer des voies du droit novatrices, dont les balisages habituels laissent peu de place à l’audace, malgré le consensus supposé de la démarche.

Au sein de cette marge de manœuvre réduite, nous avons néanmoins tenu à affirmer cette singularité territoriale, notamment en ce qui concerne le nom. Il était en effet important de conserver l’appellation de Collectivité européenne d’Alsace, qui, dès le début du processus, avait été retenue pour désigner le produit de cette initiative politique. Nous nous sommes inscrits, en tant que législateurs, dans les compétences qui nous sont reconnues en vertu des articles 34 et 72 de la Constitution et avons ainsi acté la variation d’une dénomination qui traduit ses particularités.

En effet, aux côtés des collectivités territoriales de droit commun – communes, départements et régions –, dont le régime est caractérisé par une grande unité, le droit reconnaît des voies institutionnelles plus différenciées, destinées à permettre l’incarnation institutionnelle de réalités sociales particulières.

La différenciation du nom au sein d’une catégorie de collectivité territoriale de droit commun constitue une expérience inédite. La différence du spectre de compétences de la Collectivité européenne d’Alsace au regard des départements classiques est manifeste. L’absence de reconnaissance de son caractère singulier par une appellation dédiée aurait constitué un manquement.

J’en viens aux compétences. Certes, la solution d’une collectivité départementale a pour elle sa relative simplicité, mais reste exclusive de tout statut particulier. Nous devrons donc faire avec un « département doté de compétences différenciées », choix plus aisé, plaçant la collectivité alsacienne sur un chemin juridique balisé.

Là encore, la jurisprudence constitutionnelle est aussi claire que bien établie : rien « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Dans le cas qui nous occupe, chacun conviendra que, eu égard aux spécificités transfrontalières du territoire, nous nous inscrivons parfaitement dans un périmètre raisonnablement objectif pouvant appeler un traitement juridique particulier.

Ainsi en est-il de ces avancées qui ont trait, entre autres, au plan sanitaire, au bilinguisme, mais aussi à la prise en compte, certes a minima, de la situation très tendue du réseau routier national en Alsace du fait de l’existence de réseaux parallèles entre la France et l’Allemagne.

Bien évidemment, nous savons que, pour l’essentiel, les compétences esquissées relèvent de logiques de planification, dont l’effet est nécessairement contraint. Cependant, il était important de fonder la particularité alsacienne autour d’un cœur de compétences confiées, à titre particulier à la Collectivité européenne d’Alsace, et d’asseoir ainsi la légitimité de l’évolution institutionnelle dans le passé tout autant que dans le futur.

En tout état de cause, la voie de la collectivité à statut particulier, dont la fonction consiste à fonder son éloignement des cadres du droit commun, s’est malheureusement très vite heurtée à la vision d’un gouvernement soucieux de préserver l’édifice de la réforme régionale de 2015, qu’il n’entendait pas altérer.

Ainsi, vous l’aurez compris, même si l’Alsacien que je suis aurait préféré aller plus loin et doter la collectivité de ce véritable statut particulier, je reconnais l’intérêt du compromis auquel nous sommes parvenus. Je tiens à le redire : le projet de loi que nous allons adopter aujourd’hui ne représente qu’une première étape de la démarche que nous avons engagée.

Madame la ministre, vous l’avez compris, le groupe Union Centriste votera donc les conclusions de la commission mixte paritaire qui nous sont aujourd’hui soumises.

Je tiens également à remercier la rapporteur Agnès Canayer de son excellent travail. Elle pourrait presque être alsacienne ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Presque ! (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, sur lequel la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, est un texte fort.

Il fait partie d’un sujet plus large, celui de la décentralisation, répond à une demande réelle de la part des habitants et témoigne d’un engagement politique important des acteurs locaux relayé par les responsables nationaux. À ce sujet, nous tenons à saluer les présidents des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, Mme la ministre Jacqueline Gourault, ainsi que tous ceux qui ont rendu ce projet possible.

L’Alsace est unique à bien des égards. Tout d’abord, son exception historique en fait un territoire clé, particulièrement sensible : en plus d’être le siège officiel du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, elle est une zone d’échange privilégiée.

L’Alsace est dynamique sur le plan économique, avec deux aéroports et 62 000 travailleurs transfrontaliers. C’est un territoire agréable à vivre – réalité que l’on ne conçoit pas pleinement avant d’avoir entendu un Alsacien ou une Alsacienne parler de son territoire. Des cigognes sur les toits des églises, des maisons aux balcons fleuris, des forêts et même du vin (Sourires) : le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, c’est un seul et même territoire avec une attractivité touristique exceptionnelle, un sentiment européen sans équivalent et une culture propre.

L’Alsace est, avec singularité, au cœur de l’amitié franco-allemande. Le bilinguisme, la mobilité et le partage sont le résultat du caractère transfrontalier de ce territoire et de la recherche européenne de paix. L’Alsace est un exemple à suivre. On y vit pleinement et quotidiennement la citoyenneté européenne. Là-bas, nos voisins allemands sont dans tous les regards et à tous égards nos voisins.

La création de la Collectivité européenne d’Alsace est en soi un nouvel acte de décentralisation, et le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’en félicite ! Par ce projet de loi, le Gouvernement a pris en considération la spécificité de ce territoire, et c’est une réussite, qui doit servir d’exemple s’il existe d’autres territoires avec des spécificités propres.

Au cœur de cette réussite émergent deux questions : la confiance et l’organisation territoriale.

Je pense à la fois à la confiance dans les élus et les acteurs locaux et à la confiance dans les territoires. Les centres de décisions nécessaires concernant ces derniers doivent être remis à plat au plus près des citoyens qui y vivent, là où ils savent qu’ils peuvent faire remonter les problèmes qu’ils rencontrent et les projets qui leur tiennent à cœur en s’adressant aux élus et aux acteurs locaux.

Ce qui fait la richesse et la beauté de la France, c’est la diversité de ses territoires, de leurs paysages, de leurs spécificités. Ce qui est une réalité dans un territoire ne l’est pas forcément dans un autre. Les pouvoirs publics doivent s’adapter en fonction de cette diversité, la respecter et la valoriser. La décentralisation est avant tout une marque de respect envers la différence de ces territoires. Par la flexibilité qu’elle permet, elle est un élément décisif de la réussite économique.

La cohésion territoriale passe par plus de souplesse, encourageant ainsi une dynamique de l’emploi et une concurrence saine. Elle favorise la vitalité des entreprises installées en province. Les décisions prises au plus près du terrain permettent une attention plus grande envers les différents acteurs.

Ce projet de loi est un pas important dans la bonne direction ; il peut ouvrir la voie pour d’autres territoires.

M. Loïc Hervé. La Savoie, par exemple !

M. Dany Wattebled. Faisons confiance aux élus et aux acteurs locaux et, à travers eux, aux Français qu’ils représentent. La France est encore plus forte lorsqu’elle s’appuie sur la pluralité de ses territoires.

C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera majoritairement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux saluer le formidable travail accompli par toutes les parties prenantes. Ce projet de loi a été le fruit d’une initiative locale, notamment sous l’impulsion conjointe des exécutifs départementaux. Il a été discuté maintes fois avec le Gouvernement pour aboutir à la déclaration commune de Matignon, qui a servi de base politique sur laquelle les débats techniques ont pu s’engager.

Nos débats se sont déroulés dans le respect de quelques grands principes.

Tout d’abord, cette initiative législative est née, rappelons-le, d’une volonté alsacienne. En cela, elle ne devait reposer que sur le socle des intérêts alsaciens et il aurait été absolument infondé d’ouvrir une quelconque boîte de Pandore. C’est pourquoi, dans un esprit de consensus, il n’appartenait pas au Sénat, représentant des collectivités territoriales, de s’opposer à une volonté locale sollicitant le concours du législateur.

Ensuite, il était impératif de conforter la région Grand Est dans le champ de ses compétences, tout en honorant, dans un même geste, les engagements pris envers la Collectivité européenne d’Alsace nouvellement créée.

Enfin, il revenait au processus parlementaire de s’emparer du débat autour de la différenciation territoriale et de parvenir à un point d’équilibre acceptable, tout particulièrement sur le calcul de la compensation du transfert des routes nationales, où, fort heureusement, le retour au droit commun s’est imposé.

À l’issue de ce « numéro d’équilibrisme parlementaire », je crois également utile d’observer que ce texte de responsabilité et d’ouverture est d’abord le pari d’une méthode de bon sens, fondée sur la préfiguration législative, premier jalon de ce droit à la différenciation territoriale.

En effet, ce texte nous offre en prime, à nous législateurs, une leçon d’humilité. Il nous rappelle qu’il ne peut y avoir un modèle d’organisation territoriale unique. De la même façon que l’on ne peut aplatir la réalité locale sous des considérations grossièrement universalistes, la décentralisation ne doit plus être un simple habillage, un prêt-à-porter.

M. André Gattolin. Absolument !

Mme Patricia Schillinger. Elle exige des habits neufs, du « sur-mesure ». Notre groupe partage également une certaine idée de la République territoriale, fondée sur le cas par cas. La haute couture parisienne ne doit plus dicter l’habillage territorial de telle ou telle collectivité,…

M. André Gattolin. Jolie métaphore !

Mme Patricia Schillinger. … dont elle ne connaît pas assez finement les enjeux réels.

Cependant, percevoir les enjeux par le prisme girondin ne suffira pas à renforcer notre République territoriale. De la même façon, la liberté locale ne se décrète pas à la faveur d’une révision constitutionnelle. C’est toute une révolution culturelle qu’il nous faut lancer. Mieux encore, c’est un élan de souplesse et un éloge de la diversité qu’il sera bon d’engager en faveur d’une société fondée sur la reconnaissance d’un droit à l’imagination créatrice des élus locaux.

Aussi, le législateur ne doit pas perdre de vue que les lois de la République sont faites pour les citoyens, en l’occurrence, pour les Alsaciens et l’Alsace, qu’elles doivent être adaptées aux singularités locales, au nom desquelles elles sont faites.

M. François Grosdidier. La Lorraine attend toujours !

Mme Patricia Schillinger. Sans cela, les bénéfices du travail législatif s’en trouveraient foncièrement appauvris.

Je salue à cet égard le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, défendu par le ministre Sébastien Lecornu, qui partage cette logique de bon sens et dont le deuxième volet se traduira, dès le premier semestre de 2020, par la mise en œuvre d’un acte de différenciation et de décentralisation.

Ainsi, mes chers collègues, je témoigne ici de notre pleine adhésion au texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Und jetzt vowärts ! Et maintenant, en avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Assemblée nationale n’aura pas mis fin à ce projet de création d’une Collectivité européenne d’Alsace. Elle l’aura à peine modifié.

Pourtant, on ne pourra pas nous empêcher de penser que tout ce travail est brouillon et ne vise qu’à corriger les conséquences des dernières lois de réformes territoriales, voire à revenir en arrière sans avoir l’air d’y toucher.

Premièrement, il est proposé de fusionner les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin afin de créer cette fameuse Communauté européenne d’Alsace, alors même que cette future structure recréera tout simplement la région Alsace démantelée par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, et que la fusion des deux départements a été rejetée par référendum en 2013, avec un taux d’abstention record.

Faut-il comprendre que la réforme des régions était une mauvaise loi ? Si l’Alsace renaît sous d’autres formes, pourquoi l’empêcherions-nous pour d’autres collectivités départementales ou régionales qui en feraient la demande ?

Deuxièmement, il est transféré à cette nouvelle entité des compétences qui ne recouvrent ni totalement celles des régions ni celles des départements !

Ce texte crée donc bien un nouveau type de collectivité territoriale avec un droit dérogatoire – un super département au nom d’une différenciation territoriale qui n’est toujours pas inscrite dans notre Constitution et qui n’a donc aucune légitimité constitutionnelle.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si !

Mme Éliane Assassi. Là aussi, doit-on comprendre que la suppression de la clause de compétence générale des départements était une erreur ou que cette suppression ne permet plus l’expression des particularismes locaux ? Est-ce enfin la reconnaissance de l’échec de la loi NOTRe ? Apparemment non. On fera semblant de ne pas voir le problème global qu’entraîne ce texte, pour n’en corriger qu’à la marge les tares les plus flagrantes.

Troisièmement, on nous fait croire, avec ce texte, qu’en l’état actuel il serait impossible à ces départements de mettre en place des politiques de coopérations transfrontalières. C’est tout simplement faux ! Les collectivités frontalières n’ont pas attendu ce texte pour s’atteler à ce sujet.

Consacrer de cette manière la volonté de réduire les frontières en ouvrant la voie à une telle zone franche franco-allemande peut en revanche inquiéter quant à l’alignement par le bas, le fameux dumping social, mais aussi environnemental, du fait de l’explosion du transport routier qui pourrait advenir au nom de la coopération transfrontalière et au détriment des peuples.

Les sénateurs de notre groupe continuent de penser, comme l’a rappelé Pierre-Yves Collombat lors de la première lecture au Sénat que « le jacobinisme français – comme certains le dénomment – n’est pas qu’un centralisme : c’est un étrange mélange de centralisme et de liberté locale » et « dans le système administratif classique, le préfet et son administration ne sont pas que la courroie de transmission de l’État central ; ils sont aussi les porte-parole des territoires et de leurs élus auprès de l’État ».

En clair, le triptyque communes-départements-État, issu de la Révolution française, reste un outil d’une grande efficacité et d’une grande souplesse, qui a permis unité et prise en compte des particularismes, sans mettre en concurrence les territoires. C’est pourquoi nous ne saurions soutenir un texte qui, peut-être sans s’en rendre compte, favorise un projet institutionnel libéral, qui passe par la création d’un nouveau triptyque EPCI-régions-Europe, qui signerait, en l’affaiblissant, la fin de la légitimité de l’État-nation.

Voilà pour la vision globale que le groupe CRCE porte sur ce texte. J’en viens à ses détails.

L’article 2 donne compétence à cette nouvelle entité en matière de tourisme et de promotion de l’attractivité du territoire, tout en s’assurant que l’exercice de cette compétence reste compatible avec les schémas régionaux. Quel est donc l’intérêt d’une telle usine à gaz ? Mystère.

Qui plus est, en parallèle a été retirée du texte la possibilité pour la Collectivité européenne d’Alsace d’expérimenter la gestion de l’octroi d’aides aux entreprises. On ne comprend pas bien la logique qui prévaut : pour les politiques transfrontalières, la Collectivité européenne d’Alsace est compétente, mais pas pour la gestion des aides ? Voilà qui manque de logique…

La possibilité d’instaurer une taxe carbone a été retirée du texte, mais le transfert de la gestion des routes nationales et des autoroutes non concédées à la Collectivité européenne d’Alsace et à l’Eurométropole de Strasbourg est conservé. Encore une fois, quelle est la logique, si ce n’est un désengagement à pas feutrés de l’État dans les territoires ?

Vous aurez compris que, pour nous, au nom du droit à la différence territoriale, ce bricolage législatif, ni fait ni à faire, est une nouvelle étape de l’opération de démembrement de la République indivisible qui porte le nom de France.

C’est pourquoi le groupe CRCE ne votera pas ce texte, prélude à une inégalité accrue des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’ils font visiter ce magnifique édifice de la République qu’était le palais de Marie de Médicis, les guides rappellent l’histoire de la journée des dupes, quand ce grand politique qu’était Richelieu réussit à convaincre Louis XIII d’envoyer sa mère en exil et de lui laisser le pouvoir… (Sourires.)

M. Jacques Bigot. J’espère, madame la ministre, madame la rapporteur, que le vote de ce texte ne sera pas une nouvelle journée des dupes, dans la mesure où ce projet de loi n’apportera sans doute pas ce qu’ils voulaient aux Alsaciens qui le réclamaient et pas grand-chose aux autres.

M. François Grosdidier. Il n’y a que les Lorrains qui sont dupés !

M. Jacques Bigot. Ce texte part de la question posée par un certain nombre d’Alsaciens, notamment les présidents des deux conseils départementaux : quelle place avons-nous encore au sein de cette région Grand Est ? Il nous faudrait de nouveau avoir une identité et une existence. Voilà qui explique la revendication d’une collectivité à statut particulier très fortement exprimée par certains.

Le Président de la République a été très clair : « Il n’est pas question de donner à l’Alsace un statut particulier. » De même, il a rappelé, tout comme le président du Sénat, qu’il n’était pas question de changer encore une fois les lois sur la décentralisation et de remettre en cause l’organisation des treize régions.

À partir de là, on demande au préfet Marx un rapport, dans lequel il conclut que la meilleure des formules serait que les deux départements fusionnent et, peut-être, qu’on leur donne – dans l’esprit du droit à la différenciation annoncée par le Président de la République, qui ne voit pas encore le jour, puisque la réforme constitutionnelle ne se fait pas – quelques compétences spécifiques.

Dans ces conditions, la première journée des dupes, c’est sans doute la déclaration de Matignon, qui entérine la fusion des deux départements, en indiquant les compétences qu’ils détiendront. Or ces compétences sont vides !

Madame la rapporteur, en première lecture, nous avons cherché à améliorer un peu ce texte et à organiser nos débats autour de la question de l’organisation et de la différenciation. Nous l’avions fait à propos de la coopération transfrontalière, en allant un peu plus loin que ce qui se fait aujourd’hui et en essayant de voir comment l’État, qui est loin d’être facile, pouvait donner à des collectivités frontalières des compétences déléguées pour agir.

Avec ce texte, après 2021, lorsque le président ou la présidente de la Collectivité européenne d’Alsace revendiquera une compétence particulière en matière transfrontalière au Land du Bade-Wurtemberg, celui-ci lui demandera de quelle compétence il s’agit et vantera d’avoir, lui, une vraie compétence en la matière.

La Collectivité européenne d’Alsace n’aura pour seule compétence que la possibilité de réaliser un schéma et d’être chef de file d’une coopération. Imaginez-vous qu’un nouveau département, la Collectivité européenne d’Alsace, sera chef de file de l’État ou tout simplement de la région Grand Est en matière de coopération transfrontalière ? C’est un leurre !

Vous avez dit, madame la rapporteur, que l’on avait même réussi à sauver l’amendement que j’avais déposé et qui a été adopté à l’unanimité visant à inscrire le volet sanitaire dans le schéma transfrontalier. Le volet sanitaire figurait dans la déclaration de Matignon ; je l’ai fait réapparaître dans le texte.

Toutefois, comme vous l’avez vu, l’Assemblée nationale s’est empressée de préciser qu’il devra être mis en cohérence avec le projet de santé émanant de l’agence régionale de santé. En d’autres termes, l’État sera toujours là et pleinement.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Oui, et c’est bien !

M. Jacques Bigot. Autre domaine de compétence, le bilinguisme. Je reprends à mon compte les propos de notre collègue Guy-Dominique Kennel, qui était à l’époque président du conseil départemental du Bas-Rhin et qui sait parfaitement que le bilinguisme et la convention qui est visée dans ce texte existaient déjà. Rien n’est neuf, si ce n’est un comité de coordination du bilinguisme qui a été institué par l’Assemblée nationale,…

M. André Reichardt. Et qui ne fera rien de nouveau !

M. Jacques Bigot. … dont on ne sait d’ailleurs pas ce qu’il apportera de particulier.

Ce texte permet aux fédérations sportives et culturelles professionnelles de s’organiser dans le périmètre de la Collectivité européenne d’Alsace. Que les fédérations sportives se soient organisées au sein de la région Grand Est en a choqué plus d’un, ce qui signifie peut-être que certains Alsaciens n’étaient pas tout à fait hostiles à cette organisation en grande région.

M. André Reichardt. Il y a des subventions à la clé !

M. Jacques Bigot. Ce texte permet des aménagements qu’il n’était pas nécessaire de préciser dans la loi. Il n’apporte rien.

J’en viens aux routes. Dès 2021, les départements recevront le transfert des routes. Ce qui était demandé – cela figure dans la déclaration de Matignon –, c’est que, à partir de ce transfert, une forme de taxation des poids lourds puisse s’organiser, sur le modèle allemand. Pour ce faire, il faudra une ordonnance, alors que, grâce au travail d’André Reichardt, ce texte prévoyait déjà la possibilité d’un financement immédiat.

M. Jacques Bigot. Je rappelle, madame la ministre, dans la déclaration de Matignon, que vous affirmiez : « Le Gouvernement s’engage à travailler sur des simulations juridiques et financières avec les deux départements du Rhin. » Je fais confiance à l’État et pense que ces simulations juridiques et financières seront d’une complexité telle que l’on dira que c’est totalement impossible.

Cela rassurera nos amis lorrains, qui avaient obtenu du Sénat, à l’unanimité des présents, y compris des Alsaciens, que ce qui se fera pour l’A35 puisse se faire aussi pour les routes de Moselle, de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. Nous étions d’accord, mais ce point a disparu des conclusions de la commission mixte paritaire.

Le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte. Mes collègues lorrains auraient voté contre, s’ils avaient été en séance ou si un scrutin public avait été organisé.

M. François Grosdidier. Les autres Lorrains voteront contre !

M. Jacques Bigot. À juste titre, les Lorrains se sont opposés à ce texte, et on peut les comprendre, notamment pour ce motif.

Le groupe socialiste et républicain n’a pas à s’opposer au souhait de fusion de deux départements. La décentralisation doit aller de l’avant. Ce texte est trop vide pour que nous puissions le soutenir. Toutefois, comme il n’apporte rien et n’enlève rien non plus,…