M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre droit est protecteur des libertés. C’est un fondement de notre démocratie, et nous y sommes tout particulièrement attachés.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’une intention louable : celle de renforcer la protection des libertés individuelles et de prendre en compte l’évolution de plus en plus violente des mouvements de contestation.

En particulier, cette proposition de loi vise les entraves à la chasse et les violences répétées menées contre certaines professions – j’y reviendrai.

Avant toute chose, je tiens bien sûr, au nom du Gouvernement, à condamner extrêmement fermement les violences de tout type. La liberté de contester et de s’opposer est un droit fondamental, la violence, elle n’est pas excusable.

Le Président de la République et le Premier ministre ont fait part, à l’issue du grand débat national, de leur volonté qu’un plan contre les violences soit mis en place. Avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, nous sommes pleinement mobilisés contre la banalisation de la violence et je veux vous dire notre détermination.

Aussi, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit d’étendre les dispositions de l’article 431-1 du code pénal sur le délit d’entrave, de deux manières : d’un côté, par la suppression de l’exigence de menaces pour une entrave portant sur la liberté d’expression, de travail, d’association ou de manifestation – l’expression « par des menaces » serait ainsi remplacée par l’expression « par tous moyens », beaucoup plus générale – ; de l’autre, par la création d’une cinquième forme d’entrave, réprimant « le fait d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi ».

Si je comprends parfaitement la volonté des auteurs de la proposition de loi, il ne m’est pas possible d’émettre un avis favorable à son sujet. En effet, le texte qui nous est proposé pourrait s’avérer contreproductif, parce qu’il rend trop flous les éléments constitutifs du délit d’entrave et qu’il existe un risque important que sa rédaction ne soit pas constitutionnelle.

J’ai bien noté qu’un amendement avait été déposé, afin de réécrire l’article du texte et d’apporter un certain nombre de précisions, mais cela ne modifie pas notre analyse – nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.

La rédaction retenue pour une nouvelle cinquième forme d’entrave demeure extrêmement large et imprécise. Les infractions ne sont pas suffisamment caractérisées. Leur spectre d’application est trop large, ce qui pourrait nécessairement comporter une part d’arbitraire dangereuse pour l’équilibre des droits. De ce fait, il est probable que de telles dispositions soient censurées par le Conseil constitutionnel.

Si cet obstacle est suffisant pour justifier la position du Gouvernement, les modifications apportées par la proposition de loi ne semblent du reste pas nécessaires au regard des objectifs du texte.

En effet, l’exposé des motifs fait état d’un certain nombre de cas où la proposition de loi s’appliquerait. Je ne vais pas en faire la liste, mais on compte notamment les blocus empêchant les spectateurs d’assister à des spectacles, les actions empêchant certains commerçants de réaliser leurs ventes ou encore, comme cela a été mentionné dans les travaux réalisés autour de la proposition de loi, pour entraver la pratique de la chasse.

Or il apparaît que toutes ces entraves sont d’ores et déjà couvertes par l’article 431-1 du code pénal ou sont sous le coup d’incriminations spécifiques. Pour ne citer qu’un exemple, l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement prévoit une sanction en cas d’obstruction à des actes de chasse. De fait, la proposition de loi ne paraît pas utile, et sa constitutionnalité est à nouveau questionnable au nom du principe de nécessité des peines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais qu’il y a, derrière cette proposition de loi, une crainte que vous rencontrez dans les territoires, celle de la recrudescence des actions violentes, menées notamment par les antispécistes.

Soyez assurés que Christophe Castaner et moi-même sommes pleinement mobilisés sur le sujet. D’ailleurs, la convention signée entre la gendarmerie et la FNSEA continue à se déployer, et la gendarmerie nationale a créé une cellule spécialement consacrée à ce phénomène, afin d’améliorer son action et de mieux travailler en coordination avec les services de renseignement, qui se mobilisent de plus en plus sur ces thématiques.

Comme je le disais au début de mon intervention, nous ne tolérons aucune violence et nous n’acceptons pas que ce phénomène puisse toucher gratuitement nos éleveurs, nos artisans ou nos chasseurs. Nous les soutenons et nous continuerons à chercher avec eux, avec les forces de l’ordre, avec les services de renseignement et les parquets, les meilleurs moyens pour les protéger.

Cette action que nous menons est une réalité : depuis le début de l’année 2019, sur l’ensemble du territoire national, quelque 800 actions effectuées au nom de la défense animale ont été recensées, toutes causes confondues – contre la chasse, la consommation de viande, les spectacles taurins, les parcs aquatiques ou encore la maltraitance animale.

Je tiens à rappeler que, face à ces actions délictuelles, les forces de sécurité sont pleinement engagées : elles réalisent, bien sûr, des opérations de sensibilisation auprès des publics visés, mais, surtout, elles interviennent immédiatement sur les lieux d’infraction, renforcées en tant que de besoin par des unités spécialisées dans le maintien de l’ordre. Elles conduisent également des investigations minutieuses, qui permettent d’identifier les auteurs de ces exactions et de les faire condamner.

À l’instar de M. le rapporteur, qui l’a fait à juste titre, je veux citer certains exemples. Je pense notamment, monsieur Cardoux, à cette intrusion d’antispécistes venus en autobus d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas pour bloquer un élevage de porcs à Courdemanges, dans la Marne, en s’enchaînant aux installations.

Un escadron de gendarmerie a immédiatement été déployé sur les lieux, en plus des renforts en unités locales, pour sécuriser le site. Le contrôle d’un certain nombre de militants a été opéré et des investigations judiciaires ont été lancées, y compris avec nos partenaires étrangers.

Je pense également – il est très important que vous le notiez – à l’interpellation en flagrant délit de sept militants qui tentaient d’incendier un abattoir sur la commune de Jossigny, action qui a pu être entravée grâce à l’action de nos services de gendarmerie : dix individus sont aujourd’hui mis en examen sous douze chefs d’inculpation et sont placés sous contrôle judiciaire.

Dans le département du Nord, face à la multiplication d’actions de vandalisme qui ont été perpétrées par des militants radicaux, notamment à l’encontre de boucheries, les investigations ont abouti à plusieurs opérations judiciaires au cours desquelles une dizaine d’individus ont été interpellés et condamnés à des peines allant parfois jusqu’à dix-huit mois de prison…

M. Jean Bizet. Avec sursis !

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. … et plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende.

Plusieurs actions d’opposants à la chasse ont également été conduites en 2019, notamment des occupations ciblées en forêt pour gêner les actions de chasse et rechercher la confrontation, notamment dans le cadre de la chasse à courre.

Face aux situations les plus sensibles – je pense aux départements de la Vendée ou de l’Oise –, la gendarmerie met systématiquement en place un large dispositif de sécurité pendant la période de chasse, notamment des patrouilles à cheval. En outre, les unités sont mobilisées pour renseigner sur tout affrontement ou toute présence suspecte d’individus, notamment des opposants à ce type de chasse ; bien évidemment, elles interpellent les fauteurs de troubles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous rappeler ces actions pour affirmer que le Gouvernement partage bien évidemment l’objectif de ce texte. Toutefois, la rédaction de celui-ci semble beaucoup trop générale pour passer la rampe de la constitutionnalité, d’autant que le droit existant permet d’engager des actions pour protéger les libertés auxquelles vous êtes attachés et qui s’exercent notamment dans les domaines et activités que vous avez cités ; les exemples que je viens de donner l’attestent, s’il le fallait.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd’hui se justifie par la multiplication d’actes de militants antispécistes contre des lieux et des activités symboliques de la filière viande, comme les parties de chasse, les élevages bovins ou autres, les abattoirs et les boucheries.

Le respect de l’autorité de la loi et des droits qu’elle consacre a toujours été défendu par le groupe RDSE. Nous condamnons donc toujours les débordements que l’on observe – boucheries vandalisées et d’abattoirs incendiés. Ce sont des atteintes aux biens défendues par le code pénal, qui méritent d’être poursuivies et sanctionnées. Elles le sont d’ailleurs déjà, dans les conditions que permet notre système carcéral à bout de souffle, une réalité administrative qui n’échappe à personne ici.

Notre rapporteur nous a indiqué ce matin avoir reçu la confirmation de la Chancellerie que des instructions avaient été transmises, afin de mieux sanctionner les entraves lorsqu’elles entrent dans le champ de l’article 431-1, ainsi que les intrusions, les vols et violences avérés. C’est donc la preuve que notre collègue Jean-Noël Cardoux a été entendu et que le droit en vigueur permet déjà, à lui seul, à condition d’être mieux appliqué, de protéger les intérêts des professionnels concernés.

Conformément aux arguments juridiques de clarté de la loi pénale et de proportionnalité qui ont été avancés en commission des lois, nous nous inquiétons des atteintes aux libertés d’expression et de manifestation qui pourraient en résulter, y compris d’ailleurs pour les professions que la proposition de loi vise à protéger ! Ces réserves ont d’ailleurs donné à un premier rejet du texte par la commission des lois.

Pour y remédier, la proposition de loi remplace les termes « à l’aide de menaces » par les termes « par tous moyens ». En outre, la notion de délit d’entrave serait étendue, cette fois aux actions visant à « empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi ».

La mention « par tous moyens » pourrait donner lieu à des interprétations plus extensives dans les juridictions, alors que la rédaction actuelle bénéficie d’une interprétation stable et restrictive.

En commission, nos voix ont été à l’unisson pour s’opposer à l’adoption de dispositions pénales manquant de caractérisation, donc de clarté.

Dans la même veine, le principe de proportionnalité des peines, constitutionnellement garanti, s’oppose à ce que soient sanctionnées de la même manière des entraves à l’exercice des libertés fondamentales et celles d’activités de loisirs ou encore toute autre activité, simplement parce que celles-ci seraient « autorisée[s] par la loi ».

Par ailleurs, lorsque l’article 431-1 a été inséré dans le code pénal, l’objectif était de créer un délit spécifique pour sanctionner la perturbation de l’exercice de certaines libertés fondamentales, avec des garde-fous : il faut prouver une action concertée et l’existence de menaces. En plus de cet article existent d’autres dispositions pénales permettant de condamner les auteurs de violences ou menaces de violences.

En définitive, si nous nous indignons face à tout ce qui fait obstacle à l’exercice de libertés, une majorité du groupe RDSE considère qu’il n’est pas opportun d’élargir le champ d’application de l’article 431-1 du code pénal.

Or les dispositions de l’amendement Prince, qui ont obtenu l’avis favorable de la commission des lois ce matin, ne permettent pas de lever toutes nos inquiétudes. Leur adoption rajouterait en effet un risque d’instabilité jurisprudentielle, en insérant les notions d’« obstructions ou intrusions ». En outre, elles ne restreignent pas suffisamment l’application du délit d’entrave aux activités sportives ou de loisir. La notion d’activité « exercée dans un cadre légal » nous paraît trop vaste.

Nous sommes toutefois désireux d’apporter une réponse utile au problème posé par ces « obstructions ou intrusions », qui sont une source d’angoisses pour nos concitoyens sur le terrain.

C’est pourquoi nous proposons de différer ce débat, afin de nourrir une réflexion plus approfondie sur la façon de faciliter les modalités d’indemnisation des personnes lésées par ces comportements d’obstructions très pénalisants. Cela permettra d’ailleurs de mieux associer les représentants des activités concernées, ainsi que les acteurs chargés de l’application du texte.

Des voies de recours sont déjà prévues en matière commerciale et pourraient par exemple être étendues aux chasseurs en s’inspirant de la jurisprudence du 5 juillet 2018 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci reconnaît ainsi que « l’impossibilité psychologique de pratiquer une activité de loisirs constitue un préjudice d’agrément indemnisable ». Ces pistes, comme d’autres que nous pourrions explorer, nous paraissent plus adaptées aux attentes exprimées.

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi s’inscrit dans la suite logique du texte que nous avons adopté au mois de juillet dernier et qui a abouti à la création de l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, l’instauration d’une écocontribution et la décision de confier des missions nouvelles aux fédérations départementales des chasseurs.

Ce texte a aussi et surtout renforcé les prérogatives et les missions de la police de l’environnement, en regroupant ceux qui exerçaient déjà à l’AFB et à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, afin d’avoir un corps unique et des équipes départementales renforcées.

Dois-je rappeler que nous sommes le seul pays en Europe à dispose d’une police spécialisée de l’environnement, avec des effectifs de plus de 2 000 professionnels qualifiés ?

N’oublions jamais que, si nous avons cette police rurale unique, nous le devons aux fédérations de chasseurs et de pêcheurs qui avaient créé elles-mêmes, voilà plusieurs décennies, une garderie spécialisée pour lutter contre le braconnage et les dégradations de la nature. C’est ensuite l’État qui en a fait le corps de fonctionnaires que nous connaissons aujourd’hui et qui est placé sous la double tutelle des ministères de l’écologie et de l’agriculture.

La loi du mois de juillet dernier a permis de franchir une nouvelle étape qui répond à notre priorité de conduire une politique ambitieuse pour le maintien de la biodiversité ordinaire partout dans notre pays et dans nos territoires d’outre-mer. C’est d’ailleurs le chef de l’État lui-même qui a demandé que cette police soit affichée comme police rurale ; en ce sens, c’est exemplaire.

Cette police des territoires, des espaces naturels, agricoles et forestiers et de l’eau est aussi une demande forte et insistante des gestionnaires que sont les agriculteurs, les forestiers, les élus locaux et, bien sûr, les chasseurs et les pêcheurs. Tous demandaient que la police rurale ne soit pas le parent pauvre des politiques publiques.

Il y a longtemps que la faiblesse des effectifs départementaux de la police de l’environnement inquiétait ceux qui exercent tous les jours ce travail sur le terrain. Les chasseurs, les pêcheurs et les maires ruraux ont été les premiers à demander que la police rurale retrouve des effectifs, des moyens et des prérogatives pour agir contre toutes les formes de dégradation ou de braconnage qui menacent la biodiversité et la vie dans nos campagnes. Chacun sait que la gendarmerie nationale, qui a fait un travail remarquable et permanent dans nos territoires ruraux, ne peut plus tout faire, compte tenu de l’élargissement de ses missions.

Les espaces naturels sont de plus en plus fréquentés et, par conséquent, de plus en plus dégradés par ceux qui ont l’intime conviction que la nature appartient à tout le monde, qu’il existe des droits pour chacun, mais aucun devoir pour d’autres et que, au bout du compte, cela n’a pas d’incidence.

Toutefois, malgré tous ces renforcements, cela ne suffit pas pour prendre en compte les nouvelles formes de violence qui commencent à se développer dans nos campagnes. Comme mes collègues, je crois indispensable de faire évoluer le droit, afin que l’on puisse donner une réponse à de nouveaux types d’entraves qui se multiplient contre des activités tout à fait légales.

Depuis peu, les actions violentes commises par des groupuscules antispécistes, animalistes ou véganes se sont multipliées et deviennent insupportables pour tous ceux qui sont respectueux des lois de la République. Au nom de quelle idéologie sectaire certains peuvent-ils se permettre d’entraver des activités totalement légales, en vertu d’un ordre moral qui leur appartient ?

Les chasseurs, les pêcheurs, les agriculteurs, les éleveurs, les bouchers et les poissonniers, comme bien d’autres ruraux, sont des femmes et des hommes qui méritent le respect et qui doivent pouvoir exercer leur passion ou leur métier sans la moindre menace, dès lors qu’ils pratiquent ces activités dans le respect des lois de la République.

Cette radicalisation de groupes extrémistes de la défense animalière doit être prise en compte à l’échelon de la sécurité intérieure, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays.

Bien sûr, cela ne doit pas empêcher chacun de pouvoir se nourrir comme il l’entend et, au nom de la liberté d’expression, de tenter, s’il le souhaite, de convaincre le maximum de ces concitoyens de changer leurs habitudes alimentaires.

Néanmoins, cela ne peut se passer que dans le respect d’autrui et non avec des méthodes d’obstruction, des menaces ou des actes de violence qui doivent conduire l’État à une vigilance accrue et à une sévérité à toute épreuve, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. François Patriat. Il faut donner à nos forces de police et de gendarmerie, tout d’abord, et aux juges, ensuite, les moyens d’intervenir avec efficacité.

C’est sur ce point et seulement sur celui-ci que j’exprime quelques réserves sur cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle. Qui trop embrasse mal étreint : cette expression chère à Jean-Noël Cardoux est sans doute la parfaite illustration de ce texte, qui ne donne pas une définition assez stricte au regard de l’exigence constitutionnelle de précision et de clarté de la loi pénale.

L’autre volet des critiques de la commission des lois me semble plus discutable, car je ne crois pas que, en l’état du droit, les dispositions législatives existantes soient suffisantes pour réprimer efficacement la majorité des infractions visées.

Il n’est pas envisageable de ne pas donner les moyens à une police rurale unifiée et départementalisée, avec d’ici peu, grâce à la future loi Lecornu, un renforcement des prérogatives des maires en termes de police, et de ne pas renforcer la surveillance et la répression contre les actions, obstructions, intrusions et menaces en tout genre.

Si nous ne le faisons pas, nous allons au-devant de réactions incontrôlées de la part de citoyens pratiquant des activités légales et qui, ne se sentant plus défendus, auront envie de se faire justice eux-mêmes, ce qui serait la pire des situations.

Pour ma part, je considère que cette proposition de loi va franchement dans le bon sens,…

M. François Patriat. … même si elle n’est pas suffisamment précise pour être applicable sur le terrain.

D’ailleurs, si une partie du groupe LaREM la votera, une autre s’abstiendra et une troisième se prononcera contre.

M. François Bonhomme, rapporteur. Encore un effort ! (Sourires.)

M. François Patriat. Ce n’est déjà pas mal, monsieur le rapporteur ! En outre, à titre personnel, je la voterai. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

C’est ce qu’attendent de nous celles et ceux qui vivent et travaillent dans nos campagnes et exercent un métier ou une passion respectable, qui donne du sens à leur vie quotidienne et qui est un véritable mode de vie.

Mes chers collègues, à nous d’être à la hauteur et de produire un texte qui réponde à cette attente de bon sens et mette un terme à l’activité de ces groupuscules sectaires qui méprisent la démocratie, fût-elle participative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « blocus, interruptions de représentation, invasions de terrains, huées… » : tels sont les exemples cités dans l’exposé des motifs du texte soumis à notre examen.

À en croire l’argumentaire de la droite sénatoriale, ces éléments de contestation, aujourd’hui parfaitement légaux, devraient être réprimés sous prétexte que « contrevenir à la loi, ce n’est pas nécessairement faire ce qu’elle interdit ; c’est aussi empêcher ce qu’elle autorise ». En somme, ces moyens d’action seraient davantage « l’expression de convictions que de droits ».

Ne nous leurrons pas : il est proposé ici de brider toutes les pratiques venant témoigner du moindre soupçon de défiance à l’égard de l’ordre établi.

M. François Bonhomme, rapporteur. De l’ordre bourgeois, tant que vous y êtes ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Esther Benbassa. Déjà, au mois de novembre 2018, le groupe CRCE avait demandé par voie de communiqué de presse le retrait de ce texte de l’ordre du jour.

Après la loi gouvernementale répressive venue encadrer le droit à manifester au mois d’avril dernier, c’est cette fois la majorité sénatoriale qui s’attaque à nos libertés fondamentales, par un texte choquant tant sur le fond que sur la forme.

Sur la forme, en nous soumettant cette proposition de loi, Les Républicains se prêtent à un exercice juridique particulièrement curieux. Tout d’abord, ce texte est anticonstitutionnel et sera sans aucun doute retoqué par le Conseil des sages s’il est adopté. Ensuite, il vient dénaturer l’article 431-1 du code pénal, qui sanctionne les entraves à la liberté d’expression. Ce dispositif va donc à contresens du droit positif.

Mes chers collègues, la philosophie liberticide et antidémocratique de ce texte est profondément inquiétante. Nous ne pouvons tolérer les entraves aux mobilisations citoyennes, dont la tradition s’inscrit dans l’histoire de la France et constitue son ADN.

M. Jean Bizet. Et qui fait le mal français !

Mme Esther Benbassa. Pensez aux suffragettes, par exemple.

Comment oublier que nous devons la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux révoltes du peuple français contre ses élites ? Comment oublier que les congés payés ont été obtenus par les piquets de grève de 1936 ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Cela n’a rien à voir !

Mme Esther Benbassa. Comment oublier le courage et la persévérance de ces milliers d’étudiants qui ont fait plier le gouvernement Villepin sur le CPE, le contrat première embauche, en 2006 ?

Des écologistes aux étudiants de Nuit debout, en passant par les « gilets jaunes », nombreux sont les exemples de revendications citoyennes ayant nourri la culture politique de notre pays.

M. Jean Bizet. En somme, vive l’anarchie !

Mme Esther Benbassa. Protester, manifester, faire entendre sa voix et ses convictions est une coutume bien française à laquelle nous ne sommes pas près de renoncer.

Mme Esther Benbassa. Vous cherchez aujourd’hui à rendre inconciliables certains droits : le droit de grève et le droit de travailler, le blocus devant un supermarché et le droit de consommer, le droit de manifester des lycéens et leur droit d’étudier, le droit de défendre les animaux et le droit de pratiquer la chasse à courre.

Mme Esther Benbassa. Par votre vision manichéenne du monde, vous scindez la Nation en deux, avec, d’un côté, ceux qui se complaisent dans l’ordre établi, et, de l’autre, ceux qui militent pacifiquement pour le changement.

La plupart des mouvements citoyens ne sont pas mus par la haine, la violence et le rejet de l’autre. Beaucoup usent des moyens d’action collective pour exprimer leur envie d’entrer dans une ère nouvelle, plus sociale et égalitaire, plus respirable et durable.

Les revendications écologistes et féministes sont ces dernières années intrinsèquement liées à la désobéissance civile : faucheurs d’OGM, les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de Bure, les animalistes, les décrocheurs du portrait du président Macron, les grévistes pour le climat, les militantes protestant contre les féminicides…

Ce que vous souhaitez, somme toute, c’est une uniformisation de la société. Vous désirez une France où chacun pense de la même manière et, de préférence, comme vous.

Au risque de vous décevoir, tant qu’une opposition parlementaire comme la nôtre existera, tant qu’une jeunesse sera prête à se lever pour ses idées, tant qu’une gauche sociale et écologique s’exprimera dans ce pays, vous ne parviendrez probablement pas à vos fins et vos tentatives de nous museler seront vaines.

M. François Bonhomme, rapporteur. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. C’est surréaliste !

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, ce texte a été rejeté en commission. Nous espérons donc qu’une majorité agira de la même manière en séance. (M. le rapporteur sexclame.)

Par ailleurs, monsieur Bonhomme, merci de me laisser parler ! Pour ma part, je ne vous ai pas interrompu. C’est une entrave à ma liberté d’expression ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui vise à apporter une réponse plus efficace à des agressions qui se multiplient.

En effet, depuis quelques années, de nouvelles menaces liées à des groupes extrémistes de défense de la cause animale sont apparues, occasionnant des attaques contre des boucheries ou des étals, des intrusions dans des exploitations agricoles, allant jusqu’à l’incendie d’un abattoir. Voilà qui n’est pas très pacifique ! Ainsi, au cours de l’année 2018, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs a recensé une cinquantaine d’agressions.

De même, les entraves à la chasse se sont multipliées : des permanences de chasseurs ont été saccagées, des interventions en forêt ont parfois présenté un danger pour les cavaliers… J’ai moi-même reçu des menaces de mort en inaugurant une maison de la chasse,…