Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur, le sport n’est pas épargné par les violences sexuelles, pour des raisons que le rapport a parfaitement soulignées.

Nous avons cherché à approfondir trois aspects, dans tous les milieux sportifs : la prévention, le signalement et le contrôle.

Prévenir suppose à la fois de mieux former les intervenants et de renforcer la sensibilisation. Je peux vous assurer que la ministre des sports est particulièrement concernée par ce sujet.

Depuis le premier semestre de 2019, la formation des cadres et des éducateurs sportifs intègre un module spécifique sur les violences sexuelles. C’est la première étape d’un plan de formation plus complet qui va mettre en place des modules spécifiques et obligatoires à destination des agents de la jeunesse et des sports.

Il est important de rappeler à l’éducateur qu’il est en position d’autorité par rapport à la personne qu’il encadre. J’assistais récemment avec la ministre des sports et l’association Colosse aux pieds d’argile au lancement de ce tour de France au Creps d’Île-de-France. Il était assez étonnant de découvrir la réaction des professionnels à cette sensibilisation. Leurs pratiques habituelles étaient subitement remises en cause, et on les voyait s’interroger sur la relation qu’ils entretiennent avec leurs élèves. C’est tout l’objet de cette sensibilisation, lancée depuis le 28 août dernier par le ministère des sports, qui soutient financièrement Colosse au pied d’argile ainsi que d’autres associations.

S’agissant du signalement des violences, nous travaillons à mieux informer les établissements et les structures de formation à travers une nouvelle collection d’outils, notamment des fiches réflexes pour mieux sensibiliser et accompagner les agents. Les mineurs doivent aussi davantage participer au signalement : un guide juridique à leur destination a été élaboré en octobre 2018.

Enfin, nous devons être plus vigilants sur le contrôle des intervenants et la question des bénévoles. Nous avons encore évoqué le sujet ce matin même, lors d’un déplacement avec la ministre au Creps des Hauts-de-France. En revanche, la question des modalités de mise en œuvre reste posée : par quel biais pouvons-nous contrôler l’honorabilité des bénévoles ? Faut-il en passer par une licence ou un autre dispositif ? La ministre est en train d’expertiser cette question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Nous débattons aujourd’hui d’un sujet extrêmement grave, qui touche à la dignité de nos enfants. En effet, en 2017, 8 788 plaintes pour viol et 14 673 plaintes pour atteintes sexuelles sur mineurs ont été enregistrées. Mais combien de souffrances échappent à notre lecture ?

Comme le disait le juriste Denys de Béchillon, la correction des erreurs doit pouvoir suivre l’essai ; l’auteur de la norme doit pouvoir la reprendre ou l’amender assez aisément si l’expérience l’a vérifiée inappropriée, inefficace, voire dangereuse.

Ainsi, une double prévention est nécessaire : le signalement par l’entourage, d’une part, la facilitation de la libération de la parole, d’autre part. En complément, un recueil d’informations plus large doit également être établi. En effet, les démarches visant à accroître la connaissance du phénomène sont consubstantielles à celles qui visent à l’enrayer. Ces démarches doivent avoir pour triple finalité de déterminer selon quels indicateurs évaluer l’efficacité des mesures, vers quels secteurs porter l’attention du législateur et quelles sont les méthodes de prévention ou de lutte contre la récidive les plus appropriées dans les institutions.

Je tiens à saluer l’excellent et remarquable travail réalisé par la mission commune d’information, en particulier par sa présidente, Catherine Deroche, ainsi que par nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, dont le rapport propose la création d’un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs, affilié à l’Observatoire national de la protection de l’enfance. Cet observatoire aurait notamment pour rôle la réalisation d’enquêtes épidémiologiques et criminologiques, sur le modèle de l’enquête Virage sur les violences faites aux femmes. Cette enquête aurait évidemment plus d’impact en étant établie selon un rythme régulier.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quel est votre avis sur la fonction de cet observatoire ? Quelle fréquence pourrait être envisagée pour ses études et quels moyens souhaitez-vous y consacrer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La mission a été étonnée de constater à quel point nous disposions de peu de données sur les violences sexuelles. Mon étonnement fut le même quand je suis arrivé au ministère. Les informations étaient également rares sur les trajectoires et les parcours des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, que l’on ne connaît pas. Or le pouvoir exécutif et les parlementaires ne peuvent pas mener des politiques publiques sans avoir une connaissance précise des personnes auxquelles elles s’adressent.

L’Observatoire national de la protection de l’enfance mène toutefois un certain nombre d’études. Des rapports assez documentés sur le plan scientifique ont également été rédigés récemment. Je pense en particulier au rapport assez dense du CNRS de 2017 sur les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineurs. L’enquête de victimisation Virage de l’INED, que vous évoquiez à l’instant, madame la sénatrice, apporte notamment un éclairage sur l’articulation entre âge et exposition aux violences sexuelles et des données précises sur les impacts de ces violences dans le temps.

Pour autant, je vous rejoins sur ce point, nous devons améliorer notre connaissance de la protection de l’enfance dans son ensemble, qu’il s’agisse des violences sexuelles, des violences dans leur ensemble et de l’efficacité de notre système de protection de l’enfance.

Ce sujet recoupe celui de la gouvernance de la politique publique de protection de l’enfance. Comme vous le savez, elle est partagée entre l’État et les départements, qui en assurent la mise en œuvre très concrète dans les territoires. Nous devons améliorer ce pilotage conjoint. Nous devrions en la matière nous doter d’un véritable outil de recherche et de connaissance statistique – pourquoi pas un observatoire ? – dans lequel d’autres institutions, comme la Drees, par exemple, qui a des données statistiques, auront un rôle à jouer. Nous travaillerons au développement de ce projet l’année prochaine, pour une mise en place effective, je l’espère, au 1er janvier 2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. La mission d’information du Sénat ne traitait pas des infractions sexuelles commises dans le cadre familial, mais nous savons, chiffres à l’appui, que ce sont de loin les plus nombreuses.

L’un des axes de nos travaux porte en revanche sur la prévention de ces actes. Or, après les membres de la famille, les enseignants sont les adultes les plus fréquemment en contact avec les enfants et adolescents. Ils ont donc, de fait, un rôle non négligeable à jouer dans la détection des infractions sexuelles qui pourraient être commises à l’encontre de leurs élèves.

Sans prétention d’exhaustivité, nos auditions ont permis de dégager des « signaux d’alerte » qui peuvent permettre de reconnaître un enfant ou un adolescent victime : changement brutal de comportement ou de niveau scolaire, apparition de troubles auparavant absents, gestes sexualisés sans rapport avec ce qui est habituel pour un enfant de cet âge, etc. Aussi, pour que davantage d’infractions sexuelles puissent être détectées et ainsi stoppées dès le plus jeune âge, il me paraît essentiel d’intégrer à la formation des enseignants de l’éducation nationale un volet lié à l’identification de ces signes.

Par ailleurs, notre commission a souligné le rôle majeur joué par l’éducation nationale dans la sensibilisation aux violences sexuelles et à leur prévention auprès des enfants et adolescents. Or nous avons constaté que l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire n’est souvent pas effective, alors qu’elle pourrait justement permettre aux jeunes d’identifier plus facilement les limites que les adultes ne doivent pas franchir dans le cadre d’une classe. Là encore, les enseignants sont souvent peu formés et incapables de dispenser de tels « enseignements » à leurs élèves.

Monsieur le secrétaire d’État, j’en suis convaincu, la formation et la sensibilisation des enseignants constituent un levier important de la lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des enfants. Le Gouvernement entend-il l’activer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Oui, nous comptons l’activer, monsieur le sénateur.

Nous partageons votre point de vue sur le rôle que peuvent jouer les enseignants et l’importance de la formation et de la sensibilisation de ces personnels à la prévention et la détection des violences. Ils sont dans une position privilégiée pour transmettre les valeurs de respect du corps et de la dignité, sensibiliser les enfants aux violences sexuelles et repérer les situations d’abus ou de maltraitance. Il est donc essentiel qu’ils soient formés aux comportements à adopter, aux informations à communiquer et aux procédures à mettre en œuvre. C’est déjà le cas, en grande partie.

La formation, qu’elle soit initiale ou continue, est une obligation légale inscrite dans le code de l’éducation. Lors du cursus initial, une formation pluridisciplinaire à la prévention des violences, notamment sexuelles, est prévue pour le personnel scolaire. Dans le cadre de la formation continue, l’accent est mis sur la sensibilisation au repérage de signaux d’alerte, la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux ou encore l’acquisition de compétences pour protéger les enfants en danger ou qui sont susceptibles de l’être.

Par ailleurs, tous les ans, un séminaire de formation dédié spécifiquement à l’éducation à la sexualité est inscrit dans la formation continue des cadres de l’éducation nationale.

En outre, le site Éduscol met à disposition de plus en plus de ressources pour aider les acteurs à repérer ces problématiques, à agir et à sensibiliser au moyen de guides, de plaquettes, de fiches techniques et de petits films.

Le problème ne réside donc pas tant dans le contenu que dans l’accès à celui-ci. Les efforts réalisés pour faire connaître davantage ces ressources exigent probablement un peu de temps pour que les effets soient véritablement visibles. Il faut donc que, sur le terrain, les professionnels de la protection de l’enfance et de l’éducation nationale se connaissent et travaillent plus souvent ensemble. Quand on se coordonne, que l’on partage l’information et que l’on essaye de développer une culture commune, cela se passe généralement tout de suite beaucoup mieux.

Enfin, sachez que nous travaillons avec le ministre de l’éducation nationale sur la question de la sensibilisation des enfants, dès la dernière année de maternelle, dans le cadre de l’éducation à la sexualité. Des annonces interviendront en novembre.

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.

Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune dinformation. Je tiens à remercier le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir accepté la tenue de ce débat sur les conclusions du rapport de notre mission commune d’information, fruit d’un travail de plusieurs mois ayant donné lieu à de nombreuses auditions.

Je tiens également à remercier nos collègues qui se sont exprimés cet après-midi. Leurs questions très pertinentes ont permis d’aborder, avec des exemples concrets, la plupart des propositions que nous avions formulées dans notre rapport.

Je tiens enfin à remercier le secrétaire d’État, Adrien Taquet, pour les réponses qu’il nous a apportées. Je sais que ce jeu de questions-réponses est difficile, compte tenu de la grande variété des sujets qui sont abordés, mais aussi du temps contraint du débat.

La politique de lutte contre les violences sexuelles est par nature transversale : elle implique un grand nombre d’acteurs, dont les départements et les communes. Nous avons d’ailleurs constaté combien ces dernières ne connaissaient pas les dispositions auxquelles elles pouvaient se référer pour tenter de protéger au mieux les jeunes qu’elles accueillent. Nous nous réjouissons donc qu’un membre du Gouvernement soit spécifiquement chargé de ce sujet, et nous vous faisons confiance pour la suite de votre action, monsieur le secrétaire d’État.

Enfin, je reviens sur un sujet que nous n’avons pas traité de façon complète dans nos travaux : le signalement. Nous ne voulions pas revenir sur la loi Schiappa, qui s’appliquait seulement depuis quelques mois. Cependant, nous souhaitions poursuivre le débat.

La commission des lois et celle des affaires sociales ont accepté qu’un groupe de travail spécifique soit formé pour examiner cette question. Deux rapporteurs de la commission des affaires sociales et deux de la commission des lois ont déjà mené sept auditions cette semaine.

L’objectif est de voir comment l’arsenal législatif existant est appliqué, quelles sont ses limites, quelles sont les améliorations à y apporter avant d’imposer une obligation de signalement. Nous souhaitons disposer d’un véritable état des lieux de l’existant et de la connaissance par les professionnels de santé, en particulier les médecins, mais aussi les travailleurs sociaux et les ministres du culte. Nous recevrons prochainement le président de la Conférence des évêques de France, et il faut savoir que la jurisprudence assimile depuis longtemps le secret de la confession ou secret sacerdotal à un secret professionnel.

Nous rendrons nos travaux prochainement et souhaitons évidemment qu’ils soient suivis d’effets. Les pistes que vous avez tracées sont plutôt encourageantes, monsieur le secrétaire d’État, mais nous serons très attentifs à vos prochaines annonces et nous verrons, lors du PLFSS et du PLF, si toutes les charges que l’on impute à d’autres dont effectivement suivies d’effets budgétaires permettant de les assumer. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Santé en Guyane

Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires sociales, sur la santé en Guyane.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, auteur de la demande.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce vaste territoire de France couvert de forêt amazonienne qu’est la Guyane possède, nous le savons tous, d’innombrables atouts ; mais, pour des raisons évidentes, tenant à sa géographie et également du fait de son contexte démographique et social, la Guyane fait aussi face à des défis singuliers.

Singuliers, ces défis le sont au regard de ceux de l’Hexagone, mais aussi de ceux des autres régions ultramarines. C’est à juste raison que, ici, nous parlons toujours des outre-mer au pluriel : nous savons bien que, si le copier-coller est une tentation, plaquer la même grille de lecture sur tous les territoires serait évidemment inopérant. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le Sénat consacre un temps spécifique à la santé en Guyane. Je me réjouis donc de la tenue de ce débat, qui nous permet de faire le point sur l’action menée par le Gouvernement, plus de deux ans après les accords de Cayenne, qui ont mis fin à un mouvement social dans lequel les questions de santé étaient sous-jacentes.

Lors d’une mission sur place, au printemps 2018, la commission des affaires sociales a été interpellée par la situation sanitaire guyanaise. Ce territoire nous est apparu comme une caisse de résonance des défis qui se posent à notre système de santé.

La démographie, cinq fois plus dynamique que la moyenne nationale, met tout le système en tension. Nous avons rencontré des équipes de soins engagées et dévouées, à l’instar de celles de métropole, mais que leur environnement général conduit, en pratique quotidienne, à l’épuisement : vétusté des équipements, précarité sociale des populations prises en charge – 20 % à 30 % des patients reçus à l’hôpital sont sans couverture sociale ou sans papier –, indicateurs de santé dégradés ; toutes difficultés auxquelles s’ajoutent le manque de professionnels et l’important turnover des équipes.

La crise survenue dès mai 2018 aux urgences de l’hôpital de Cayenne en a donné une illustration. Cette crise prend racine dans des déterminants multiples et profonds.

L’accès aux soins figure au premier rang de ces défis. L’enclavement des zones de l’intérieur le transforme en parcours du combattant pour une partie de la population. De fait, moins de la moitié des dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins qui maillent le territoire offrent une présence médicale continue.

Dans ce contexte, des initiatives intéressantes nous sont apparues encore trop peu exploitées, comme le développement d’hôtels hospitaliers permettant de réduire la pression sur les services. En outre, le coût des évacuations sanitaires, qui pèse sur les budgets des établissements de santé, mérite, nous semble-t-il, un traitement spécifique.

Sans surprise, l’ensemble de la Guyane est classé déficitaire en offre de soins, avec moins de 600 médecins en activité. L’hôpital subit les carences de l’amont – l’offre libérale parfois quasi inexistante – comme de l’aval – des structures médico-sociales d’accueil en nombre largement insuffisant.

Tous les métiers de la santé sont en souffrance, mais le manque se fait, dans certaines spécialités, particulièrement criant. C’est le cas en pédiatrie et en néonatalité, alors que la Guyane enregistre 9 000 naissances par an et que 40 % de sa population a moins de vingt ans.

Bien évidemment, en Guyane comme dans toutes les régions, la question de l’attractivité pour les professionnels de santé est étroitement corrélée à des enjeux plus globaux d’attractivité du territoire, auxquels les élus guyanais sont particulièrement attentifs. Toujours est-il que des leviers d’action sont mobilisables pour adapter l’organisation de l’offre de soins à ces défis.

Ainsi, il me semble que la Guyane devrait être à l’avant-garde de la transformation souhaitée de notre système de santé, en s’appuyant sur l’innovation. Je pense notamment aux coopérations entre professionnels de santé, qui pourraient faire des sages-femmes ou des infirmiers un relais pour développer la prévention. À cet égard, nous reviendrons sur les constats dressés par la Cour des comptes en ce qui concerne le VIH, dans un rapport établi à la demande de notre commission.

Les enjeux de la formation des professionnels de santé sont également majeurs. J’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’importance d’offrir sur place des terrains de stage aux futurs médecins et de développer les formations d’infirmier et de sage-femme. Sans être un CHU, le centre hospitalier de Cayenne présente des services de pointe, par exemple en matière de maladies infectieuses, qui méritent de servir de centres de référence au plan national et de catalyseurs de l’attractivité médicale dans la région.

Il me semble également que nous ne tirons pas pleinement parti du recours, déjà possible en Guyane, à des médecins diplômés hors de l’Union européenne ; la réflexion nous a souvent été faite, monsieur le secrétaire d’État, et je crois qu’il faut en tenir compte. Nous avons, au Sénat, pris l’initiative d’étendre ce dispositif aux Antilles lors de l’examen de la loi Santé. Je souhaite que le cadre rénové mis en place contribue à faciliter ces recrutements, étant entendu que, évidemment, nous devons rester intransigeants sur la qualité de la formation de ces médecins. Nous pensons en particulier à Cuba, où la formation à la médecine est particulièrement intéressante.

Alors que le Gouvernement a missionné sur place de multiples experts, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, sur les leviers que vous entendez actionner pour répondre à l’urgence de l’attractivité médicale de la Guyane et au malaise de ses équipes de soins ?

D’autres défis rejoignent pour partie la situation exceptionnelle de Mayotte, où j’ai souhaité que la commission se rende en mission l’année prochaine. Ainsi, la pression migratoire accentue les enjeux d’accès aux droits et aux soins. Pour ces deux territoires, le Premier ministre a confié en 2018 à notre ancienne collègue Dominique Voynet et au préfet Marcel Renouf une mission sur la coopération transfrontalière. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ces travaux ?

Ce débat nous permet d’aborder sous le prisme de la santé des enjeux transversaux, dont cette intervention liminaire n’aura offert qu’un panorama succinct et incomplet. Aucune question ne trouve de réponse aisée, mais vous pouvez compter, monsieur le secrétaire d’État, sur notre volonté partagée de rechercher ensemble les solutions les mieux adaptées aux défis sanitaires d’un territoire riche de sa jeunesse et de sa diversité. Puisse ce débat y contribuer ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi de débattre de la Guyane. Permettez-moi de saisir cette occasion de rendre hommage à un grand homme politique qui nous a quittés tout récemment après avoir marqué notre Ve République, car il était un ami des outre-mer, parmi lesquels la Guyane, qu’il visita à neuf reprises comme Président de la République. « C’est grâce, en grande partie, à ces terres de l’outre-mer français que la France est et reste une grande Nation », disait-il.

Son parcours et ses décisions ont marqué profondément nos territoires ultramarins. Je songe en particulier à la décision de faire du 10 mai la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.

Il avait compris bien avant nous la richesse de ce territoire, ses spécificités et ses défis, immenses, à la mesure d’un territoire où, peut-on penser, tout n’est qu’extrême. De fait, la population guyanaise a plus que doublé en vingt ans : les moins de vingt ans représentent 42 % de la population, contre moins de 24 % dans l’Hexagone. Mais l’espérance de vie est en Guyane inférieure de deux ans à celle observée en métropole. Par ailleurs, il y a sur le sol guyanais dix fois plus d’homicides que dans l’Hexagone.

L’économie locale est nourrie à 90 % par la commande publique. La Guyane, qui compte seulement soixante et un médecins pour 100 000 habitants, présente en outre un taux d’équipement trois fois inférieur à la moyenne nationale.

Comme vous l’avez expliqué, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en vous appuyant sur le voyage que votre commission a accompli en Guyane, le diagnostic en matière de santé est sévère.

Je saisis cette occasion de m’excuser auprès des parlementaires guyanais, du président de la collectivité et de toutes les autorités locales d’avoir dû reporter, à mon grand regret, la visite que je devais faire sur place. J’accomplirai d’ici à la fin de l’année ce déplacement consacré à la protection de l’enfance et, plus globalement, aux questions qui nous rassemblent cet après-midi.

Oui, la Guyane connaît des difficultés particulières, liées notamment à son territoire, à sa démographie et à son histoire. Ce n’est pas un hasard si, quelques mois après son élection, le Président de la République s’est rendu sur place : la Guyane est connue comme l’un des territoires les plus difficiles et les plus en crise de nos outre-mer.

Dès le début du quinquennat, la Guyane a bénéficié, notamment en matière de santé, d’une mobilisation générale du Gouvernement. Ainsi, 25 millions d’euros ont été attribués dès 2017 au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni pour lui permettre de faire face à son budget d’investissement. Le centre médico-chirurgical de Kourou, mis en vente par la Croix-Rouge, a été transformé en hôpital public. Quant à l’hôpital de Cayenne, il a bénéficié d’un abondement exceptionnel de trésorerie de 20 millions d’euros, ainsi que de 40 millions d’euros pour un programme spécial d’investissement.

Au-delà de la nécessité de s’atteler à la rénovation des infrastructures, je ne puis, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que vous donner raison : il faut également combattre le manque de professionnels de santé.

On comptait, au 1er janvier 2018, 611 médecins inscrits à l’Ordre de Guyane ou déclarant une activité dans ce territoire, dont 59 % sont des généralistes. La densité de médecins généralistes libéraux est en Guyane plus de deux fois inférieure à celle observée dans l’Hexagone, et les autres professions de santé sont également caractérisées par des effectifs et des densités pour 100 000 habitants très faibles relativement à d’autres territoires, et de manière générale à l’Hexagone.

Permettez toutefois au secrétaire d’État chargé de l’enfance de mettre en lumière une donnée positive : la densité de sages-femmes, en réponse au nombre élevé de naissances sur le territoire, est plus élevée en Guyane que dans l’Hexagone.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Les raisons en sont évidentes !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Je puis vous assurer que, avec l’Agence régionale de santé, nous mettons tout en œuvre pour attirer des professionnels sur place, soutenir la formation et enrichir les fonctions des professionnels paramédicaux, comme vous nous y avez invités, monsieur le président de la commission des affaires sociales. Au reste, l’évolution des effectifs des professionnels de santé a suivi une tendance plutôt favorable ces dernières années, même s’il reste du chemin à accomplir.

Trois mesures doivent permettre un meilleur accès à l’offre de soins.

D’abord, les trois maisons de santé du territoire font l’objet d’un accompagnement via une enveloppe du fonds d’intervention régional mise à disposition de l’ARS pour aider les porteurs de projet.

Ensuite, dans le cadre du comité interministériel de la santé, le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ont présenté les mesures du plan Priorité prévention, parmi lesquelles figure la création, sur des crédits de l’assurance maladie, de 100 postes d’assistant spécialiste à temps partagé avec une obligation d’exercice en outre-mer, par recrutement annuel de 50 postes, à partir de novembre 2018. Cette mesure répond au double objectif de renforcer l’offre locale de soins et de participer à la réduction des inégalités territoriales, inscrit dans la stratégie nationale de santé et que nous déclinons spécifiquement pour l’outre-mer.

Enfin, l’ARS de Guyane a conclu une convention avec l’AP-HP aux fins de mieux structurer les relations, la supervision et la recherche de partenariats et de candidats de part et d’autre. Je pense que nous y reviendrons dans le débat à la faveur de certaines questions. Cet accord a des effets intéressants sur certaines filières de prise en charge ; j’aurai l’occasion de développer dans quelques instants.

Reste qu’il n’est pas possible d’agir sur les défis sanitaires sans prendre en considération d’autres facteurs. Ainsi, vous savez mieux que moi que le schéma routier doit être soutenu et développé : le Président de la République a annoncé que ce serait le cas. Je pense également aux partenariats avec les pays voisins, pour pouvoir recevoir des citoyens de ces pays limitrophes quand cela est nécessaire, tout en contrôlant l’afflux de ces femmes et de ces hommes qui, parfois, peuvent empêcher l’accès aux soins ou le rendre plus difficile encore.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avant de répondre à vos questions. Je répondrai à certaines de vos questions, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en même temps qu’à celles de vos collègues.

Soyez assurés que le ministère des solidarités et de la santé a pleinement conscience des problématiques de ce territoire, qui sont spécifiques, mais aussi de ses richesses et de son potentiel. Comme tous les territoires d’outre-mer, la Guyane a besoin du soutien de l’État et du respect des engagements pris. Notre volonté est sans faille, car, comme l’a dit le Président de la République, « les territoires d’outre-mer sont des trésors pour la République : c’est la République sur tous les océans ! »

Débat interactif