Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d’une durée équivalente pour y répondre.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nassimah Dindar.

Mme Nassimah Dindar. Je salue M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, qui a déjà formulé une partie des questions que, après avoir lu avec beaucoup d’attention le rapport publié par la commission à la suite de son déplacement en Guyane, je souhaite vous poser, monsieur le secrétaire d’État.

L’ensemble du territoire guyanais est classé déficitaire pour l’offre de soins. La pédiatrie, la protection maternelle et infantile, le handicap, le nombre de places en Ehpad : autant d’indicateurs qui virent au rouge, alors que nous parlons de l’accompagnement d’un public vulnérable sur un territoire, vous l’avez vous-même souligné, largement sinistré. En Guyane, dit-on souvent, les professionnels vivent une situation de crise permanente.

L’offre de soins, insuffisante, n’est pas adaptée, selon les Guyanais eux-mêmes, à l’organisation territoriale, en sorte que tous les bassins de population ne bénéficient pas d’un égal accès aux soins. Bassin de l’ouest, dans la vallée du Bas-Maroni, bassin de l’intérieur, bassin de l’est, dans la vallée de l’Oyapock, bassin dit des savanes, qui correspond à la région de Kourou et d’Iracoubo, et bassin du centre littoral, soit l’île de Cayenne : ces cinq zones identifiées par les professionnels ne sont pas toutes desservies. Créer, adapter et transformer les hôpitaux en tenant compte de l’organisation de ces cinq bassins de population est donc une nécessité impérieuse. À cet égard, si les trois maisons de santé que le Gouvernement a lancées pouvaient toucher les cinq bassins, cela contribuerait à l’amélioration de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.

Une meilleure répartition de l’offre est nécessaire, parce que le transport des malades ne se limite pas aux trajets en ambulance : en l’absence de routes, l’hôpital envoie un hélicoptère ou un avion pour transporter les malades.

D’autre part, la démographie galopante, aggravée par l’immigration, transforme les centres de santé en services asphyxiés et inopérants.

Monsieur le secrétaire d’État, à travers le projet du Gouvernement de l’hôpital connecté, quelles aides comptez-vous accorder à la Guyane pour faciliter les coopérations entre professionnels de santé, mais aussi les coopérations sanitaires transfrontalières avec le Suriname ?

Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé le temps de parole, de deux minutes, attribué aux auteurs de question.

Mme Nassimah Dindar. Je vous prie de m’en excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je ne répéterai pas ce que j’ai dit dans mon propos liminaire sur l’accès aux soins ; je m’attarderai plutôt, comme vous m’y avez invité à la fin de votre question, sur la coopération entre la Guyane et le Suriname.

Comme l’a indiqué le président de la commission des affaires sociales, une mission a été mise en place en 2018 sous l’égide de Dominique Voynet, ancienne sénatrice, et du préfet Marcel Renouf. Cinq comités de pilotage se sont tenus entre juin 2018 et février 2019, sous la présidence de ces deux personnalités, avec pour objectif d’arriver à un accord entre la Guyane et le Suriname en matière de coopération, avec des pistes concrètes.

À ce stade, les difficultés avec le Suriname n’ont pas permis d’aboutir à un accord permettant d’envisager une plus grande coopération. Le relais a été pris par l’Agence régionale de santé, avec un cadre de haut niveau pour prendre en charge cette coopération, dans l’attente qu’un accord soit formalisé avec le Suriname.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. La Guyane, ainsi qu’il a été expliqué, présente de grands indicateurs de santé dégradés par rapport à la moyenne nationale : l’espérance de vie y est de 79,8 ans, inférieure de deux à trois ans à la moyenne nationale, et la mortalité infantile de 11,7 pour 1 000, supérieure de trois fois à cette moyenne. Par ailleurs, la démographie est en hausse rapide : de 260 000 en 2016, la population a franchi depuis lors le cap des 300 000 habitants.

Il est donc impératif de réduire les inégalités de santé qui frappent les Guyanais, en y consacrant les moyens importants qu’impose la progression rapide de la démographie.

Dans le secteur hospitalier, les dernières années ont vu des investissements importants : construction à Saint-Laurent-du-Maroni d’un nouvel hôpital, ouvert voilà un an, intégration de l’hôpital de Kourou dans le secteur public hospitalier et redressement de la situation financière très difficile du centre hospitalier de Cayenne, grâce à des apports exceptionnels successifs pour plus de 30 millions d’euros au total. De premières modernisations sont en cours : le service de chirurgie a été modernisé, et des investissements complémentaires sont prévus à hauteur de 40 millions d’euros.

Cette remise à niveau ne doit être qu’une première étape, si l’on veut que les habitants du territoire aient droit à la même qualité de soins que les autres.

Monsieur le secrétaire d’État, quels sont les projets du Gouvernement en matière d’amélioration de l’offre hospitalière en Guyane, afin notamment de l’inscrire dans la durée ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour le coefficient géographique, dont le niveau actuel ne prend en compte qu’imparfaitement les spécificités des charges pesant sur les hôpitaux guyanais, ce qui entraîne un déséquilibre structurel ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La situation des hôpitaux publics en Guyane est, en quelque sorte, paradoxale : malgré la hausse de plus en plus rapide des besoins de santé d’une population en forte augmentation, les établissements demeurent en situation de fragilité. C’est le fait de plusieurs facteurs, en partie décrits par M. le président de la commission des affaires sociales : difficultés à facturer et à recouvrer les sommes dues auprès des patients et des mutuelles, difficultés auxquelles les organismes sociaux sont eux-mêmes soumis, spécificités du territoire guyanais – on a parlé des problèmes d’attractivité, de la précarité très forte, de l’immigration importante et du turnover des équipes, qui ne facilite pas la tâche.

Ainsi, le centre hospitalier de Cayenne est depuis de nombreuses années dans une situation financière délicate. Ces difficultés importantes ont donné lieu à des accompagnements de l’État réguliers et croissants, que vous avez pour partie rappelés, monsieur le sénateur. Entre 2016 et 2018, environ 50 millions d’euros d’aides exceptionnelles ont été versés à l’établissement, tandis que 9 millions d’euros ont été accordés en revalorisation pérenne de dotations. Les difficultés financières et la fragilité de l’équipe de direction ont conduit l’ARS à placer l’établissement sous administration provisoire entre novembre 2018 et avril 2019. Cette mission a permis notamment de conforter le schéma directeur immobilier, financé par l’État à hauteur de 40 millions d’euros, de travailler au renforcement de l’attractivité de l’établissement et de faire aboutir favorablement la démarche de certification des comptes, après plusieurs années de non-certification.

Le centre hospitalier ouest-guyanais est également dans une situation de déséquilibre financier, mais sa reconstruction, qui a bénéficié d’une aide nationale de 48 millions d’euros, doit permettre un retour à l’équilibre à moyen terme.

Enfin, le centre hospitalier de Kourou a été créé en janvier 2018 en remplacement de l’établissement de la Croix-Rouge ; il présente aussi une situation financière déséquilibrée, mais sera suivi par le Copermo.

S’agissant du coefficient géographique, il a été réévalué en 2016, pour application au 1er janvier 2017 ; à ce stade et à ma connaissance, il n’est pas envisagé de le réévaluer, ni pour la Guyane ni pour aucun autre territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. La Guyane, comme de nombreux territoires ultramarins, connaît une crise dans le secteur de la santé, du social et du médico-social. Malgré les efforts des gouvernements successifs pour y faire face, la question de l’offre de soins est constamment au centre des préoccupations des élus et de la population guyanais.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur un enjeu central : les évacuations sanitaires, au nombre de 4 000 environ par an. C’est une problématique d’importance pour le territoire, et leur coût élevé – entre 4 millions et 5 millions d’euros – pèse lourdement sur le budget des établissements hospitaliers, menaçant parfois jusqu’à leur existence.

Derrière ces chiffres impressionnants, je n’oublie pas qu’il y a des hommes et des femmes, mais il paraît indispensable qu’une réflexion en profondeur soit menée pour remédier à cette situation. Quelles sont vos pistes de réflexion et comment s’organise la coopération régionale avec les autres territoires français et avec les pays limitrophes ?

Par ailleurs, la problématique des évacuations sanitaires soulève également la question de la prise en charge des patients et, par extension, de leur accompagnant. Je souhaite donc également vous entendre sur les outils qui pourraient être mis en place pour mieux accompagner les patients et leur famille, lorsque la situation médicale l’exige.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En effet, les évacuations sanitaires relèvent en Guyane du quotidien. Ces 4 000 opérations annuelles sont organisées à plusieurs niveaux, selon qu’elles se réalisent dans l’urgence ou de façon programmée, en fonction aussi du prescripteur, hôpital ou praticien libéral.

Nous menons en la matière un certain nombre de travaux visant, d’une part, à améliorer la pertinence et la qualité de l’organisation du transport et, d’autre part, à développer l’offre sur place et la coopération entre la Guyane et, notamment, les Antilles – c’est, monsieur le sénateur, l’un des aspects de votre question.

S’agissant de l’amélioration de la pertinence et de la qualité de l’organisation des transports, l’ARS et l’assurance maladie travaillent à la création d’une plateforme territoriale d’appui pour aider les professionnels de santé à organiser au mieux ces transports, qui sont complexes, pour améliorer l’orientation et l’accueil dans le territoire de destination. Il s’agit aussi d’alléger la charge de travail des professionnels. Nous espérons gagner collectivement en lisibilité dans ce domaine.

En ce qui concerne le développement de l’offre sur place et de la coopération entre la Guyane et les Antilles, destiné à limiter les évacuations sanitaires vers la métropole, je précise que, depuis peu, la Guyane propose une offre de cardiologie interventionnelle, alors que, auparavant, les patients devaient se rendre aux Antilles ou en métropole. Depuis le mois d’avril, une équipe de Martinique se rend à Cayenne une fois par mois pour traiter les patients sur place et former les équipes locales ; cette coopération permettra à l’équipe guyanaise de gagner en compétences et en autonomie, pour, à moyen terme, prendre en charge elle-même ses patients, y compris en urgence. Les patients les plus complexes continueront d’être pris en charge en Martinique, dans des conditions plus favorables, puisque les équipes auront appris à travailler ensemble.

C’est donc un modèle de coopération gagnant-gagnant que nous souhaitons mettre en place et que la Guyane pourra dupliquer à d’autres filières de soins. Il s’agit, je le répète, de renforcer l’offre de soins sur place pour limiter les évacuations sanitaires, très lourdes à supporter pour les patients et leur famille.

J’ajoute qu’un nouveau chef du service des urgences a été recruté à Cayenne en septembre 2018 : le docteur Pujo, qui a notamment pour mission de restructurer les évacuations sanitaires, dans le cadre d’une amélioration de la collaboration avec les Antilles.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour la réplique.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le secrétaire d’État, on vous entend, mais cela ne peut plus durer. Il faut effectivement allouer les moyens nécessaires pour remédier à la fois au déficit de l’offre de soins et à la dérive en matière d’évacuations sanitaires. À Saint-Martin, nous avons trouvé un palliatif à cette dérive, qui était liée au déficit de l’offre de soins, mais également au fait que certaines évacuations pouvant relever de la desserte aérienne régulière se faisaient par évacuation sanitaire, avec un coût démultiplié.

Nous espérons que ce gouvernement nous prêtera une oreille plus attentive que par le passé, afin que les Guyanais puissent bénéficier de la même qualité de soins que l’ensemble de nos compatriotes.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de votre intervention impartiale et objective ; elle reflète la réalité.

Le 23 janvier dernier a été signé l’arrêté de création du groupement hospitalier de territoire de Guyane, le GHTG. Première étape dans la structuration de l’offre de soins hospitalière, ce regroupement est censé aider les centres hospitaliers de Saint-Laurent-du-Maroni, de Kourou et de Cayenne à mieux travailler ensemble, au bénéfice des patients.

Force est néanmoins de reconnaître que des inquiétudes persistent au sein du personnel médical, notamment concernant l’organisation médicale et administrative du GHTG. Je me suis permis de les relayer par un courrier que je vous remettrai à l’issue de ce débat, monsieur le secrétaire d’État.

Système de soins sous tension, désertification médicale, difficultés d’accès aux soins, formation des professionnels… Mes collègues de la commission des affaires sociales ont pu l’observer : la Guyane doit relever de nombreux défis, amplifiés par le retard accumulé en matière d’infrastructures médicales.

Face à ces enjeux, monsieur le secrétaire d’État, comment la création de ce groupement hospitalier de territoire permettra-t-elle d’améliorer vraiment l’offre de soins dans toute la Guyane, jusque dans les sites les plus isolés ?

Par ailleurs, le code de la santé publique prévoit que tous les groupements hospitaliers de territoire soient associés à un centre hospitalier universitaire. Pour l’heure, une telle structure n’existe pas en Guyane, alors que sa présence constitue un enjeu en matière de développement et d’attractivité. Je rappelle que la création d’un CHU en Guyane figure parmi les engagements du protocole d’accord du 9 juin 2017, arraché après soixante-quinze jours de grève et dont je suis l’un des cosignataires. Dans la continuité de la mise en place du GHTG, quels engagements le Gouvernement peut-il prendre quant à la création d’un CHU en Guyane et d’une UFR de médecine au sein de l’université de Guyane ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Karam, le groupement hospitalier de territoire de Guyane est une réalité depuis le début de 2019. C’est le GHT le plus étendu de France. Il regroupe les trois hôpitaux publics du territoire : Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni.

Contrairement aux craintes qui s’étaient exprimées avant sa constitution, le GHT prend forme. Les équipes médico- soignantes se voient régulièrement et travaillent sur un projet médical partagé. Une prochaine session est d’ailleurs prévue en octobre prochain à Sinnamary.

Les hôpitaux s’entraident sur le plan de leurs ressources médicales par des envois réciproques de renforts ponctuels en fonction des besoins ; ils s’entraident aussi en orientant les patients entre eux. Ils travaillent sur une stratégie commune en matière de systèmes d’information, ainsi que de ressources humaines. Il s’agit, pour les hôpitaux publics, d’avancer de concert et de ne pas se faire de concurrence, notamment en termes de recrutement, au regard de la pénurie actuelle et d’un environnement global que nous savons fragile.

Enfin, sur le plan des achats, le programme Performance hospitalière pour des achats responsables, dit Phare, a démarré le 30 septembre dernier. Soutenu par le ministère de la santé, ce programme va permettre de mutualiser et de structurer les achats des trois établissements de santé, et ainsi contribuer à améliorer l’offre de soins sur le territoire.

Les spécificités de chaque hôpital et de chaque territoire me semblent être mieux comprises et respectées. Soyez convaincu, monsieur le sénateur, de la forte volonté de l’agence régionale de santé de s’inscrire dans ce mouvement et de celle du ministère de s’assurer, si besoin était, qu’il en sera bien ainsi. Quant à la création d’un CHU, je me permettrai de répondre à cette question dans la suite du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.

M. Antoine Karam. Monsieur le secrétaire d’État, la création d’un CHU n’est peut-être pas une fin en soi, mais cette demande marque la volonté forte des Guyanais de ne plus être les spectateurs impuissants de leur destin. Nous voulons renverser cette table pour changer l’image désastreuse d’un système de santé défaillant depuis bien longtemps. Nous restons donc mobilisés, vigilants et déterminés !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je faisais partie de la délégation de la commission des affaires sociales qui s’est rendue en Guyane et en Guadeloupe du 22 au 27 avril 2018.

Lors de ce déplacement, nous avons pu constater, outre les conséquences désastreuses de l’incendie du CHU de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, l’attente des Guyanaises et des Guyanais à la suite notamment du mouvement social de 2017, qui avait débouché sur les accords de Cayenne. Comme l’a souligné mon collègue Antoine Karam, l’engagement avait été pris, au travers du protocole de fin de conflit, de transformer le centre hospitalier de Cayenne en centre hospitalier universitaire. Le dossier est aujourd’hui au point mort ; monsieur le secrétaire d’État, j’ai du mal à comprendre pourquoi un territoire tel que celui de la Guyane, qui compte près de 300 000 habitantes et habitants, ne dispose pas d’un centre hospitalier universitaire. En l’absence d’un CHU, les étudiantes et les étudiants guyanais sont contraints de quitter leur territoire pour terminer leur formation. Cette mobilité forcée renforce les difficultés de la Guyane en matière d’attractivité, mais aussi d’accès aux soins. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais donc savoir où en est ce projet : quand va-t-il réellement déboucher ?

Enfin, j’avais interpellé la ministre des outre-mer en décembre 2018 sur le mal-être des populations amérindiennes de Guyane, à la suite d’une vague de suicides. Le taux de suicide est de dix à vingt fois plus élevé que dans l’Hexagone, et les populations amérindiennes, qui souffrent de discrimination et d’isolement, sont particulièrement touchées. Je souhaiterais donc savoir quelles mesures vont être mises en place pour enrayer cette vague de suicides et renforcer les moyens alloués au suivi psychologique et psychiatrique, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie de ces populations.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, ma réponse sera un peu technique, mais il est important de rappeler les règles. Désigner un établissement de santé comme CHU est une prérogative de l’université, qui dispose de sa propre stratégie de développement en tant qu’établissement autonome. Le développement de départements universitaires repose sur la définition d’une stratégie et la création de filières de recrutement d’enseignants. Actuellement, il n’existe pas de département de médecine au sein de l’université de Guyane.

Le modèle d’avenir pour le centre hospitalier de Cayenne est avant tout, me semble-t-il, celui de la consolidation en tant qu’établissement de référence. Le ministère des solidarités et de la santé soutiendra fortement le développement de la recherche en Guyane et l’affirmation de ce centre hospitalier comme établissement de référence.

J’en viens à votre seconde question. Le rapport parlementaire Archimbaud avait permis d’attirer l’attention sur la problématique des suicides et tentatives de suicide au sein de la population amérindienne. On constate ces dernières années que les personnes concernées sont de plus en plus jeunes.

Le programme « bien-être des populations de l’intérieur », doté de 1,5 million d’euros à débloquer sur trois ans, a été conçu avec la population pour soutenir l’émergence de projets locaux et renforcer les facteurs protecteurs, notamment liés à l’estime de soi. Sachez que l’ARS travaille en ce moment sur la mise en place de la formation nationale de prévention du suicide, d’une ligne téléphonique d’écoute du type « SOS Kriz », du dispositif VigilanS de recontact de personnes ayant tenté de mettre fin à leurs jours ou encore d’un observatoire du suicide.

Au-delà, l’un des objectifs de ma visite programmée en Guyane est d’essayer de mieux comprendre ce phénomène et d’y apporter les réponses les plus appropriées. Nos jeunes étant touchés de plus en plus tôt, c’est une question qui relève aussi de la protection de l’enfance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Je trouve mes collègues ultramarins extrêmement patients… Au travers de vos réponses, vous ne prenez pas du tout en compte les retards qui se sont accumulés en termes de politiques publiques, notamment en matière de santé. Il faut vraiment passer à une vitesse supérieure ! Les paroles doivent être suivies d’effet. Or les moyens financiers et humains manquent cruellement.

C’est en tout cas ce que j’ai ressenti en entendant vos réponses, mais j’espère que vous allez changer d’orientation – on peut toujours rêver !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. La santé en Guyane est une préoccupation majeure pour la France. Les difficultés que nous connaissons en métropole sont exacerbées dans ce territoire et se surajoutent aux problématiques locales qui mettent déjà le système de santé sous tension.

Les assises des outre-mer ont révélé que l’accès aux soins est la priorité absolue en matière de santé pour les Guyanais. La Guyane est à la fois le deuxième plus vaste territoire de France et le deuxième moins densément peuplé. Quelque 20 % de la population est issue de l’immigration, souvent clandestine, et ne dispose de ce fait d’aucune couverture sociale. Le taux de pauvreté de l’ensemble du pays atteint 44 %, et le taux de fécondité 3,5 enfants par femme.

L’éloignement de toute une partie de la population du système de santé retarde le dépistage, en particulier pour le VIH. La Guyane présente une surmortalité liée au sida par rapport à la métropole. Les hôpitaux des villes frontalières telles que Saint-Laurent-du-Maroni sont particulièrement sollicités. Cela invite la France à développer des accords de coopération transfrontalière en matière de santé avec le Brésil et le Suriname.

Au regard de la situation sociale et géographique de la Guyane, la politique sanitaire locale ne peut être une déclinaison de la politique sanitaire nationale. Nous devons l’adapter pour qu’elle réponde aux besoins de la population, comme le prévoit l’article 73 de notre Constitution.

Monsieur le secrétaire d’État, les accords du 21 avril 2017 signés à Cayenne ont permis de débloquer un milliard d’euros, notamment pour venir en aide au système de santé du pays, qui peine à se moderniser. Quel bilan dressez-vous de l’intervention de l’État, et que reste-t-il à faire pour que chaque Guyanais ait accès aux soins, quel que soit son lieu de vie ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la Guyane est un territoire qui connaît un nombre important de spécificités, dont une situation épidémiologique inquiétante et des populations isolées. Le Gouvernement, au travers des accords de Cayenne, a effectivement décidé d’investir massivement. Il me semble un peu prématuré de faire dès à présent un bilan de ces investissements au profit de la Guyane. Je me permettrai de revenir sur ce sujet en coordination avec la ministre des outre-mer.

La plupart des dispositions sont en cours de déploiement : je pense notamment à la création du groupement hospitalier territorial ou aux maisons de santé pluridisciplinaires. J’entends les impatiences qui s’expriment à ma gauche et je peux les comprendre : pendant trop longtemps, le territoire guyanais, et plus largement l’ensemble des outre-mer, n’ont pas fait l’objet de l’attention et des investissements nécessaires pour rattraper le retard pris par rapport à la métropole et garantir à l’ensemble de nos concitoyens un accès aux soins égalitaire.

Les accords de Cayenne, ou encore la trajectoire outre-mer 5.0 que la ministre des outre-mer a présentée et qui porte sur des sujets dépassant largement la seule question de la santé, montrent la volonté de ce gouvernement d’offrir à nos concitoyens d’outre-mer des droits équivalents à ceux dont bénéficient leurs compatriotes de l’Hexagone.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, je vous invite vivement à aller sur le terrain. Pour ma part, je peux dire que je n’ai pas été déçu du voyage en Guyane ! En tant que médecin, j’ai pu y constater un certain nombre de difficultés. Je n’imaginais pas qu’un territoire français puisse connaître des problèmes de santé que l’on ne voit plus dans l’Hexagone depuis un certain nombre d’années. Je remercie M. le président de la commission de m’avoir associé au déplacement qu’il a organisé en Guadeloupe et en Guyane.

Les indicateurs montrent qu’il existe en Guyane une forte prévalence des maladies infectieuses – cela peut se comprendre du fait de la climatologie –, mais également des maladies chroniques : la population de diabétiques a ainsi doublé en dix ans et le taux de décès précoces dus à des maladies cardio-vasculaires prises en charge trop tardivement est inacceptable.

Vous avez rappelé que le volet relatif à l’outre-mer de la stratégie nationale de santé 2018-2022 évoque notamment une « trajectoire de rattrapage de la qualité du système de santé par rapport à l’Hexagone ». Il me semble que, au-delà d’un rattrapage, le contexte doit aussi nous inviter à faire de la Guyane un laboratoire d’innovation pour notre système de santé, en s’appuyant sur la créativité volontariste des équipes de terrain.

Monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous faire de la Guyane une zone prioritaire pour la mise en place d’expérimentations ? L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 le permet. Des protocoles de coopération rénovés, tels que prévus par la loi Santé, pourraient être déployés. Quelle est votre position sur ce sujet ?