Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, nous arrivons à la discussion de l’ensemble de la mission « Cohésion des territoires ».

Pour ma part, je souhaite consacrer et concentrer mon intervention sur les crédits des programmes 112 et 162 relatifs à la question de l’aménagement du territoire.

Avant tout, je veux remercier notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ du travail effectué au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Pour avoir porté ce rapport pendant dix ans, je sais que la tâche n’est pas simple. Qui plus est, il est toujours désagréable pour un sénateur d’observer des diminutions de crédits consacrés à l’aménagement du territoire.

Vous me direz, monsieur le ministre, que les crédits ont augmenté cette fois-ci. C’est en effet le cas pour le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT). Il y a peut-être là une volonté de redynamiser le fonds – enfin, dirais-je, car je réclamais cette évolution depuis plusieurs années.

Cependant, l’augmentation ne concerne pas tous les outils inscrits dans les programmes précités.

Par exemple, les crédits alloués à la prime d’aménagement du territoire (PAT) vont de nouveau connaître une érosion, et celle-ci risque de lui être fatale.

Déjà divisés par quatre depuis 2013, les montants alloués dans ce PLF ne vont atteindre que 6 millions d’euros, contre 40 millions d’euros voilà encore quelques années. Aussi, monsieur le ministre, je m’interroge : souhaitez-vous la fin de la PAT, ce rabotage s’apparentant à une obsolescence programmée ?

Je tiens à rappeler deux choses concernant cette prime.

D’abord, c’est l’un des derniers leviers d’aide directe aux entreprises qui s’installent dans nos territoires. Sommes-nous en situation de plein emploi pour nous permettre autant de diminutions ? Je ne le crois pas !

Ensuite, l’étude commandée en 2017 par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) au cabinet d’audit et de conseil Ernst & Young avait confirmé l’intérêt de la PAT comme outil de cohésion territoriale.

C’est un choix que je regrette fortement. C’est pourquoi je soutiendrai les amendements visant à rétablir le montant de l’année dernière, qui était beaucoup plus élevé.

Concernant l’Agence nationale de la cohésion des territoires, je m’interroge, non pas sur ses prérogatives, mais sur les moyens qui lui sont consacrés pour les exercer.

Il y a en effet un problème à cet égard. Avec seulement 49 millions d’euros de budget, comment peut-on prétendre que l’agence deviendra un vrai pôle de proximité, de soutien et d’expertise susceptible de répondre aux besoins des territoires ? Nous aurions souhaité plus de moyens pour que cette structure soit une véritable agence de revitalisation rurale, ce qui risque de ne pas être le cas.

J’en viens aux zones de revitalisation rurale (ZRR). Frédérique Espagnac, Bernard Delcros et moi-même avons récemment remis à Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, notre rapport sur le sujet. C’est un outil auquel nous croyons fortement ! Il s’agit de l’un des derniers éléments d’attractivité pour les territoires ruraux et de l’un des derniers moyens de résorption de leurs fragilités structurelles. En effet, la politique des pôles d’excellence rurale a été supprimée et le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (Fisac) a quasiment disparu, sans parler des contrats de ruralité, mis en place en 2017, et qui n’ont déjà plus de crédits alloués.

Dans ce contexte, les ZRR apparaissent comme les derniers phares dans la nuit de l’aménagement du territoire. À la croisée des chemins, il nous faut insuffler un nouvel élan au dispositif. C’est tout l’enjeu de notre rapport.

L’Assemblée nationale a voté un amendement prorogeant le dispositif jusqu’au 31 décembre 2020, soit pour six mois… Je ne pense pas que cela soit suffisant pour construire un zonage mieux ciblé et plus efficace pour la ruralité. C’est pourquoi nous proposons de proroger le classement actuel jusqu’au 31 décembre 2021, non pas pour le maintien d’un statu quo, mais bien pour prendre le temps de définir des critères plus adaptés afin de tenir compte des fragilités des territoires et d’améliorer le ciblage, ainsi que l’efficience des dispositifs associés au zonage.

Enfin, je souhaite conclure sur un point qui, je dois l’avouer, commence vraiment à nous excéder, les uns et les autres, même s’il sort du cadre des programmes en question. Il s’agit du fonctionnement opaque de la DETR.

Pour discuter de la cohésion des territoires, il me semble que nous avons besoin d’une cohésion des acteurs qui agissent dans et pour les territoires. Or le fonctionnement actuel de la DETR ne s’inscrit pas dans cette logique.

En tant que membre de la commission DETR de mon département, je peux vous affirmer que celle-ci n’a connaissance ni des arbitrages de la préfecture ni des critères ayant permis de donner un accord à un dossier, à un projet dont le montant de subvention est inférieur à 100 000 euros. D’ailleurs, nous n’avons la liste des dossiers retenus qu’avec un an de retard.

Au fond, j’observe que la réserve parlementaire était bien plus transparente que la DETR… (Très bien ! et applaudissements sur toutes les travées.)

Je le rappelle, ce sont les parlementaires, qui, chaque année, votent le budget et le montant de la DETR, et non les préfets ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je souhaite que tous les dossiers DETR soient examinés avec les élus membres de la commission, et ce à partir du premier euro dépensé. Nous réclamons plus de transparence et des amendements en ce sens seront discutés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2017, le budget du logement a perdu 3 milliards d’euros. Il est devenu le premier contributeur aux efforts d’économies de l’État. Les coupes ont été particulièrement violentes dans le secteur HLM, qui a perdu 1,3 milliard en 2018, et autant en 2019, ce qui remet en cause les politiques d’investissement et de production de logements sociaux.

Par opposition, le « pacte social et écologique » présenté le 5 mars dernier par Laurent Berger et Nicolas Hulot place, à juste titre, le logement au premier rang des priorités nationales. Il ne faut jamais relâcher les efforts en matière de logement, ou alors, et on le constate actuellement, les résultats se dégradent très vite et les répercussions sur les ménages, l’activité et l’emploi sont immédiates : perte de pouvoir d’achat, recul de l’accession sociale à la propriété, baisse de la construction et des chantiers de rénovation. Et encore, nous bénéficions de taux d’emprunt favorables, ce qui explique que les offices HLM ne soient pas en danger pour le moment.

La France doit produire du logement abordable et soutenir les familles modestes dans leur projet d’acquisition. Mais comment résorber l’habitat indigne si nous ne pouvons pas reloger les familles ? Comment soutenir la production de logements sociaux si nous privons les organismes HLM de leurs ressources ? Comment demander aux maires de mettre en œuvre les politiques publiques s’ils n’en ont plus les moyens ?

Force est de constater que, dans la continuité des précédents budgets, l’objectif du projet de loi de finances pour 2020 est encore de faire des économies sur le logement.

À compter de janvier 2020, la réforme des aides au logement, qui seront calculées sur la base des ressources du trimestre précédent, et non plus sur celles perçues deux ans auparavant, va engendrer une économie de l’ordre de 1,4 milliard d’euros, pris aux familles les plus modestes au nom de la justice sociale. Quelles mesures ont été prises pour soutenir les ménages qui vont être privés brutalement de toute aide au logement ?

De plus, ce sont les jeunes de 18 ans à 24 ans qui entrent en activité qui vont porter une part significative des économies attendues. Oui, notre société avait la faiblesse de soutenir pendant quelque temps ces jeunes confrontés à l’entrée dans la vie active et aux difficultés d’accès au logement, qui sont liées à la précarité de l’emploi.

Cette réforme, associée à celle de l’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er novembre, va très durement toucher nos concitoyens, notamment les plus fragiles.

Dans ce contexte, le revenu universel d’activité, mesure phare du plan anti-pauvreté annoncée par le Président de la République voilà un an, nous inquiète en raison de la conditionnalité du dispositif et de son financement à enveloppe constante.

L’objectif affiché de la réforme est bien de conditionner le versement de cette aide unique à la recherche d’une activité. Dans ces conditions, l’intégration des aides personnelles au logement au RUA pose problème, car c’est ignorer les principes qui fondent, depuis plus de quarante ans, les aides au logement, conçues pour aider les familles modestes, dont plus de la moitié travaille, à accéder à un logement correspondant à leurs besoins.

Une telle réforme ne doit faire aucun perdant. Quelle assurance pouvez-vous nous donner que la réforme ne sera pas l’occasion de baisser encore les APL ou d’en modifier l’organisation ?

Le Président de la République a regretté tout récemment devant de jeunes étudiants la baisse de 5 euros des APL. Monsieur le ministre, depuis le début du quinquennat, les aides au logement sont la cible de votre gouvernement, avec le gel des APL, puis leur sous-évaluation systématique, ainsi que la suppression de l’APL accession. Depuis 2017, l’impact de vos réformes dans ce secteur s’élève déjà à 7 milliards d’euros. Ce sont autant d’atteintes portées au pouvoir d’achat des ménages les plus fragiles et des plus jeunes.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous croire quand vous parlez de justice sociale relève véritablement de l’acte de foi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’acte II du quinquennat doit assurément être celui des territoires.

Nous pouvons effectivement observer la traduction de cet objectif en examinant les crédits relatifs à la cohésion des territoires du projet de loi de finances pour 2020, crédits en hausse de 6 % en autorisations d’engagement et de 4,7 % en crédit de paiement.

Ces hausses résultent de la mise en place d’un nouvel opérateur, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la création de nouvelles actions territorialisées, ainsi que de la montée en puissance des moyens consacrés aux services publics de proximité, avec la labellisation de 460 structures France services.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires, si elle ne constitue pas la réponse miracle aux inégalités et disparités territoriales mises sur le devant de la scène politique, constitue bien un premier pas pour y répondre sur le long terme. Il y a lieu de s’en réjouir. À la veille d’un nouvel acte de décentralisation censé ouvrir la voie à la différenciation, pour définir avec chaque territoire une réponse adaptée et sur mesure, cette agence doit être au service des collectivités, de leurs projets, de leur cohésion.

Je salue également la stabilisation bienvenue des transferts financiers de l’État aux collectivités, de même que la mobilisation de moyens supplémentaires pour le développement des services publics dans les territoires, avec comme objectif pour 2021 que chaque citoyen puisse accéder à un service public en moins de trente minutes.

Néanmoins, nous resterons vigilants quant à la pérennité de dispositifs essentiels aux dynamiques locales.

Tout d’abord, le faible montant accordé à la PAT confirme une stratégie d’érosion progressive mise en œuvre depuis plusieurs années sur cet outil d’attractivité qui a démontré son efficacité.

Ensuite, la suppression du Fisac prive les territoires ruraux les plus isolés de moyens précieux. Ce sont pourtant eux qui en ont le plus besoin pour contrecarrer leur dévitalisation.

Enfin, je ne peux vous cacher mes inquiétudes face à l’avenir incertain des zones de revitalisation rurale, les ZRR, un outil efficace pour un aménagement équilibré du territoire. C’est encore une des conséquences malheureuses de la loi NOTRe. En effet, l’extension des périmètres intercommunaux a profondément redessiné la carte du zonage ZRR.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

M. Jean-François Longeot. Au 1er juillet 2020, plus de 4 000 communes sortiront du zonage et cesseront de bénéficier des mesures associées au classement, alors même que leur situation s’est très peu ou pas du tout améliorée.

L’Assemblée nationale a bien adopté un amendement permettant de décaler les effets de cette mesure au 31 décembre 2020, mais cette période est trop courte pour une réforme juste, équilibrée, efficace, qui passe notamment par la définition de critères plus adaptés à la réalité des périmètres intercommunaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cœur des conflits qui agitent notre société se pose plus que jamais la question de notre cohésion nationale. Or celle-ci repose pour beaucoup sur les possibilités offertes ou les obstacles créés par nos territoires.

Ce budget est d’abord, comme l’ont souligné les rapporteurs, ainsi que M. Pointereau à l’instant, marqué par une dangereuse érosion de la prime d’aménagement du territoire et l’avenir incertain des zones de revitalisation rurale.

Il se distingue aussi par la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, mais l’ambition de cette agence reste bien modeste, puisque seuls 10 millions d’euros lui sont réellement attribués, le reste ne faisant que recycler sous des appellations novatrices des crédits anciens et constants.

Permettez-moi, monsieur le ministre, d’insister sur ce point : nous formulions en effet cette crainte encore récemment, ici même, lorsque ce sujet a fait l’objet d’un débat. Nous exprimions également la crainte de voir la gouvernance qui se profile exclure toujours un peu plus les élus des territoires au profit de décisions imposées par cette agence de l’État.

Sur ce sujet, je rejoins d’ailleurs la position que nos rapporteurs spéciaux ont exprimée sur le programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », programme qui manque cruellement de visibilité.

Comment, dans ces conditions, le Parlement peut-il apprécier à leur juste valeur l’évolution de ces différentes actions nomades, qui passent d’un programme à l’autre ?

C’est ce qui s’est passé pour les crédits des contrats de ruralité, qui ont été sortis de ce programme en 2018 : les 45 millions d’euros qu’ils représentaient à l’époque ont fondu de moitié après leur intégration au sein de la dotation de soutien à l’investissement local.

Je regrette également le fait que, dans le budget que nous présente le Gouvernement, les communes concernées par la sortie du dispositif des ZRR ne puissent bénéficier d’une prorogation, de même que celles qui étaient soutenues, en raison de leur charge de centralité, par le programme « Petites villes de demain ».

M. Michel Savin. C’est vrai ! Il faudrait adopter un amendement.

M. Mathieu Darnaud. Surtout, même avec la meilleure bonne foi budgétaire du monde, on aura du mal à percevoir dans ce budget des moyens nouveaux correspondant à l’Agenda rural annoncé en septembre dernier par le Premier ministre comme une réponse à la crise des « gilets jaunes ». J’observe d’ailleurs que, dans le projet de loi Engagement et proximité, seule une mesure de cet agenda a été retenue.

La mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2020 est également marquée par la labellisation des maisons de services au public en maisons France services. Cette harmonisation par le haut fait suite tant à la volonté exprimée par le Président de la République qu’à l’avis de la Cour des comptes.

Permettre à ces maisons de monter en gamme et de faciliter l’accès des citoyens des communes rurales à davantage de services publics, en leur offrant la possibilité d’y effectuer davantage de démarches administratives, est une trajectoire que nous approuvons, monsieur le ministre, au moins dans l’affichage.

Pourtant, une fois de plus, entre l’ambition et la réalisation, il doit y avoir un effort financier important, que ce projet de loi de finances ne prévoit pas. Faire des MSAP actuelles un lieu parfaitement identifié, dont les citoyens sauront avec certitude qu’en s’y rendant ils trouveront les réponses à leurs questions et pourront effectuer leurs démarches, demande bien des moyens supplémentaires. Or, à enveloppe constante, en maintenant la subvention à hauteur de 30 000 euros par maison, nous n’y ferons pas entrer les services téléphoniques ou de visioconférence qui avaient été annoncés.

De plus, au sein des 1 344 maisons de services au public, les préfets ont à ce jour décerné le label « France services » à seulement 460 maisons, sur une liste de 700 initialement proposée.

Qu’en sera-t-il, monsieur le ministre, de celles qui n’auront pu se mettre à niveau pour atteindre ce précieux label avant la date prévue du 31 décembre 2021 ? L’État mettra-t-il un terme à son soutien, les laissant végéter dans une sorte de deuxième division ? On risquerait alors de voir les collectivités se désengager de structures qui ne parviendront jamais à atteindre une dimension critique.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Mathieu Darnaud. J’en finirai par là : le Gouvernement a répondu à la crise des « gilets jaunes » par des mesures légitimement attendues portant sur le pouvoir d’achat. Néanmoins, ce qui crée l’attractivité et, par conséquent, les salaires et le pouvoir d’achat de demain, c’est l’investissement d’aujourd’hui. Ainsi, à l’avenir, vivre dans les territoires ruraux ne sera plus une somme de contraintes, mais un choix qui n’exonérera pas la République de ses promesses.

Certes, je n’imputerai pas à ce gouvernement l’entière responsabilité du désinvestissement dans la ruralité, qui est manifeste depuis l’abandon des pôles d’excellence rurale. Cela dit, hélas, il manque aujourd’hui une véritable stratégie en faveur de notre cohésion nationale. Il manque cette ambition qui permettrait de ne plus voir le développement des territoires comme une série de dépenses, mais comme un pari fondé sur des investissements ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Annie Guillemot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après ma collègue Viviane Artigalas, je veux à mon tour revenir sur la situation du logement et des quartiers.

Monsieur le ministre, je crois pouvoir dire sans arrogance, mais avec une certaine sincérité, que les décisions que vous avez prises depuis trois ans sont révélatrices de votre vision du modèle français du logement social. Ce modèle a été durement attaqué depuis le début de ce quinquennat, comme l’atteste même un tout récent rapport publié par l’inspection générale des finances, qui dépend de Bercy, au sujet de l’ouverture au secteur privé du logement social, rapport réalisé à la demande du Gouvernement.

Vous ne pouvez pas dire que c’est la faute des autres ! Même si vous minimisez, monsieur le ministre, la signification de ce rapport, il n’en reste pas moins que d’autres pays, comme l’Allemagne, se sont essayés à la financiarisation du logement social ; or la ville de Berlin vient de voter l’encadrement des loyers pour cinq ans !

Écoutons Action Logement, et non pas seulement le secteur HLM : après la violente ponction de plus d’un milliard d’euros qu’il a subie en 2018 – ces ponctions s’élèveront tout de même à 6 milliards d’euros sur le quinquennat ! –, ce secteur ne s’en sort que parce que les taux d’intérêt sont bas. Or, si l’on écoute Action Logement, monsieur le ministre, il semble bien que ce soit Bercy qui décide de tout, même si vous vous en défendez !

Action Logement évoque une forme de mépris. Il faut dire que l’État continue de faire les poches, non seulement de l’Union sociale pour l’habitat (USH), mais aussi, en 2020, celles d’Action Logement, pour obtenir que ces associations financent à sa place, à hauteur de 800 millions d’euros, le Fonds national d’aide à la pierre (FNAP) et le Fonds national d’aide au logement (FNAL). Alors, pour qu’Action Logement parle ainsi, il faut tout de même qu’elle en ait assez !

Cette offensive de l’État à l’encontre d’Action Logement n’est-elle pas le signe avant-coureur d’une remise en cause du caractère autonome d’Action Logement ? Comment ne pas s’interroger sur les impacts de cette offensive sur la trésorerie de cette association et sur le plan d’investissement volontaire de 9 milliards d’euros qui a été signé en avril dernier ? Qu’en sera-t-il de l’aide à la rénovation énergétique, qui doit être cumulable avec les aides de l’ANAH, et du milliard d’euros prévu pour le financement de la mise aux normes des salles de bains ?

Ce n’est pas comme si le logement coûtait plus à l’État qu’il ne lui rapporte ! En 2018, les aides au logement s’élevaient à 39,6 milliards d’euros, en baisse de 4,5 % par rapport à l’année précédente, chiffre bien en deçà des 77,5 milliards d’euros – soit une hausse de 3,8 % – de recettes fiscales en provenance de ce secteur.

Le logement est un facteur de cohésion sociale, de développement économique des territoires et de création d’emplois. Alors, monsieur le ministre, assumez vos choix budgétaires ! Le logement est bien, hélas, la variable d’ajustement du budget de l’État. Nous voterons contre ces crédits, monsieur le ministre, parce que nous considérons que votre politique, purement budgétaire, ne répond pas aux nécessaires enjeux de cohésion et accentue les inégalités.

Les chiffres ne mentent pas : la production de logements neufs était déjà en repli en 2018 et cette tendance s’est confirmée en 2019. Les conséquences sur la précarité ne se sont pas fait attendre. En effet, selon les chiffres récents de la Fondation Abbé Pierre, notre pays compte 4 millions de personnes mal logées et plus de 12 millions de personnes qui connaissent une situation fragilisée du point de vue du logement.

Le Président de la République a reconnu, la semaine dernière, traîner « comme un boulet » la baisse de 5 euros des APL. « Passons, cela a été fait », a-t-il conclu. Eh bien, non ! Pour notre part, monsieur le ministre, nous ne passerons pas, parce que ce n’est pas le Président de la République qui traîne ce boulet, mais bien ceux qui, le 20 du mois, n’arrivent déjà plus à joindre les deux bouts…

Mme Annie Guillemot. … et ceux qui ont du mal à élever leurs enfants. Nous passerons d’autant moins que le Président de la République a reconnu, en même temps, que « l’assignation à famille ou l’assignation à origine s’est creusée ces dernières décennies », assurant que « la seule manière de le combattre, c’est l’éducation, le savoir ». Bien sûr, l’éducation est essentielle, mais sans logement et sans emploi, elle est bien difficile !

Je l’ai souvent dit et redit, au cours de mes dix-sept ans de mandat de maire : l’éducation, la santé, la culture et le sport sont certes importants, mais ce n’est que quand une famille a un logement pour s’abriter et pour vivre son intimité, quand elle a un emploi pour vivre dignement et recevoir la sécurité qui protège, qu’on peut, ensuite seulement, faire face au reste ! Sans logement et sans emploi, comment reste-t-on citoyen ?

Outre le logement et l’emploi, monsieur le ministre, il faut encore le respect et l’espérance. Donnez cette espérance ! Chacun a droit au respect, quels que soient ses origines, sa religion, ou son sexe, mais aussi à l’espérance d’un monde meilleur, d’un monde de progrès pour ses enfants.

Je rejoins Jean-Louis Borloo, dont le rapport Vivre ensemble, vivre en grand pour une réconciliation nationale doit nous inspirer dans nos villes et nos banlieues comme dans nos campagnes.

Pourtant, monsieur le ministre, comme s’il ne suffisait pas d’avoir supprimé l’APL accession, vous vous apprêtiez encore à supprimer le prêt à taux zéro pour le logement neuf dans les zones B2 et C.

Quant à la paupérisation du logement social et des quartiers traités par l’ANRU, 30 % des locataires de logements HLM vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Pire encore, en 2018, plus de la moitié des attributaires de logements HLM vivaient sous le seuil de pauvreté. Le logement social, si j’ose dire, se spécialise toujours plus dans l’accueil des plus pauvres parmi les plus pauvres. C’est dramatique ! (M. le ministre se récrie.)

L’absence de mixité sociale engendre, non pas des risques, mais des ghettoïsations, un séparatisme social qui ne peut qu’engendrer violence et affrontement. Quand parle-t-on de mixité et de diversité ? Quand en parlez-vous, monsieur le ministre ? Hélas, votre politique du logement renforce d’abord les poches de pauvreté, alors qu’il faudrait que le secteur privé accueille aussi les populations les plus précarisées.

Les familles ne peuvent plus accéder à la propriété ; elles ne peuvent plus non plus supporter les loyers du secteur privé, qui ne cessent d’augmenter. Vous partagez ce diagnostic, je le sais, mais qu’en faites-vous ? On ne sent pas de politique offensive, pour le logement comme pour les quartiers sensibles, alors même que ces quartiers comptent beaucoup de logements sociaux.

En outre, la réforme de la taxe d’habitation va affecter par ricochet la dotation de solidarité urbaine que reçoivent les communes les plus pauvres, du fait de leur nouveau potentiel fiscal. Quel maire aura intérêt à construire du logement social ?

Enfin, en matière de rénovation urbaine, vous ne respectez même pas l’engagement pris envers l’ANRU. Certes, on en arrive à la phase opérationnelle, mais durant cette mandature, les habitants n’auront vu que quelques démolitions. Il y a pourtant des écoles, des centres sociaux, des équipements sportifs et commerciaux à construire ou à rénover.

Rénover une école, c’est travailler avec les parents d’élèves ; construire un centre social, c’est construire un projet avec les habitants. Vous me répondrez que l’ANRU n’a pas besoin de crédits supplémentaires, puisque les projets ne sont pas prêts. Pourtant, l’État fait tout de même payer ses autres partenaires, l’USH et Action Logement. Alors, pourquoi l’État ne créerait-il pas, comme en 2008, un choc d’avances de crédits, avec dérogations aux règles des marchés publics, pour construire des équipements publics et faire avancer les projets de services publics qui font l’unanimité ? Le Gouvernement ne pourrait-il pas mettre sur la table ce milliard, alors qu’il a engrangé 2 milliards d’euros supplémentaires du fait de la réforme du prélèvement à la source ? La rénovation urbaine fait du surplace.

Défendez les territoires, monsieur le ministre ! Défendez les maires qui sont confrontés à des situations qui relèvent de la solidarité nationale ! Défendez les habitants de ces quartiers qui souffrent et, pour la plupart, respectent la loi républicaine ! Surtout, souvenons-nous tous que, comme le disait l’abbé Pierre, « gouverner, c’est d’abord loger son peuple ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. le ministre proteste.)

(M. Gérard Larcher remplace Mme Hélène Conway-Mouret au fauteuil de la présidence.)