Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (MM. Sébastien Meurant et Jérôme Bascher applaudissent.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen de cette mission « Justice » doit nous amener à nous pencher, à la lumière des problématiques auxquelles la France fait face aujourd’hui, sur la question centrale de la protection judiciaire de la jeunesse.

Alors que les phénomènes de délinquance deviennent de plus en plus précoces chez certains jeunes, notre pays doit assurer une protection judiciaire de la jeunesse efficace et dotée des moyens de ses ambitions.

Pour 2020, le Gouvernement propose d’augmenter de 2 % les crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse », soit 18 millions d’euros, dont 8 millions d’euros de masse salariale. Ce projet de loi de finances pour 2020 prévoit la création de 70 équivalents temps plein d’éducateurs supplémentaires. Selon la protection judiciaire de la jeunesse, ces nouveaux postes seront essentiellement consacrés à la prise en charge éducative en milieu ouvert, dont les effectifs actuels sont gravement insuffisants, notamment pour permettre une prise en charge socio-éducative efficace, afin de repérer au plus vite les mineurs en risque de réitération, de décrochage scolaire ou de rupture familiale et de travailler avec leur famille.

Néanmoins, un problème de taille demeure, celui de la qualification et de l’expérience des éducateurs. Malgré les efforts affichés en termes de recrutement d’éducateurs, il ne suffit pas de créer des postes supplémentaires. En effet, tout comme la problématique existe au niveau de l’éducation nationale pour les enseignants débutants nommés dans les quartiers les plus difficiles, il est nécessaire et crucial de mener une réflexion sur l’expérience des éducateurs, lesquels doivent être suffisamment armés pour encadrer les jeunes qui leur sont confiés. Une formation solide et complète permet d’éviter un turnover excessif dans les équipes et de mettre en difficulté des éducateurs au tout début de leur carrière, que ce soit en milieu ouvert ou dans les centres éducatifs.

Quant aux centres éducatifs fermés (CEF), un programme de création de 20 établissements supplémentaires a été lancé en 2018 pour la mandature, s’ajoutant aux 52 centres existants. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit ainsi 4,3 millions d’euros en crédits de paiement pour la création de 5 nouveaux centres. Par ailleurs, une aide à l’investissement de 2,3 millions d’euros permettra de lancer la construction de 5 nouveaux centres concernant le secteur associatif habilité.

Le développement de ce type de structures apparaît aujourd’hui nécessaire, dans un premier temps, pour fournir à la justice une alternative à l’incarcération des mineurs multirécidivistes ou ayant commis des faits d’une particulière gravité. En effet, développer des alternatives à la prison pour les jeunes délinquants permet de croire et d’espérer que ces jeunes ne connaîtront jamais la prison.

Certes, les crédits immobiliers concernant les CEF sont clairement intégrés dans le PLF pour 2020, mais l’encadrement des jeunes qui y sont accueillis est loin d’être satisfaisant, soit par le manque de postes, soit par le nombre de postes vacants, ce qui peut nous interroger.

Une autre question doit vous interpeller, madame la ministre : les deux tiers des jeunes placés en centres éducatifs fermés avaient auparavant été suivis par les services de la protection de l’enfance. Une telle proportion conduit à se poser des questions sur l’efficacité de la prise en charge socio-éducative de ces mineurs, souvent victimes de carences éducatives et familiales ou livrés à eux-mêmes.

Face à une délinquance de plus en plus précoce, il me semble urgent de mettre autour de la table tous les acteurs de la protection de l’enfance pour la rendre plus efficace, sans jamais oublier, même si ce n’est pas facile, que les familles de ces jeunes ne doivent pas être exclues de cette problématique.

Il conviendra donc de traiter avec beaucoup d’attention cette question au cours des états généraux de l’hébergement, qui visent à réfléchir aux solutions à apporter à la situation critique dans les foyers collectifs, les foyers de jeunes travailleurs et les centres éducatifs renforcés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme Josiane Costes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020 voit ses crédits, cette année encore, augmenter de 2,8 %, soit une hausse de 205 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019. Au total, ce sont 1 520 créations de postes qui sont prévues pour cette mission, qui se divise en trois programmes : la protection judiciaire de la jeunesse, sur laquelle je me suis exprimée en tant que rapporteure pour avis de la commission des lois, l’administration pénitentiaire, et enfin la justice judiciaire et l’accès au droit.

C’est donc sur ces deux derniers programmes que je concentrerai mon propos, la répartition des crédits se faisant de manière très inégale au profit du programme « Administration pénitentiaire ».

En effet, la grande majorité des postes créés dans ce PLF concerne l’administration pénitentiaire : plus de 1 000 créations d’emplois sont prévues, dont 543 correspondent à des postes de surveillants. Ces recrutements permettront, je l’espère, de remédier au problème de la vacance du personnel pénitentiaire, de renforcer les services pénitentiaires d’insertion et de probation, mais également d’améliorer les conditions de travail du personnel.

Un grand effort budgétaire est également fait en matière d’immobilier pénitentiaire, même si nous sommes loin de ce qui était prévu pour les prisons dans la loi de programmation pour 2018-2022. Pour rappel, le Gouvernement prévoit de créer 15 000 nouvelles places de détention d’ici à 2027, et non d’ici à 2022, comme il l’avait annoncé initialement, afin d’atteindre l’objectif de 80 % d’encellulement individuel.

Ce projet, qui est indispensable pour lutter contre la surpopulation carcérale, bénéficie d’une hausse de 88 millions d’euros de crédits en 2020.

Je note également avec satisfaction qu’un budget de 100 millions d’euros est consacré à la construction de deux prisons expérimentales centrées autour du travail. Ces deux prisons ainsi que les places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), dont la construction est également prévue dans le projet de loi de finances, sont de bons signaux.

S’agissant des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice », mon appréciation est plus mitigée, mais je tiens aussi à saluer les efforts déployés.

À cet égard, il faut remarquer que, depuis 2017, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit et commence à porter ses fruits dans les juridictions : le taux de vacances de postes n’est plus que de 0,5 % au 1er octobre 2019, alors qu’il s’élevait à 5,18 % en 2017. Le projet de loi de finances prévoit de continuer sur cette lancée, en ouvrant 384 emplois supplémentaires dont la majorité correspond à des postes de juges pour enfants, de greffiers et de juristes.

Cette hausse des recrutements ne sera certainement pas suffisante, bien sûr, mais il faut la souligner, tout en regrettant vivement, encore une fois, que ces chiffres soient bien inférieurs à ceux votés en mars dernier dans la loi de programmation.

D’autres points ne m’ont pas convaincue.

À périmètre constant, les crédits pour l’aide juridictionnelle et les frais de justice diminuent de près de 14 millions d’euros en 2020. Le Gouvernement justifie cette baisse par les prévisions qu’il a réalisées, mais celles-ci me laissent quelque peu perplexe au regard des nouvelles techniques d’investigation de plus en plus coûteuses.

Je partage également les doutes de mes collègues en ce qui concerne la réforme de l’aide juridictionnelle adoptée par les députés. Je considère que ce sujet qui touche un aspect essentiel de notre État de droit ne doit pas faire l’objet d’une réforme précipitée. Au contraire, une large concertation ainsi qu’une étude d’impact sont plus que nécessaires.

S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, je n’y reviendrai pas. Je me réjouis simplement de la hausse des crédits.

Mes chers collègues, je conclurai mon propos, en rappelant que la politique pénale ne se réduit pas à une affaire comptable. Vous le savez, madame la garde des sceaux, le RDSE est attentif à vos réformes. La politique pénale est avant tout une vision et un projet de société pour améliorer la sécurité de nos concitoyens. Nous avons des regrets concernant la loi de réforme pour la justice. Nous espérons par conséquent que de prochaines initiatives, s’agissant notamment de la récidive, verront le jour.

Dans cette attente, en raison des efforts consentis, mais avec les quelques réserves que j’ai évoquées, la majorité des sénateurs du RDSE votera les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord pour les observations qui ont été formulées.

Je citerai, pour commencer mon propos, quatre chiffres qui résument le budget de mon ministère pour 2020 : 7,6 milliards d’euros, une augmentation de 4 %, 1 520 créations d’emplois, 300 millions d’euros de plus. Voilà les quatre chiffres essentiels qui caractérisent le budget de la justice pour l’année prochaine.

Ces quatre chiffres répondent à cinq priorités : la réforme de l’organisation judiciaire, la nouvelle politique pénale, la transformation numérique de la justice, la réforme de la justice pénale des mineurs et l’accès au droit et à la justice.

Je vais maintenant répondre aux observations qui ont été faites par les différents orateurs.

Monsieur le rapporteur spécial, j’ai bien compris votre propos. Vous dites que ce budget n’est pas à la hauteur et que le Gouvernement s’affranchit des engagements qu’il a pris devant vous. Ce budget comporte effectivement 153 millions d’euros en moins par rapport aux prévisions de la loi de programmation et j’ai eu l’occasion de m’en expliquer devant votre commission.

Cette moindre progression est liée à l’immobilier pénitentiaire et on ne peut y voir une forme d’imprévision, car la plupart du temps nous disposons des terrains. En revanche, la construction de ces établissements pénitentiaires ne recueille pas toujours l’adhésion des autorités locales ou de la population. Nous devons donc faire un choix : soit nous imposons une telle construction à des populations ou des élus qui ne la souhaitent pas, en tout cas pas maintenant, soit nous tenons compte de leur souhait. C’est pour cette raison que nous réduisons la programmation pour l’année prochaine.

En outre, les opérations n’avancent pas toujours au rythme où nous le souhaiterions. Il arrive que des appels d’offres soient infructueux, que des études complémentaires soient nécessaires, que des recherches archéologiques soient requises, etc. Autant d’éléments qui n’étaient pas prévus à l’origine et qui entraînent des retards.

Cela ne signifie pas que les crédits ne seront pas disponibles le moment venu, mais nous prenons en compte la réalité de l’avancement des opérations immobilières. Nous ne revenons donc pas sur l’objectif qui a été affiché au moment du vote de la loi de programmation, c’est-à-dire 15 000 places supplémentaires en 2027.

M. François Bonhomme. 15 000 places livrées ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous avez également évoqué, monsieur Lefèvre, la question de la numérisation, en souhaitant qu’elle demeure compatible avec un accès physique. Je partage complètement ce point de vue.

Nous souhaitons bien sûr développer les applications numériques ; c’est une demande, une exigence même, en particulier des avocats, des magistrats et des greffiers. Pour autant, nous faisons en sorte que, dans chaque juridiction – je précise de nouveau qu’elles seront toutes conservées –, il y aura un service d’accueil unique du justiciable qui permettra de recevoir physiquement tous les justiciables et de les accompagner dans leurs démarches, qu’il s’agisse de l’aide juridictionnelle ou d’autre chose.

Je rappelle par ailleurs que nous faisons un effort important dans la mise en place des maisons France services : j’ai souhaité la présence, dans chacune d’elles, d’un conciliateur de justice qui pourra apporter à nos concitoyens les éléments nécessaires d’information ou de résolution des litiges.

Vous avez également évoqué la baisse des moyens de l’aide juridictionnelle. Si vous le permettez, je répondrai sur ce point, lorsque nous examinerons les amendements, puisque l’un d’entre eux concerne ce sujet. À ce stade, je vous dirai simplement que les montants que nous inscrivons pour l’année prochaine correspondent en réalité à ceux qui auront été consommés effectivement cette année. En outre, comme vous le savez, une recette supplémentaire de 9 millions d’euros s’ajoutera aux chiffres qui ont été présentés.

Monsieur le rapporteur pour avis Détraigne, vous avez indiqué que vous ne souhaitiez pas apporter votre soutien à ce budget pour trois raisons.

Vous estimez tout d’abord que l’effort réalisé en faveur de la justice judiciaire est insuffisant. J’avoue avoir un peu de mal à comprendre ce point de vue, dans la mesure où le nombre de magistrats et de greffiers ainsi que les investissements en matière immobilière pour la justice judiciaire augmentent. Je rappelle qu’aujourd’hui l’école nationale des greffes fonctionne à plein régime – il y a trois promotions par an ! Nous ne pouvons pas faire davantage. Par conséquent, au regard de l’importance de l’effort que nous fournissons en faveur de la justice judiciaire, je ne peux pas partager votre opinion.

Vous avez par ailleurs évoqué la question de la baisse de l’aide juridictionnelle. J’ai donné à l’instant quelques éléments de réponse et nous en reparlerons plus longuement tout à l’heure.

Vous avez également évoqué la suppression de postes de juges d’instruction. Je reviens sur ce point qui est très important. Nous n’avons pas proposé de supprimer des postes de juges d’instruction, mais de regrouper, dans un souci d’efficacité, des fonctions de juges d’instruction dans des pôles de l’instruction. Croyez-vous vraiment pertinent, monsieur Détraigne, qu’un juge d’instruction gère moins de trente dossiers par an et travaille en tant que juge d’instruction pour une part faible de son temps ? Il ne s’agit pas de mettre en cause la qualité du travail ainsi réalisé, mais de réfléchir de manière globale à la meilleure façon d’organiser l’instruction. Ne pensez-vous pas qu’il est intéressant, dans ces situations, de regrouper fonctionnellement les emplois au sein d’un pôle de l’instruction ?

Je rappelle que le regroupement des fonctions n’entraîne pas la suppression du poste de juge. J’ai dit, et je me suis engagée sur ce point, que le nombre de juges affectés à un tribunal ne diminuera pas du fait du regroupement des fonctions de juge d’instruction.

Madame la sénatrice Costes, je salue par votre intermédiaire le rapporteur pour avis Alain Marc. Je vous remercie d’avoir souligné le chemin parcouru. Vous avez toutefois relevé l’incapacité à respecter la trajectoire budgétaire ; je crois avoir déjà répondu à cette observation.

Vous avez par ailleurs évoqué les questions liées à la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais que c’est un sujet auquel vous êtes très attachée et qui vous intéresse beaucoup. Vous avez évoqué la réforme de l’ordonnance de 1945 que j’aurai l’occasion de présenter devant vous prochainement – je me suis également engagée sur ce point, car c’est important, et j’espère que nous pourrons inscrire ce sujet à l’ordre du jour du Parlement durant le premier semestre de 2020.

Vous avez ensuite évoqué plusieurs questions, notamment celle des centres éducatifs fermés. Pour 2020, ces centres représentent 6,8 % de l’ensemble des coûts, l’hébergement collectif 25 %, les centres éducatifs renforcés 1 % et le placement familial et le placement diversifié 15 %. Vous voyez bien que les centres éducatifs fermés, contrairement à ce qui est parfois dit, ne représentent qu’une partie, et pas la plus importante, des solutions que nous offrons pour la prise en charge des jeunes.

Je rappelle également que, dans les mesures nouvelles pour 2020 – en disant cela, je m’adresse aussi à Mme la sénatrice Assassi qui a mis en avant cette problématique –, les centres éducatifs fermés ne représentent que 2,47 millions d’euros sur un total de 11,4 millions d’euros.

Vous avez enfin évoqué la question du traitement pénal des mineurs non accompagnés. C’est un véritable sujet, mais il ne peut pas être traité isolément de la prise en charge globale de ces jeunes. Ce n’est que l’un des aspects de cette question, par ailleurs extrêmement singulière.

Monsieur le sénateur Capus, vous avez vous aussi évoqué la question des juridictions judiciaires et vous estimez que c’est le budget qui augmente le moins. Je crois avoir déjà répondu à cette question. Le budget que je vous propose nous permet de recruter les personnels dont nous avons besoin et de poursuivre la programmation de l’immobilier judiciaire. Je rappelle, vous en avez parlé, que les crédits ont augmenté de 9 % cette année, ce qui nous permet de les stabiliser en 2020 à un niveau globalement comparable.

Vous avez évoqué la question du recrutement des personnels. Nous respectons nos engagements tant pour les magistrats et les personnels de surveillance pénitentiaire que pour les conseillers d’insertion et de probation – 400 postes sont ouverts cette année. Nous aurons ainsi la possibilité de faire face aux besoins.

Monsieur le sénateur Sueur, vous avez comparé le budget de la justice française à celui qui existe dans d’autres pays européens. Plusieurs organismes réalisent, souvent remarquablement, de telles comparaisons – je pense à la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) qui dépend du Conseil de l’Europe ou à la Commission européenne elle-même.

Monsieur le sénateur, il n’y a jamais assez d’argent pour la justice – je vous rejoins aisément sur ce point !

Pour autant, les comparaisons doivent être faites avec beaucoup de précision et lues avec autant de distance. Je ne citerai qu’un exemple : les juges prud’homaux ou consulaires existent dans notre pays et tranchent des litiges, mais ils ne sont pas comptabilisés dans les études européennes. Je ne dis pas cela pour me dédouaner, mais ces aspects doivent être pris en compte précisément, si l’on veut comparer les situations de manière sérieuse. Je dis simplement : sachons de quoi nous parlons !

Vous évoquez également des baisses de crédits, mais j’ai l’impression que vous parlez en fait d’autorisations d’engagement. Or il est normal que les autorisations d’engagement baissent, puisqu’elles ont été ouvertes en 2018 et 2019 pour pouvoir lancer l’ensemble des opérations immobilières et les grands projets informatiques dont nous avons besoin. Une fois ces autorisations ouvertes, nous n’avons plus besoin de nouvelles, nous devons inscrire uniquement des crédits de paiement – ce sont eux qui permettent de réaliser effectivement les opérations qui ont été lancées. Il ne faut donc pas confondre autorisations d’engagement et crédits de paiement.

Vous avez ensuite évoqué la question des personnes détenues. Vous dites que leur nombre est en augmentation et que les mesures alternatives ne sont pas suffisantes. C’est vrai, nous sommes dans une situation difficile en termes de surpopulation carcérale.

Toutefois, j’ai quelques espoirs d’amélioration, puisque les tout derniers chiffres montrent une légère baisse du nombre de personnes détenues. Il me semble que ce début de baisse est dû aux mesures décidées dans le cadre de la loi de réforme pour la justice qui, vous le savez, a mis en place, à compter du 1er juin dernier, la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine pour les peines de moins de cinq ans. Ces mesures commencent à s’appliquer et le nombre de décisions progresse de manière importante – il me semble qu’il a déjà progressé de 90 %.

L’application de ces mesures commence à se traduire sur le niveau de la population carcérale. J’allais dire que je touche du bois, mais l’expression n’est évidemment pas adaptée. En tout cas, je ne crie pas victoire, mais nous avons engagé une politique de traitement des peines et des parcours de détention extrêmement volontariste et je pense que tout cela devrait conduire à des améliorations dans quelque temps.

Sachez par ailleurs que nous sommes extrêmement volontaristes pour multiplier les peines autonomes autres que l’emprisonnement. Je pense aux travaux d’intérêt général ou au bracelet électronique.

Vous avez aussi évoqué, monsieur Sueur, la spécialisation des tribunaux. Vous estimez que cette spécialisation peut conduire à dépouiller certains tribunaux judiciaires, lorsqu’il y en a plusieurs dans un même département. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Cette spécialisation est une façon de mieux rendre la justice et elle doit être équilibrée entre tous les tribunaux concernés – c’est ce que prévoit très précisément la loi de réforme que j’ai portée. Je le redis, il ne peut pas y avoir de situation où un tribunal serait dépouillé par un autre et nous devons trouver un équilibre pour spécialiser les magistrats sur quelques contentieux techniques. L’objectif est de mieux rendre la justice, pas de dépouiller quelque territoire que ce soit.

M. Jean-Pierre Sueur. Qui prendra la décision !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Enfin, sur la question précise que vous m’avez posée, monsieur Sueur, je rappelle que la loi prévoit que nous travaillions sur les propositions des chefs de cours d’appel, pas des chefs de juridiction, et que ces propositions doivent faire l’objet d’un avis des conseils de juridiction. C’est ainsi que la loi est écrite et c’est évidemment ainsi que nous l’appliquerons !

Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, je vous remercie de vos propos. Je vous répondrai donc uniquement sur la question du numérique outre-mer, en vous disant que c’est un sujet sur lequel je suis extrêmement attentive et auquel je veillerai personnellement.

Madame la sénatrice Assassi, vous m’avez dit que, au fond, toutes les réformes que nous conduisions ne feraient qu’allonger les délais de traitement des contentieux. Je vous répondrai simplement que nous constatons déjà le contraire. Ainsi, le délai moyen de traitement des procédures pénales en matière criminelle est passé de quarante mois en 2017 à trente-neuf en 2019 et que celui des procédures civiles poursuit sa décrue. Nul besoin que je continue, puisque vous pourrez aisément vous reporter au rapport présenté par M. Antoine Lefèvre au nom de la commission des finances du Sénat qui contient toutes les informations pertinentes à ce sujet… Notre objectif est évidemment de diminuer les délais de traitement, même si, je le reconnais, nous ne sommes qu’au début de cette démarche.

Sur la question de l’éloignement des justiciables, je ne suis, là non plus, pas du tout d’accord avec vous. Les tribunaux restent, partout où ils existent. Ils sont même confortés dans l’exercice de leurs compétences et de leurs contentieux.

Mme Éliane Assassi. C’est un point de désaccord fondamental entre nous !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Regardez simplement les tribunaux de proximité ! Ils sont tous maintenus et le nombre des contentieux qui y sont traités pourra s’accroître grâce à de nouveaux champs de compétences liés à la justice du quotidien. Dans la plupart des situations, nous rapprochons le justiciable de ses juges.

Sur les moyens consacrés à l’enfermement, j’ai répondu tout à l’heure : les crédits des centres éducatifs fermés ne sont pas au niveau que vous avez évoqué.

Madame la sénatrice Vermeillet, j’ai entendu vos doutes sur le PNAT. Nous ne partageons pas la même opinion et je pense que les résultats obtenus vous permettront de constater, d’ici quelque temps, que la lutte antiterroriste est encore mieux prise en charge de cette manière.

En ce qui concerne l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, nous constatons d’ores et déjà un véritable engouement pour les travaux d’intérêt général. En moins d’un an, les offres de postes ont connu une augmentation de plus de 10 % et le nombre de prononcés progresse également.

J’ai beaucoup apprécié, madame la sénatrice, ce que vous avez dit sur l’humilité et la ténacité. C’est exactement l’esprit dans lequel je me situe.

Madame la sénatrice Eustache-Brinio, vous avez évoqué, à propos de la protection judiciaire de la jeunesse, la question des éducateurs. C’est un corps dont il faut en effet prendre soin, puisqu’il constitue la base de notre système. À la suite de leur passage en catégorie A, ce qui correspond à un recrutement à bac+3, nous avons rénové très récemment leur formation et mis en place un processus d’alternance intégrative avec des cycles de formation théorique à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et des stages pratiques, puis un stage d’accompagnement à la prise de poste d’une durée de quatre mois. Une formation adaptée est un autre moyen d’augmenter l’attractivité de ces fonctions.

Enfin, vous avez parfaitement raison d’attirer notre attention sur la question de la prise en charge des jeunes par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Sous l’impulsion de mon collègue Adrien Taquet, le Gouvernement mène une réflexion pour renouveler la gouvernance de notre système afin que cette prise en charge soit mieux coordonnée entre l’ensemble des acteurs concernés – juges des enfants, services de la protection judiciaire de la jeunesse, conseils départementaux, etc.

Dernier point, je m’adresse de nouveau à vous, madame la sénatrice Costes, nous travaillons beaucoup sur la question de la vacance des postes dans l’administration pénitentiaire. Il nous faut améliorer l’attractivité de ces carrières, à la fois par des primes et par une redéfinition plus large des fonctions.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter à ce stade de nos travaux.

Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 76 undecies (nouveau)

Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Justice

9 099 977 586

9 388 917 920

Justice judiciaire

3 610 306 455

3 500 586 455

Dont titre 2

2 385 737 027

2 385 737 027

Administration pénitentiaire

3 582 404 407

3 958 805 412

Dont titre 2

2 631 471 619

2 631 471 619

Protection judiciaire de la jeunesse

930 933 118

893 591 148

Dont titre 2

536 153 301

536 153 301

Accès au droit et à la justice

530 512 897

530 512 897

Conduite et pilotage de la politique de la justice

439 846 409

500 506 708

Dont titre 2

182 510 844

182 510 844

Conseil supérieur de la magistrature

5 974 300

4 915 300

Dont titre 2

2 790 523

2 790 523

Mme la présidente. L’amendement n° II-893, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

 

 

 

 

Administration pénitentiaire

dont titre 2

 

 

 

 

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

 

 

 

 

Accès au droit et à la justice

 

 

 

 

Conduite et pilotage de la politique de la justice

dont titre 2

12 430 000

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

 

 

 

 

TOTAL

12 430 000 

 

 

 

SOLDE

+ 12 430 000

La parole est à Mme la garde des sceaux.