Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Josiane Costes, rapporteur pour avis. On ne peut, en revanche, que se féliciter que le quartier pour mineur de Fleury-Mérogis bénéficiera d’un bâtiment propre, même si tout reste à construire.

Pour conclure sur ce point précis des mineurs détenus, les efforts en termes d’éducation doivent être accentués, ce qui relève de l’éducation nationale. La PJJ doit trouver pleinement sa place en milieu carcéral, notamment dans les établissements pour mineurs afin d’assurer la continuité de la prise en charge des jeunes pour lesquels l’incarcération doit rester une mesure exceptionnelle. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de notre discussion, la parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation des crédits et des emplois de l’ensemble des programmes de la mission « Justice », ce qui est en soi une bonne nouvelle.

Le montant des crédits demandés pour 2020 atteint ainsi près de 9 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 9,4 milliards d’euros en crédits de paiement. Le plafond prévisionnel d’emplois dépasse légèrement les 88 000 équivalents temps plein travaillé, ce qui correspond à un relèvement de l’autorisation de recrutement de 1 520 emplois.

Si cette évolution des crédits et des emplois est positive, elle marque, en revanche, un décrochage par rapport aux engagements pris dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Celle-ci prévoyait pour l’exercice 2020 la création de 1 620 emplois supplémentaires et l’inscription, en loi de finances initiale, de près de 400 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement. Cette progression des crédits et des emplois semble modeste au regard des efforts nécessaires au redressement de la justice qui se trouve toujours dans une situation critique, tant en termes de délais que de moyens !

Ce constat, notre groupe parlementaire l’avait déjà dressé en 2018 et en 2019, à cette même tribune.

Je souhaite formuler des observations spécifiques à deux des trois programmes de la mission « Justice ».

Tout d’abord, s’agissant des moyens dévolus aux juridictions judiciaires, notre groupe, comme l’an dernier, regrette que ce budget soit celui qui augmente le moins parmi tous les programmes de la mission « Justice ». En effet, l’effort consenti est de seulement 0,13 %, ce qui ne permet pas de couvrir l’érosion liée à l’inflation !

Néanmoins, il faut saluer la poursuite du renforcement des effectifs des juridictions, avec la création nette de 384 emplois en 2020 et la quasi-résorption du taux de vacances de postes de magistrats, tout comme celle de l’augmentation des crédits en faveur du numérique, de l’ordre de 7 %. Mais toutes ces mesures ne doivent pas occulter une situation qui demeure malheureusement préoccupante dans les juridictions, avec des délais de traitement qui s’allongent et une situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes de greffiers.

Il en va de même de la progression des crédits du programme consacré à l’administration pénitentiaire, qui est bien réelle et appréciable, même si elle demeure inférieure d’environ 150 millions d’euros à celle prévue par la loi de programmation.

Un autre point positif mérite d’être relevé : il s’agit de l’augmentation des effectifs, marquée par la création de 1 000 postes. Je crains néanmoins que, compte tenu du nombre élevé de personnes placées sous main de justice et des sous-effectifs chroniques constatés, ces créations d’emplois ne suffisent pas à améliorer les conditions de travail des personnels. En effet, comme de nombreuses autres administrations, l’administration pénitentiaire rencontre des difficultés de recrutement avec sans doute une difficulté supplémentaire liée aux conditions de travail très rudes propres à ce milieu.

Enfin, le programme immobilier doit matérialiser l’engagement présidentiel de construire 15 000 places de prison avant la fin du quinquennat.

Concrètement, et je pense avoir bien compris ce chapitre, il sera séquencé en deux livraisons successives : 7 000 places seraient livrées avant la fin de 2022 et les 8 000 autres engagées avant 2022 pour une livraison effective avant la fin de l’année 2027.

Je me réjouis, madame la ministre, de l’engagement que vous avez pris d’y faire figurer un nouvel établissement pénitentiaire à Trélazé, dans le Maine-et-Loire. Vous connaissez bien la maison d’arrêt d’Angers et son état totalement déplorable.

Mes chers collègues, nous le savons tous, la situation que vivent les personnels dans les établissements pénitentiaires est dramatique, notamment face à la hausse du nombre de personnes placées sous main de justice.

Notre groupe serait donc très favorable à une augmentation des crédits au regard des enjeux auxquels notre justice doit faire face. Aussi, pour l’heure, le groupe Les Indépendants demeure vigilant concernant les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le coût de la justice, si l’on peut dire, par Français est de 65,90 euros par an. Pour les Allemands et les Britanniques, il est de 122 euros par habitant et par an.

D’après une étude du Conseil de l’Europe, que vous connaissez bien, la France est au 37e rang sur 41 s’agissant de son budget de la justice rapporté au produit intérieur brut (PIB). Notre pays compte 4 fois moins de procureurs que la moyenne européenne, 2,2 fois moins de juges et 2 fois moins de personnel de greffe par habitant.

Certes, face à ces constats, il est clair que le budget de la justice est en constante augmentation depuis 2002, soit depuis plus de quinze ans. Pourtant, l’écart demeure très important. Cela tient au fait que les augmentations décidées, année après année, portent sur un budget tellement bas historiquement que le retard structurel n’est jamais rattrapé.

Madame la ministre, c’est à l’aune de ces constats qu’il faut parler de votre budget. Certes, j’ai bien précisé que les faits que j’ai rappelés concernaient tous les gouvernements depuis longtemps. Ce qui nous manque – et combien de fois ai-je eu l’occasion de le dire à cette tribune, mes chers collègues, et auparavant, il y a longtemps, à celle de l’Assemblée nationale –, c’est une véritable loi de programmation, qui s’imposerait à tous les gouvernements, nonobstant les principes de l’annualité budgétaire, qui nous permettrait de consentir un effort très considérable pour, enfin, rattraper le retard.

Vous nous direz qu’une loi de programmation a été inscrite dans la loi de réforme de la justice que vous nous avez présentée. Celle-ci prévoyait la création d’emplois et, en vérité, des emplois sont créés. Toutefois, nous sommes navrés de constater que, malheureusement, les crédits qui étaient promis, prévus dans cette programmation ne sont pas au rendez-vous.

Il manque, au bas mot, 150 millions de crédits cette année par rapport à ce que vous-même aviez proposé d’inscrire dans cette loi de programmation et de réforme pour la justice, que le Parlement avait non seulement acceptée, mais souhaitée. Nous avions d’ailleurs souhaité davantage de moyens.

Plusieurs constatations apparaissent aujourd’hui : une baisse de 45,6 % des investissements pour la justice judiciaire ; une baisse de 3,35 % du fonctionnement de l’administration pénitentiaire ; une baisse de 2,5 % de la conduite et du pilotage de la politique de la justice ; une baisse de 20 % pour le support à l’accès au droit et à la justice. Par ailleurs, pour ce qui est des places de prison, je tiens à souligner qu’elles bénéficient de crédits en augmentation, comme d’ailleurs l’ensemble de l’administration pénitentiaire. Des postes seront créés, mais souvent, ces créations ne serviront qu’à combler les très nombreuses vacances.

Mais, vous le savez, madame la ministre, jamais autant de personnes n’ont été incarcérées en France, et la France est le seul pays européen dans lequel le nombre de détenus augmente dans ces proportions. Ce nombre a atteint un nouveau record avec 71 828 personnes détenues au 1er avril 2019. Cela pose de nouveau, avec une acuité toute particulière, la question de la mise en œuvre efficace et effective des alternatives à la détention, sujet sur lequel les nécessaires réponses ne nous paraissent pas être au rendez-vous face à cette surpopulation qui appellerait l’augmentation sensible de ces mesures.

En outre, s’agissant des mesures annoncées lors du Grenelle contre les violences conjugales, auquel vous avez participé, madame la ministre, nous pouvons craindre que les crédits annoncés ou supposés ne soient inférieurs aux besoins nécessaires pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.

J’ajoute que l’accès à la justice et l’aide juridictionnelle sont remis en cause par une baisse des crédits de près de 22 millions d’euros en 2020. Et nous sommes plus que sceptiques sur les dispositions votées par l’Assemblée nationale pour l’aide juridictionnelle.

Il ne nous paraît pas justifié de prendre comme indicateur le seul revenu fiscal de référence, et non plus les revenus de toute nature.

Nous ne sommes pas favorables non plus à la suppression de l’obligation de disposer d’un bureau d’aide juridictionnelle dans chaque TGI, c’est-à-dire d’un point d’accès à cette aide financière. Il ne nous semble pas justifié d’écarter un certain nombre de publics en vertu d’une « politique uniforme » des bureaux d’aide juridictionnelle.

Nous devons rester très attentifs aux besoins d’aide juridictionnelle, ce qui n’est pas le cas de ce budget, qui voit les crédits pour l’aide juridictionnelle diminuer.

Je veux aussi aborder la question de la spécialisation des tribunaux. Certains craignent qu’elle ne serve de palliatif à l’idée de supprimer des juridictions.

Madame la ministre, vous avez affirmé clairement que toutes les juridictions seraient maintenues, mais si certaines sont déchargées d’une partie de leurs prérogatives, cela pourrait poser des problèmes. Vous avez dit que rien ne serait imposé sans l’accord des juridictions elles-mêmes.

Dans mon département, qui compte deux tribunaux de grande instance, les représentants des magistrats, des personnels et des avocats ne sont pas d’accord avec certaines mutualisations ou spécialisations qui sont proposées.

Madame la garde des sceaux, pouvez-vous confirmer que, dans ce cas, on en restera au statu quo, comme vous en avez pris l’engagement ? Pourrait-il au contraire être remis en cause si des chefs de cour – je n’ose l’imaginer ! – allaient à l’encontre des souhaits des magistrats, des personnels et des avocats ?

Comment enfin ne pas revenir sur une affaire qui nous a beaucoup émus, madame la garde des sceaux ? Je veux parler bien sûr de la parution dans la presse d’une note de votre ministère qui semble établir un lien entre le maintien ou la suppression éventuelle de postes de juges d’instruction et certaines considérations électorales. Je vous ai posé des questions très précises à ce sujet, mais vous avez toujours affiché un mutisme tenace… Cela ne contribue pas à créer un contexte favorable.

Pour toutes ces raisons, en dépit d’efforts réels que je tiens à souligner, notre groupe ne pourra pas voter les crédits que vous nous présentez pour cette année 2020, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (MM. Emmanuel Capus et Julien Bargeton applaudissent.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour la troisième année consécutive, le budget pour la justice connaît une nouvelle augmentation de ses crédits.

En effet, après une hausse significative de 3,9 % en 2018 et de 4,5 % en 2019, le budget s’élève, pour l’année 2020, à 7,6 milliards d’euros, ce qui représente une progression de près de 4 %, ou 300 millions d’euros supplémentaires.

On peut choisir de voir le verre à moitié vide : malgré une hausse des crédits consacrés à la justice, ces derniers restent proportionnellement bas par rapport à d’autres missions et n’atteignent pas le niveau de ceux accordés par nos voisins européens. C’est le point de vue exprimé à l’instant par notre collègue Jean-Pierre Sueur.

On peut souligner aussi que cette hausse est inférieure à la trajectoire qui était fixée dans la loi de programmation budgétaire 2018-2022, adoptée en février dernier, qui prévoyait une augmentation de 5 %.

Mais, comme vous nous l’avez expliqué, madame la garde des sceaux, le budget a été revu à la baisse en raison de retards dans des chantiers de projets immobiliers pénitentiaires. C’est un fait.

À l’inverse, nous avons décidé de voir le verre à moitié plein et de constater – sans satisfecit excessif, car il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour mettre la justice à niveau dans notre pays – que l’évolution, depuis 2013, des moyens globaux alloués à la justice judiciaire montre une hausse significative.

On peut également se réjouir de l’augmentation réelle des effectifs présents en juridiction.

Avec ce budget, 1 520 emplois seront créés, ce qui portera, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, à 3 920 le nombre d’emplois créés depuis 2018.

L’administration pénitentiaire bénéficiera donc d’un millier de postes supplémentaires, et de près de 84 millions d’euros consacrés au programme immobilier, qui permettront de tenir compte des revendications légitimes des surveillants pénitentiaires et d’améliorer le fonctionnement et la sécurité des établissements dans lesquels ils travaillent.

Les effectifs de magistrats sont également renforcés dans les juridictions, avec la création de 384 emplois, afin de poursuivre le véritable effort de résorption du taux de vacance de postes de magistrats entrepris par le Gouvernement.

La protection judiciaire de la jeunesse profitera aussi de cette augmentation en moyens humains et se verra dotée de 94 postes d’éducateurs de plus.

Le ciblage de 70 emplois de magistrats et de 100 emplois de greffiers, la poursuite de la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants, la construction de centres éducatifs fermés et la rénovation du parc immobilier, permis grâce aux crédits de 17 millions d’euros, concourront à la prochaine mise en œuvre de la réforme de la justice pénale des mineurs, qui entrera en vigueur au 1er octobre 2020.

Ces créations d’emplois permettront également aux juridictions et aux services pénitentiaires d’œuvrer dans le sens de la diversification des peines et du développement des alternatives aux peines de prison, l’un des cinq objectifs prioritaires de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.

Je pense notamment au bracelet anti-rapprochement, qui permettrait de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents, et dont le périmètre d’éloignement serait fixé par un juge.

Il me semble tout aussi important de souligner que ce budget consacre des moyens considérables pour poursuivre la modernisation numérique de la justice.

Vous nous avez assuré, madame la garde des sceaux, que le réseau haut débit serait effectif sur un millier de sites judiciaires à la fin de 2020, y compris en outre-mer. J’y veillerai, car, dans ces territoires où l’insularité et l’éloignement géographique complexifient grandement l’accès au droit, cette transformation numérique est capitale.

Je dirai un dernier mot sur l’aide juridictionnelle, qui, à mon sens, nécessiterait une réforme d’ampleur, et qui pourtant vient de faire l’objet, à l’Assemblée nationale, de modifications aux conséquences importantes, mais incertaines, faute d’étude d’impact.

Ces modifications suscitent évidemment des interrogations. Quel sera l’impact du nouveau critère de « revenu fiscal de référence » par rapport à l’ancien critère de « ressources de toute nature » sur le périmètre des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ? Les dispositions nouvelles ne sont-elles pas entachées d’incompétence négative et, dans ce cas, n’y a-t-il pas un risque d’inconstitutionnalité ?

Autre interrogation : l’implantation des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) au sein des tribunaux de grande instance date de 1851. Le renvoi à un décret pour leurs futures implantations inquiète la profession d’avocat, sans garantie du principe de l’existence d’un BAJ dans le ressort de chaque cour d’appel. Ne serait-il pas, par ailleurs, préférable de prévoir que le décret soit pris en Conseil d’État ?

En conclusion, avec cette progression des crédits, nous pensons que le Gouvernement confirme la priorité accordée à la justice de notre pays. Ce budget consacre un effort particulier aux dépenses de personnel et d’investissement, dont notre justice a cruellement besoin.

C’est la raison pour laquelle, nonobstant les interrogations dont je me suis fait l’écho – j’espère que vous pourrez y apporter des réponses, madame la garde des sceaux –, le groupe La République En Marche votera en faveur de ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette mission a ceci de particulier que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, récemment adoptée, a déjà fixé le plafond des dépenses qui seront consacrées chaque année à la mission « Justice ». Ainsi, il est prévu d’atteindre à l’horizon de 2022 un budget de 8,125 milliards d’euros, hors contribution au compte d’affectation spéciale « Pensions ».

Ce budget est en augmentation, comme prévu, et il réserve peu de surprises. Il suit peu ou prou les orientations annoncées, que nous contestions déjà lors de la discussion de ladite réforme.

Seulement, alors que la loi de programmation pour la justice prévoyait une augmentation de 400 millions d’euros, vous proposez finalement de la limiter à 200 millions d’euros l’an prochain.

Pourtant, après Jean-Pierre Sueur, je voudrais rappeler que le système judiciaire français est l’un des plus mal dotés en Europe. Le rapport pour 2018 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice décrivait d’ailleurs le système judiciaire français comme l’un des plus mal dotés parmi les États du Conseil de l’Europe, tant en termes de budget consacré à la justice que d’effectifs de magistrats. Nous comptons 13 magistrats et 47 personnels judiciaires pour 100 000 habitants, contre 31 et 105 pour la médiane européenne.

Ainsi, alors que le nombre d’emplois créés en 2020 est présenté comme un effort considérable, avec un rythme de 100 postes de magistrats en plus par an, il faudrait plus d’un siècle à la France pour rejoindre la médiane des États du Conseil de l’Europe.

S’agissant des tribunaux de grande instance, leur activité ne diminuant pas et les créations de postes étant insuffisantes, leurs délais moyens de traitement n’ont fait qu’augmenter depuis maintenant plusieurs années.

Dans ce cadre, je ne peux que réitérer notre inquiétude quant à la mise en œuvre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui entraînera notamment la fusion du tribunal d’instance et de grande instance au sein du tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.

Comme le relève le Syndicat de la magistrature, la disparition de cette juridiction et, par conséquent, de ses moyens propres, ne pourra qu’avoir un impact négatif sur les délais moyens de traitement des affaires qui relevaient de sa compétence, dès lors que ses moyens seront mutualisés avec l’actuel TGI, dont les délais sont catastrophiques.

En outre, la disparition des tribunaux d’instance marquera un recul frappant pour notre pays en matière d’accès au juge. Ce recul sera également alimenté par le déploiement de la visioconférence. Des moyens en plus pour cette mission, certes, mais au profit d’une justice déshumanisée… Très peu pour nous !

Avec l’augmentation de 20 % du parc de visioconférence, le principe de la présence physique du justiciable à l’audience semble donc devenir marginal par rapport à celui de l’audience par visioconférence. Nous dénonçons régulièrement cette évolution majeure de la procédure pénale, la visioconférence ne permettant pas un exercice réel des droits de la défense pour le justiciable, et compliquant le déroulement de l’audience.

Outre le recul en matière d’accès au juge porté par la volonté d’étendre la visioconférence, un autre principe, celui de l’incarcération à tout-va, illustre ce budget, malgré un affichage politique contraire. Ainsi, 159 emplois sont réservés aux ouvertures d’établissements pénitentiaires, et 83,5 millions d’euros sont consacrés aux crédits immobiliers, soit une augmentation de 27 % par rapport à 2019. L’objectif affiché est ainsi la création de 15 000 places de prison supplémentaires à l’horizon de 2027. Si des collègues sénatrices et sénateurs regrettent, au-delà même de la majorité sénatoriale, le manque d’ambitions en la matière, de notre côté, nous nous inquiétons à l’inverse que ce budget soit presque totalement consacré à l’enfermement, d’autant plus que cette logique délétère est aussi coûteuse qu’inefficace en termes de prévention de la délinquance !

La même logique est pourtant retenue en matière de protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation des crédits et des effectifs de ce programme étant presque entièrement absorbée par la construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés. Là encore, nous maintenons notre opposition à la création de ces nouveaux centres éducatifs fermés, qui n’ont d’éducatifs que le nom. À l’inverse, nous prônons une revalorisation urgente du budget concernant le suivi des mineurs en milieu ouvert.

Enfin, concernant l’aide juridictionnelle, les apparences sont trompeuses, puisque le projet de loi de finances laisse apparaître une augmentation des crédits, alors qu’il n’en est rien en réalité.

En effet, comme le dénonce, là encore, le Syndicat de la magistrature, « cette augmentation est uniquement due à l’intégration dans les recettes de crédits qui étaient auparavant affectés au Conseil national des barreaux. Il s’agit donc uniquement d’un changement de périmètre. À périmètre constant, c’est en réalité une baisse de 3,2 % du budget consacré à l’aide juridictionnelle qu’il faut constater ».

Alors que la France se situe largement au-dessous de la moyenne européenne pour le budget par habitant alloué à l’aide juridique, on assiste à une diminution de ce budget, qui sacrifie une politique publique pourtant cruciale pour l’accès de tous à la justice, y compris les plus démunis, et pour assurer des conditions de rémunération décentes aux avocats qui les défendent.

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce budget, qu’il serait urgent d’abonder à la hauteur de l’enjeu de mission de service public que représente notre justice, dans l’intérêt de tous les justiciables, mais aussi de notre État de droit.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget pour 2020 de la justice présente des évolutions positives. Il peut ainsi paraître surprenant que, pour la première fois au cours des dernières années, aussi bien notre commission des finances que notre commission des lois nous proposent de ne pas adopter les crédits de la mission « Justice ». C’est une première. Cette position est-elle justifiée ?

Je souhaite livrer notre analyse du budget pour 2020, exprimer certains doutes et conclure sur nos points d’attention.

Le budget pour 2020 comporte des évolutions positives que nous saluons, même si le Graal de la trajectoire fixée par la loi de programmation pour la période 2018-2022, que nous avons adoptée récemment, n’est pas atteint.

Le budget est en augmentation de 4 %, et plus de 1 500 emplois vont être créés.

L’inscription de l’intégralité du financement de l’aide juridictionnelle redonne au budget une sincérité de bon aloi.

La vacance des postes de magistrats, problème récurrent, est ramenée à un taux de 0,9 %, ce qui est une très bonne nouvelle. Ce résultat satisfaisant n’avait certainement pas été atteint depuis très longtemps !

Pour la programmation immobilière judiciaire, 161 millions d’euros ont été inscrits en crédits de paiements, et 400 emplois seront créés au bénéfice des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).

L’application des peines, talon d’Achille de la justice, n’est plus le parent pauvre que nous avons longtemps connu. On peut en effet relever la création de 145 emplois en vue de l’ouverture à venir de places de prison, ainsi que la forte augmentation des crédits en faveur de la sécurité pénitentiaire.

Nous avons toutefois quelques doutes, que je citerai dans le désordre.

Tout d’abord, vous mettez en avant la création du parquet national antiterroriste (PNAT), madame la ministre. Pour notre part, nous ne sommes pas convaincus d’une amélioration par rapport à la compétence antérieure du parquet de Paris, et l’efficacité que celui-ci pouvait trouver dans une mobilisation rapide de magistrats en nombre.

S’agissant de la création de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, notre groupe a peu d’appétence pour la multiplication des agences…

Les établissements pour mineurs (EPM) nous semblent connaître beaucoup de dysfonctionnements. Nous ne demandons pas leur suppression, mais, a minima, votre vigilance particulière, madame la ministre.

En conclusion, je vous présente nos points d’attention. L’année 2020 sera-t-elle l’année de la réalisation et des premiers résultats, comme vous vous plaisez à le dire ? Nous le souhaitons !

Toutefois, nous ne croyons pas que tout soit une question de budget ni que tout passe par une réforme de la justice. Nous ne pensons pas que la justice doive se complaire dans les grands principes, les grands débats de société ou les assauts intellectuels qui rivalisent de brio à l’occasion des discours de rentrée.

Notre groupe pense que la justice a besoin d’humilité et de ténacité, d’un effort du quotidien. Pour paraphraser l’image chère à nos collègues de la commission de la défense, qui ont parlé d’une loi de programmation militaire « à hauteur d’homme », nous souhaitons également une justice à hauteur d’homme.

Sans vouloir réduire le prestige attaché à votre mission, madame la garde des sceaux, nous sommes convaincus que votre ministère a besoin d’une culture du management, une culture de la gestion des ressources humaines, une culture du pilotage transversal des projets, qu’ils soient immobiliers ou informatiques.

Pour symboliser notre approche, nous pensons plus utile au fonctionnement de la justice d’avoir une chaîne pénale informatique fluide, de la plainte au jugement et à son exécution, fluide pour les policiers, les greffiers, les magistrats, les avocats, tous les auxiliaires de justice ou encore les victimes, que de débattre indéfiniment de réformes pénales. La justice est pour nous très représentative du fonctionnement en silo de notre pays.

Le budget que vous nous présentez permet des avancées, madame la garde des sceaux. Si elles étaient accompagnées d’une plus grande horizontalité de votre ministère, notre groupe y verrait une œuvre très utile.

En conclusion, et pour répondre à la question que je posais au début de mon intervention, les critiques multiples qu’ont détaillées nos collègues rapporteurs sont telles que nous ne pouvons soutenir ce budget, madame la garde des sceaux.

J’ai rappelé un certain nombre d’avancées, mais le fait qu’un budget augmente ne suffit pas à démontrer que l’effort est à la hauteur des enjeux. Je terminerai en reprenant un point cité par mon collègue Yves Détraigne : oui, le budget des juridictions judiciaires augmente, mais l’effort consenti ne permet même pas de couvrir l’érosion liée à l’inflation…

Suivant l’avis de la commission des finances et de la commission des lois, le groupe Union Centriste votera contre les crédits de la mission « Justice ». (MM. Emmanuel Capus, Rémi Féraud et Gérard Poadja applaudissent.)