Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Joissains, pour la réplique.

Mme Sophie Joissains. Sur la loi de 1905, nous ne sommes pas d’accord. Il me semble en effet qu’au moment où vous parlez de reconquête de la République il serait dangereux de montrer que l’on peut la modifier. Ce serait, à mon avis, aller dans le sens d’une déstabilisation possible de la loi. Peut-être en débattrons-nous plus tard.

Je voudrais revenir sur les réponses à apporter aux élus locaux et à certains responsables du service public qui sont confrontés à ces problèmes de manière récurrente et quotidienne. Ainsi, un maire de conviction tout à fait républicaine qui interdit le burkini au nom de ce qu’il pense être le respect du principe de laïcité s’expose à des accusations qu’il ne mérite pas. C’est, à mon sens, en cela que l’État doit lui donner des réponses.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. « Je veux l’État laïque, exclusivement laïque. » Je fais miens ces mots de Victor Hugo à l’heure où ce fondement de la République française qu’est la laïcité doit faire face aux pires menaces qu’elle ait jamais eu à affronter. Le retour de la religion dans l’espace public déstabilise notre société et menace la liberté de conscience des plus fragiles, à commencer par nos enfants.

L’école de la République ne constitue plus aujourd’hui le rempart dont ses fondateurs ont voulu doter la postérité pour former des générations de citoyens libres et égaux. En son sein même, la religion s’immisce par tous les moyens possibles, jusqu’aux tenues vestimentaires des accompagnateurs des sorties scolaires, habituant ainsi les enfants, dès leur plus jeune âge, à la confrontation avec la forme la plus visible de la foi et les exposant à une influence d’autant plus dangereuse qu’elle est exercée par les figures tutélaires que sont les parents.

Dans nos territoires, des pans entiers de nos villes tombent progressivement sous l’emprise du fondamentalisme. Certaines femmes ne sortent plus sans porter le voile islamique pour éviter les railleries et les insultes des hommes. Des listes communautaires émergent en vue des élections municipales pour faire pression sur les élus locaux et imposer des revendications religieuses. Dans nos clubs sportifs, les pires extrémistes repèrent les jeunes en quête de sens et les conduisent sur la voie de la radicalisation. Que dire, enfin, de nos hôpitaux, où le personnel est confronté à des femmes refusant d’être examinées par des hommes ?

Une grande partie de nos concitoyens déplorent l’absence de la moindre prise de position du Président de la République sur un sujet aussi fondamental pour l’unité nationale et la sauvegarde des valeurs de notre République. Le concept évasif de « laïcité ouverte », sans cesse mis en avant sans jamais être défini, ne peut suffire à lui seul pour protéger les Français des tentatives d’imposer la présence de la religion dans la vie de chacun.

Monsieur le ministre, ma question est simple : quand le Gouvernement définira-t-il un cap clair et ferme pour défendre le principe de laïcité ? Quand le Président de la République s’exprimera-t-il en faveur de ce pilier fondateur de notre République ? Saura-t-il prendre les responsabilités qui lui incombent pour faire triompher ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Madame la sénatrice, il ne m’appartient pas d’anticiper sur ce que dira le Président de la République. Observateur politique attentif, j’ai dû l’entendre réaffirmer une bonne dizaine de fois depuis son élection les principes fondateurs de la laïcité.

Je pense que tout ce que j’ai dit dans mon propos liminaire et dans chacune de mes réponses est parfaitement conforme – ce qui tombe bien ! – aux expressions que le Président de la République a employées à de nombreuses reprises. Il aura l’occasion de revenir sur le sujet.

Vous voulez donner le sentiment que rien n’est fait par ce gouvernement et que rien n’a jamais été fait, sauf par le gouvernement que vous avez dû soutenir à un moment donné… C’est faux et injuste ! Il me semble que, en assumant et en nommant les choses, en recourant à l’ensemble des dispositifs que j’ai indiqués précédemment, nous agissons, même si c’est avec retard. Je ne parle pas au nom du Gouvernement, je parle au nom de la conscience publique du combat que nous devons mener sur ce sujet. Je ne vais prendre qu’un seul exemple, faute d’avoir le temps de répondre sur tous les sujets.

Vous avez évoqué les clubs sportifs. J’ai déjà mentionné la circulaire que j’ai commise pour mieux travailler avec les maires et mieux les informer. Le 8 novembre – moins d’un mois après mon arrivée au ministère de l’intérieur –, j’ai cosigné avec la ministre des sports une circulaire. Je souligne ainsi la conscience du sujet que je peux avoir, si vous m’accordez le droit d’en avoir une…

Depuis cette circulaire, cent vingt-neuf contrôles de clubs sportifs ont été effectués dans trente-cinq départements. Ils ont donné lieu à cinq fermetures, cinq incapacités d’exercer, quatre mises en demeure, un rappel à la loi. Les procureurs de la République ont fait l’objet de nombreuses saisines pour les anomalies constatées. En effet, y compris, au sein des clubs sportifs, ce prosélytisme est une menace pour le libre choix de chacune et de chacun.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Rachid Temal. Nous avons reçu en héritage la laïcité. C’est une chance. Elle est au cœur de notre pacte républicain. Il nous revient de la faire vivre au quotidien.

La loi du 9 décembre 1905 n’a pas fait que séparer les Églises de l’État : elle a poursuivi deux ambitions.

La première était l’affirmation de la liberté de conscience. C’était une révolution qui allait structurer notre identité, celle d’un peuple à l’esprit critique et impertinent, en réflexion permanente et refusant l’ordre établi. C’est ainsi que naquit véritablement l’école publique, gratuite, obligatoire et laïque, celle qui permet à notre jeunesse de développer sa liberté de conscience et sa capacité à s’émanciper. L’État n’a pas à craindre, bien au contraire, une jeunesse dotée d’esprit critique : c’est l’obscurantisme qui doit la craindre ! D’ailleurs, comme le disait Jean Jaurès, « l’État a le devoir de préserver la jeunesse ».

La seconde ambition portée par la loi de 1905 était le renforcement de la fraternité universaliste, héritière de la Révolution française.

Monsieur le ministre, je suis doublement inquiet.

Je suis inquiet de voir de nombreux citoyens de notre pays, parfois, ne plus faire appel à leur esprit critique et se conforter dans des vérités proclamées qui sont souvent, mais pas uniquement, religieuses.

Je nourris également un sentiment de honte et de rage quand je vois, dans notre pays, les tenants du communautarisme, du racisme et de l’antisémitisme, ainsi que les identitaires, relever la tête et défier la République.

Aussi, ma question est la suivante : quels moyens concrets l’État va-t-il engager dans l’école de la République pour permettre à chaque enfant de développer sa liberté de conscience et sa capacité d’émancipation et, plus largement, pour préserver notre culture de la fraternité ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Nous partageons, monsieur le sénateur, cette inquiétude et cette colère, quand nous constatons comme vous les avancées de certains discours et comportements qui s’opposent aux valeurs de la République que nous avons en partage.

Vous posez une question simple concernant l’engagement de l’éducation nationale pour la laïcité. Comme je l’ai déclaré dans mon propos introductif, j’estime que nous sommes à un moment clé de la vie de notre pays où la liberté de conscience doit être éveillée : on doit donner aux futurs citoyens les armes nécessaires. Il ne s’agit pas simplement de répondre au prosélytisme religieux : de nombreuses autres questions doivent être traitées de la sorte, je sais que vous en conviendrez avec moi.

Je suis intimement convaincu que, quand ce gouvernement a mis en place le dédoublement des classes dans les quartiers les plus difficiles de France, il ne s’est pas trop trompé, en matière de cartographie, par rapport à ces territoires que certains acteurs du communautarisme commençaient à mettre en coupe réglée. Quand nous dédoublons les classes dans ces quartiers, nous apportons une réponse fondamentale à la question de l’émancipation. Celle-ci consiste en effet à donner à chaque futur adulte la liberté de conscience, par la capacité qu’il aura à s’emparer de l’arme du libre arbitre.

Agissons donc sur ce sujet et allons plus loin encore ! L’école joue certes un rôle, mais prenons garde – je sais que nous nous rejoignons sur ce point – à ne pas considérer l’école comme seule responsable de tous nos problèmes. Nous commémorons ces jours-ci le triste cinquième anniversaire de l’attentat contre Charlie Hebdo. Je me souviens que beaucoup avaient presque mis en cause l’école, qui aurait, pour ainsi dire, loupé quelque chose. Non, l’école a un rôle déterminant, mais nous avons tous un rôle déterminant ! Quand j’ai pointé la nécessité d’une réponse républicaine quartier par quartier, je pensais à tous les acteurs : les associations, les bailleurs sociaux, ou encore, évidemment, les collectivités locales doivent tous jouer leur rôle pour que les clés de l’épanouissement soient une règle dans ces quartiers.

Enfin, la dernière réponse est celle des mobilités. Il faut faire en sorte que les assignations à résidence que subissent depuis trop longtemps un trop grand nombre de nos concitoyens soient levées. Nous devons lutter pour éviter que se perpétuent les ghettos que les cinquante dernières années ont laissés se constituer dans notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.

M. Rachid Temal. Je partage vos propos, monsieur le ministre, mais je ne suis pas certain que le dédoublement des classes constitue une réponse suffisante.

La question qui est posée est celle de la présence de la République dans tous ses territoires. Depuis trop longtemps et, pour que ce soit dit, par la faute de tous les gouvernements, on observe un recul de la République. Or, pour les Français, celle-ci ne peut être une simple incarnation : il faut qu’elle soit une réalité au quotidien. Voilà le sens de ce qui doit être porté aujourd’hui : les services publics partout dans la République !

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.

Mme Brigitte Lherbier. En tant qu’adjointe à la sécurité de Tourcoing, j’avais pu constater que certains jeunes n’avaient pas respecté la minute de silence dédiée aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. Tristan Gervais de Lafond, qui était alors président du tribunal de grande instance de Lille et du conseil départemental de l’accès au droit, avait lui aussi remarqué que certains jeunes considéraient que les journalistes assassinés avaient mérité leur sort parce qu’ils avaient, selon eux, blasphémé.

Il était clair que la confusion existait. La liberté de critiquer les religions, principe essentiel de la liberté d’expression et de nos règles républicaines, n’était pas comprise par certains jeunes peu formés et, surtout, mal encadrés.

Ce magistrat avait pris l’initiative de nouer le contact avec les élèves des lycées de Tourcoing et de Roubaix pour que des jeunes transmettent à d’autres jeunes leur vision de notre pays laïque. Les lycéens ont monté une pièce de théâtre dans laquelle il était expliqué, avec des mots de jeunes, que la notion de blasphème n’a rien de légal. Ces mêmes jeunes sont venus présenter leur travail ici, au Sénat, lieu symbolique. Leurs professeurs et des magistrats du tribunal de grande instance de Lille les ont accompagnés pour souligner l’importance de cette démarche. Le premier président de la cour d’appel de Montpellier les a lui-même honorés par sa présence.

Il nous faut réagir : la notion de laïcité doit être expliquée sans cesse.

En tant qu’universitaire, j’ai eu l’occasion de travailler avec le doyen de la faculté de droit de l’université de Lille 2, Bernard Bossu, qui a mis en place un diplôme universitaire dédié à l’approfondissement de la réflexion juridique dans un contexte religieux. Le directeur interrégional des services pénitentiaires d’alors, M. Alain Jégo, était très favorable à la création de ce diplôme ouvert à tous. En effet, il lui fallait être sûr que les personnes pénétrant en prison soient formées et qu’elles ne véhiculent pas, à l’intérieur des murs d’enceinte, des idées contraires à la République. Ce diplôme n’avait rien de contraignant : c’était simplement de la transparence.

L’expérience de Lille 2 n’est qu’un début. Elle doit être affinée et approfondie pour être utile. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Je condamne comme vous, madame la sénatrice, les comportements dont nous avons été témoins après les attaques contre Charlie Hebdo, mais aussi à d’autres moments, comme quand on siffle La Marseillaise. Je nous invite néanmoins à garder en tête que, pour certains jeunes gens, certains adolescents, la provocation est un art supérieur à celui du combat militant, politique ou religieux. Je ne voudrais certes pas laisser penser que je cherche à minorer la gravité de ces actes, mais il ne faudrait pas non plus laisser croire que, en 2015, des quartiers entiers auraient contesté l’émotion nationale que nous avons tous ressentie, dans ces quartiers comme ailleurs.

Vous avez raison, il faut éclairer les consciences. Cela rejoint la question que vient de poser M. Temal : nous avons besoin de donner aux jeunes ces moyens de comprendre, d’expliciter ces questions sans tabou, jusqu’à l’arme que représente le droit de critiquer une religion, principe fondamental de notre République, mais refusé par certains, qui considèrent que le droit religieux est supérieur au droit de la République française. Nous devons condamner cette conception et protéger ce droit.

J’étais présent hier, avec certains des responsables actuels de Charlie Hebdo, aux commémorations de l’attentat du 7 janvier 2015. Nous savons quel niveau de sécurité est nécessaire pour protéger ceux qui critiquent régulièrement les élus que nous sommes et, tout particulièrement, le ministre de l’intérieur, en toute légitimité. Je veillerai à ce qu’ils aient toujours ce droit. Nous devons les protéger justement parce que leur liberté de conscience les amène à assumer une critique religieuse qui peut faire débat, mais qui est un principe même que nous devons défendre.

Oui, il faut des formations sur ces sujets ! Vous avez notamment abordé dans votre propos la formation de ceux qui disent la religion, qui représente un enjeu réel. Chaque année, 300 imams, 300 psalmodieurs viennent en France de pays étrangers. Ils peuvent professer dans une langue étrangère ; je ne parle pas ici de la lecture du texte sacré du Coran, qui doit se faire dans sa langue d’origine, mais bien du prêche. Je pense que c’est une anomalie et que nous devons faire en sorte d’avoir en France des imams qui puissent professer en français.

M. Rachid Temal. Il faut les former en France !

M. Christophe Castaner, ministre. C’est un travail consulaire que nous menons aujourd’hui avec les pays d’origine de sorte que les imams qui professent en France le fassent en français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Viviane Artigalas. Les pratiques intégristes ne datent pas d’aujourd’hui. Les esprits les plus voltairiens iront même jusqu’à dire qu’elles ont commencé avec l’invention des religions Il est absolument nécessaire de lutter contre ces pratiques lorsqu’elles se manifestent. Pour ce faire, on invoque de plus en plus le respect de la laïcité, quitte à la faire sortir de son propos.

Or la laïcité définit le rapport de l’État aux cultes religieux comme l’observation d’une stricte neutralité, garante de la liberté de conscience de tous et de chacun dans la République. Elle ne constitue donc pas le bon outil pour lutter contre les dérives sectaires et le terrorisme, qui relèvent d’autres moyens législatifs et politiques.

Cette confusion peut porter préjudice au principe même de laïcité. À cet égard, il n’est pas innocent de constater que celles et ceux qui se plaisent à colporter l’image d’une laïcité agressive, soit pour la louer, soit pour la dénigrer, appartiennent souvent aux groupes politiques ou religieux qui ont le plus intérêt à la mettre à mal.

Bien plus qu’une réforme de la laïcité, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir l’adoption de règles et d’usages adaptés qui permettent de se prémunir efficacement contre toute dérive sectaire dans l’espace public, avec pour seule boussole la préservation de l’ordre public. Ainsi est-il normal de demander aux parents d’élèves d’assurer des missions d’encadrement qui devraient normalement être dévolues à du personnel de l’éducation nationale ? C’est souvent faute de moyens humains que les enseignants demandent de l’aide aux parents, qui sont des personnes privées non soumises à l’obligation de neutralité naturellement imposée aux agents publics.

La loi de 1905, votée en un temps où le radicalisme religieux s’exprimait déjà fortement dans notre pays, a été bien pensée par ses concepteurs. Ses principes mêmes lui permettent de faire face aux cas de figure rencontrés aujourd’hui, dès lors qu’on respecte son champ d’application.

Monsieur le ministre, plutôt que d’ouvrir la boîte de Pandore d’une réforme ou d’une évolution de la loi de 1905, ne serait-il pas plus pertinent de s’assurer que les principes de la laïcité soient parfaitement connus de tous les agents censés la faire respecter et de renforcer leur formation à cet égard ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Je partage totalement, madame la sénatrice, la définition que vous avez faite de la laïcité. Vous m’offrez d’ailleurs l’occasion de rebondir sur certains propos qui ont été tenus et n’allaient pas tout à fait dans le même sens.

L’utilisation de la laïcité qu’on a pu subir dans certaines communes, notamment après l’élection d’équipes municipales issues du parti qui s’appelait alors le Front national, comme un outil de lutte contre une religion est une erreur. C’est une déformation du sens même de l’application de la laïcité. Celle-ci – je l’ai répété à plusieurs reprises – n’est pas l’interdiction d’une expression religieuse, mais la garantie du choix de croire ou de ne pas croire. Nous voulons la faire vivre ainsi.

De la même façon, j’estime que la laïcité n’est pas un outil de lutte contre le communautarisme. Je vous rejoins sur ce point. C’est délicat de le dire comme vous le faites, car cela pourrait laisser penser que la laïcité ne serait finalement pas le bon outil, mais j’estime, comme je l’ai expliqué dans mon propos d’ouverture du débat, qu’il s’agit d’une feuille, certes fondatrice et fondamentale, mais capable de s’enflammer assez facilement.

Nous devons donc utiliser, non pas cet outil, mais tous les outils qui nous sont offerts. J’ai répondu à la question législative. Je n’ai, sur la loi de 1905, ni principe ni dogme. On peut selon moi la renforcer ; c’est même nécessaire. Mais je conçois qu’on puisse être en désaccord avec cette position.

Aujourd’hui, dans la lutte contre le communautarisme, je souhaite utiliser tous les outils de droit commun qui existent, n’en négliger aucun. À certains moments, on peut rencontrer des difficultés. Nous utilisons l’outil du contrôle fiscal. On s’aperçoit que certaines associations constituées sous le régime de la loi de 1901, qui n’ont pas vocation à faire de profit, devraient faire l’objet de contrôles fiscaux par les autorités qui en sont chargées. Si c’est impossible, il faut réviser la loi pour permettre de tels contrôles. Ce n’est qu’un exemple.

Je suis très ouvert sur ces questions : utilisons tous les outils dont nous disposons. Je ne répondrai pas plus avant sur la question de la loi de 1905. Je comprends le symbole qu’elle représente. Une chose, pour autant, est sûre : les financements étrangers, la question de la formation, celle de l’ordre public et de la responsabilité des gestionnaires d’un lieu où sont tenus des propos contraires aux valeurs de la République, toutes ces questions méritent d’être posées.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher.

M. Jérôme Bascher. La laïcité française n’est pas sans foi ni loi. Des évolutions sont-elles nécessaires, comme le suggérait Roger Karoutchi ? Vous nous dites vouloir déjà faire appliquer le droit commun, monsieur le ministre, et je suis pour l’instant d’accord avec vous. Cela dit, je veux vous poser quatre questions distinctes et très précises.

En premier lieu, sur le voile à l’école, après un débat, le Sénat a tranché. Une autre solution est possible pour les accompagnements scolaires : qu’ils soient assurés par le personnel recruté pour le temps périscolaire, plutôt que par les mamans et les papas susceptibles d’arborer des signes religieux ostentatoires. Simplement, vos services contrôlent-ils le respect par le personnel périscolaire de la législation sur la laïcité ? Il me semble qu’il y a, çà et là, des mairies complices qui laissent faire.

M. Jérôme Bascher. Quel contrôle pratiquez-vous en la matière ?

Deuxièmement, êtes-vous favorable à une loi relative à la laïcité à l’université ?

Troisièmement, de manière à, peut-être, éviter le drame qui a eu lieu à la préfecture de police de Paris, on pourrait, comme le Sénat l’a fait par l’adoption d’un amendement sur le texte de Mme Schiappa relatif aux violences sexistes, rendre répréhensible dans le code du travail le fait de ne pas serrer la main d’une femme, ou de s’abstenir des gestes de courtoisie les plus élémentaires. Cela constitue-t-il, à vos yeux, une mesure nécessaire ?

Enfin, êtes-vous prêt à étendre le principe de laïcité dans l’entreprise ? On voit par exemple les problèmes qui se posent à la RATP. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Ces quatre questions sont essentielles, concrètes et précises.

La première porte sur le personnel périscolaire recruté dans les écoles. Ces personnes sont tenues – cela a été confirmé récemment encore par une cour administrative d’appel – d’appliquer les principes de laïcité existants. Ce personnel est placé sous l’autorité administrative des maires. Les préfets sont à disposition pour rappeler les principes qui s’appliquent, mais il n’appartient pas à l’État de contrôler la bonne exécution par les maires de la législation. En revanche, si un enseignant croit constater un dysfonctionnement relatif au respect de ces règles, il doit le signaler, de manière à ce que cela soit sanctionné. Il appartient au maire d’assurer cette veille et ces sanctions : l’État n’a pas vocation à se substituer à ses pouvoirs, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une infraction d’ordre public sur laquelle nous aurions vocation à intervenir.

Quant à la question du voile à l’université, je considère que des adultes – les étudiants à l’université sont bien des adultes – ont leur libre conscience et peuvent assumer leur libre choix.

La place de la laïcité dans l’entreprise est un vrai sujet. Les outils dont nous parlons, et dont je revendique qu’ils ont une vraie efficacité, pour les fonctionnaires publics, que ce soit dans l’espace public, ou dans l’espace privé quand ces fonctionnaires y remplissent leurs fonctions, manquent en partie aux entreprises. Quand des procédures de licenciement sont engagées pour prosélytisme religieux, elles sont le plus souvent cassées, parce que cela n’est pas considéré comme un élément suffisant pour caractériser un licenciement. Le débat juridique peut être ouvert : c’est un sujet sur lequel nous pouvons travailler pour offrir des moyens de lutte contre le prosélytisme.

Enfin, je ne pense pas que refuser de serrer la main d’une femme devrait être répréhensible. J’ai présenté devant votre commission des lois, après l’attentat de la préfecture de police, l’ensemble des signes qui constituent des indicateurs possibles de radicalisation. On m’a d’ailleurs fait beaucoup de reproches autour de cette liste ! Je rappelle que je n’ai fait que rendre publics des indicateurs qui sont utilisés depuis 2014, quand on a mis en place le site stop-djihadisme.gouv.fr. On m’a pourtant fait des procès d’intention, y compris de la part de personnes qui étaient aux responsabilités en 2014 ! Je ne pense pas à vous, monsieur le sénateur.

Comme je l’ai déjà dit devant les sénateurs comme devant les députés, un signe de radicalisation, seul, n’est pas une preuve : il faut en laisser l’appréciation à des gens qui sont formés à cette fin, sans automaticité. Jusqu’où, en effet, pourrait aller l’automaticité ? Elle pourrait contraindre le principe même de la loi de 1905, la garantie de la liberté de croire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, je vous rejoins totalement sur votre dernier point : vous portez vous-même la barbe, sans qu’on puisse dire que vous êtes un grand radicalisé ! (Sourires.)

Simplement, on prête aujourd’hui grande attention aux minorités ; on a tendance à les flatter électoralement. Ici et là, des syndicats et des maires, pour des raisons électorales, laissent passer beaucoup de choses. Il est temps de faire appliquer la laïcité complètement, en politique et au sein des syndicats !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. « Depuis l’aurore de notre histoire, nos malheurs furent toujours en proportion de nos divisions, mais jamais la fortune n’a trahi une France rassemblée. » Ces mots de Charles de Gaulle doivent être un véritable talisman de l’union et de la concorde nationales.

Il y a celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas. Puissent-ils vivre côte à côte, main dans la main et non dos à dos.

Le vivre ensemble ne se décrète pas ; il se construit patiemment, autour de valeurs partagées. Au pays de Marianne, dans notre patrie qui fut celle de Marie quand la France était la fille aînée de l’Église, la laïcité est un socle du contrat social, permettant que nos différences ne deviennent pas distances.

Or cette laïcité est désormais souvent écorchée ; elle n’est même plus tolérée dans certains territoires. C’est le cas quand, au nom de la religion, des jeunes filles sont interdites de robe ou de jupe, de sport, d’accès au planning familial, subissent des mariages forcés, portent un voile par obligation, quand le repli communautaire efface les liens républicains, quand la loi d’un dieu veut faire taire la loi des hommes.

Le statut de la femme, sa place dans la société, la mixité, l’égalité entre hommes et femmes sont parmi nos points cardinaux. Aucun recul n’est acceptable à ce sujet.

La laïcité n’est pas synonyme d’athéisme, d’anticléricalisme, ou de refus de la spiritualité. C’est au contraire un idéal de tolérance, une culture du respect mutuel, un bouclier protecteur contre tout dogmatisme ou totalitarisme. C’est aussi et surtout une reconnaissance des limites entre les sphères politiques et religieuses, entre les domaines publics et privés.

Plus que jamais, la France a besoin de laïcité. Cela passe notamment par l’éducation ; vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Ainsi, il existe depuis 2013 une charte de la laïcité à l’école qui est affichée dans tous les établissements. Modestement, ne serait-il pas judicieux de la faire figurer également dans tous les bâtiments publics, et dans les mairies au premier chef, après l’avoir adaptée ?