M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet 2018, je disais ici, au nom de mon groupe, notre scepticisme quant aux effets réels que pouvait avoir la loi Égalim sur la modification de la répartition de la valeur créée tout au long de la chaîne, qui va du producteur au distributeur.

Je salue l’initiative de la présidente de la commission des affaires économiques qui a, sans tarder, engagé une évaluation des premiers effets de ce texte à partir du round de négociations commerciales 2018-2019.

Je suis un fervent promoteur des démarches d’évaluation des politiques publiques et le Sénat donne en l’espèce l’exemple, en lien très fort avec les territoires et leurs acteurs, d’une évaluation de l’efficacité du travail législatif et gouvernemental.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Franck Montaugé. Les États généraux de l’alimentation étaient une belle promesse à laquelle nous avons voulu croire ! Mais pour ce qui est des prix et des revenus, ils sont venus se fracasser sur la réalité d’un contexte économique tendu qui a conduit à une baisse globale constatée des prix de l’ordre de 0,4 % selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges.

Les transformateurs ne s’y retrouvent pas et les producteurs, sauf exception tenant plus de la conjoncture internationale que des effets de cette loi, n’ont pas vu l’amorce d’une amélioration de leur revenu.

Dès lors, et même si nous n’en sommes qu’au mitan de la période d’expérimentation, il était sain et responsable de réagir, afin de corriger certains mécanismes, de toute évidence dévoyés par la pratique, bien éloignés de l’esprit du législateur de la loi Égalim. Les dégâts sont déjà là, avérés. Il faut aller vite et réagir sans attendre le terme des deux ans.

Vous l’avez entendu vendredi dernier, monsieur le ministre, dans le Gers, de la bouche d’un représentant de la filière « gras-volailles festives » : le seuil de revente à perte a été très préjudiciable pour les productions saisonnières. Il a donné lieu à des contournements inacceptables que vos services doivent repérer et sanctionner. Je sais que vous vous y employez.

Le SRP s’est aussi traduit négativement pour certains vins dont l’acte d’achat est étroitement lié aux périodes de fêtes. Le président d’une grande coopérative viticole gersoise vous l’a aussi dit. Il faudra que la liste des produits dérogatoires au SRP prévue par le texte que nous allons voter aujourd’hui tienne compte des pratiques saisonnières des consommateurs dans leur ensemble. Les professionnels et leurs représentants devront être étroitement associés à ce travail de définition.

Aux grandes difficultés éprouvées par la filière « gras » depuis 2015 – notamment les deux épisodes catastrophiques de grippe aviaire – ne doivent pas s’ajouter les effets délétères du SRP.

Les décisions de dérogation au SRP devront également tenir compte des spécificités de la filière viticole qui tire une bonne partie de nos exportations et qui est aujourd’hui victime, directement ou indirectement, des difficultés diplomatiques et économiques avec les États-Unis. Pour dire les choses plus prosaïquement, les agriculteurs ne doivent pas payer pour la guerre menée dans la filière aéronautique.

Ce texte prévoit ensuite de conduire une expérimentation en adaptant les mécanismes de la clause de révision des prix des contrats de plus de trois mois passés entre distributeurs et entreprises : ciblage des produits finis composés à plus de 50 % d’un produit agricole, plus grande réactivité et automaticité de la révision à la hausse ou à la baisse, simplification de la procédure ont présidé à l’introduction de l’article 2. L’expérimentation durera trois ans et les produits seront arrêtés par décret.

Tout en étant favorables à cette expérimentation, nous pensons que le risque est grand de voir le rapport de force continuer de prévaloir, les seuils de déclenchement étant renvoyés à la négociation entre les parties.

Enfin, il nous paraissait nécessaire, nonobstant les questions de fond relatives à la nature même du contrat liant le coopérateur à sa coopérative agricole, que le champ de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, fixé par le législateur, soit strictement respecté.

Pour terminer, je me réjouis que ce texte, qui concerne la vie de nos territoires, ait réuni des signataires de tous les groupes politiques de la Haute Assemblée, sans exception. J’espère que le Gouvernement voudra le faire prospérer à l’Assemblée nationale, dans l’intérêt des entreprises et des exploitations concernées.

Toutefois, cette proposition de loi laisse entière la question du revenu des agriculteurs à laquelle le Gouvernement, notamment à travers la PAC, devra apporter des réponses à la hauteur des enjeux et de la situation difficile que vivent nombre d’entre eux.

Je tiens enfin à remercier tout particulièrement Daniel Gremillet, auteur de ce texte, et Michel Raison du travail qu’il a mené. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la commission des affaires économiques de la création du groupe de suivi de la loi Égalim auquel j’appartiens, ainsi que Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier de leur initiative.

Évaluer les décisions prises et les faire évoluer, le cas échéant, me semble être le b.a.-ba d’une démarche de responsabilité du Parlement envers les Français.

Trop de citoyens nous reprochent d’accumuler les lois sans en évaluer suffisamment les conséquences ni en tirer de bilan. Sur le terrain, les maires nous rappellent d’autres exemples, comme le fiasco de la réforme des rythmes scolaires et la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Comment leur répondre ? Comment leur expliquer que, trop souvent, les textes s’enchaînent et que l’énorme travail réalisé en commission est quelquefois balayé d’un revers de main pour des raisons d’entêtement politique ?

Se poser, écouter pour faire le point, est d’abord un geste d’humilité : il s’agit d’accepter que l’on puisse se tromper, que l’on puisse ne pas avoir perçu toutes les conséquences d’une loi et, après analyse, de la réajuster. Cette initiative de la commission nous permet de nous sentir responsables et efficaces.

La loi Égalim, je l’ai dit et répété, partait d’un bon sentiment : asseoir autour d’une table toutes les parties concernées via les États généraux de l’alimentation. Grâce à des réunions thématisées, les enjeux ont été posés et chacun a pu s’exprimer. Jusque-là, tout allait bien : il s’agissait d’une posture innovante, à la hauteur des défis de notre agriculture. Malheureusement, les bonnes intentions se sont arrêtées là.

Dès l’examen du projet de loi, comme très souvent, nous avons assisté à un véritable déni de démocratie. Le Sénat vous avait averti des conséquences de certaines mesures, car nous sommes proches des territoires et de leurs acteurs.

Les responsables professionnels, qui ont aussi adopté une posture constructive en s’investissant dans les États généraux, nous avaient alertés sur certains points d’achoppement. Nous avons relayé ces craintes, mais nous n’avons pas été entendus.

Premier écueil : pourquoi généraliser une mesure destinée à gérer une problématique particulière, à savoir la commercialisation de certains produits trop conditionnés à des ventes en promotion ?

Pour répondre à ce contexte de menace pour nos éleveurs, par exemple dans la filière porcine, la loi a généralisé la limitation des ventes sous promotion sans tenir compte d’un argument soulevé durant les auditions : la difficulté annoncée de certaines entreprises ayant une agriculture de saison, comme vous venez de le reconnaître, monsieur le ministre.

Résultat prévu et aujourd’hui plus que subi : les petites entreprises, souvent familiales, qui ne peuvent se payer de publicité et qui vivaient grâce au système des promotions, sont en grand danger. C’est la raison pour laquelle nous demandons unanimement que seule l’autorité compétente, à savoir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, définisse le caractère saisonnier. Faisons confiance à nos administrations, si toutefois elles sont libres de se prononcer.

Sans évolution, seules les grosses entreprises s’en sortiront. Les plus petites risquent de disparaître et, avec elles, les emplois. Cela nous oblige à réfléchir et à revenir sur un sujet de fond : l’avenir de notre agriculture. Voulons-nous maintenir les structures familiales ou privilégier les grosses unités ?

L’un des enjeux affichés des États généraux était une meilleure répartition de la valeur. Aujourd’hui, c’est encore un constat d’échec.

Nous le savons, le défi est majeur et complexe à appréhender dans un marché mondialisé et libéral. Dans la guerre des prix, il n’y a toujours qu’un perdant : le producteur. C’est la raison pour laquelle nous devons unir nos efforts et, surtout, les partager tout au long de la chaîne dans les mêmes proportions.

Le texte que nous examinons aujourd’hui s’intéresse aux prix abusivement bas. La volonté vertueuse de départ était de protéger les adhérents face à l’opacité de certains grands groupes coopératifs. Certaines structures, avec leurs filiales, à l’organisation très complexe, sont très difficiles à appréhender. Il faut donc prévoir des garde-fous pour protéger les adhérents de toute erreur de stratégie, car ce sont eux, in fine, qui verront leur rémunération baisser.

Mais là encore, il ne faut pas généraliser. Il existe de nombreuses coopératives petites et moyennes. J’ai déjà eu l’occasion de dire que les coopératives n’étaient pas des commerçants : elles n’achètent pas les produits des adhérents, mais les transforment et les vendent. S’il fallait toutefois toucher au statut de la coopération, ce serait au Parlement, et à lui seul, de le faire.

Vous l’avez compris, la loi Égalim, fruit d’une excellente méthode, s’est arrêtée en marche. Notre posture n’est pas politicienne. Seul l’avenir de notre agriculture compte. Souvenez-vous que le compteur tourne : chaque jour, un paysan se suicide. Il est urgent d’agir sans tergiverser, sans composer. Pour ma part, je voterai cette proposition de loi, comme une majorité de mes collègues du groupe RDSE ; les autres s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, persuadé que l’agriculture et l’alimentation sont l’affaire de tous, le groupe Les Indépendants s’était mobilisé tout au long de l’examen de la loi Égalim pour défendre un modèle agricole économiquement viable et écologiquement responsable.

L’agriculture est au cœur de la société française, tant par son importance économique que par le profond attachement de nos concitoyens à son égard. Il s’agit cependant d’un secteur qui connaît de fortes mutations et dans lequel la souffrance perdure.

Nous avions soutenu les ambitions de justice et de développement écologique contenues dans la loi Égalim qui concerne directement plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs et, indirectement, l’ensemble des Français. Cela justifie que le Parlement soit particulièrement attentif aux effets de l’application de ce texte.

L’agriculture française doit continuer d’évoluer pour continuer d’exceller. Ces évolutions ne sont pas seulement écologiques. Il est notamment nécessaire d’améliorer et d’équilibrer davantage les relations commerciales du secteur qui sont en défaveur des agriculteurs dont les revenus s’amenuisent. Les difficultés économiques qu’ils rencontrent poussent certains d’entre eux à commettre l’irréparable. Il fallait donc œuvrer à rendre le revenu des agriculteurs plus juste.

La logique promotionnelle contient le risque d’une rémunération au rabais. Pour en sortir, la loi Égalim prévoit un strict encadrement des promotions, notamment leur limitation en volume.

L’objectif est louable, mais il a un effet dévastateur sur les produits saisonniers dont la promotion représente une part essentielle des ventes. Des produits comme le foie gras ou le lapin ne sont achetés qu’à certaines périodes. Hors celles-ci, seules les promotions sont à même de susciter l’achat. La mesure d’encadrement ne convient donc pas aux secteurs à saisonnalité marquée.

Les différentes auditions laissent penser que d’autres ajustements de la loi Égalim pourraient s’avérer nécessaires. Les mesures contenues dans cette proposition de loi, ainsi que leur caractère limité, démontrent non seulement l’attention que porte le Sénat au monde agricole, mais aussi son écoute et son esprit constructif.

Je souhaite féliciter Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier pour leur action déterminée.

Le groupe Les Indépendants soutient les objectifs de cette proposition de loi. L’agriculture est l’un des atouts les plus précieux de notre pays ; nous souhaitons le voir prospérer et nous y travaillerons. (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en septembre 2018, à cette même tribune, j’avais estimé que le projet de loi Égalim était décevant sur le fond, car il n’était pas l’expression des conclusions des États généraux de l’alimentation. Il détricotait ce qui fonctionne, comme la sécurisation des pratiques contractuelles et des engagements pluriannuels adaptés à la filière viticole.

Je l’avais jugé décevant aussi sur la forme : la CMP n’a pas été conclusive, car la majorité de l’Assemblée nationale est restée figée sur les positions du Gouvernement, en contradiction parfois avec ses propres votes. Les sénateurs ne pouvaient accepter que leur travail soit balayé d’un revers de main par les députés, alors que leur regard initial était constructif et bienveillant.

Enfin, le texte était décevant, voire alarmant, pour l’économie. Ce rendez-vous devait être le moment de revaloriser le revenu de nos agriculteurs qui souffrent encore trop. Il devait permettre d’inverser le rapport de force entre les producteurs et la grande distribution.

Depuis, de manière constructive, au moyen d’un groupe de travail dédié, le Sénat a voulu analyser les préconisations de la majorité présidentielle et vérifier si elles étaient pertinentes et adaptées à l’amélioration des revenus des agriculteurs.

Ainsi, la commission des affaires économiques a adopté, le 30 octobre dernier, le rapport d’information n° 89 du groupe de suivi de la loi Égalim. Malheureusement, comme son titre l’indique, un an après, le compte n’y est pas. Sur ce point au moins, monsieur le ministre, nous sommes d’accord.

La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui, et que j’ai bien évidemment cosignée, tire les conclusions du premier bilan de cette loi réalisé par la commission des affaires économiques, sous la direction de Michel Raison et Anne-Catherine Loisier que je félicite pour leurs travaux et leur implication.

Trois effets particulièrement problématiques, notamment pour les PME, ont été soulevés : tout d’abord, certaines d’entre elles accusent un recul considérable de leur activité compte tenu de l’encadrement des promotions en volume – 25 % de leur chiffre d’affaires prévisionnel ; ensuite, certains industriels peinent à renégocier leurs contrats avec leurs distributeurs en cours d’année en cas de hausse des cours des matières premières agricoles entrant dans la composition de leurs produits ; enfin, une mesure de l’ordonnance sur les coopératives agricoles prise par le Gouvernement permet d’engager la responsabilité d’une coopérative pour une rémunération des apports abusivement basse, ce qui n’entrait pas clairement dans le champ de l’habilitation donnée par le Parlement.

La présente proposition de loi, présentée par Daniel Gremillet, président du groupe de suivi, que je salue, entend simplement tirer les conclusions de ce bilan et corriger la loi à la marge, de manière constructive.

Notre objectif, monsieur le ministre, n’est pas le démantèlement intégral de la loi Égalim : cette proposition de loi, qui ne comporte que trois articles, ne saurait avoir une telle prétention.

Il est aujourd’hui un peu tôt pour dresser un bilan exhaustif et incontestable de la loi Égalim, même si des doutes demeurent. Ainsi, le groupe de suivi poursuivra ses travaux de contrôle en 2020.

Toutefois, son premier rapport est clair : des PME et des ETI sont très fragilisées par la loi. Au bout de la chaîne, ce sont bien les producteurs agricoles qui verront leurs revenus pâtir de la baisse d’activité de ces entreprises. Si les failles sont d’ores et déjà repérées, pourquoi ne pas agir tout de suite ? Tout le monde souhaite que les agriculteurs soient mieux rémunérés à court terme.

Cette proposition de loi entend justement renforcer ses chances de succès en limitant ses effets de bord et en proposant une amélioration. La commission a appuyé cette démarche.

Je soutiens les mesures de cette proposition de loi et le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la loi Égalim adoptée, un groupe de suivi de ce texte a rapidement été mis en place. Il s’agit d’une excellente initiative qui permet d’évaluer la pertinence et l’efficience de cette loi. Nous devrions la généraliser.

La loi Égalim comportait plusieurs objectifs notoires, parmi lesquels l’augmentation de 10 % du seuil de revente des produits sans marge pour un transfert de ces bénéfices sur les produits agricoles, l’encadrement des promotions à 25 % pour tout produit en valeur et en volume et le report des augmentations des matières premières sur les prix finaux dans les grands magasins.

Un an après, nous tirons la sonnette d’alarme. Le compte n’y est pas. Comme certains orateurs l’ont déjà souligné, cette loi produit même des effets contraires à ce qui était initialement prévu – un comble !

Certaines mesures déstabilisent très clairement les PME et les ETI des territoires et n’apportent pas de marge supplémentaire à nos agriculteurs. La revalorisation du SRP de 10 % qui visait à renforcer l’équilibre général des négociations au profit des entreprises et des agriculteurs et à augmenter les prix et les revenus complémentaires des agriculteurs a été un échec.

Entre nous, penser que la grande distribution, qui possède 92 % de parts de marché, allait transférer des marges supplémentaires des SRP pour augmenter le prix d’achat des produits agricoles ou des TPE était illusoire. C’est ignorer la très dure loi du marché.

À titre d’exemple, lors de l’épisode de la peste porcine, le cours du porc a augmenté de 45 % et les transformateurs, au milieu de la chaîne, ne sont pas parvenus à réévaluer leurs prix de vente face à la grande distribution qui contractualise annuellement. Au final, ces sociétés se sont retrouvées en difficulté, ce qui est absolument anormal.

De plus, on s’aperçoit que les promotions pratiquées par les TPE ou par les entreprises familiales de nos territoires sont un moyen de publicité efficace, sans doute l’un des seuls dont elles disposent. Ces dernières, contrairement aux grandes entreprises, ne peuvent en effet acheter des espaces publicitaires sur des chaînes télévisées, par exemple, et perdent de ce fait le bénéfice escompté de cette pratique.

L’encadrement des promotions a donc fait chuter le chiffre d’affaires de nos entreprises familiales. Il est urgent de revenir sur cette disposition et d’examiner, entre autres, la limite de l’encadrement des produits saisonniers.

En outre, certaines entreprises travaillent sur un segment de marché qui nécessite des promotions permanentes, les périodes au cours desquelles elles réalisent le gros de leur chiffre d’affaires étant très courtes, ou en raison des emplois saisonniers.

Devant l’urgence et la détresse des entreprises familiales de nos territoires qui ont vu leur chiffre d’affaires et leur bénéfice fondre, le groupe de suivi a vite réagi. Je tiens à l’en féliciter. Il est par conséquent urgent de revoir et de corriger la loi Égalim pour revenir aux fondamentaux recherchés.

Trois mesures d’urgence sont proposées : l’exclusion de l’encadrement en volume des promotions sur les produits saisonniers et au cas par cas pour les entreprises en difficulté ; l’expérimentation d’une clause automatique de révision des prix tous les trois mois, en fonction des cours ; la suppression de la possibilité pour les juges de sanctionner financièrement des coopératives ayant pratiqué une politique de prix extrêmement basse.

Il est indispensable de maintenir et de développer le tissu de PME sur les territoires qui paient de la TVA, des impôts et des charges sociales. Ce sont elles qui génèrent de l’emploi sur les territoires et créent la richesse du pays. L’Allemagne, qui est selon moi la référence économique, s’appuie sur ce modèle.

En outre, il nous faut sortir de la logique de compression des prix pratiquée par la grande distribution depuis des années. Les industriels ont toujours eu une logique de préservation des marges pour leurs fournisseurs, permettant d’assurer de la stabilité et de la continuité. Or la grande distribution n’a jamais partagé cette philosophie. Il faut que cette mécanique change.

L’agriculture française doit aussi se réformer et s’adapter aux évolutions et aux besoins du consommateur. Nous en sommes bien conscients.

Cette proposition de loi vient corriger certains errements de la loi Égalim. J’ai bien entendu, monsieur le ministre, que le Gouvernement y était défavorable. J’espère simplement que vous reverrez votre position ou que vous nous proposerez d’autres solutions. Nous ne pouvons en rester à la situation actuelle. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est rare qu’une proposition de loi reflète une position partagée quasi unanimement sur les travées de notre hémicycle.

À mon tour, je tiens à remercier Daniel Gremillet de nous avoir associés à ce texte totalement transpartisan, cosigné par une centaine de collègues, issus de tous les groupes.

Lorsque les clivages traditionnels entre nos groupes sont ainsi surmontés, c’est que l’enjeu est suffisamment fort pour nous inviter à faire cause commune. Et lorsque notre assemblée est ainsi homogène dans son expression, il serait bon que le Gouvernement l’entende.

Le constat d’échec de la loi Égalim que nous faisons tous aujourd’hui n’est malheureusement pas une surprise. Si les États généraux de l’alimentation avaient suscité de vrais espoirs, le texte censé les traduire s’est avéré des plus décevants, sur les volets tant des revenus des agriculteurs que de l’alimentation.

Très vite, il nous a semblé nécessaire de constituer, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de suivi de cette loi, afin d’en analyser la portée réelle.

Les travaux de ce groupe ont permis de mettre en évidence les effets néfastes de ce texte qui ont affecté encore davantage les agriculteurs, plus particulièrement les PME, grandes victimes de la loi Égalim.

Ainsi, le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % sur les produits alimentaires et l’encadrement des promotions n’auront pas permis d’augmenter le revenu des agriculteurs. Le prix d’achat aux fournisseurs en 2019 aura même diminué de 0,4 % selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges.

En conclusion, les auteurs du rapport de suivi ont souligné que « la loi Égalim aura l’effet paradoxal de pénaliser les acteurs les plus proches des agriculteurs français et qui, souvent, sont les plus créateurs d’emplois ».

Il était donc indispensable de légiférer de nouveau pour corriger sans attendre les effets les plus négatifs de ce texte. Cette proposition de loi transcrit les préconisations du groupe de suivi.

Trois problèmes doivent être « résolus avec urgence » pour ne pas mettre en difficulté les entreprises françaises de l’agroalimentaire et les producteurs agricoles : les difficultés majeures posées par l’encadrement des promotions pour les PME ; les effets de la clause de renégociation des prix jugés non satisfaisants ; la réforme considérée par certains comme trop extensive en matière de droit des coopératives agricoles sur la base de l’habilitation par ordonnance prévue dans la loi Égalim.

Ces problématiques se traduisent très directement dans les trois articles de la proposition de loi.

L’article 1er pose un principe de dérogation à l’encadrement des promotions qui permettra d’apporter de la souplesse en ce domaine.

Si cette souplesse peut s’avérer nécessaire pour des filières spécifiques dont les ventes se concentrent sur une période de l’année, il ne faudrait pas pour autant qu’une multiplication de dérogations rende vain l’encadrement des promotions. Pour cela, plutôt que de réduire année après année ses moyens, il faudrait notamment que le Gouvernement en redonne à la DGCCRF.

L’article 2 met en place une expérimentation autour d’une clause automatique de renégociation des prix. Le médiateur des relations commerciales avait recommandé d’instaurer une telle clause qui permet d’ajuster mécaniquement le prix d’achat contractuel à la hausse comme à la baisse.

C’est le cas du porc, dont le cours a augmenté de 45 % entre janvier et octobre 2019, alors même que le coût de la matière première constitue 70 % du coût de revient de l’industrie charcutière, ou encore des pâtes alimentaires, affectées par une augmentation du cours mondial du blé dur de 25 % en six mois.

Si le travail en commission a eu le mérite de simplifier le dispositif retenu, l’une des modifications opérées par rapport au texte initial risque d’avoir des effets non désirés : en renvoyant les seuils de déclenchement de la clause à la négociation entre les parties, elle pose une fois de plus la question du rapport de force lors de tels échanges. La grande distribution risque d’être intraitable sur ses seuils, rendant leur activation sûrement difficile, sinon très encadrée.

L’article 3 tend à la suppression du régime des prix abusivement bas. À cet endroit du texte, j’aurai une approche légèrement différente de celle de mes collègues.

Je les rejoins sur le fait que le Gouvernement est allé au-delà du champ de l’habilitation que lui donnait l’article 11 de la loi Égalim en modifiant le code rural, alors que la loi ne citait que le code du commerce. Comme eux, je suis attaché aux droits du Parlement. Trop souvent, ces dernières années, nous avons contesté la confiscation des débats parlementaires par le recours aux ordonnances.

Je suis également très attaché au modèle coopératif et je conçois que mes collègues soient choqués par l’assimilation, de fait, des coopératives à des sociétés commerciales.

Toutefois, les dispositions supprimées par l’article 3 permettraient à des associés coopérateurs se sentant lésés du fait d’une rémunération abusivement basse de leurs apports au regard des indicateurs agricoles de pouvoir mettre fin à cette situation ou d’obtenir réparation en justice.

Elles constitueraient donc une parade contre certaines pratiques affectant le revenu des agriculteurs. Ces derniers, nous le savons, se sentent parfois impuissants, notamment lorsqu’ils appartiennent à de très grosses coopératives s’apparentant à des géants de l’agroalimentaire.

Il ne s’agit pas de remettre en cause l’esprit coopératif, car le dispositif, tel qu’il est prévu dans la loi, reste relativement lourd et ne s’appliquerait donc que dans certains cas extrêmes. En effet, l’action en justice doit être introduite par le ministre de l’économie, après l’avis motivé du ministre de l’agriculture et du Haut Conseil de la coopération agricole.

Ce dispositif affectera par conséquent non pas l’ensemble de nos coopératives, mais seulement la poignée d’entre elles ayant ces comportements inadmissibles. Il me semble donc regrettable de le supprimer purement et simplement sans offrir d’autre réponse aux agriculteurs se retrouvant dans ces situations.

Toutefois, dans un souci de maintenir cette belle unanimité sur ce texte et me retrouvant, à cette nuance près, complètement dans la démarche des auteurs de cette proposition de loi, j’ai retiré mon amendement visant à supprimer l’alinéa 2 de l’article 3.

Mes chers collègues, la loi Égalim, malgré tout le travail effectué en amont, notamment au travers des États généraux, est en échec sur ses principaux objectifs. Il nous appartient aujourd’hui, à travers cette proposition de loi, d’en corriger les effets les plus néfastes. Les membres du groupe socialiste et républicain voteront cette proposition de loi transpartisane. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains.)