M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog applaudit également)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir été rapporteur d’une partie du projet de loi relatif à la bioéthique, il me revient d’exprimer le vote du groupe Les Républicains sur le texte issu du Sénat.

Ce vote ne sera pas unanime. Vous n’en serez pas surpris.

Ce vote ne sera pas unanime, peut-être parce que certains – ce n’est pas mon cas – estiment qu’on a, à tort, associé, dans ce projet, une décision sociétale, qui est l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes, à des questions qui, elles, relèvent véritablement de la bioéthique.

Ce vote ne sera peut-être pas unanime non plus parce que, pour reprendre les propos tenus par le président Alain Milon la semaine dernière, à l’issue des débats, chacun avait en tête son texte idéal et qu’aucun ne se retrouvera dans le texte issu de nos travaux.

Pour autant, nous pouvons, me semble-t-il, dégager quelques lignes directrices du texte qui a été voté.

La première est que nous n’avons rien cédé au militantisme et que nous avons tout fondé sur la cohérence juridique.

Premièrement, nous avons rappelé que la sécurité sociale a pour vocation de rembourser non pas des actes médicaux, mais bien des actes en lien avec les risques et les conséquences d’une maladie.

Deuxièmement, nous avons rappelé que l’égalité des familles tient plus à l’égalité des droits et des obligations entre les parents et les enfants qu’à l’identité des modes de filiation. C’est la raison pour laquelle, dans les couples de femmes, les mères auront les mêmes droits et obligations à l’égard des enfants, mais ne bénéficieront pas du même mode d’établissement de leur filiation : celle qui a accouché sera la mère, quand l’autre deviendra mère en adoptant l’enfant. Sur ce point, nous avons donc fait preuve de cohérence juridique.

Enfin, nous avons rappelé que, pour que l’interdiction de la gestation pour autrui qui existe en France soit effective, il ne fallait pas que l’on puisse transcrire l’intégralité des actes d’état civil établis à l’étranger à l’issue de GPA qui y sont réalisées.

La deuxième ligne directrice que nous pouvons retrouver dans ce projet est constituée par les choix éthiques que nous avons arrêtés, qui établissent les limites que la condition humaine doit fixer à la science.

Ainsi, nous avons supprimé le dépistage préimplantatoire, sur les embryons, des anomalies chromosomiques. Nous avons maintenu les limites du diagnostic préconceptionnel. Nous avons interdit les modifications génétiques ainsi que l’introduction des cellules humaines dans un embryon animal – autrement dit, nous avons interdit les embryons transgéniques et les embryons chimériques. Ce faisant, nous avons réalisé un vrai travail de bioéthique, qui a permis de fixer les lignes rouges que nous ne souhaitons pas voir dépassées.

La troisième ligne directrice de ces débats est la liberté, et d’abord la liberté de parole. Nous nous sommes exprimés très librement dans cet hémicycle. Au reste, nous en avons eu largement le temps, car, dans notre sagesse collective, nous avions déposé un nombre modéré d’amendements. Nous avons ainsi pu nous exprimer très longuement sur chaque article. Un vrai débat s’est instauré. Nous avons pu exprimer nos positions, souvent opposées, mais aussi, parfois, nos doutes sur les différents points du texte, qui étaient tous délicats. Cette liberté de parole s’est exercée tout au long des débats. Quelle que soit l’issue que nous réserverons au texte aujourd’hui, elle s’exercera aussi lorsque le texte reviendra devant nous, en deuxième lecture.

La liberté s’est également manifestée dans la liberté de vote, qui s’est elle aussi exercée tout au long des débats. Au sein du groupe Les Républicains, le vote a été assez contrasté sur l’extension de l’assistance médicale à la procréation, même si la majorité du groupe a voté contre.

Quoi qu’il en soit, cette liberté de vote a existé. Elle est importante, parce qu’elle est, en réalité, le signe de la cohésion. En effet, la liberté de vote est l’émanation du respect que nous avons pour l’opinion des autres.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains s’exprimera et votera dans la cohésion, comme dans la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, il est quelque peu compliqué d’avoir à expliquer la voix des membres de son groupe quand on n’a soi-même plus de voix ! (Sourires.) J’essaierai d’être aussi clair que possible sur le fond, à défaut de pouvoir l’être sur la forme.

Mes chers collègues, madame la ministre, les lois de bioéthique nous interpellent régulièrement sur la manière dont la société doit admettre les progrès réalisés par la science, la biologie ou la médecine, avec les dangers qu’ils peuvent comporter et les espoirs qu’ils peuvent susciter.

C’est la raison pour laquelle les débats ont été importants, comme l’ont dit Muriel Jourda ou encore Laurence Cohen. Ils ont été intenses. Ils ont fait état de notre diversité et des interrogations de chacun. Dans chaque groupe existe, bien évidemment, une liberté de vote sur ces questions, qui en appellent à nos consciences et à ce que nous pensons de ce qu’attendent nos concitoyens.

À cet égard, je veux remercier M. le président de la commission spéciale et les rapporteurs de la qualité du travail que nous avons effectué. À cet égard, je regrette que la commission n’ait pas été suivie dans l’hémicycle, mais nous savons que le débat parlementaire fonctionne ainsi.

Sur ces sujets, les débats sont essentiels. D’ailleurs, la convention d’Oviedo, qui émane du Conseil de l’Europe et qui a été si souvent citée – c’est l’une des rares à évoquer ce point –, insiste, en son article 28, sur la nécessité du débat public : « Les parties à la présente convention veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l’objet d’un débat public approprié à la lumière, en particulier, des implications médicales, sociales, économiques, éthiques et juridiques pertinentes, et que leurs possibles applications fassent l’objet de consultations appropriées. »

C’est la raison pour laquelle existe le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). C’est la raison pour laquelle des États généraux de la bioéthique ont été organisés. La commission et ses rapporteurs ont très naturellement essayé de tenir compte des débats qui ont eu lieu sur la place publique.

Venant de Strasbourg, je peux vous dire que, depuis plus de dix ans, le professeur Israël Nisand y organise, avec le soutien de la ville et de l’eurométropole, des débats sur les sujets de bioéthique qui passionnent la population. Ces débats peuvent, par exemple, porter sur la fin de vie. Les débats de cette année ont commencé cette semaine sur le thème : « Quel humain pour demain ? » Ces questions sont permanentes et doivent nous permettre de faire évoluer nos lois.

Sur le texte qui nous est proposé, le Comité consultatif national d’éthique a rendu un avis – l’avis 129. En présentant cet avis, le président du CCNE a déclaré que la loi à venir, que nous sommes en train de préparer, devait être « une loi de confiance dans l’individu sur les grandes avancées des sciences plutôt qu’une loi d’interdiction ».

Ce texte, mes chers collègues, ne répond sans doute pas à ce vœu.

Ainsi, le titre Ier ne fonde pas de révolution médicale. L’assistance à la procréation médicale était déjà possible pour les femmes. Il n’est pas question, ici, de GPA. La femme qui bénéficiera d’un don de sperme dans le cadre d’un projet parental avec une autre femme ou d’un projet parental personnel portera l’enfant ; elle est la mère.

La seule question qui aurait dû être davantage abordée dans le cadre du titre Ier, mais qui ne relevait plus stricto sensu de la bioéthique – Muriel Jourda a raison sur ce point – est celle de la parentalité : à côté de la parentalité naturelle, charnelle, et de la parentalité adoptive doit apparaître une parentalité liée à un projet parental et permise par l’évolution de la médecine, comme le président Alain Milon l’a dit dans un article paru hier dans le journal Libération.

La situation est naturellement plus compliquée pour un couple d’hommes : il y a alors utilisation du corps d’une femme, ce qui est contraire à nos valeurs éthiques, notamment au principe d’indisponibilité du corps humain. Personne n’a abordé cette question. Nous aurions pu espérer mieux pour la PMA.

Madame la ministre, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était un bon texte. Le texte du Sénat a au moins le mérite de ne pas avoir remis en cause la PMA, ce qui nous paraît important. J’espère que la navette permettra d’y réinscrire, notamment, le remboursement par la sécurité sociale.

Enfin, surtout, il faut faire comprendre à l’enfant né grâce à une PMA qu’il est aussi le fruit d’un donneur. Celui-ci n’est ni un père ni une mère. Il est comparable à celui qui donne le rein qui permet de sauver, à celui qui donne le cœur qui permet de survivre. Il faut admettre cette réalité du don, ce que tout le monde n’a pas fait. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et LaREM. – Protestations sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

En revanche, sur les autres points, madame la ministre, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne suit pas du tout les évolutions de la génétique. De ce point de vue, les possibilités données à la recherche nous paraissent très restrictives, très en deçà des suggestions du Comité consultatif national d’éthique.

Fort heureusement, les amendements que nous avons proposés en commission ont rejoint les propositions des rapporteurs Olivier Henno, Corinne Imbert et Bernard Jomier, mais votre détermination, suivie par le groupe Les Républicains, a abouti à laisser de côté les évolutions que nous proposions. Je savais que votre gouvernement avait des certitudes absolues ; nous les avons constatées… Mais j’ai aussi constaté récemment que le Gouvernement était capable de reconnaître qu’il pouvait parfois se tromper ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Olivier Henno, rapporteur, applaudit également.)

Puisque vous avez compris qu’il faut parfois savoir ne pas se tromper, la navette permettra peut-être quelques avancées sur ce point – pour une fois que l’on a droit à une deuxième lecture sur un texte… Les « marcheurs » pourraient être un peu plus « en marche » s’ils s’inspiraient de la lecture des rapports du CCNE.

Franchement, votre titre III – « Appuyer la diffusion des progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques » – est complètement en deçà des réalités. En fait, le Gouvernement a souhaité limiter considérablement cette diffusion.

Restent quelques petites lueurs d’espoir dans le titre IV, « Soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine ». Mais que fait-on de procès aux chercheurs ! L’article 14 et l’évolution qui a été acceptée par le Gouvernement – ce n’est pas vous qui le représentiez dans l’hémicycle à ce moment du débat – ouvrent quelques possibilités, qui permettront à la recherche génétique, en France, d’être sauvegardée. Nous sommes loin de ce qui peut exister ailleurs dans le monde !

Mes chers collègues, nous sommes conscients que la révision de la loi de bioéthique n’est jamais parfaite. Certains considèrent qu’il faut aller plus loin ; d’autres redoutent que l’on aille trop loin. Pour notre part, nous considérons qu’il y a encore de nombreuses marges de progrès. Nous espérons que la navette permettra que l’on y revienne, avec de meilleurs sentiments. C’est dans cet esprit que la majorité de notre groupe votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique Social et Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour clore l’examen en première lecture de ce texte si particulier, qui aura suscité des débats d’une grande intensité, où le respect a cependant toujours prévalu.

Sur ces sujets qui touchent à l’intime, je tiens à souligner la qualité des débats qui se sont tenus ces deux dernières semaines, avec l’éclairage indispensable de nos quatre rapporteurs, dont je salue le travail. Même si je ne partage pas toutes ses convictions, je tiens à souligner les qualités de pédagogue de Mme Jourda sur des points dont nous étions souvent éloignés.

M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !

Mme Véronique Guillotin. Cette troisième grande révision des lois de bioéthique a été l’occasion pour nous d’évoquer des sujets aussi sensibles que la naissance, la mort, la maladie, le désir d’enfant, l’intérêt de l’enfant et, ainsi, des barrières éthiques que nous souhaitons poser aux progrès de la science. Quand je dis « nous », je parle de la société tout entière, mais aussi des sénateurs qui composent cette assemblée et qui s’efforcent, avec conviction, de la représenter.

Comme on l’a vu tout au long de ses débats, il n’est pas aisé, pour un parlementaire, de trancher sur des sujets aussi sensibles. Il y a eu, chez certains, une forme d’appréhension légitime à l’approche de l’examen de ce texte. Mais c’est le choix qu’a fait la France de confier aux représentants du peuple la responsabilité d’ériger des lignes rouges à ce que la science peut faire, considérant que l’élection démocratique nous octroie cette légitimité, qui ne vaut en aucun cas mandat impératif. C’est aussi au travers de la diversité de nos valeurs, de notre propre histoire et de celle de nos familles que nous sommes en capacité d’énoncer l’interdit. C’est portés par cette complexité que nous nous sommes astreints à légiférer en gardant toujours à l’esprit l’intérêt général, ce que nous comprenons de la société et ce que celle-ci souhaite pour son avenir.

Pour ma part, comme pour celle de la majorité des membres de mon groupe, j’ai l’intime conviction que la société est prête à accueillir en son sein des familles fondées sur une approche non pas seulement biologique, mais aussi affective de la parentalité, dans toute sa diversité.

Ma propre éthique m’a poussée à défendre, tout au long des débats, la capacité des femmes à décider de ce qui est bon pour elles et pour leur enfant à naître, à respecter leur désir de parentalité et leur résistance aux différentes pressions sociales qui s’exercent.

Aussi, j’ai deux grands regrets à l’issue de cette première lecture.

Premièrement, pour que la procréation médicalement assistée soit un droit réel pour toutes les femmes, il est indispensable que le remboursement ne soit pas restreint aux seules demandes fondées sur une pathologie médicalement prouvée : d’une part, parce que l’on maintiendrait alors une rupture d’égalité entre les femmes qui peuvent payer et celles qui ne le peuvent pas ; d’autre part, parce que la cause de l’infertilité n’est pas toujours médicalement prouvée, y compris pour les couples hétérosexuels.

Deuxièmement, s’agissant de la conservation des ovocytes, le vote s’est malheureusement cristallisé autour de la possibilité – ou de l’impossibilité – de réaliser cette procédure dans des établissements privés à but lucratif. Le RDSE a voté en majorité contre l’article 2, par rejet non pas de l’autoconservation ovocytaire, à laquelle il était favorable, mais d’une procédure qui, si elle était effectuée dans des établissements à but lucratif, ferait craindre à la majorité d’entre nous une forme de marchandisation qu’elle refuse.

Le débat, quant à lui, s’est concentré sur les pressions sociales subies par les femmes, pressions qui s’accentueraient en cas de généralisation de l’autoconservation de gamètes. Il est peut-être vrai que les femmes subissent des pressions sociales, tantôt pour fonder une famille, tantôt pour privilégier leur carrière. Il est salutaire d’en débattre, mais pas de les brandir comme un argument suffisant à justifier l’incapacité des femmes à décider pour elles-mêmes. Aussi, j’espère que la deuxième lecture nous permettra de nous entendre sur une rédaction plus ouverte sur l’autoconservation des ovocytes sans critère médical.

Trois autres sujets méritent un commentaire en lien avec la PMA, notamment la fécondation in vitro.

Si les débats sur la PMA post mortem ont été empreints de beaucoup de respect et de dignité, je suis favorable, comme je l’ai exprimé, à son autorisation et ne peux donc pas me réjouir du vote, très serré, qui a conduit à son rejet. Il en est de même pour le double don de gamètes, qui pourrait offrir une réponse aux couples doublement infertiles, et pour le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies, lequel permettrait aux femmes ayant subi de nombreux échecs de limiter les risques de fausses couches lors de l’implantation de nouveaux embryons.

J’en viens maintenant aux questions de filiation. Si je suis farouchement opposée à l’article 4 bis, introduit en commission, qui pénalise l’enfant né d’une GPA à l’étranger, en interdisant la transcription de son acte de naissance en droit français, je regrette également le choix fait par la majorité sénatoriale concernant l’établissement de la filiation dans le cas des PMA réalisées pour les couples de femmes. La rédaction initiale de l’article 4 semblait tout à fait satisfaisante, en permettant la double filiation maternelle par déclaration anticipée de volonté, tandis que la filiation par adoption pour la mère d’intention ne me semble pas aller dans le sens du progrès.

Pour terminer, je veux saluer l’interdiction, votée en séance publique, des tests génétiques à visée commerciale. Des doutes demeurent, me semble-t-il, sur la fiabilité et la confidentialité de ces tests et des données récoltées. Après les débats, qui ont été riches et argumentés, je reste convaincue que le recueil d’informations génétiques doit rester circonscrit au milieu médical.

En résumé, comme l’ont dit certains, symbolisé par les « chimères politiques » qu’il est de nature à engendrer – face à un tel texte, les clivages gauche-droite ne tiennent plus et les appareils de parti n’ont plus de place –, ce projet de loi, globalement, ne satisfera probablement personne.

Si mon propos liminaire faisait l’éloge de nos débats et ma revue des articles mentionnait de nombreux désaccords avec la majorité sénatoriale, ma conclusion fait la synthèse du rôle qui a été le nôtre ces deux dernières semaines : nous avons dû faire des choix, prendre des décisions qui impacteront la vie intime de nombreux Français. Pour eux, le groupe RDSE ne peut se résoudre à rendre une copie blanche.

Nous avons débattu en bonne intelligence. Les conditions ont été réunies pour l’examen de sujets aussi sensibles que complexes. Nous ne pouvons donc nier ce débat qui a eu lieu et les avancées notables qu’il a fait émerger, malgré nos nombreux désaccords. C’est pourquoi le groupe RDSE votera en majorité pour l’adoption de ce texte. Et, puisque l’occasion nous est donnée – une fois n’est pas coutume – d’examiner un projet de loi en procédure normale, et non en procédure accélérée, nous profiterons de la deuxième lecture pour tenter de vous convaincre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec honneur et fierté, mais aussi non sans une certaine difficulté que je vais tâcher de donner la position du groupe La République En Marche sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

Comme dans chaque groupe, des convictions personnelles divergentes se sont exprimées, tant les mesures contenues dans ce texte se situent à la croisée de chemins philosophiques, scientifiques, médicaux et sociétaux. Les nombreuses mises au point au sujet de votes en témoignent. De ce point de vue, notre groupe n’a pas fait exception.

Au cours de l’examen du projet de loi, nous avons abordé certains sujets avec des convictions fortes, sans toujours réussir à les faire partager.

Je pense bien évidemment à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes. Je reste, pour ma part, convaincu de la justesse de cette mesure. Les réticences des uns et des autres sont non pas éthiques, mais culturelles, voire cultuelles.

Je suis, à ce titre, déçu – oui, déçu ! – que le Sénat ait ouvert un droit nouveau pour aussitôt en restreindre l’accès, en réintroduisant le critère pathologique et en excluant, ce faisant, les femmes seules ou les couples lesbiens du remboursement par l’assurance maladie.

Permettez-moi de rappeler qu’actuellement 15 % des couples hétérosexuels qui recourent à l’AMP ne présentent aucune infertilité médicalement constatée. Devra-t-on les exclure du recours à cette technique ? Qu’en sera-t-il également des couples qui, après avoir recouru à une AMP, ont un enfant naturellement ? Avec le système que vous avez mis en place, seront-ils contraints de rembourser la sécurité sociale ? Qu’est-ce qui empêchera les femmes de continuer à se rendre à l’étranger et de se faire rembourser en France, comme c’est déjà le cas ? Vous voyez bien que cette exclusion ne tient pas la démonstration et qu’elle cherche à induire une rupture d’égalité d’accès au droit, en distinguant celles qui auront les moyens des autres !

Je le réaffirme : l’extension de l’AMP à toutes les femmes n’opérera pas de glissement irréversible vers la gestation pour autrui. L’Espagne et la Norvège n’ont pas autorisé la GPA. En revanche, l’Estonie et la Lituanie, qui l’ont permise, refusent l’AMP aux couples de femmes.

À l’occasion de ces débats, nous avons tous, à quelques rares exceptions près, pu rappeler notre opposition farouche à la GPA, laquelle est interdite dans notre pays à tout le monde, ainsi que notre préoccupation pour le sort des enfants qui en sont issus.

Une telle précision dans ce débat m’est apparue inutile, tout comme celle qui vise à rappeler que nul n’a de droit à l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant a d’ores et déjà valeur constitutionnelle et supraconstitutionnelle. Où est cet intérêt lorsque l’on s’oppose à la transcription totale dans les actes d’état civil des actes de naissance de ceux qui sont nés à l’étranger à la suite d’une GPA ?

S’agissant de la levée de l’anonymat du donneur ou de la donneuse de gamètes, que l’on oublie trop souvent, à l’égard de l’enfant issu d’un don, il me paraît cruel et inégalitaire de laisser ce dernier dans l’incertitude jusqu’à sa majorité. Mettre fin à la tourmente à laquelle peut – je dis bien « peut » – exposer la quête de ses origines, c’est précisément ce que le texte cherchait à faire.

Enfin, je continue de croire que l’autoconservation des gamètes n’incitera pas les femmes à reporter leur grossesse. Elle leur donnera, au contraire, une chance supplémentaire de préserver leur fertilité jusqu’à ce qu’elles rencontrent un partenaire sérieux. Soyons honnêtes, messieurs : ce ne sont pas les femmes qui procrastinent le plus concernant la parentalité… (Mmes Sophie Primas et Catherine Procaccia applaudissent.)

Quant aux arguments liés aux risques de pressions sociales auxquelles elles pourraient être soumises, notamment de la part de leurs employeurs, renforçons plutôt le droit pour punir ces comportements. Cessons de traiter les femmes comme de petites choses fragiles qui auraient besoin d’être protégées de tous, y compris d’elles-mêmes, et laissons-les disposer enfin de leur corps !

M. Thani Mohamed Soilihi. Nous regrettons également que le Sénat ait rejeté la possibilité d’insérer des cellules souches pluripotentes induites humaines, les « cellules iPS », dans un embryon animal, malgré un encadrement très strict. Cette technique aurait permis à la recherche de faire un véritable bond. Cela traduit une véritable défiance vis-à-vis du monde scientifique, jugé au mieux désinvolte, au pire dénué de discernement éthique. Je ne m’y associe évidemment pas.

A contrario, c’est emplis de doutes que nous avons examiné d’autres sujets. Nous avons même, parfois, changé de conviction au cours de nos discussions.

Je pense aux débats de très grande qualité qui ont eu lieu, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, autour de l’AMP post mortem ou encore sur l’expérimentation de l’accès aux examens génétiques. Ils ont, je le crois, fait honneur à la représentation nationale.

Pour d’autres mesures, les solutions trouvées ne nous satisfont pas encore. C’est le cas du mode de filiation retenu pour les enfants ayant deux mères. Nous aurions souhaité placer tous les parents dans une situation d’égalité. Le Gouvernement n’ayant pas déclaré l’urgence sur ce texte, la navette nous permettra de poursuivre nos réflexions pour, je l’espère, y parvenir.

Je pense sincèrement que ce texte, qui est l’aboutissement d’un long travail de consultations mené par le Gouvernement pour mettre à jour la législation en matière de bioéthique, contenait initialement des avancées scientifiques et sociétales majeures, dans le respect de ce qui fonde notre éthique.

Madame la ministre, vous l’avez rappelé, il n’y a pas, d’un côté, les garants de l’ordre moral et, de l’autre, ceux qui, au nom d’une liberté et d’une égalité débridées, conduiraient à sa perte. Mais nous ne pouvons nous résoudre à voter contre une avancée des droits, une avancée sociétale telle que l’extension de l’AMP pour toutes. Nous sommes attendus sur cette promesse présidentielle : au-delà de ces murs, de nombreuses femmes nous regardent !

Je l’avoue, que nous légiférions sur ce que les femmes doivent faire de leur corps m’a mis assez mal à l’aise. J’ai parfois eu l’impression qu’on les envisageait tantôt comme des êtres égoïstes, mus par leurs désirs individuels, tantôt comme des êtres fragiles, instrumentalisés à l’envi. (Marques dapprobation de plusieurs sénatrices.) Ces débats nous ont montré que le patriarcat et le paternalisme avaient encore de beaux jours devant eux. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)

En définitive, puisqu’il est hors de question de laisser la place au doute, les symboles tels que l’AMP étant encore plus importants que les nombreux reculs votés au Sénat, le groupe La République En Marche, dans sa majorité, votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

Ouverture du scrutin public solennel