M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le mercredi 12 décembre 2018, la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) auditionnait le ministre Bruno Le Maire.

Alors que bien des aspects de ce projet allaient dans le bon sens, selon une regrettable habitude, une disposition introduite dans le texte allait polariser l’attention et polluer le débat du début à la fin… Je veux parler de la privatisation d’ADP.

M’appuyant sur les similitudes avec l’expérience récente et cuisante de la privatisation des concessions d’autoroute, qui aurait dû nous instruire utilement sur ce type de procédure, j’étais alors l’un des premiers, avec Fabien Gay, à dénoncer vigoureusement la privatisation d’Aéroports de Paris pour des raisons simples, essentiellement stratégiques, financières, environnementales et sécuritaires sur lesquelles il n’est plus besoin de revenir, tellement le débat a fait rage.

En revanche, je n’ai pas fait partie, le 9 avril 2019, des 248 parlementaires, toutes tendances confondues, à l’initiative du lancement de la procédure de référendum d’initiative partagée.

M. Patrick Kanner. C’est dommage !

M. Jean-Raymond Hugonet. Je ne l’ai pas fait parce que, selon moi, pour répondre précisément à la question posée dans ce débat, l’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris n’est absolument pas une exigence démocratique !

Le référendum d’initiative partagée est une forme particulière du processus législatif français. Il associe le corps électoral à une proposition de loi, via un recueil de soutiens.

Dès lors, les seuils d’un cinquième des membres du Parlement, soit 185 parlementaires, dans un premier temps, puis d’un dixième des électeurs, soit 4,7 millions, sont nécessaires afin d’enclencher un tel référendum.

Le déclenchement de la procédure appartient aux seuls parlementaires, le soutien des électeurs intervenant dans un second temps. De ce fait, le mécanisme ne peut être qualifié de référendum d’initiative populaire, bien que l’expression ait été largement employée pour le désigner.

Pour ma part, je constate que ce mécanisme n’est en fait qu’un « alibi de modernité » doublé d’une « course d’obstacles » dont le modus operandi est décrit aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution. Le remède est pire que le mal !

Le seul but est en réalité de créer un effet d’annonce dans les médias sur un élan démocratique du système politique, alors que le mécanisme est conçu pour assurer que le référendum n’aboutisse en aucun cas. La proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui, relative au statut d’Aéroports de Paris, en est un criant exemple. (Mme Sophie Taillé-Polian marque son approbation.)

Le délai court du 13 juin 2019 à minuit jusqu’au 12 mars 2020 avant minuit. En décembre 2019, nous avons franchi le cap du million de soutiens enregistrés sur le site internet du ministère de l’intérieur. Courage, mes chers collègues, il ne vous reste plus qu’à en trouver 3 millions et demi en un peu plus d’un mois ! (M. Fabien Gay sesclaffe.) Un jeu d’enfant lorsque l’on s’essaie au parcours du combattant nécessaire pour s’enregistrer sur ce fameux site, lorsqu’il fonctionne… (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

La démocratie représentative doit avoir la « primauté » et « le développement des instruments de démocratie directe ou participative doit avoir pour corollaire le renforcement du rôle du Parlement ». C’est clairement ce qu’a affirmé le groupe de travail sur la révision constitutionnelle, réuni par Gérard Larcher, président du Sénat, le 20 mars 2019. La démocratie directe ou participative est complémentaire de la démocratie représentative, et il n’y a pas lieu d’opposer l’une à l’autre.

Les trois propositions du président du Sénat pour revivifier le droit de pétition devant notre assemblée font preuve de sagesse.

Premièrement, un droit de tirage citoyen permettrait à des citoyens, via une pétition, de déclencher la création, une fois par session, d’une mission d’information sénatoriale.

Deuxièmement, un droit d’initiative législative permettrait l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’une proposition de loi d’origine citoyenne ayant recueilli un nombre significatif de signatures, qui serait évidemment inférieur aux 4,7 millions requis pour le référendum d’initiative partagée.

Enfin, troisièmement, des séances de questions posées par les citoyens aux membres du Gouvernement ou aux sénateurs seraient mises en place.

C’est ainsi, mes chers collègues, que nous pourrons renforcer utilement l’exigence démocratique !

Mais prenons garde à ce que le rythme de réformes d’opportunité, mineures et précipitées, ne conduise le « mécano constitutionnel », selon l’expression chère au doyen Vedel, à l’emporter sur la logique de l’équilibre institutionnel ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe CRCE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. La question se pose en effet de savoir aujourd’hui si ce référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est une exigence démocratique.

Il y a plusieurs façons de répondre à la question. J’en ajouterai toutefois une à celles qui ont déjà été émises : cette privatisation ne figurait pas dans le programme présidentiel. (Mme Laurence Harribey applaudit.) Il est donc tout à fait légitime que les citoyennes et les citoyens de notre pays puissent s’en emparer, notamment via le référendum d’initiative partagée.

Ensuite, plus d’un million de personnes ont pris la peine d’aller sur ce site, accomplissant un acte citoyen et militant. À ceux qui méprisent une telle démarche, je réponds qu’en ces temps d’abstention où l’on se plaint régulièrement du désintérêt de nos concitoyens pour la politique, pour les partis et pour le travail parlementaire, la moindre des choses serait de respecter cette dynamique. Ne bridons pas cet appétit démocratique !

On met en avant la démocratie représentative. Malheureusement, notre République fonctionne de telle sorte que le débat parlementaire est aujourd’hui souvent abîmé, tronqué par une pratique du pouvoir qui se révèle, par bien des aspects, antiparlementaire.

Recours régulier aux ordonnances, études d’impact rédigées à la hâte, procédure accélérée appliquée systématiquement ou presque, y compris pour des sujets qui concerneront pour des dizaines d’années des millions de nos concitoyens, amendements du Gouvernement posés sur la table au dernier moment : on comprend que les Françaises et les Français aient parfois envie de reprendre la main sur le débat parlementaire…

En l’espèce, s’agissant de l’examen de la privatisation d’Aéroports de Paris dans le cadre de la loi Pacte, le débat fut opaque, faute pour les parlementaires de pouvoir accéder au cahier des charges, alpha et oméga de cette privatisation. Les conséquences concrètes de celle-ci n’ont donc pas pu être véritablement prises en compte dans le vote, alors que c’est précisément ce qui intéresse les Français. Je pense en particulier aux conséquences environnementales et aux 200 000 riverains de l’aéroport d’Orly, dans le Val-de-Marne que je représente ici, qui subissent déjà les conséquences de la pollution de l’air et du bruit sur leur santé. Que vont devenir les « protections » dont ils bénéficient aujourd’hui ? Quelles seront les conséquences de cette privatisation sur l’aménagement du territoire ?

Mes chers collègues, à l’heure où nous devrions reprendre la main sur les intérêts privés pour agir résolument face aux injustices et aux conséquences des dérèglements climatiques, nous sacrifions la maîtrise de nos aéroports, qui se trouvent pourtant à la croisée des enjeux écologiques et économiques. C’est une hérésie, un contresens historique majeur ! L’intérêt général commande au contraire d’en garder la maîtrise, et les Français veulent prendre part à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. M. Sébastien Meurant applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, 1,057 million de personnes ont signé le soutien à un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’Aéroports de Paris. Le seuil, pour sa validation, doit être de 10 % du corps électoral inscrit, soit 4 717 396 personnes.

La question posée est de savoir si l’on respecte ou non une loi constitutionnelle. Ce référendum d’initiative partagée a-t-il été conçu pour contrer le travail des parlementaires et les lois de la République, ou pour donner une initiative aux citoyens ?

On sent bien aujourd’hui qu’il s’agit finalement de dire aux députés et aux sénateurs qu’ils ne détiennent pas leur pouvoir du peuple, qu’ils ne regardent pas de très près ce qu’ils vont voter et qu’il est préférable, dans ces conditions, de redonner la parole au peuple.

Cela pose, me semble-t-il, un problème institutionnel. Le parlementaire est-il encore responsable de ses votes ? La démocratie s’organise-t-elle encore autour des parlements ou peut-elle, à tout moment, s’exercer dans la rue ?

M. Pierre-Yves Collombat. Elle s’exerce dans les urnes !

M. Pierre Louault. Je comprends bien que certains préfèrent organiser la démocratie dans la rue. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Oui, oui, oui ! Rien ne dément mon discours au quotidien, bien au contraire. (M. Claude Malhuret applaudit.)

Pourtant, je ne suis pas sûr que ceux qui veulent donner le pouvoir à la rue aient toujours promu l’exemple d’un bon fonctionnement de la démocratie…

M. Pierre-Yves Collombat. Si l’on répondait aux problèmes de ce monde en faisant des lois qui tiennent la route, au lieu d’enfiler des perles, nous n’en serions pas là !

M. Pierre Louault. Notre système démocratique est certes imparfait, mais il permet aux citoyens de s’exprimer régulièrement à l’occasion des scrutins, qu’ils soient nationaux ou locaux. Ces scrutins donnent la possibilité d’élire les représentants que nous sommes, dont la responsabilité est d’agir en fonction des engagements pris devant nos concitoyens. Nos électeurs savent très bien nous rappeler à nos obligations quand nous nous en éloignons.

En voulant favoriser l’accès au référendum sur des sujets techniques et économiques comme la privatisation d’Aéroports de Paris, quelle légitimité nous donnons-nous ? Comment justifier ensuite notre travail de parlementaires ? (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je suis un fervent défenseur des institutions de notre République et de l’existence du Parlement ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Je conclurai mes propos par une citation de Michel Rocard, pour complaire à mes amis socialistes (Protestations sur les travées du groupe SOCR.) : « Un référendum, c’est une excitation nationale où l’on met tout dans le pot… »

M. le président. Essayez d’être plus concis que l’auteur que vous citez, mon cher collègue…

M. Pierre Louault. « On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est une caricature de la pensée de Michel Rocard. Il faut lire ses œuvres complètes !

M. le président. Je demande à tous de respecter les orateurs, quoi qu’ils disent.

La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 24 octobre 1973, un décret signé du président Pompidou donnait le nom de Charles de Gaulle à l’aéroport de Roissy, rendant ainsi hommage à celui qui signait, le 24 octobre 1945, l’ordonnance portant création de l’aéroport de Paris, mais aussi au fondateur de la Ve République, dont la Constitution renvoie au préambule de celle de 1946, abondamment cité par les orateurs précédents.

Avec la privatisation d’Aéroports de Paris, on touche, me semble-t-il, à un principe constitutionnel, ce qui aurait sans doute mérité un débat en tant que tel, et non une discussion au détour d’un article d’un texte aussi hétéroclite que la loi Pacte.

Le général de Gaulle, en inaugurant en 1961 l’aéroport d’Orly, parlait d’une ambition nationale.

M. Pierre-Yves Collombat. Il n’y a plus d’ambition nationale !

M. Dominique de Legge. Je veux bien que nous ne soyons plus au siècle dernier et que nous vivions dorénavant dans une économie mondialisée, mais je reste convaincu qu’Aéroports de Paris n’est pas qu’une question de capitaux, de rentabilité et de technique. Il s’agit d’un équipement stratégique et, pour reprendre l’expression du général de Gaulle, d’une ambition dont l’État ne peut être absent. Il doit en être acteur.

Les précédents de la privatisation de l’aéroport de Toulouse ou des concessions autoroutières auraient dû nous conduire à plus de prudence. Je crains que nous n’ayons pris le risque de sacrifier l’avenir en espérant glaner quelques recettes pour boucler un budget toujours déficitaire.

Mais s’agissant d’ambitions nationales, je ne peux pas ne pas faire le rapprochement avec l’ampleur du débat qui a eu lieu autour d’un autre aéroport, celui de Notre-Dame-des-Landes, avec ses 180 décisions de justice. À moins qu’il ne s’agisse dans cette affaire de compenser le manque à gagner pour les entreprises qui envisageaient l’exploitation de Notre-Dame-des-Landes…

M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement veut réformer. Ce n’est pas moi qui lui en ferai le reproche. Mais réformer ne peut se faire dans la précipitation, surtout quand il s’agit de fondamentaux.

Aéroports de Paris fait partie des fondamentaux de notre souveraineté économique. Il s’agit d’un engagement sur soixante-dix ans !

La réforme des retraites entend aussi toucher à nos fondamentaux, puisqu’elle vise – rien de moins ! – à repenser notre pacte social et de solidarité mis en place au lendemain de la guerre. Pourquoi pas ? Mais l’on ne peut certainement pas le faire en procédure accélérée, sans étude d’impact ni projections financières…

Je ne sais pas s’il faut plus ou moins de référendums, mais je ne suis pas insensible aux arguments de notre collègue Claude Malhuret sur le débat entre démocratie directe et démocratie participative.

J’ai toutefois une conviction : le Parlement doit être respecté. Je n’aurais certainement pas signé l’appel au référendum d’initiative populaire s’il y avait eu un vrai débat parlementaire et si nous n’avions pas légiféré dans l’urgence.

Si vous ne voulez pas que le débat ait lieu ailleurs, c’est-à-dire dans la rue, il faut qu’il ait lieu au Parlement ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes chargé de la petite enfance et des mineurs. Votre présence au banc du Gouvernement est aujourd’hui tout un symbole, puisqu’un jeune majeur de 18 ans aujourd’hui aura 88 ans quand la concession se terminera ! (Mêmes mouvements.)

Je crains que le Gouvernement ne tire une traite sur l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat de ce jour, organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie, ne porte pas sur la politique économique de l’actuel gouvernement, ni même sur son avenir, sur lequel il y aurait tant à dire. Il ne porte pas non plus sur la loi Pacte, ni sur la question de nos institutions et du rôle du Parlement.

Il porte sur un sujet essentiel, celui de la démocratie, à l’heure de la puissance des réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire, du mouvement inédit des « gilets jaunes » et de la remise en cause de toutes les formes de pouvoir. La question d’un débat démocratique sur le devenir d’Aéroports de Paris cristallise l’ensemble de ces problématiques, que certains analysent comme une « archipélisation » de la France, d’autres comme un retour des classes sociales

Si ce sujet surgit, monsieur le secrétaire d’État, c’est pour une raison simple : l’utilisation de la procédure accélérée et le manque de transparence du Gouvernement. Comment accepter le refus de transparence de votre gouvernement sur le fameux cahier des charges qui, de fait, va organiser les relations d’Aéroports de Paris avec les territoires et les habitants pour les soixante-dix prochaines années, avec des impacts importants sur leur vie et leur santé ?

Vous proposez finalement de privatiser les gains de ce fleuron et de nationaliser les nuisances. Dans le Val-d’Oise, dont je suis l’élu, nous nous battons chaque jour, avec d’autres collègues ici présents, pour améliorer, notamment, les questions de santé publique. Mais les habitants avaient, par leur bulletin de vote, le pouvoir de changer tous les cinq ans l’actionnaire majoritaire. Dorénavant, ce ne sera plus possible, ou alors dans soixante-dix ans ! Soixante-dix ans avant de pouvoir de nouveau exprimer un avis sur les politiques d’aménagement d’Aéroports de Paris et leurs conséquences en termes de santé publique et de nuisances pour des centaines de milliers d’habitants !

Je regrette aussi, monsieur le secrétaire d’État, le refus du Gouvernement d’accepter l’avis de la Commission nationale du débat public (CNDP), qui avait demandé la tenue d’un débat très large sur le terminal 4, soit l’équivalent d’Orly ajouté à Roissy. Le rapport souligne pourtant qu’il y aura bel et bien des nuisances en termes d’émissions de CO2, de particules fines et de nuisances sonores.

Nous sommes choqués, monsieur le secrétaire d’État : un Président de la République peut décider à lui seul d’un grand débat, mais 248 parlementaires ne peuvent rien dire, et un million de Français non plus !

Vous refusez tout débat par idéologie et, disons-le, vous abîmez ainsi notre démocratie. Les Français n’ont pas besoin d’un passage en force, mais d’une démocratie apaisée. C’est pourquoi il faut laisser la souveraineté populaire s’exprimer. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme Victoire Jasmin. C’est une dictature !

M. Pierre-Yves Collombat. N’exagérons pas…

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est-elle une exigence démocratique ?

Si l’on peut et l’on doit s’interroger sur la pertinence économique de cette privatisation, sur sa cohérence stratégique, on ne peut ignorer la problématique politique et démocratique posée par cette cession.

Il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’essence même de notre système de démocratie représentative. Mais certaines décisions s’avèrent des symboles si forts que, même légales, même en respectant formellement les prérogatives et votes du Parlement, elles souffrent d’une légitimité tremblante et incertaine.

Ainsi, alors qu’ADP est tout sauf un petit aérodrome de province ou une énième zone commerciale de la grande couronne francilienne, l’État a voulu graver son futur dans une sous-section des 221 articles de la loi Pacte.

Sept articles – au milieu des modifications sur les formalités administratives, la formation professionnelle, le jour des soldes, les assurances, etc. – résument en quelques mots des orientations clés pour l’avenir du transport aérien, l’aménagement du territoire, la stratégie économique et financière de notre Nation, et même sa souveraineté. L’objectif, au final, est de rembourser comptant seulement 0,5 % de la dette publique… N’oublions jamais qu’un grand aéroport est aussi une porte d’entrée territoriale, un espace frontalier avant d’être une galerie marchande.

Ne fallait-il pas au moins un projet de loi spécifique ? Évidemment ! Mais vous avez fait un autre choix. Cette volonté de privatisation d’ADP, enfouie au fond de la jungle touffue d’une loi obscure, est révélatrice, sur le fond comme sur la forme, d’une gouvernance lointaine et technocratique qui attise le volcan de l’incompréhension et le magma de la colère chez de nombreux Français.

Quand on vend les bijoux de la famille, ce n’est jamais bon signe, et il ne faut pas s’étonner que la famille demande des comptes ! Les Français veulent un État stratège, pas un gang de boursicoteurs « gagne-petit » leur expliquant doctement qu’ils n’ont rien compris. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)

Les Français ont du bon sens, ils comptent mieux que les ordinateurs de Bercy et ils ont de la mémoire. Ils se souviennent des pathétiques privatisations du réseau d’autoroutes et de l’aéroport de Toulouse.

M. Pierre Louault. Et par qui ?

M. Olivier Paccaud. Il est toujours temps de corriger une erreur, ou au moins de fortifier une décision, de la rendre incontestable. Comment ? En donnant la parole au peuple ! Pourquoi le refuser, alors que le Gouvernement ne cesse de proclamer un souci d’écoute et de proximité qui reste tout virtuel ? En avez-vous donc peur, monsieur le secrétaire d’État ?

Certains disent que le référendum est un outil dangereux, pernicieux, que les citoyens ne répondent pas vraiment à la question posée, mais en profitent plutôt pour exprimer un rejet.

Il fut un temps, pas si lointain, à l’aube de la Ve République, où le Président de la République donnait régulièrement la parole au peuple. Certes, n’est pas de Gaulle qui veut…

Je fais partie des parlementaires qui se sont associés pour déclencher le processus conduisant à l’organisation d’un référendum d’initiative partagée.

À ce jour, plus d’un million de nos compatriotes ont signé cette demande, ce qui est insuffisant pour imposer le référendum, mais suffisant pour que le Gouvernement entende le malaise exprimé. Monsieur le secrétaire d’État, si vous êtes sûr du bien-fondé de votre décision, je ne doute pas que vous saurez en convaincre les Français.

« Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote », a écrit Charles de Gaulle. Puisse donc le Gouvernement être audacieux, courageux et pédagogue, monsieur le secrétaire d’État ! Puisse le Gouvernement être gaulliste, ou au moins gaullien ! Un référendum lui en donnerait l’occasion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Victoire Jasmin et Michelle Meunier applaudissent également.)

M. Pierre-Yves Collombat. On peut toujours rêver !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

M. Rachid Temal. Et des avions ! (Sourires sur de nombreuses travées.)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi d’être parmi vous. En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, je vous remercie, au nom du Gouvernement, de l’organisation de ce débat. Je me réjouis de voir que le débat démocratique est toujours bien vivant (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.), puisque nous débattons aujourd’hui, certes, du référendum, de son opportunité et des modalités de son organisation, mais aussi du fond du sujet, à savoir la question de la privatisation elle-même.

Je ne ferai pas montre de la même rigueur argumentaire que vous, monsieur le sénateur Malhuret, et vous prie de m’en excuser par avance. Je me permettrai dans un premier temps de rappeler la logique de cette privatisation et d’expliquer pourquoi cette opération est nécessaire pour l’entreprise, bénéfique pour notre souveraineté et notre sécurité ainsi que déterminante pour l’économie française. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.) J’aborderai dans un second temps l’organisation du référendum, qui est au cœur du débat d’aujourd’hui.

Revenons un court instant sur Aéroports de Paris.

Aéroports de Paris n’est ni un monopole national ni une entreprise stratégique.

M. Rachid Temal. Ah bon ? Relisez vos fiches !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Si cela a pu être le cas dans le passé, les principaux aéroports européens sont en concurrence aujourd’hui. Ainsi, Aéroports de Paris est concurrencé par Heathrow ou Francfort, ainsi que par les aéroports des pays du Golfe.

ADP n’est pas une entreprise stratégique. (Mme Victoire Jasmin, MM. Olivier Léonhardt, Victorin Lurel et Olivier Paccaud protestent vivement.) Non, monsieur Léonhardt, mesdames, messieurs les sénateurs, ADP n’est pas une entreprise stratégique !

M. Rachid Temal. C’est juste le numéro un du transport aérien de voyageurs !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. C’est la frontière qui est stratégique ; l’entreprise, elle, est commerciale. Les comptes de résultat d’ADP le prouvent : les trois quarts du résultat opérationnel proviennent des activités commerciales,…

Plusieurs sénateurs des groupes SOCR et CRCE. Et alors ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. … à savoir les hôtels, les parkings, les boutiques, l’immobilier.

M. Patrick Kanner. Très bien, tant mieux pour l’État !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. La frontière continuera à être contrôlée de la même manière. La loi, vous le savez bien, l’a rappelé et a fixé les conditions d’exercice des fonctions régaliennes de l’État qui s’imposent et s’imposeront à Aéroports de Paris, quels que soient ses actionnaires. Il n’y aura évidemment aucune privatisation de la police aux frontières ni des douanes.

M. Pierre-Yves Collombat. Quel dommage ! (Sourires.)

M. Rachid Temal. Personne ne le dit !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Ensuite, il faut comprendre le caractère rationnel de l’opération. Celle-ci est assez simple et se résume en une phrase : le rôle de l’État n’est pas d’immobiliser du capital dans des activités commerciales et matures,…

M. Rachid Temal. Quel capital ?

M. Fabien Gay. Reversez les dividendes directement dans l’entreprise !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. … il est d’investir pour financer l’avenir de notre économie. Le rendement d’ADP est d’ailleurs – je n’ai pas voulu insister, mais vous le savez – l’un des plus faibles du portefeuille de l’État.

Nous privatisons donc pour financer – un certain nombre d’entre vous l’ont rappelé – un fonds d’innovation, qui, lui, est absolument stratégique.