M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est, si je puis dire, une énième illustration d’une désinvolture assumée du Gouvernement à l’égard du Parlement et de la démocratie parlementaire.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous profitez de l’état d’urgence sanitaire pour demander à la représentation nationale de se dessaisir de ses droits, en faisant de la législation par ordonnances la règle, alors même que, comme l’a souligné Mme la rapporteure, le Parlement a démontré sa réactivité face à la crise sanitaire.

Vous demandez au Parlement une délégation de son pouvoir législatif dans des domaines aussi variés que le droit social, le droit de la consommation, les finances publiques, le droit pénal, le droit d’asile, le droit européen, le code de la défense, le code de l’environnement, sans lien avec la gestion de la pandémie, aux seules fins de faire l’économie d’un débat de fond et d’éviter d’avoir à justifier vos choix devant les députés et les sénateurs.

Dans sa version initiale, ce projet de loi prévoyait 40 ordonnances, que le Gouvernement entendait prendre dans un temps extrêmement resserré, faisant fi du principe constitutionnel de clarté de l’élaboration de la loi. La seule ligne directrice de ce texte sans cohérence est de pallier le retard pris par le Gouvernement en amont de la crise sanitaire, reprenant des dispositions éparses de textes en cours de navette parlementaire.

Comment pourrions-nous accepter, en cette période d’incertitude et d’inquiétude, en cette période de défiance profonde de la population à l’égard de l’exécutif, le blanc-seing que vous demandez, alors qu’une cinquantaine d’ordonnances plus anciennes doivent encore être ratifiées ? Comment pourrions-nous accepter l’instrumentalisation de l’urgence sanitaire pour nous départir de notre pouvoir législatif pour un temps anormalement long, les délais des habilitations prévues initialement variant entre six et quinze mois à compter de la publication de la loi ? Nous saluons, à cet égard, le travail de la commission des lois, qui a réduit le champ et la durée de nombreuses ordonnances et qui a rappelé que le Gouvernement devrait présenter les projets de loi de ratification de ces dernières dans un délai de deux mois.

Comment accepter que, dans ce brouillard législatif, le Gouvernement puisse profiter de la confusion et de l’inquiétude générale pour prendre des mesures qui vont nuire aux Français ? Ne nous y trompons pas : si certaines mesures sont directement liées à l’épidémie de Covid-19 – il y va ainsi des règles applicables au chômage partiel, de la fin anticipée des saisons sportives, de la prolongation du versement de l’allocation pour les demandeurs d’asile et des contrats aidés –, d’autres, en revanche, et non des moindres, sont des attaques en règle contre le droit du travail ou le pouvoir judiciaire, ou encore en faveur d’intérêts particuliers, voire purement électoraux.

Pour illustrer mon propos, quelle urgence y a-t-il à favoriser l’ouverture de la saison de la chasse, alors que nos concitoyens sont encore limités dans leur liberté d’aller et venir et doivent se soumettre aux gestes barrières afin d’éviter une seconde vague ? Que dire de la possibilité laissée aux employeurs de multiplier les contrats à durée déterminée hors de toute contrainte et de déroger au nombre de vacations dans toute une série de missions publiques ? Nous le savons, l’assouplissement des règles relatives au CDD et à l’intérim s’est toujours accompagné d’une précarisation des conditions d’emploi pour les travailleurs concernés, sans effet significatif en termes de relance économique, d’autant que cette mesure a été aggravée par la commission des affaires sociales, qui ne souhaitait pas que les dérogations aux règles de renouvellement des CDD existantes soient neutralisées par la durée de trente-six mois prévue à l’article 1er bis A. Il s’agit des contrats conclus dans le cadre des parcours emploi compétences, en particulier des contrats uniques d’insertion.

Quelle urgence y avait-il à inscrire dans ce texte une mesure du projet de loi ASAP permettant aux entreprises de moins de onze salariés de mettre en place un dispositif d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur et de prévoir sa reconduction tacite, alors que, dans le même temps, nous savons que de nombreuses familles risquent de voir leurs revenus diminuer à partir de juin si les enfants ne retournent pas à l’école ?

Que dire encore de l’allongement de la durée de séjour des travailleurs étrangers afin de disposer d’une main-d’œuvre peu contraignante et corvéable à merci ? Si la mesure est de bon sens, rien n’est prévu sur leurs conditions de travail et de rémunération. Or il semble que les contraintes sanitaires renforceront le caractère inacceptable des conditions de travail de ces travailleurs, pourtant essentiels. Dans le même temps, rien ou presque n’est prévu pour les travailleurs saisonniers.

La plupart de ces affaiblissements pourront se prolonger plusieurs mois après la fin de l’état d’urgence. Au lieu de proposer un grand plan de relance, avec des droits sociaux nouveaux et des filets de sécurité pour tous, ce texte ne fait qu’étendre la précarité et la casse des conquis sociaux.

De même, comment justifier l’élargissement de l’expérimentation des cours criminelles – rejeté en commission –, à rebours des engagements pris par le Gouvernement au moment du débat sur la réforme de la justice ?

Malgré le travail sénatorial et la réduction du nombre d’habilitations de 24 à 10, le recours aux ordonnances participe de la dégradation du Parlement. Cela n’est pas acceptable. Le Parlement n’est pas une institution qu’il faudrait occuper afin de se donner bonne figure. Dans cette période d’entre-deux, entre confinement et perspectives de déconfinement total, nous refusons d’être infantilisés et revendiquons le respect de notre légitimité démocratique. Renoncer encore et toujours à nos compétences, c’est oublier que le mandat qui nous a été confié par les Françaises et les Français doit être respecté. C’est oublier que, si, à l’instar de la vie économique, sociale et culturelle, la démocratie a été percutée de plein fouet par la crise que le pays traverse, elle doit rester debout, ne pas être malmenée, bafouée, bâillonnée, sous peine de faire violence aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, auxquelles nous sommes très majoritairement ici attachés.

L’urgence ne justifie pas la précipitation. Elle ne justifie pas que le Parlement soit entravé dans sa capacité d’analyse et de décision éclairée. C’est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi, qui n’a d’urgent que le titre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières semaines ont mis un coup d’arrêt à notre économie.

Notre PIB s’est contracté de 5,8 % au premier trimestre, un record depuis 1949. Nous savons que nous allons devoir faire face, dans les prochains mois, à une crise économique d’une ampleur considérable et préoccupante. Nous devons l’anticiper et nous y préparer.

Ce texte que nous examinons comporte plusieurs mesures en ce sens. Il s’agit d’assurer la pérennité des entreprises fragilisées par la crise. Pour cela, l’État a largement activé le régime de chômage partiel, permettant de mettre en sommeil bon nombre d’entre elles. L’économie redémarre doucement, sans doute trop lentement encore et, pour l’accompagner, nous devons apporter aux entreprises la flexibilité dont elles ont besoin.

Le confinement a engendré d’importantes pertes d’activités qui ne sont pas sans conséquences sur les contrats de travail. Dans les six prochains mois, les CDD, les contrats de mission ou encore les contrats uniques d’insertion pourront être conclus ou renouvelés pendant une durée de trente-six mois, contre vingt-quatre mois auparavant. Il faudra cependant les encadrer par des accords d’entreprise et, bien évidemment, comme c’est prévu dans le texte, les limiter dans le temps.

Autre mesure à destination des TPE, un régime d’intéressement pourra être mis en place pour une durée maximale de trois ans. Le groupe Les Indépendants croit beaucoup à l’intéressement, qui lie l’intérêt des entreprises à celui des salariés. C’est, à nos yeux, un dispositif juste, qui permet de partager le fruit de l’activité avec ceux qui contribuent à la faire naître. Cette mesure contribuera aussi à relancer l’économie.

Toutefois, avant de parler d’intéressement, il faut préalablement qu’il y ait création de richesses. À cet égard, notre groupe voulait proposer que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), déjà très mobilisés en faveur des entreprises de leur territoire, puissent octroyer et gérer eux-mêmes les aides aux entreprises en difficulté, bien évidemment en complémentarité avec les régions. Je regrette que l’amendement en ce sens de mon collègue Emmanuel Capus ait été rejeté au titre de l’article 40 de la Constitution. L’exécutif recourt beaucoup – beaucoup trop – aux ordonnances, mais nous nous bridons parfois nous-mêmes.

M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !

M. Franck Menonville. Il est aussi prévu que les salariés concernés par une activité partielle disposeront des mêmes droits à la retraite que s’ils avaient été employés à plein temps. C’est là une mesure importante dans le contexte actuel.

Le secteur privé n’est pas le seul à devoir s’adapter aux circonstances exceptionnelles de cette crise que nous traversons. La fonction publique a elle aussi besoin de souplesse. Ainsi, les militaires et les chercheurs pourront voir leurs droits et contrats prolongés. Par ailleurs, nous nous félicitons des dispositifs permettant le cumul des pensions civiles et militaires avec les revenus liés aux activités dans les hôpitaux publics et privés, au plus fort de la crise. C’est bien là le minimum que nous devions à toutes celles et à tous ceux qui se sont mis au service de la santé de nos concitoyens durant le pic de l’épidémie.

La situation des travailleurs étrangers en France a aussi été impactée par la pandémie. Elle a besoin d’être clarifiée. Le plafond d’activité des travailleurs saisonniers étrangers présents en France au 16 mars sera relevé de six à neuf mois ; bien évidemment, cette mesure est limitée dans le temps. Ces travailleurs sont particulièrement nécessaires dans les secteurs agricoles et viticoles, entre autres. À cet égard, je soutiens l’inscription par la commission du correctif à la loi Égalim (loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous). Ces mesures sont nécessaires au secteur agricole, déjà très fragilisé avant cette crise et encore plus aujourd’hui.

Les étudiants étrangers seront également autorisés à travailler de manière dérogatoire – jusqu’à 80 % –, en attendant la reprise effective des cours.

Tout comme l’économie, l’ensemble de l’activité sociale doit reprendre. C’est absolument indispensable.

Je pense notamment à la justice. Le retard accumulé en la matière est considérable. Pour faire face à cet afflux, les tribunaux vont devoir employer des moyens exceptionnels. Nous souhaitons cependant que cela ne nuise pas au respect des règles et des procédures les plus élémentaires, en particulier au tirage au sort des jurés d’assises. Il est impératif que le public puisse assister à ces procès. Nous vous proposerons de voter des amendements en ce sens, car c’est véritablement, à nos yeux, la base du principe républicain.

Le projet de loi comporte des dispositions très diverses. En effet, près de 40 sujets différents y sont abordés. En raison de l’urgence, le Gouvernement a demandé à être largement habilité à légiférer par ordonnances. L’Assemblée nationale puis notre commission des lois ont fortement contribué à réduire le nombre d’habilitations, passé de 24 à 10. Nous le saluons.

Les dispositions correspondantes ont été intégrées au texte. Elles seront ainsi débattues, dans le respect des impératifs de l’urgence, par le Parlement, qui a fait preuve d’une grande réactivité ces derniers mois, notamment depuis le début de la crise. En effet, cinq lois ont été votées depuis la fin du mois de mars.

Aujourd’hui, l’heure est à la relance. Nous devons tous être mobilisés pour favoriser un retour à la normalité progressive et continue dans notre pays, tout en gardant à l’esprit que nous devrons apprendre à vivre ensemble avec le virus. Pour autant, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement ne doit pas contourner le débat parlementaire par un recours excessif aux ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la première fois depuis plus de douze semaines, nous avons le plaisir d’examiner un projet de loi dans des délais, non pas raisonnables, mais qui permettent à chacune des deux assemblées d’y apporter son regard, son expérience et, donc, de l’améliorer.

La crise sans précédent que nous avons traversée justifie naturellement l’urgence et la rapidité d’examen des différents textes auxquels le groupe Union Centriste a toujours apporté un appui constructif et bienveillant, car notre pays avait besoin de mesures urgentes, qu’elles soient sanitaires, économiques ou sociales.

Avec deux lois, une organique et une ordinaire, une loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire et deux lois de finances rectificatives, le Parlement s’est largement mobilisé, même dans des conditions matérielles difficiles.

Le Gouvernement, afin de pouvoir agir vite, devait légitimement bénéficier du soutien préalable des législateurs que nous sommes, mais sous l’œil des parlementaires soucieux du contrôle de l’action gouvernementale que nous ne sommes pas moins.

Si l’état d’urgence sanitaire est toujours déclaré, nous sommes arrivés aujourd’hui dans une temporalité différente : après la période de confinement qui a nécessité de légiférer rapidement, et donc le plus souvent par ordonnances, nous sommes désormais dans une période de déconfinement progressif, qui doit être celle non pas du maintien de l’état d’exception, mais de la préparation du retour à l’état ordinaire, habituel, pour toute prise de décision démocratique.

Ainsi, le recours massif aux ordonnances, tel qu’il était prévu par le projet de loi initial, ne se justifie plus, comme l’a d’ailleurs signifié le Conseil d’État. Ce positionnement a d’abord été repris par nos collègues députés, puis par notre commission des lois. Sous l’impulsion des parlementaires, ce sont entre trois et quatre fois moins d’habilitations à légiférer par ordonnances qui figurent aujourd’hui dans le texte. Les 10 habilitations restantes s’ajoutent d’ailleurs aux 57 ordonnances déjà prises en application de la loi d’urgence du 23 mars dernier.

Au passage, il est illusoire d’imaginer que ces dernières seront ratifiées par le Parlement. C’est regrettable, car une habilitation n’a de sens que s’il y a contrôle de son utilisation par la ratification. C’est aussi dommageable à la qualité de la norme, ce que nous constatons d’ailleurs dans ce texte : nombre d’amendements viennent en quelque sorte combler les manquements, les oublis ou les erreurs des ordonnances déjà présentées par le Gouvernement. Je pense notamment aux difficultés rencontrées pour certains contrats dans les structures d’insertion ou aux oubliés de l’apprentissage.

Au-delà de l’urgence et de la méthode, que nous avons malgré tout suivie, il est toujours difficile pour un parlementaire d’accepter de se dessaisir de son pouvoir de législateur au profit du pouvoir exécutif. Ce n’est pas dans nos gènes, et encore moins, ici, au Sénat. La notion d’urgence doit donc être prise avec gravité et j’invite chacun d’entre nous à l’utiliser avec parcimonie.

J’aimerais, à ce stade, saluer le travail d’analyse et de proposition de nos trois rapporteurs, respectivement de la commission des lois, de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, qui ont travaillé avec des objectifs communs que nous partageons : écrire « en clair » un maximum de dispositions ; restreindre le champ des habilitations tout en les inscrivant dans des délais raisonnables, c’est-à-dire réduits, par rapport au texte initial ; rétablir les consultations obligatoires ; et limiter au maximum les mesures du texte à des dispositifs dérogatoires en réponse à l’état d’urgence sanitaire.

Le projet de loi qui nous est soumis contient des mesures très diverses, voire trop, qui présentent un caractère parfois d’urgence, parfois de rattrapage et parfois d’opportunité. C’est entre ces trois qualificatifs qu’il a fallu choisir pour enrichir et resserrer le texte. Il nous faut néanmoins envisager les dispositions proposées à l’aune d’un double impératif : répondre à la crise par des mesures dont la plupart prolongent des décisions déjà prises et anticiper certaines décisions nécessaires à l’action.

Sur le fond, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous partageons une grande partie de vos objectifs. Ce projet de loi vise à accompagner la reprise du pays à la sortie du confinement dans toutes ses dimensions tout en le préparant aux échéances futures, comme le Brexit.

Face à un risque de récession inédite, il est essentiel de relancer notre pays, aujourd’hui à l’arrêt. Les enjeux sont d’importance : il s’agit d’assurer la continuité des services publics et l’organisation des pouvoirs régaliens, de réamorcer la pompe en relançant notre économie tout en évitant que les difficultés des entreprises ne se traduisent par un chômage de masse et par un accroissement des difficultés de nos concitoyens. C’est un enjeu immense.

Nombre de mesures proposées nous paraissent nécessaires, qu’elles touchent à la prorogation de divers mandats en dehors du champ politique, à la continuité des missions dans lesquelles nos forces armées sont engagées ou encore à diverses mesures sectorielles touchant, par exemple, aux domaines de la recherche ou du sport.

Ce projet de loi répond aussi à un souci de protection des salariés. Je pense notamment aux mesures qui favorisent la reprise de l’activité des entreprises tout en offrant un cadre plus sécurisant aux salariés.

En revanche, certaines mesures, comme celles qui sont contenues à l’article 3 et prévoient une mutualisation de la trésorerie de nombreux acteurs publics au sein du Trésor, nous paraissent manquer de préparation et de précision. Les objectifs d’une telle mutualisation peuvent être entendus, mais il faut travailler à un meilleur encadrement et à une meilleure définition de son périmètre si vous souhaitez la rendre acceptable. En effet, elle pourrait priver plusieurs organismes publics, ainsi que les collectivités territoriales, de ressources induites en rigidifiant leurs mouvements et besoins de trésorerie au seul profit de l’État. Nous devons pouvoir mesurer précisément son impact. Le rapporteur général et de nombreux groupes ont ainsi souhaité sa suppression dès le stade de la commission. Il faut la maintenir.

À titre plus personnel, je me réjouis, avec Catherine Di Folco, ma corapporteure du projet de loi de transformation de la fonction publique, que nous ayons pu faire adopter plusieurs amendements visant notamment l’élargissement, hors état d’urgence sanitaire, de la mise à disposition à titre gratuit des agents territoriaux ou hospitaliers auprès des hôpitaux ou des Ehpad, selon la volonté des employeurs publics, ou encore à la « neutralisation » des effets de l’état d’urgence sur la transformation de CDD en CDI dans les trois versants de la fonction publique.

En conclusion, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, sans entrer davantage dans le détail de ce texte, vous aurez compris que les membres du groupe Union Centriste soutiennent les orientations de ce projet de loi et voteront donc en sa faveur, tout en conservant un regard naturellement attentif sur sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canevet. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons l’examen d’un projet de loi que tout le monde qualifie d’assez particulier.

Dans son avis, le Conseil d’État constatait assez pudiquement que ce projet de loi traitait d’une grande variété de domaines. Mme le rapporteur de la commission des lois a utilisé, non sans humour, un terme plus « casimiresque » que juridique, qui décrit pourtant judicieusement la structure de ce texte.

C’est par cet aspect que je commencerai mon propos. De tels textes rendent forcément plus difficiles le travail parlementaire, l’enrichissement de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement. Le rapport de la commission des lois a qualifié ce texte de « projet de loi le plus hétérogène depuis le début des années 2010 ».

En outre, le Conseil d’État a constaté que l’étude d’impact se bornait à fournir des indications très parcellaires sur certaines habilitations.

Même si nous pouvons comprendre les particularités des circonstances actuelles, nous condamnons cette méthode qui nous oblige à discuter, pêle-mêle, des réservistes de la police, des tickets-restaurant, de la justice pénale, des compétitions sportives ou encore des suites des essais nucléaires dans le Pacifique.

Comme l’ont souligné tous les orateurs, le projet de loi initial était constitué en tout et pour tout d’une quarantaine d’habilitations à légiférer par ordonnances. Elles portaient parfois sur des durées qui ne justifiaient guère l’urgence. Je pense, par exemple, aux dispositions concernant le Brexit. Il y a vraiment de quoi rester perplexe.

Malgré tout cela, à partir du texte déjà amendé dans le bon sens par l’Assemblée nationale, nos commissions des lois, des affaires sociales et des finances ont réalisé un travail considérable et remarquable. Elles ont équilibré les mesures, réduit les durées d’habilitation et amélioré les rédactions juridiques.

Pour ces raisons, nous tenons à remercier nos rapporteurs : Mme Jourda, M. Savary et M. de Montgolfier. Ils ont joué le jeu et ont été suivis par leurs commissions dans cette démarche, fidèles à ce qui a toujours été l’un des principaux soucis du Sénat : enrichir et améliorer la loi.

Toutefois, malgré cet effort salutaire, il faut bien reconnaître que nous faisons souvent pour le mieux avec ce que l’on nous donne. Une fois le texte promulgué, on s’interrogera sans doute sur sa lisibilité pour nos concitoyens. Même maintenant, ce projet de loi ne brille ni par sa clarté ni par son intelligibilité.

Au-delà de ces questions de forme, qu’en est-il du fond du texte ? Nombre de choses, que je ne pourrais guère résumer ici sans risquer de vous ennuyer par un inventaire à la Prévert, qui ne serait qu’une répétition imparfaite de ce qui a déjà été dit. Je ne m’arrêterai donc que sur quelques points, parmi beaucoup qui auraient pu être soulevés.

Parfois, le recours aux ordonnances se justifie indéniablement. C’est la raison pour laquelle nous avons voté de larges habilitations le 23 mars dernier. Mais nous ne pouvons que nous interroger face au dépôt d’un texte qui ne comprenait initialement que des ordonnances, alors que nombre d’entre elles pouvaient aisément être immédiatement inscrites dans la loi. Il ne doit pas y avoir de glissement vers un recours systématique à l’ordonnance – à plus forte raison lorsque la procédure allant de l’habilitation à la ratification finit parfois par être plus longue que la procédure législative ordinaire.

C’est donc avec satisfaction que je constate que les habilitations ne sont plus qu’au nombre de 10, complétant un processus entamé à l’Assemblée nationale. Il s’agit non pas d’une simple suppression, mais bien d’un enrichissement, car certaines mesures objectivement abouties ont pu être utilement inscrites « en clair » dans la loi. Je pense, par exemple, aux durées d’engagement des militaires, au temps de travail des adjoints de sécurité et volontaires de la gendarmerie ou encore au prolongement de l’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte.

La commission des affaires sociales, pour sa part, a inscrit dans la loi les habilitations portant sur le prêt de main-d’œuvre, sur l’indemnisation du chômage et sur la représentation des salariés des TPE.

La commission des lois a néanmoins été plus circonspecte sur certains dispositifs. C’est en particulier le cas de l’extension à trente départements de l’expérimentation des cours criminelles. Comme l’a expliqué Mme le rapporteur, ce dispositif fait courir le risque de détourner de son objet cette expérimentation pour en faire un simple outil de gestion du stock d’affaires. Laissons donc de côté cette extension problématique afin de pouvoir, le moment venu, procéder à une évaluation rigoureuse de cette expérimentation en fonction de ses seuls mérites.

Enfin, l’article 3 a été supprimé par la commission des finances. Il habilitait le Gouvernement, pour une durée d’un an, à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine législatif en vue de renforcer la centralisation des fonds détenus par certaines personnes morales sur le compte unique du Trésor.

La commission des finances n’avait pu obtenir d’informations précises sur les organismes concernés, ce qui n’est pas satisfaisant quand il est question d’une habilitation de longue durée, prise dans l’urgence. Le Gouvernement a déposé un amendement pour restaurer cet article : nous attendrons donc des explications plus détaillées de sa part. Le rapporteur général de la commission des finances a d’ailleurs émis de nombreuses réserves sur ce rétablissement dans son intervention.

Pour conclure, nous avons donc affaire à un projet de loi assez baroque, qui interroge presque plus par sa forme que par son fond. Néanmoins, nous estimons que le travail effectué par les commissions a permis de le bonifier et de le toiletter suffisamment pour le rendre acceptable. C’est sur cette base que groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi nous interpelle à la fois par ce qu’il contient et par ce qu’il ne contient pas.

Je commencerai, bien évidemment, par ce qu’il contient.

Nous traversons une crise d’une exceptionnelle gravité, qui impose des mesures tout aussi exceptionnelles. Vous en avez pris certaines, comme le chômage partiel qui a probablement évité des faillites en nombre et leur corollaire, les pertes d’emplois – tout du moins pour le moment. Au fur et à mesure qu’apparaissent les difficultés, vous avez besoin d’adapter les différents dispositifs.

Si nous comprenons que vous devez agir dans l’urgence, nous n’admettons pas la mise à mal du travail parlementaire, pas plus que celle du dialogue social. Cette frénésie d’habilitations qui mène, entre autres, à une mise aux enchères moins-disantes du code du travail ne peut durer plus longtemps.

Ce projet de loi a notamment pour objectif de modifier le régime des contrats à durée déterminée, à rebours de ce qui avait été acté en 2017 : depuis les ordonnances Travail, les entreprises ne pouvaient retoucher ces contrats qu’à la seule condition d’offrir des garanties au moins équivalentes à celles des accords de branche. Si ce texte était adopté en l’état, ce ne serait plus le cas : jusqu’à la fin de l’année, les conventions d’entreprise pourront fixer le nombre maximal de renouvellements d’un contrat de travail à durée déterminée, fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux CDD et prévoir les cas dans lesquels ce délai n’est pas applicable. Dans cette nouvelle configuration, les dérogations pourraient être négociées au sein de l’entreprise pour tous les contrats courts signés avant la fin de l’année. Or nous savons que les syndicats peinent à se faire entendre à cet échelon.

Alors que la démocratie sociale est déjà fragilisée, vous engagez les salariés vers le risque d’un quasi-tête-à-tête avec leurs employeurs, ce qui peut s’avérer très compliqué en cette période. Vous affirmez vouloir protéger les salariés les plus précaires et, dans le même temps, vous gravez dans le marbre la libéralisation du régime des CDD.

Vous ouvrez aussi la porte à une modification du fonctionnement des comités sociaux et économiques (CSE) et vous permettez l’utilisation des réserves de certains régimes de retraite à des fins d’aides sociales. Certes, le tout pour un temps a priori déterminé et dans le but, encore une fois, de pallier l’urgence. Promis, nous dites-vous, ça s’arrêtera là. Vous savez pourtant que l’enfer peut être pavé de bonnes intentions…

Venons-en maintenant à ce que ce projet de loi ne contient pas.

Depuis le 11 mai dernier, notre pays revient peu à peu à la vie. Lentement, prudemment, mais – espérons-le – sûrement. Ce retour à la vie, comme il est de mise après un cataclysme, est saisissant de contrastes. Celui que je relève en premier et auquel je ne peux m’empêcher de faire référence, c’est le changement de discours du Président de la République : après avoir fustigé sur le quai d’une gare « ceux qui ne sont rien », il rend hommage à ces femmes – fort nombreuses – et à ces hommes qui ont tenu le pays depuis le 15 mars dernier en continuant leur travail. Puissent ceux qui les croisent sans jamais les regarder se le rappeler.

Autre contraste, celui de pans de notre économie hier florissants, comme l’aéronautique, le tourisme ou l’automobile, qui se retrouvent, du jour au lendemain, plongés dans l’incertitude la plus totale.

Qu’il s’agisse de ceux qui nous ont maintenus en vie, au sens propre comme au sens figuré, ou de ceux qui, demain, seront menacés de dépression économique, il nous faut tracer des perspectives. Pas des perspectives pour après-demain, ni même pour demain, mais des perspectives immédiates. Or ce projet de loi qui arrive au début du déconfinement ne déconfine pas grand-chose. C’est qu’il vous faut, si vous voulez prendre au mot le Président de la République, détricoter à peu près tout ce que vous avez tricoté depuis trois ans, à savoir votre politique fiscale pour remettre enfin un minimum de justice sociale dans ce pays, à savoir votre vision très élitiste de la société, où seule avait droit de cité la « start-up nation », à savoir votre réforme du chômage, qui s’avérait déjà fort injuste et qui s’avérera inique dans les circonstances actuelles si vous n’y mettez fin, à savoir votre discours lénifiant sur l’égalité femmes-hommes, qui ne trouvait aucune concrétisation réelle.

En fait, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas besoin d’un acte de contrition télévisé dont nous doutons d’ailleurs terriblement de la sincérité. Nous voulons des mesures propres à remettre au cœur de la société ceux qui la maintiennent au quotidien et ceux qui en sont exclus. Le tout par une réforme fiscale courageuse et après un vrai débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)