M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce texte s’inscrit dans la droite ligne des deux lois que nous avons précédemment votées dans le cadre de cette épidémie de Covid-19 : la loi du 23 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020.

Ces deux textes avaient notamment pour objet de donner au Gouvernement des prérogatives lui permettant de prendre des mesures adaptées à la gravité de la situation sanitaire que nous connaissions, en raison de la propagation du virus.

La loi du 23 mars 2020, sorte de texte inaugural de cette crise sanitaire, lui a effectivement accordé des prérogatives relativement nombreuses.

Le second texte, la loi du 11 mai 2020, prenait acte d’une amélioration de la situation sanitaire et facilitait ce que l’on a appelé le « déconfinement », c’est-à-dire le desserrement progressif des restrictions appliquées à notre vie quotidienne.

Ce desserrement, vous vous en souviendrez, a été dans un premier temps différencié selon les territoires, certains départements étant classés en vert, rouge ou orange – c’est peut-être encore d’actualité… –, et vous vous rappellerez aussi que les libertés ont pu être progressivement rétablies, suivant la chronologie de l’évolution de l’état sanitaire.

L’école offre, à mon sens, le meilleur exemple de tout cela. Tout d’abord interdite, elle a ensuite été autorisée avec un protocole sanitaire assez resserré. Désormais, elle est autorisée par principe, donc plus que largement, avec un protocole sanitaire extrêmement léger.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet de prendre acte du fait que la situation sanitaire s’est encore très nettement améliorée – sauf, malheureusement, pour nos concitoyens de Guyane et de Mayotte, toujours soumis à des dispositions particulières –, et cela en dépit du déconfinement, qui aurait pu, on le sait, l’aggraver. Néanmoins, cette situation sanitaire peut à tout moment se détériorer.

Pour éclairer précisément l’objet du présent texte, je reprendrai un extrait de l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi du Gouvernement :

« Pour respecter les principes de nécessité et de proportionnalité fixés par le législateur pour recourir à l’état d’urgence sanitaire, le moment est venu d’ouvrir un nouveau cycle dans la gestion de l’épidémie de Covid-19, qui permette tout à la fois de répondre à l’aspiration collective au rétablissement du droit commun et de garder la capacité d’agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire, à plus forte raison pendant la période estivale ».

J’avoue que je n’enlèverai pas une virgule à cette phrase ! C’est exactement ce que l’on souhaite faire au travers de ce texte, et c’est, me semble-t-il, parfaitement proportionné à la situation sanitaire actuelle !

Toutefois, ce qui est dit n’est pas ce qui est fait… Dans le texte, en effet, nous sortons de l’état d’urgence sanitaire – comment pourrions-nous y rester, dès lors que l’état d’urgence sanitaire se définit comme « un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » ? –, mais le Gouvernement ne demande rien de plus que le maintien du régime d’état d’urgence sanitaire !

Plusieurs mesures ont été citées : possibilité d’interdiction de circulation pour les personnes et véhicules ; possibilité de fermeture des établissements recevant du public ; interdiction des rassemblements sur la voie publique, ainsi que des réunions de toute nature.

Voilà des atteintes relativement fortes aux libertés, qui, en plus, viennent s’ajouter aux dispositions auxquelles il est également fait référence dans l’exposé des motifs et dont il a souvent été question : celles de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Cet article permet aux membres du Gouvernement, notamment au ministre de la santé, de prendre des mesures assez larges dans une situation de « menaces sanitaires », pour reprendre le titre de ce chapitre du code.

En résumé, il nous était demandé, dans le projet de loi initial du Gouvernement, de reconduire de quatre mois, alors que la situation sanitaire est en très nette amélioration, des mesures prises au plus fort de la crise sanitaire pour une durée de deux mois !

La commission des lois n’a pas permis qu’il en soit ainsi, et mon groupe s’alignera sur sa position. En effet, elle a mis en œuvre ce que décrivait le Gouvernement dans son exposé des motifs, c’est-à-dire une sortie graduelle de l’état d’urgence, au travers de mesures certes nécessaires, mais aussi proportionnées à l’état sanitaire du pays, sans omettre une possibilité de retour en arrière si cet état sanitaire venait subitement à s’aggraver.

Comment tout cela est-il inscrit dans la position de la commission des lois ?

Tout d’abord, en lieu et place des interdictions, nous nous contentons de réglementations, ce qui est tout de même sensiblement différent, contrairement à ce que j’ai pu entendre.

Ensuite, nous rétablissons le principe de la liberté, qui doit rester le principe en droit français, et ce n’est que par exception qu’une réglementation – non une interdiction – peut intervenir. S’agissant du droit de manifester, nous rétablissons une liberté totale, en tout cas telle qu’elle existe aujourd’hui. Cela doit être suffisant pour faire face à une situation sanitaire très nettement améliorée.

Néanmoins, qu’en sera-t-il, me demanderez-vous, si, comme c’est possible, la situation se dégrade ? En effet, nous partageons le constat dressé, toujours dans l’exposé des motifs, selon lequel la situation est fragile et pourrait s’aggraver, avec une résurgence de l’épidémie.

Dans une telle hypothèse, le Gouvernement pourrait tout d’abord invoquer les dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui a été aménagé pour le sécuriser, me semble-t-il, par la commission des lois et qui confère au Gouvernement, en particulier au ministre de la santé publique, des pouvoirs relativement vastes en termes de restrictions de libertés.

Cette possibilité de restriction ne devant pas être du ressort du ministre de la santé – je suis désolée de vous le dire ainsi, monsieur le ministre, mais je crois que vous ne vous en offusquez pas (M. le ministre le confirme.) –, la commission des lois a prévu que le ministre dispose de tels pouvoirs en vertu de ses attributions en santé publique, ce qui paraît relativement raisonnable.

Par ailleurs, si la dégradation est telle que nous nous retrouvons en état d’urgence sanitaire, il suffira, par décret en conseil des ministres, de déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire, et nous reprendrons le cours normal de la vie législative.

Tel est le sens de la proposition qui a été avancée par la commission des lois et que le groupe Les Républicains soutiendra. Il s’agit tout simplement, face à une situation sanitaire en amélioration, de prendre des mesures restreintes, sachant que, en cas d’aggravation, nous aurons les moyens de revenir à l’état d’urgence sanitaire et d’appliquer le régime juridique approprié à cet état d’urgence.

Le projet de loi aborde un second point : celui de la conservation des données personnelles. Vous vous en souvenez, alors que nous avions autorisé la conservation des données personnelles – de santé, évidemment – dans un délai n’excédant pas trois mois après leur collecte, le Gouvernement a souhaité introduire de larges dérogations permettant qu’elles soient conservées six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Cette prolongation, considérable par rapport à ce que nous avions prévu, n’est pas raisonnable, et cela pour deux motifs.

D’une part, le délai de conservation de trois mois après la collecte a été établi, par accord entre les deux chambres du Parlement, à l’occasion d’une commission mixte paritaire.

D’autre part, la loi du 11 mai 2020, dans laquelle ces mesures sont inscrites, a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel – de l’accord de tous, d’ailleurs. Si ce contrôle de constitutionnalité a pu être passé, c’est précisément parce que le Parlement, par cette durée limitée de conservation des données, avait apporté une garantie à un système de collecte dérogeant au secret médical.

Nous pouvons difficilement revenir sur ce qui a été acté par le Parlement et considéré comme apportant une garantie par le Conseil constitutionnel. Je ne suis pas la seule à le dire ; nos collègues de l’Assemblée nationale sont revenus sur ces dispositions et, si une dérogation au délai de conservation des données a été admise, elle l’a été à des fins scientifiques, afin d’améliorer la recherche et la surveillance épidémiologique du virus responsable du Covid-19. C’était donc une mesure extrêmement raisonnable.

Tel est l’état du texte, au sortir des travaux de la commission des lois. Comme cette rédaction nous convient, le groupe Les Républicains la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie de ces interventions en discussion générale, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ne vous inquiétez pas, madame la sénatrice Muriel Jourda, je ne m’offusque jamais des remarques qui sont exprimées, et encore moins des travaux réalisés en commission !

En revanche, je suis un peu plus gêné, parfois, par les procès d’intention qui me sont intentés sur de supposées velléités cachées : au travers d’un texte visant à protéger les Français, nous chercherions en fait à limiter les libertés, comme si c’était une passion à laquelle nous nous adonnerions du soir au matin. Soyons raisonnables ! Ce n’est évidemment pas le cas. Et ce n’est pas l’esprit qui, jusqu’ici, a animé les débats dans cette belle assemblée sénatoriale.

Je ne serai pas plus long sur le fond, car nous allons échanger à l’occasion de l’examen de l’article 1er.

Après l’intervention du président Philippe Bas, j’ai effectivement compris, et je m’en réjouis, que la confiance était en passe d’être accordée sur l’article 2. Cela fait suite, notamment, aux travaux à l’Assemblée nationale. Nous concentrerons donc tous nos efforts et nos échanges, constructifs, sur cet article 1er.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission va maintenant se réunir pour examiner les amendements de séance.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois se réunira en salle René Monory à dix-neuf heures.

M. le président. Je vais donc suspendre la séance. Mes chers collègues, je vous propose de reprendre nos travaux à vingt et une heures trente ; en effet, le ministre n’est disponible qu’après le dîner, et je pense que tout le monde souhaite sa présence dans l’hémicycle pour débattre de ce texte.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Je rappelle que la discussion générale a été close. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire
Article 1er

Article additionnel avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Requier, Cabanel et Castelli, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux, Vall et Labbé, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 8° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est complété par les mots : « et les montants des prix contrôlés sont rendus publics et notifiés aux professionnels concernés ».

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Lors de l’examen de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire du 11 mai dernier, le Sénat avait adopté l’amendement de notre collègue Véronique Guillotin, visant à renforcer les garanties contre tout effet d’aubaine concernant les produits sanitaires de première nécessité au moment d’une crise sanitaire. Il s’agissait de permettre une meilleure publicité des prix contrôlés, auprès des consommateurs, mais également des professionnels.

Au moment de l’épidémie, d’importants moyens de communication ont été déployés pour informer nos concitoyens des gestes barrières à appliquer, notamment via des messages radio ou des panneaux publicitaires. Les mêmes moyens pourraient être exploités à des fins de transparence sur ces prix contrôlés.

L’amendement adopté ayant malheureusement été supprimé en commission mixte paritaire, nous proposons de le réintroduire dans le présent texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Il existe un décret, public, fixant les règles de l’encadrement des prix ; l’information est donc assurée.

Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Il est également défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 2 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 14

Article 1er

I. – À compter du 11 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020 inclus, hors des territoires mentionnés à l’article 1er bis, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 :

1° Réglementer la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l’accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ;

2° Réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des locaux à usage d’habitation, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;

3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ;

4° Imposer aux personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection, souhaitent se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire hexagonal ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution, de présenter le résultat d’un examen biologique de dépistage ne concluant pas à une contamination par la covid-19. La liste des zones de circulation de l’infection est établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.

II. – (Supprimé)

III. – Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I, il peut habiliter le représentant de l’État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions.

Lorsque les mesures prévues au même I doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, le Premier ministre peut habiliter le représentant de l’État dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de santé. Cet avis est rendu public.

Le Premier ministre peut également habiliter le représentant de l’État dans le département à ordonner, par arrêté pris après mise en demeure restée sans effet, la fermeture des établissements recevant du public qui ne mettent pas en œuvre les obligations qui leur sont imposées en application du 2° dudit I.

IV. – (Non modifié) Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent.

IV bis. – (Non modifié) Les mesures prises en application du présent article peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative.

V. – (Non modifié) L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre du présent article. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.

bis. – Par dérogation à la dernière phrase de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, le comité de scientifiques mentionné au même article L. 3131-19 se réunit pendant la période mentionnée au I du présent article et rend périodiquement des avis sur les mesures prescrites en application des I et II du présent article ainsi que sur les mesures prises par le ministre chargé de la santé en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.

VI. – (Supprimé)

VII. – Les troisième à septième alinéas et les deux derniers alinéas de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique sont applicables aux mesures prises en application des I et III du présent article.

VIII. – (Non modifié) Les I à VII du présent article s’appliquent sur tout le territoire de la République.

IX. – (Supprimé)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Mis en place le 23 mars dernier, l’état d’urgence sanitaire avait méthodiquement organisé le placement en quarantaine de nos libertés individuelles, fondamentales et politiques.

Face à la crise liée au Covid-19, nous avions accepté cet état de fait, tout en dénonçant les possibles dérives d’un tel droit d’exception. Force est de constater, hélas, que nos craintes étaient fondées : alors que le Gouvernement s’apprête à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire le 10 juillet prochain, il estime également nécessaire de s’approprier certains de ses outils jusqu’au 30 octobre !

Si cet article était adopté, en cas d’un risque nouveau de propagation du virus, le Premier ministre et le préfet se verraient notamment attribuer le droit de réguler la circulation des individus, d’aménager le fonctionnement des établissements recevant du public et, surtout, de réglementer la tenue des rassemblements.

Une telle volonté est incompréhensible ! Si l’exécutif demande la fin de l’état d’urgence, c’est qu’il estime que la crise sanitaire est sous contrôle. Dès lors, pour quelles raisons souhaite-t-il entraver la capacité de nos concitoyens à se réunir et à manifester ?

Entre droit d’exception et droit commun, le Gouvernement veut désormais définir une troisième voie transitoire, dans laquelle le premier se fondrait dans le second. Une telle situation n’est pas souhaitable. Avec la fin de l’urgence sanitaire, devrait arriver le déconfinement de nos droits et libertés.

L’exécutif ne saurait se livrer à une gouvernance solitaire par décrets, venant restreindre et réguler nos moindres faits et gestes.

Mme Laurence Cohen. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.

M. Bruno Retailleau. Alors que nous abordons l’article 1er, la disposition la plus importante de ce texte de loi, je voudrais prendre quelques minutes, monsieur le ministre, pour bien vous expliquer l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons.

Tout d’abord, nous avons souhaité soutenir les deux premiers textes consacrant l’état d’urgence sanitaire, dans sa dimension juridique : la loi du 23 mars 2020, qui l’instaurait ; puis, deux mois plus tard, la loi du 11 mai 2020, qui le prolongeait.

Dans ce cadre, nous n’avons ni négocié ni mesuré notre soutien au Gouvernement. Nous pensions en effet – c’était notre ligne – que le devoir du Sénat, et plus largement du Parlement, était de lui donner les moyens nécessaires pour assumer sa mission, celle-ci étant évidemment, en cas de crise sanitaire, de protéger les Français.

Nous avons donc voté – les yeux fermés ou presque, allais-je dire – les deux textes relatifs à l’état d’urgence.

Dans le cas présent, il aura au contraire fallu toute la subtilité de notre président de la commission des lois – elle est grande –, toute la détermination des membres de cette même commission des lois – elle n’est pas moins grande – pour trouver un chemin qui, pour ne pas être nouveau, était très étroit, nous permettant de ne pas rejeter le texte.

Très franchement, lorsque nous avons constaté que ce projet de loi, dont le titre – « organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire » – est savoureux, pour ne pas dire sucré, avait pour seul but de prolonger de quatre mois des dispositifs contraignant la liberté de circulation ou de rassemblement, nous avons considéré que la demande présentée par le Gouvernement à la représentation nationale excédait ce que nécessitait l’état sanitaire actuel.

Il y aura, et j’en termine par cette observation, une singularité française qu’il conviendra d’étudier – pas ce soir, mais à l’avenir.

Nous avons eu le confinement le plus rugueux, le plus dur, le plus long. Nous avons sans doute eu, de toutes les économies occidentales et européennes, l’arrêt le plus brutal. Enfin, nous avons eu un état de droit parmi les plus contraints : le Parlement a travaillé difficilement, la justice s’est presque interrompue, et il y a eu un transfert massif des pouvoirs vers l’exécutif.

Le Sénat a profondément amendé ce texte, pour que les pouvoirs attribués à l’exécutif, notamment au Premier ministre, soient bien proportionnés à l’état réel de l’urgence sanitaire. Ce que je veux vous dire, monsieur le ministre, c’est que, malgré toute notre bonne volonté, nous sommes parvenus à la limite de nos capacités de souplesse et nous ne pourrons accepter des dispositifs plus contraignants.

Pour être encore plus clair, il ne faudra pas compter sur nous pour aller, en CMP, bien au-delà de ce que la commission des lois a fait et que nous allons voter ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 13 est présenté par MM. Sueur, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol, Schoeller et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 15 est présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 17 est présenté par MM. Labbé et Cabanel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Patrick Kanner, pour présenter l’amendement n° 13.

M. Patrick Kanner. Le 22 mars dernier, nous avons examiné un premier texte sur l’état d’urgence, adopté dans les conditions d’urgence que nous savons.

À cette occasion – j’ai relu mon intervention lors des explications de vote sur l’ensemble –, j’avais évoqué la notion d’« article 16 rampant à caractère sanitaire ». Je ne pensais pas avoir si bien dit, monsieur le ministre ! Le « en même temps et tout à la fois » que vous nous proposez ne convient pas, d’où cette demande, par le groupe socialiste et républicain, d’une suppression pure et simple de l’article 1er du projet de loi.

Nous pensions sortir de l’état d’exception. Quelle déception à la lecture du texte ! Être ou ne pas être… L’état d’urgence est en vigueur ou il ne l’est pas… Monsieur le ministre, un état d’urgence se déclare ou se lève. Si les conditions exceptionnelles définies par la loi sont réunies, on le déclare ; si elles ne le sont plus, on le lève. C’est noir ou blanc, blanc ou noir. Ce n’est pas gris ! Ou alors c’est que c’est flou, et vous connaissez la suite… (Sourires.)

Une sortie de l’état d’urgence, monsieur le ministre, ne s’organise pas, ne s’aménage pas, ne se décline pas. C’est une levée totale. On met fin à l’exception, et le droit commun redevient, et doit redevenir, la règle. En tout cas, c’est ainsi que, selon tous les bons juristes, doit prendre fin une situation à caractère exceptionnel.

Avec ce projet de loi, vous maintenez le régime de l’état d’urgence dans sa substance, tout en consentant à sortir formellement du cadre de la loi du 23 mars 2020, et ce pour une durée de quatre mois minimum, qui pourrait donc être potentiellement indéterminée. Il y a là une contradiction !

Vous jugez nécessaire le maintien de certains pouvoirs exorbitants. À nos yeux, au contraire, dès lors que l’état d’urgence est levé, c’est la fin des textes d’exception et des pouvoirs exorbitants, y compris ceux qui sont accordés au Premier ministre ou à ses ministres.

C’est notre position, et Jean-Pierre Sueur l’a très clairement rappelée dans son intervention générale : si le Gouvernement lève l’état d’urgence, il doit le faire en totalité ; si, parce que le nombre de clusters augmente et que la pandémie reprend, il doit de nouveau décréter l’état d’urgence, il nous trouvera à ses côtés, pour revenir à un État assumant la protection des Français.

Néanmoins, le texte que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, est un « milieu du gué » qui ne nous convient pas. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article 1er.