Mme Sophie Primas. Bonus à ceux qui font plus !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.

M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, effectivement, les préfets de région devront prendre en compte la situation des communes, dont beaucoup vont voir leur autofinancement chuter de manière dramatique. Comment construire et accueillir les nouvelles populations ? Il y a là une vraie question.

Depuis toujours, je plaide ici pour la contractualisation, et non pas pour exonérer ceux qui ne veulent pas faire et qui le revendiquent. Nous le savons tous, il s’ouvre une période de cinq ou six ans qui va être un fiasco. Nous serons tous obligés de constater que nous n’avons pas pu faire. Cherchons plutôt à voir comment accompagner les communes et les bailleurs sociaux plutôt que de les mettre dans un corner, parce que cela va décourager certains, qui avaient peut-être envie de faire et qui se diront : « Après tout, ce n’est plus la peine… » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot.

Mme Annie Guillemot. Effectivement, il faut un plan de relance « logement-bâtiment » ambitieux et soutenir aussi nos concitoyens pour leur permettre de conserver leur logement, tant dans le parc privé que dans le parc public, d’ailleurs. Dominique Estrosi Sassone vient d’exposer les grandes lignes de notre rapport commun à la commission des affaires économiques, et je l’en remercie vivement.

Monsieur le ministre, il faut également réinterroger les politiques publiques à l’œuvre, comme sur l’hébergement et les structures collectives, la rénovation énergétique, l’ambition d’une politique de société pour la politique de la ville, l’augmentation de la production de l’offre. Si le logement est au cœur de notre quotidien, il est aussi au cœur des inégalités, parce que c’est le logement qui plombe le pouvoir d’achat. Les dépenses de logement ne cessent d’augmenter, et davantage pour les plus pauvres, avec 30 % à 40 % de charges mensuelles.

La question du logement est donc au cœur des inégalités et votre politique interroge. Une politique du logement, c’est d’abord du sens, porter des convictions et, en premier lieu, celle de la réduction des écarts. Pour moi, elle doit s’appuyer sur deux piliers : la mixité et la diversité ; la mixité sociale et la diversité des produits au sein d’un même territoire.

À ce sujet, le Défenseur des droits recommande, dans son rapport sur les discriminations présenté lundi 22 juin, d’affirmer dans la loi la primauté du droit au logement sur la mixité sociale. L’Union sociale pour l’habitat (USH) pointe là un risque de ghettoïsation, estimant que le droit au logement doit être mis en œuvre, bien sûr sans discrimination, mais aussi sans renoncer à la mixité sociale. Le logement d’abord, tout le monde peut être d’accord, monsieur le ministre, mais attention, en même temps, aux questions sociales, spatiales, de plus en plus nombreuses.

Je m’interroge sur votre politique de la ville : les quartiers ne peuvent être coincés entre accès au logement et paupérisation. Quelle mixité, quelle solidarité, sachant que les quartiers ont été les plus impactés par la pandémie, comme vous l’avez dit ? Monsieur le ministre, dans ce combat contre les inégalités par le logement, aggravées par la pandémie, quelles sont vos propositions pour la mixité sociale et quelles mesures envisagez-vous de prendre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je profite de cette occasion, madame la sénatrice, pour vous féliciter du rapport que vous avez élaboré, avec Mme Estrosi Sassone, au nom de votre commission des affaires économiques.

Je partage en tous points la question que vous me posez. C’est d’ailleurs l’une des vertus de la réunion dans un même ministère des politiques du logement et de la ville. Je ne tournerai pas autour du pot : depuis des années, on peut constater un échec collectif, dans la mesure où les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont parmi les derniers territoires où il y a un véritable ascenseur social. L’immense difficulté est que, chaque fois que quelqu’un sort d’un tel quartier, on y remet une personne en situation de précarité.

L’État se trouve parfois, en la matière, dans une situation schizophrénique, car les injonctions données aux préfets sont contradictoires : d’un côté, on leur demande de fournir des logements sociaux à certains publics au titre de telle ou telle politique ; de l’autre, la répartition des différentes populations en quartiles et déciles organisée dans la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté est si compliquée – je suis tenté de mettre quiconque au défi d’expliquer le fonctionnement de ce dispositif – qu’elle ne peut pas vraiment être appliquée.

Face à cette situation, j’ai trois propositions à faire. La première fait écho à ma réponse à M. Dallier : il faut être extrêmement exigeant quant à l’application de la loi SRU dans toutes les communes où il n’y a pas suffisamment de logements sociaux.

Deuxièmement, il faut faire en sorte que, dans le cadre des mises à l’abri, on cesse d’installer ces personnes toujours dans les mêmes territoires. Ainsi, les personnes évacuées d’un campement de la porte de la Chapelle sont toujours relogées en Seine-Saint-Denis : ce n’est plus possible !

M. Philippe Dallier. Absolument !

M. Julien Denormandie, ministre. Je me bats tous les jours à ce sujet. Quand on fait des mises à l’abri dans les Yvelines, ces personnes se retrouvent toujours aux Mureaux, jamais à Versailles !

Mme Sophie Primas. Pas toujours…

M. Julien Denormandie, ministre. Quand même beaucoup, madame la sénatrice ! Je donne des instructions très claires pour qu’on arrête de faire toujours la même chose concernant ces mises à l’abri, ce qui contribue à alimenter ce cercle infernal.

Ma troisième proposition concerne la politique du peuplement dans les attributions de logements. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, a déjà permis des avancées, mais il faut aller encore plus loin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.

Mme Annie Guillemot. Je partage tout à fait votre avis concernant la loi SRU, monsieur le ministre, mais l’augmentation de l’offre de logements ne suffira pas : il faut encore que cette offre soit abordable et que son attribution soit réformée. On voit bien – le Défenseur des droits le relève d’ailleurs – que beaucoup de communes s’exonèrent des obligations de l’article 55 de la loi SRU en installant dans ces logements leur propre population. À Bron, par exemple, on a des foyers d’hébergement, dont certains destinés aux migrants, un grand ensemble et des copropriétés privés.

Tant dans le secteur public que dans le secteur privé, on doit bien sûr lutter contre les discriminations, comme le rappelle le Défenseur des droits, mais le droit au logement ne saurait s’appliquer seulement dans les quartiers en difficulté ! Sinon, les communes déjà les plus pauvres seront seules à accueillir les publics les plus pauvres, ce qui ne fera qu’aggraver leur situation. Comme le chante Francis Cabrel, « ça continue encore et encore » ! (Loratrice fredonne ce refrain. – On apprécie sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, le week-end dernier, la Convention citoyenne pour le climat a adopté ses propositions, désormais rendues publiques. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Joël Labbé. Certaines d’entre elles, comme vous le savez, concernent la rénovation thermique des bâtiments.

Il s’agit d’une thématique essentielle, puisqu’elle permet d’associer économie, emploi, justice sociale, objectifs climatiques et réduction de la dépendance énergétique de notre pays. Il est important de rappeler dans cet hémicycle que le bâtiment compte pour plus d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Alors que nous entrons dans une crise économique et sociale majeure, la rénovation thermique est aussi une question de lutte contre les inégalités, après que la crise sanitaire a amené des millions de ménages à se confiner dans un habitat indigne.

Face à ces enjeux, la Convention citoyenne pour le climat propose notamment une interdiction de location des passoires énergétiques étiquetées F et G à partir de 2028. Cette proposition est assortie d’une obligation de rénovation globale permettant d’atteindre une performance énergétique A ou B. Son non-respect serait sanctionné par un malus sur la taxe foncière et elle s’accompagnerait d’un renforcement et d’une simplification des aides à la rénovation, notamment pour les propriétaires modestes.

Ces propositions sont donc bien plus ambitieuses que celles de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, ou loi Énergie-climat, qui s’est révélée sur ce sujet à la fois trop peu contraignante et dotée de moyens insuffisants.

Alors que nous nous apprêtons à voter plusieurs textes budgétaires, le Gouvernement a multiplié les annonces quant à un renforcement des moyens alloués à la rénovation énergétique, afin d’allier relance et écologie. Si cette ambition budgétaire est louable, il faut non seulement qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu mais aussi qu’elle s’accompagne de mesures contraignantes : la seule incitation n’a jusqu’à présent pas suffi.

Alors que se multiplient les appels à construire un « monde d’après » juste et solidaire, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment votre ministère accueille ces propositions fortes, issues des citoyens, et quelle place il souhaite leur donner dans les débats à venir ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Joël Labbé votre question me donne l’occasion, d’abord, de saluer le travail de la Convention citoyenne pour le climat. Vous l’avez salué, je voudrais le faire à mon tour, car il s’agit à mon sens, objectivement, d’un travail démocratique absolument inédit.

M. Julien Denormandie, ministre. Pour avoir examiné dans le détail les travaux de cette convention, je trouve l’équilibre qu’y ont trouvé et que nous offrent nos concitoyens extrêmement pertinent. Ils reprennent en effet l’approche consistant, d’abord, à mettre en place des dispositifs incitatifs, mais également, si jamais ceux-ci se révélaient insuffisants, à adopter une approche coercitive. Pour ma part, je crois qu’il est bon d’avancer ainsi de manière générale, entre incitation et coercition. C’était d’ailleurs le sens de la loi Énergie-climat.

Concernant le volet incitatif, comme je l’ai déjà rappelé dans ma réponse à Mme Estrosi Sassone, et comme l’a très bien dit la Convention citoyenne, la question fondamentale est la suivante : si le chemin dans lequel on s’est engagé avec « MaPrimeRénov’ » et « Habiter mieux sérénité », dispositifs que vous connaissez bien, est le bon, son ampleur est-elle suffisante ? Ces dispositifs sont-ils suffisamment maillés ? J’ai la conviction qu’il faut renforcer ces dispositifs. Ainsi, nous avons prévu d’élargir, dès le 1er janvier 2021, le nombre de déciles de revenus éligibles à MaPrimeRénov’.

Quant au volet coercitif, la loi Énergie-climat prévoit déjà que les pires passoires énergétiques ne pourront plus être louées à partir du 1er janvier 2023. Vous vous souvenez des débats à ce sujet : nous avons intégré ces passoires dans ce qu’on appelle le « décret de décence ». La Convention citoyenne pour le climat dit qu’il faut aller plus vite et plus loin. J’estime qu’il s’agit d’un exercice profondément démocratique : cette décision très démocratique aurait un impact extrêmement fort sur le logement et son accessibilité, mais il est important d’écouter nos concitoyens sur ce sujet.

Je laisserai évidemment le Président de la République annoncer quels chemins seront empruntés pour reprendre les propositions de cette convention, mais je suis en tout cas très à l’aise avec le choix d’un axe combinant incitation et coercition, et je le défends pleinement.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse claire et engagée. Il est en effet essentiel que le Gouvernement prenne ses responsabilités face aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Quoi qu’on en pense, ce mode de gouvernance inédit a permis de porter dans le débat public des propositions fortes et ambitieuses, à la fois exigeantes quant aux objectifs climatiques et soucieuses de justice sociale. C’est bien le type de mesures dont nous avons besoin pour affronter l’urgence environnementale à laquelle nous sommes confrontés, mais aussi pour réconcilier nos concitoyens avec le monde politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Primas. Vous me direz où est la justice sociale, mon cher collègue !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, notre pays connaît une crise sanitaire, économique et sociale inédite ; elle frappe durement 6 à 7 millions d’actifs, locataires ou accédant à la propriété, ainsi qu’une grande partie des étudiants et des plus démunis.

Face à cette crise, le Gouvernement a réagi, en mettant en place un dispositif de chômage partiel, en accordant des aides exceptionnelles aux entreprises et aux autoentrepreneurs, en versant une aide exceptionnelle de solidarité, mais aussi, ce qui a un lien direct avec notre débat, en allongeant de plus de trois mois, jusqu’au 10 juillet prochain, la trêve hivernale.

Cependant, l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) recense depuis le début d’avril une forte hausse des appels vers la ligne dédiée « SOS impayés ». Ces appels, en moyenne deux fois plus fréquents qu’à l’ordinaire, concerneraient surtout, d’une part, les salariés du privé et les personnes qui, n’étant ni retraitées ni fonctionnaires, auront été particulièrement exposées aux effets économiques du confinement, et, d’autre part, des locataires du parc privé, dans la mesure où les propriétaires n’ont pas pris en compte la situation économique des ménages impactés par les propriétaires, tandis que les bailleurs sociaux ont renforcé leur accompagnement social et ont même, pour certains, proposé des reports de loyer.

Depuis la fin avril, le nombre d’appels reflue vers son niveau moyen. Si ce début de retour à la normale ne présage pas des évolutions à venir, qui dépendront de la conjoncture, il témoigne en tout cas de l’effet qu’ont eu les mesures du Gouvernement pour amortir les effets de la crise.

Pour poursuivre ces efforts, des acteurs tels que la Fondation Abbé Pierre demandent des mesures, en particulier un moratoire des loyers, et des moyens supplémentaires sous la forme d’un fonds national d’urgence d’aide à la quittance ou de cellules d’urgence au sein des fonds de solidarité logement des départements.

Aussi, monsieur le ministre, qu’envisagez-vous pour répondre aux grandes difficultés des locataires et des ménages accédant à la propriété, ainsi qu’aux inquiétudes des bailleurs privés et sociaux face aux risques d’impayés ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Schillinger, je tiens à vous remercier vivement de votre question. Un aspect de ce que vous avez évoqué en introduction de votre propos est absolument essentiel : il faut que l’accompagnement des personnes rencontrant des difficultés dans le paiement de leur loyer soit inclus dans l’ensemble bien plus vaste des mesures d’aide. Il ne faut pas oublier que, souvent, les ménages font d’autres sacrifices pour pouvoir payer leur loyer.

C’est pourquoi le bénéfice de l’aide exceptionnelle, fixée à 100 euros par enfant, mais aussi à 150 euros pour chaque personne bénéficiaire du RSA (revenu de solidarité active) ou de l’ASS (allocation de solidarité spécifique), a été étendu aux bénéficiaires de l’APL (aide personnalisée au logement) : cela était très important pour toucher plus de 4 millions de familles.

Cela dit, l’accompagnement doit être individualisé, car plusieurs cas de figure se posent.

Concernant les bailleurs sociaux, qui ont déjà l’habitude d’offrir un tel accompagnement, on doit leur donner les moyens de proposer des moratoires ou des échelonnements ; c’est de ma responsabilité. C’est pourquoi, outre le recours aux titres participatifs, on a ouvert une ligne de trésorerie de plusieurs milliards d’euros au bénéfice des bailleurs sociaux.

Quant au parc privé, grâce à l’ANIL, qui fait un travail formidable, on a créé la plateforme téléphonique « SOS Loyers impayés », au 0805 16 00 75, gérée par des professionnels territorialisés : ils accompagnent les locataires et leur donnent les voies et moyens de recevoir les différentes aides. Parmi celles-ci, on trouve les fameux fonds de solidarité pour le logement départementaux. Tout le monde me dit qu’il faut les abonder, mais je tiens à souligner que l’enjeu principal de ces fonds, aujourd’hui, est leur utilisation. Tous les élus locaux et vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, savez très que la doctrine d’emploi de ces fonds varie d’un département à l’autre : dans la majeure partie des cas, il faut avoir deux ou trois mois de loyer impayé pour y être éligible. Ce n’est pas de ma responsabilité ! Si l’on ne modifie pas les règles d’éligibilité au FSL, bien des locataires n’y auront pas accès. Face à ce problème, j’ai décidé, avec Action Logement et les partenaires sociaux, de créer une nouvelle aide de 150 euros par mois pendant deux mois de manière à accompagner un grand nombre de personnes rencontrant ces difficultés.

Voilà, madame la sénatrice, l’ensemble des dispositifs que nous avons mis en œuvre en la matière. Merci de votre engagement sur ce sujet !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Il faudra faire un bilan de ces dispositifs dans quelques mois. J’espère que nous en disposerons rapidement et, surtout, qu’il sera fait à l’échelle de chaque département. On a bien remarqué, en effet, que les départements réagissaient différemment à la crise du Covid-19. En tout cas, monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais d’abord remercier nos collègues du groupe Les Républicains pour ce débat et saluer le travail accompli par la commission des affaires économiques, dont la plupart des propositions constituent à mes yeux une base commune très largement partagée sur nos travées.

Je souhaite mettre l’accent sur les professionnels que nous avons jugé si indispensables au cours de la crise sanitaire : les métiers essentiels, ces personnes souvent mal rémunérées, mais qui rencontrent aussi souvent de graves difficultés pour se loger. Elles doivent souvent habiter loin de leur lieu de travail.

Parmi les pistes de réflexion qu’il convient sans doute d’ouvrir, il y en a une qui rejoint la question de la mixité sociale : il faut déterminer comment on pourrait réintroduire dans les critères d’accès aux logements sociaux des attributions privilégiées pour ces salariés jugés essentiels – les infirmières, par exemple – à proximité de leur lieu de travail. Cela pourrait contribuer à une meilleure mixité : le système actuel de gestion en flux ne fait qu’accroître la ségrégation sociale sur les territoires. Je partage par ailleurs l’avis de Mme Guillemot sur l’avertissement que nous adresse le Défenseur des droits : il faut être très vigilant sur cette mixité sociale.

Par ailleurs, certains de ces salariés modestes voudraient accéder à la propriété, en particulier dans les territoires ruraux, semi-ruraux et périphériques. Sans grignoter pour autant le territoire, il faut soutenir cette démarche d’accession sociale à la propriété. Or les surcoûts de chantiers ont un impact sur bien des opérations et ne peuvent pas être remis dans le plan de financement des acquéreurs. Une des propositions que nous faisons, avec Action Logement, est d’offrir 15 000 euros à chaque personne devant faire face à des surcoûts de chantier et gagnant moins de 2,5 ou 3 SMIC. De telles primes existaient par le passé et seraient de nature à faire passer le cap difficile des surcoûts de chantier, à rouvrir la possibilité de l’accession sociale à la propriété et à soutenir le secteur du bâtiment dans des territoires à l’écart des métropoles où les PME souffrent beaucoup.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Lienemann, vous abordez beaucoup de sujets dans votre question ; il me faudra, au vu du temps qui m’est imparti, me concentrer sur certains d’entre eux.

Vous suggérez d’étudier la manière dont on pourrait, dans les attributions de logements sociaux, faire en sorte que certains travailleurs soient assurés de recevoir un tel logement. Dans le prolongement de mon échange avec Mme Guillemot, je rappellerai d’abord que l’État dispose toujours d’un contingent de 5 % de ces attributions ; il n’est pas toujours respecté, mais je veille à ce qu’il le soit : les infirmiers et infirmières que vous évoquez font partie de ce contingent.

Je tiens ensuite à attirer l’attention de tous sur l’une des mesures de la loi ÉLAN, qui porte sur le contingent d’Action Logement, dédié aux salariés. Ce contingent, souvent, ne trouvait pas preneur lors de la réunion de la commission d’attribution qui étudiait les dossiers ; il retombait alors dans les mains du préfet, qui attribuait le logement, le plus souvent, à une personne en situation de très grande précarité. Nous avons voulu modifier ce dispositif, dans la loi ÉLAN, de telle manière que ce contingent soit alors confié, non plus au préfet, mais au maire. Ainsi, celui-ci pourra décider, soit d’attendre qu’un salarié éligible se trouve, soit de l’octroyer à une autre personne dans l’objectif de mixité sociale que nous évoquions.

En revanche, madame Lienemann, je ne partage pas votre diagnostic sur la gestion en flux. À mes yeux, elle est plutôt favorable à la mixité sociale, même s’il faut sans doute aller plus loin.

Concernant l’accès à la priorité, je suis mille fois d’accord avec vous : comme en témoignent les OFS et différents dispositifs pour lesquels nous avons mené des combats en commun, j’estime que l’accès doit être non pas réservé à quelques-uns, mais accessible à tous. J’observe avec une attention particulière dans la période actuelle le comportement des banques en la matière.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, la France est en retard, depuis de nombreuses années, sur la rénovation énergétique. Ce constat frappant doit nous interpeller, car nous sommes loin de remplir les objectifs fixés lors du Grenelle de l’environnement, à savoir 500 000 logements rénovés par an, soit 7 millions de logements à l’horizon 2025. Nous dépassons difficilement aujourd’hui la moitié de cet objectif, avec 288 000 rénovations chaque année.

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat font de la rénovation énergétique des logements un sujet de premier plan. Les logements que l’on appelle communément des « passoires énergétiques » constituent un problème qui n’est pas seulement écologique.

En effet, la rénovation énergétique efficace de nos bâtiments a aussi des bénéfices en termes sociaux, économiques et sanitaires. C’est un levier de relance inéluctable pour nos entreprises, notre artisanat et nos territoires, mais aussi un levier pour le pouvoir d’achat des Français et pour la création d’emplois ainsi qu’une impulsion nouvelle pour l’Europe, qui voit dans la rénovation énergétique un sujet majeur.

Beaucoup d’engagements ont été pris depuis le Grenelle de l’environnement, mais nous avons aujourd’hui besoin d’une vraie accélération dans ce domaine pour combler notre retard.

Pour cela il nous faut simplifier et compléter nos dispositifs pour les rendre plus lisibles et plus efficaces. Cela nous permettra d’avoir une approche tant performante que rapide. Monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions en la matière ? Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser la place que prendraient les bailleurs sociaux dans un tel dispositif ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je peux offrir deux grands axes de réponse à votre question.

En premier lieu, il faut s’appuyer sur nos acquis. Qu’avons-nous accompli depuis trois ans sur le sujet ?

D’abord, nous avons doublé l’activité de l’ANAH en deux ans : cela reste insuffisant, mais ce n’est pas rien, cela démontre la possibilité d’une action.

Ensuite, concernant l’ANRU, nous avions pris des engagements à hauteur de 10 milliards d’euros dans le cadre du nouveau programme de rénovation urbaine. Au moment où je vous parle, ces 10 milliards d’euros sont engagés : les marchés sont en train d’être passés, les grues sont en train de revenir dans l’ensemble des quartiers.

Troisièmement, concernant les copropriétés dégradées, comme l’a mentionné votre collègue Jean-Marie Bockel dans son récent rapport d’information, nous avons lancé un plan très important, intitulé « Initiative Copropriétés ». Je l’avais présenté à Marseille, quelques semaines avant le drame de la rue d’Aubagne. Ce plan engage 3 milliards d’euros pour la rénovation des grandes copropriétés dégradées. Il faut continuer dans cette voie, qui marche très bien.

Quatrièmement, au titre du dispositif MaPrimeRénov’, que j’évoquais, 50 000 dossiers ont été examinés entre le 1er janvier et le 31 mai, en dépit du confinement : je salue le travail accompli par l’ANAH en la matière. Là encore, ce n’est pas suffisant, mais la dynamique fonctionne ; il faut simplement aller plus loin.

Enfin, pour le parc social, dans le cadre d’un accord signé en avril 2019 avec les bailleurs sociaux, nous nous sommes engagés à augmenter de 25 % le nombre de rénovations dans ce parc.

En second lieu, il faut aller sur certains sujets plus loin que ces acquis, dans la lignée des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

D’abord, il faut étendre MaPrimeRénov’ à d’autres déciles de la population. Ensuite, il existe un sujet important, qui constitue depuis de nombreuses années un trou dans notre raquette : la question des propriétaires bailleurs. Il faut que nos instruments les accompagnent mieux ; c’est notamment, à mon sens, la vocation de MaPrimeRénov’. Enfin, concernant les dispositifs fiscaux, je profite de cette occasion pour appeler tous les acteurs qui veulent faire profiter les territoires qu’ils aiment de la défiscalisation à utiliser le dispositif dit « Denormandie dans l’ancien » : ils pourront utiliser les sommes gagnées pour rénover l’habitat et redynamiser ces territoires ; c’est à mon sens bien mieux que de défiscaliser de façon tout à fait impersonnelle dans des territoires qu’on ne connaît pas et pour d’autres types de construction.