M. Pierre Laurent. Et le semestre européen ?

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Monsieur le sénateur, le semestre européen n’implique aucune injonction : ce n’est pas une troïka. Il relève simplement que, pour accroître la compétitivité et la croissance de la zone euro, chaque État membre peut mener un certain nombre de réformes et, ainsi, mieux converger avec ses partenaires de l’Union.

Cela étant, comme je le dis souvent, nous faisons les réformes pour nous-mêmes : on n’a jamais vu un représentant de Bruxelles se rendre dans les parlements nationaux pour s’assurer que les États ont adopté la bonne ou la mauvaise réforme, le bon ou le mauvais amendement. Nous faisons les réformes pour nos concitoyens, mais il est intéressant de réfléchir à un cadre commun pour avancer.

Madame Mélot, vous abordez les conséquences du Brexit sur la pêche, sujet ô combien stratégique. Nous ne recherchons pas, comme vous le redoutez, un accord a minima ; nous ne construisons pas ce vaste plan de relance pour sacrifier, en catimini, un secteur économique pourvoyeur de dizaines de milliers d’emplois. Dans certains territoires, c’est même plus de la moitié de l’emploi qui dépend de la pêche et des filières de transformation du poisson.

En la matière, nous avons trois objectifs : premièrement, la stabilité relative de l’accès – il s’agit de conserver les droits de pêche coutumiers ; deuxièmement, la protection de la ressource – s’il n’y a pas de poisson, il n’y a pas de pêcheurs : nous devons bien sûr gérer cette ressource conjointement avec les Britanniques, car le poisson ne sait pas où se trouve la frontière ; et, troisièmement, la prévisibilité. On ne peut pas entrer dans un système en vertu duquel les droits de pêche seraient remis en cause tous les six mois.

Nous nous efforçons d’avancer sur ces trois dossiers. De plus, nous consacrons une étude d’impact extrêmement précise à ce que les Britanniques nomment l’« attachement zonal ». Ce dispositif semble intéressant, mais nous voulons savoir très précisément ce qu’il implique pour nos capacités de pêche.

Si blocage il devait y avoir, nous gardons à l’esprit que 70 % du poisson pêché dans les eaux britanniques est consommé au sein du marché intérieur européen. Si un bras de fer doit s’engager, si nos voisins nous refusent l’accès à leurs eaux territoriales, nous pourrons décréter que nous ne sommes plus en mesure de recevoir leur poisson. À ce petit jeu, les perdants ne seraient pas forcément ceux que l’on pense…

Bien sûr, comme par le passé, nous accorderons un soutien plein et entier à la filière en cas de cessation d’activité transitoire ; cette ligne a toujours été extrêmement claire. Il ne doit y avoir aucun doute sur ce point, même si ce n’est pas le scénario sur lequel nous travaillons. Le but n’est pas que les salariés du secteur soient contraints à l’activité partielle, mais qu’ils continuent à travailler selon les trois principes que j’ai énoncés.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche est tout à fait approprié : il comprend à la fois un budget de base, à échéance normale, et des fonds de contingence dans l’hypothèse où les uns et les autres ne pourraient plus exercer leur métier.

Monsieur Kern, vous l’avez vu : dans le cadre du plan d’urgence, nous avons rehaussé de 4 milliards d’euros le budget de la PAC et de 15 milliards d’euros le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Ces mesures confirment ce que j’ai déjà eu l’occasion de vous dire dans cet hémicycle : la PAC n’est pas has been. Il s’agit au contraire d’un dispositif stratégique. La décision des instances européennes confirme qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté, et il faut s’en féliciter.

Madame Harribey, j’en suis intimement persuadée : nous n’avons pas oublié l’humanité. Je l’ai dit en préambule, nous agissons non pas pour l’Europe, mais pour des familles, des salariés et des entreprises. D’ailleurs, si ce plan est baptisé « nouvelle génération », c’est parce que nous mesurons ce que le choc sanitaire et économique représente pour la jeunesse, laquelle arrive sur le marché du travail, alors que – on le sait – le taux de chômage va augmenter dans tous les pays.

En la matière, notre vision est à la fois très humaine et très concrète ; nous nous efforçons de concevoir des actions ciblées et pragmatiques. Vous insistez sur le besoin de territorialisation. Les actions doivent bel et bien s’incarner. Il faut à tout prix éviter les comités Théodule ne débouchant sur rien : le but est de créer des emplois et de les préserver.

J’entends bien cette remarque ainsi que vos différentes questions. Peut-être devons-nous expliciter un certain nombre de concepts. Ce soir, il est un peu tard pour se lancer dans un débat relatif à « l’autonomie stratégique ouverte », mais nous devrons poursuivre cette discussion.

Monsieur Allizard, je l’ai déjà indiqué, la défiance se combat par la clarté. Je ne suis pas certaine d’avoir bien saisi votre propos, mais je doute que la fermeture des frontières ait été une bonne expérience pour nos concitoyens. Dans cet hémicycle, beaucoup de vos collègues, élus de régions frontalières, ont très mal vécu cette période ; ils mesurent de manière très concrète la richesse que dégagent les bassins de vie transfrontaliers…

M. Pascal Allizard. Je parlais des frontières extérieures de l’Union !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Je comprends mieux votre propos ; car, sans nous exposer à la menace d’une libre circulation effrénée, l’ouverture des frontières intérieures est un acquis et une richesse, permettant le transit des marchandises et la mobilité des travailleurs. D’ailleurs, nous pouvons remercier l’Allemagne d’avoir accueilli des patients français, alors même que la frontière entre nos deux pays était presque totalement fermée.

Enfin, monsieur Longeot, vous avez évoqué les relations avec la Chine. Le sommet entre l’Union européenne et la Chine qui devait se tenir à Leipzig en septembre prochain a été reporté. Toutefois, d’ici à la fin de cette année, nous souhaitons avancer sur quelques sujets en particulier. Nous voulons enclencher une véritable dynamique de réciprocité et conduire la Chine à prendre un certain nombre d’engagements dans trois domaines qui nous semblent clés.

Le premier, c’est l’environnement et la biodiversité. Vous le savez, la Chine va accueillir la conférence des parties (COP) dédiée à la biodiversité. À ce titre, nous devons fixer des objectifs ambitieux. De son côté, la Chine semble vouloir jouer le jeu, mais nous devons obtenir des engagements précis.

Le deuxième, c’est la santé. Dans ce domaine, il faut encourager la Chine à mener une action résolument multilatérale : c’est un impératif pour traiter les conséquences de la pandémie. En particulier, elle doit fournir une contribution plus substantielle aux fonds verticaux multilatéraux pour la santé.

Le troisième, ce sont les droits de l’homme. Nous exprimons régulièrement notre préoccupation à cet égard – je le fais une nouvelle fois, ce soir, devant le Sénat –, en particulier au sujet de la situation au Xinjiang. À ce titre, l’Union européenne promeut une politique active et je m’en réjouis : il est important que nous poursuivions ce dialogue sur ces différentes questions. Il y va de nos engagements réciproques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir couvert la majorité des sujets abordés au cours de ce débat, dont je vous remercie. Nous avons plusieurs combats à mener ; la classe politique tout entière n’a pas vocation à soutenir le Gouvernement, mais les uns et les autres doivent nous dire clairement où ils se situent. À l’instar des Français, tous nos partenaires de l’Union européenne bénéficieront de ce débat clarifié ! (M. le président de la commission des affaires européennes et M. André Gattolin applaudissent.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous remercier de la qualité de ces échanges.

Madame la secrétaire d’État, vous avez pris le temps de répondre à l’ensemble des orateurs, et je fais mien le prisme au travers duquel vous nous invitez à regarder les progrès accomplis au cours des derniers mois.

Comme la France, l’Union européenne a hâte de franchir le cap de cette pandémie, de passer à l’après-Covid-19 ; au-delà de la crise économique, nous redoutons tous une crise sociale.

L’élan décisif a été donné par l’initiative franco-allemande du 18 mai dernier, laquelle a largement inspiré le projet présenté dix jours plus tard par la Commission européenne.

Je dois l’avouer : il y a quelques mois, nous commencions à douter de l’avenir du couple franco-allemand ; mais ce dernier a prouvé toute sa pertinence. L’Allemagne a fait le courageux pari de la solidarité avec les États les plus vulnérables, faisant oublier son intransigeance dans la crise financière grecque – c’était il y a seulement cinq ans. Aujourd’hui, elle s’emploie à convaincre les États d’Europe du Nord d’accepter la création d’un nouvel instrument de relance. Ce faisant, elle quitte le front des États frugaux, rassemblant naturellement les pays qui bénéficient d’un rabais sur la correction britannique.

L’Allemagne est donc particulièrement courageuse : alors qu’elle pourrait tirer profit de ces rabais, elle abandonne ses revendications à cet égard, lesquelles semblent, il est vrai, devenues anachroniques avec le départ de nos amis britanniques.

Cet engagement doit beaucoup à Angela Merkel, qui, devant le Bundestag, a dénoncé sans hésitation le coup de force du tribunal constitutionnel allemand. Je vous le rappelle : par son jugement du 5 mai dernier, la cour de Karlsruhe a remis en cause à la fois la primauté du droit de l’Union et la légalité de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne, menaçant ainsi la survie de l’euro.

Dans dix jours, l’Allemagne prendra la présidence du Conseil de l’Union. Elle entend porter à son crédit un accord relatif au cadre financier pluriannuel et à l’instrument de relance. La part de fongibilité entre ces deux dispositifs, qui représente 190 milliards d’euros, me laisse admiratif.

L’ambition allemande a sans doute un double fondement : d’une part, l’esprit de responsabilité à l’égard de la construction européenne, dont elle a eu l’initiative en se réconciliant avec la France ; de l’autre, son intérêt bien compris. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez souligné en évoquant les pays d’Europe du Nord : la santé économique de l’Allemagne dépend de celle de ses clients et de ses fournisseurs.

Cela étant, on ne peut manquer de s’inquiéter de la pérennité de l’engagement européen de notre plus proche voisin, au regard des tensions qu’il provoque, et dont le tribunal constitutionnel de Karlsruhe donne un puissant écho. À quinze mois des élections législatives allemandes – ce scrutin est prévu pour l’automne 2021 –, aucun successeur évident ne s’impose pour la Chancelière. Même si cette échéance est un peu lointaine, l’avenir du couple franco-allemand continue d’inspirer quelque inquiétude.

L’impasse des négociations engagées entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est un autre sujet de préoccupation. La rencontre, la semaine dernière, entre Boris Johnson et les présidents du Conseil européen et de la Commission n’a pas porté les fruits espérés.

Londres refuse d’étendre la période de transition : dont acte. Les pourparlers avec les Britanniques butent encore et toujours sur ces quatre sujets : les conditions d’une concurrence équitable – le fameux level playing field –, l’accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques, la gouvernance future de l’accord et la coopération judiciaire et policière.

Enfin – M. Cambon l’a dit –, dans quelques jours, nous recevrons Michel Barnier, dont je salue une nouvelle fois l’engagement et la ténacité. Il faut l’admettre : nous constatons une certaine lassitude de sa part. Espérons que, dans la dernière ligne droite, nos amis britanniques abandonneront leurs postures. Sinon, il faudra se résoudre à appliquer les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En d’autres termes, il faudra établir des barrières tarifaires, si nos partenaires optent pour des contingentements non tarifaires ne correspondant pas aux exigences que nous suivons depuis la création du marché unique en 1993.

Madame la secrétaire d’État, je tiens à vous remercier de nouveau. Comme l’a dit Laurence Harribey, votre « pugnacité éclairée » est appréciée ici, au Sénat. Au-delà des différences de sensibilités représentées dans cette maison, nous saurons appuyer la politique européenne du Gouvernement !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020.

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 24 juin 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l’assurance récolte, présentée par MM. Yvon Collin, Henri Cabanel, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (n° 708, 2018-2019) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d’indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (texte de la commission n° 520, 2019-2020).

Le soir

Débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d’annexion de la vallée du Jourdain par l’État d’Israël ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication