Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.

M. Jean-Claude Tissot. J’ai bien entendu votre réponse, madame la ministre, mais je ne vois pas comment on pourrait réparer a posteriori les perturbations consécutives à un sinistre industriel. Prenons l’exemple d’un fleuve : l’eau court !

Ma question était plus précise. Contraindrez-vous les industriels à organiser une politique concernant la rétention de l’eau et l’eau d’extinction ? Ces volumes sont en effet très importants ; je n’en suis pas revenu moi-même… Il faut donc pouvoir disposer de darses et d’étangs de rétention étendus.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Tissot. La pression foncière subie par ces industries étant très forte, que proposez-vous ?

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen a créé, en quelques heures, un climat de panique bien compréhensible dans la ville et bien au-delà.

Cette catastrophe, hormis le volet sanitaire, largement évoqué dans ce débat, a mis en avant un réel problème touchant notre dispositif de gestion et de communication en matière de crise lorsque survient un incident, en l’occurrence un incendie, dans un site industriel classé.

La commission d’enquête, dont je salue le travail, a notamment mis en lumière le manque d’information des Français sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques situées à proximité de leur habitat, ainsi que sur la réaction à adopter en cas d’incendie de ce type.

Durant les jours qui ont suivi l’incendie, la gestion de l’information par le Gouvernement a été approximative. J’en veux pour preuve les déclarations contradictoires ou imprécises des ministres qui s’étaient rendus sur place, ceux de l’agriculture, de l’intérieur, des solidarités et de la santé, de l’éducation nationale et vous-même, madame la ministre de la transition écologique et solidaire. Or, de même que le PCS désigne le maire comme interlocuteur unique, je pense que le Gouvernement devrait s’exprimer d’une seule voix, en l’occurrence la vôtre.

Cette gestion hasardeuse de la communication de crise à l’heure des réseaux sociaux n’a fait qu’accentuer la défiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics.

Comme l’a souligné le rapport, les sirènes d’alerte pour avertir la population sont totalement dépassées à l’heure où le Gouvernement peut informer directement nos concitoyens via la radio, la télévision et les téléphones portables.

Je souhaiterais donc connaître les dispositions qu’a prises et qu’entend prendre le Gouvernement afin d’améliorer la communication de crise en direction de la population, mais également des élus locaux, dans le cas d’un nouvel incident de ce type. Vous avez répondu en partie à cette question, madame la ministre. C’est le lot du dernier intervenant d’être quelque peu redondant…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous confirme, monsieur le sénateur, qu’un retour interministériel est en cours s’agissant de la communication de crise, en vue de clarifier qui doit être l’interlocuteur entre l’échelon central et l’échelon déconcentré, en fonction de la nature de la crise – locale ou nationale – et des compétences de chacun.

Ce retour d’expérience doit aussi nous permettre de mieux suivre l’activité des réseaux sociaux pour lutter contre la diffusion de fausses nouvelles.

Une observation étroite de ces réseaux a pour objectif de détecter précocement les fausses nouvelles et d’adapter les messages, afin de rétablir les faits. Tel le sens du travail mené conjointement par l’inspection de mon ministère, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGE), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection du ministère de l’agriculture, dont les conclusions devraient être rendues dans les prochains jours. Ainsi pourrons-nous moderniser la doctrine de l’État en termes de communication.

S’agissant de l’interlocuteur unique, il me semble indispensable qu’en cas de crise locale la communication soit coordonnée par le préfet de département. Le renforcement ponctuel par une task force nationale est tout aussi indispensable. Cela a été le cas lors de la crise de Lubrizol, mais de façon non anticipée. Cet appui a sans doute permis de renforcer la communication préfectorale.

Il conviendra désormais d’anticiper davantage à froid, pour déployer cette communication plus efficacement. Je reste par ailleurs convaincue de la nécessité de l’information des élus et des professionnels de santé pour faire parvenir les messages jusqu’aux citoyens.

Il faut mobiliser non pas la seule communication préfectorale, mais aussi celle de tous les acteurs locaux, élus et professionnels de santé.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Je me réjouis que cette discussion interministérielle ait pour objet l’élaboration d’une doctrine visant à répondre aux attentes de nos concitoyens, lesquels souhaitent que l’information soit la plus claire et la plus transparente possible. Bien entendu, dans le feu de l’action, les choses sont compliquées parce que l’on ne dispose pas forcément de toutes les informations et qu’il faut attendre les retours de l’entreprise concernée.

Au-delà du préfet, qui est le représentant de l’État localement, il serait beaucoup plus pertinent dans ce genre de situation qu’une seule voix s’exprime, au niveau ministériel ou interministériel.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission d’enquête.

M. Hervé Maurey, président de la commission denquête chargée dévaluer la gestion des conséquences de lincendie de lusine Lubrizol à Rouen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je me réjouis tout d’abord que ce débat ait eu lieu à peine un mois après que nous ayons rendu nos conclusions.

Je tiens de nouveau à remercier Mmes les rapporteurs de leur travail, Mmes les ministres de leur présence, et l’ensemble de mes collègues qui se sont exprimés et ont posé des questions.

Nous avons formulé dans notre rapport quarante propositions regroupées autour de six axes : la culture du risque ; la prévention ; la gestion de crise ; la coordination entre l’État et les collectivités locales ; l’indemnisation ; le principe de précaution.

Je me réjouis également que le Gouvernement ait retenu un certain nombre de nos propositions dès le mois de février, et que certaines propositions complémentaires aient été émises aujourd’hui.

Je salue ainsi l’annonce par Mme la ministre de la transition écologique et solidaire de la création de cinquante postes d’inspecteurs en vue de renforcer les contrôles. Nous avions en effet émis des doutes sur l’ambition de doubler le nombre de contrôles sans augmenter le nombre d’inspecteurs.

J’ai bien noté l’annonce de la création du bureau d’enquête accident, que nous appelions de nos vœux, ainsi que celles qui sont relatives à l’augmentation des exercices et à la meilleure information sur les stocks – un point très important de notre rapport.

Vous avez également exprimé le souhait, madame la ministre, que les sanctions pénales soient plus sévères et surtout mieux appliquées.

Nous serons très attentifs à l’élaboration des décrets et des textes pris en application de ces annonces. Vous nous avez indiqué que la phase de concertation était en cours. Nous verrons avec les rapporteurs, une fois ces textes publiés, s’il y a lieu de les compléter, par exemple en présentant une proposition de loi.

Sur la question sanitaire, nous sommes restés davantage sur notre faim, puisque vous n’avez pas véritablement répondu aux attentes de la rapporteur, madame la secrétaire d’État.

Vous avez jugé qu’il n’était pas utile de disposer de registres supplémentaires. Il ne serait pas non plus utile, selon vous, de mettre en place un suivi épidémiologique, que nous appelons de nos vœux dans le rapport, sur une cohorte représentative des populations les plus impliquées dans la lutte contre l’incendie et ses conséquences. Vous avez simplement évoqué l’éventualité d’une adaptation des registres existants.

Je trouve que c’est un peu court, sachant que la question sanitaire est tout à fait essentielle pour nos concitoyens ; je parle sous le contrôle des élus de Seine-Maritime, notamment de ma collègue élue de Rouen. Ce qui préoccupe le plus la population aujourd’hui, ce sont les conséquences sanitaires de cette catastrophe à moyen et long terme.

Il est très important de prévoir une simplification au niveau des organismes intervenant en la matière.

Selon Santé publique France, « les données sont très nombreuses, les formats restitués sont variés et il devient complexe d’avoir une analyse globale en vue d’en réaliser une synthèse ». Il convient de regrouper un certain nombre d’organismes. Entre le service départemental d’incendie et de secours (SDIS), ATMO, Bureau Veritas, l’ARS, les laboratoires spécialisés, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), l’Anses, et j’en oublie, il y a de quoi y perdre son latin ! Et il est difficile dans ces conditions de parvenir à une solution satisfaisante…

Telles sont les réflexions que je voulais formuler à l’issue de notre débat. Je vous remercie, mes chers collègues, d’y avoir participé en grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Candidatures à des commissions

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de trois commissions ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Discussion générale (suite)

Fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues (proposition n° 312, texte de la commission n° 466, rapport n° 465).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « des personnes en détresse, des enfants d’âge scolaire et des personnes ayant perdu tous leurs biens durant les événements des derniers jours à Abidjan » : c’est dans ces termes que le Quai d’Orsay décrivait les Français évacués de Côte d’Ivoire lors des dramatiques événements politiques de 2004.

Un coup d’État, un tremblement de terre, un tsunami, la prise de pouvoir par un groupe djihadiste, une pandémie sont des tragédies qui peuvent frapper les Français établis à l’étranger. Or aucun fonds d’urgence n’existe spécifiquement pour eux. C’est d’autant plus grave que l’on assiste à une lente, mais constante paupérisation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous savons aujourd’hui que nos consulats, partout dans le monde, n’ont plus les moyens de faire face.

La pandémie de covid-19 n’a fait que mettre en exergue à l’échelle mondiale une situation déjà connue depuis longtemps à l’échelon local, à savoir que nos compatriotes à l’étranger peuvent se retrouver du jour au lendemain dans un état de grand danger. C’est un révélateur. Le Gouvernement a réagi, mais en l’absence d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger, il aura fallu aller chercher l’arbitrage de Bercy, ce qui nous a fait perdre un temps précieux.

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, pérenniserait ce qui a été mis en œuvre cette année, afin que dorénavant, lors d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, ou lors d’un coup d’État, la réaction de la France soit immédiate pour venir en aide en urgence à nos compatriotes.

Pourquoi un tel fonds ?

Quand un Français s’établit à l’étranger, il n’a souvent aucune garantie, aucun filet de sécurité. En cas de catastrophe, le retour en France se fait dans la précipitation, avec une valise, sans emploi, sans logement, et fréquemment avec des enfants. Une aide ponctuelle permet de rester sur place ou de retourner dans le pays après une évacuation temporaire vers la France, ce qui est la plupart du temps le souhait de nos compatriotes établis à l’étranger.

Je me souviens avec émotion des images, en novembre 2004, des 359 premiers Français évacués d’Abidjan, fuyant les violences en Côte d’Ivoire, arrivés à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle avec une valise et des tongs au pied. Puis d’autres vols ont suivi pour évacuer plusieurs milliers de nos compatriotes, de manière temporaire ou définitive.

Cette crise ivoirienne avait été précédée de nombreuses autres sur le continent africain. Ce sont notamment les guerres civiles des années 1990 en Afrique centrale, où les Français vivaient nombreux, qui avaient motivé les sénateurs des Français de l’étranger de l’époque pour tenter de créer un fonds de garantie.

Les tremblements de terre frappent aussi nos compatriotes à l’étranger. Je pense, par exemple, aux séismes survenus en 1999 à Izmit en Turquie, en 1988 en Arménie, ou encore, plus récemment, en 2016 en Équateur. Enfin, nous avons tous gardé en mémoire le tsunami de décembre 2004. Tous ces exemples issus du passé sont riches d’enseignements.

À l’avenir, il faudra également rester très vigilant pour les Français vivant dans les pays du G5 Sahel – Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad –, et qui sont confrontés au terrorisme islamiste. Le risque potentiel est immense pour nos communautés françaises, et un tel fonds d’urgence permettrait d’y faire face.

La situation internationale ne prête pas à l’optimisme, car les conflits et les tensions se multiplient. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, parle de « chaos ».

Enfin, le dérèglement climatique et ses conséquences en termes de catastrophes naturelles font courir des risques nouveaux et de plus en plus nombreux.

La baisse continue des moyens du Quai d’Orsay pèse sur les capacités d’action des consulats et des ambassades. Lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, Alain Juppé disait déjà que le budget du ministère était à l’os. Avec les baisses intervenues depuis lors, on doit être à la moelle !

Les consulats, par manque de moyens, doivent faire appel aux réseaux associatifs pour venir en aide à des familles en difficulté, car l’État ne le fait plus. J’ai été président d’une association de Français de l’étranger pendant dix ans et j’ai été sollicité plusieurs fois pour cela. Et pourtant c’était à Berlin… Imaginez un instant la situation dans des pays qui subissent des crises dramatiques, comme le Venezuela ! Je me souviens d’un consul général m’expliquant qu’il avait dû héberger chez lui un Français, car le consulat ne pouvait lui payer une nuit d’hôtel.

La crise de la covid-19 a été un révélateur de ce manque de moyens. Il a fallu intégrer un volet spécial pour les Français de l’étranger au plan global d’action visant à faire face à la crise sanitaire, mais on a perdu un temps précieux. Si le fonds d’urgence avait existé, les moyens auraient pu être mobilisés plus rapidement.

Finalement, l’adoption de cette proposition de loi nous permettrait de ne plus connaître de tels retards à l’allumage à l’avenir.

Cela dit, l’idée d’un tel fonds n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins à la commission Bettencourt, au milieu des années 1970, comme me le rappelait le président de l’Union des Français de l’étranger.

Nos anciens collègues Paulette Brisepierre, Jacques Habert, Charles de Cuttoli, Paul d’Ornano ou Xavier de Villepin, dans les années 1990, ont également fait des travaux sur cette question. Jacky Deromedi et moi-même avons la chance d’avoir des collaborateurs qui ont travaillé pour certains de ces sénateurs et qui connaissent l’historique de ce projet, sur lequel ils ont déjà planché à l’époque.

Comme me l’a rappelé Richard Yung, le groupe socialiste du Sénat avait lui aussi déposé une proposition de loi, sur l’initiative de notre ancienne collègue Monique Cerisier-ben Guiga. Joëlle Garriaud-Maylam en 2008 et encore à la fin du mois de mars cette année, ainsi qu’Olivier Cadic le 24 mars dernier, ont eux aussi déposé des propositions de loi.

Notre ancien collègue Christian Cointat me rappelait également le rôle crucial qu’ont joué le Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE) et Jean Ricoux, rapporteur de la commission des lois et réassureur, dans les années 1990.

Lors des élections sénatoriales de 2017, grâce à Régine Prato, désormais présidente de la commission de la sécurité et de la protection des personnes et des biens de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE),…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Excellente présidente !

M. Ronan Le Gleut. … nous avons proposé d’aborder cette idée ancienne sous un angle nouveau.

Le 10 février de cette année, Christophe Frassa, Jacky Deromedi et moi-même avons apporté notre modeste contribution à tous ces travaux en prenant en compte les effets de la pandémie, mais aussi en nous écartant des logiques précédentes, qui étaient assurantielles ou visaient à créer un fonds doté de la personnalité morale. Notre démarche s’inspire plutôt du Fonds de secours pour l’outre-mer ou du fonds d’extrême urgence pour les sinistrés des inondations, respectivement créés en 2012 et 2016.

Et si l’idée d’un tel fonds, antérieure à ma naissance, est pour la première fois aujourd’hui en discussion dans notre assemblée, c’est non seulement parce que la pandémie de covid-19 a fait prendre conscience de sa nécessité, mais aussi, et surtout, parce que le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a fait le choix d’inscrire notre texte à l’agenda du Sénat. Il démontre ainsi, une fois encore, sa compréhension des enjeux pour nos compatriotes établis hors de France, mais aussi pour la France.

Je souhaite également rendre hommage au rapporteur de la commission des finances, Jérôme Bascher, dont la finesse d’analyse n’a d’égale que la capacité d’écoute.

Cela étant, la création de ce fonds est dans l’intérêt de la France. Ce n’est absolument pas un cadeau fait aux expatriés.

Contrairement aux idées reçues, les 3,4 millions de Français de l’étranger ne sont pas les abominables milliardaires déserteurs de la France et de sa fiscalité que l’on présente parfois. Si notre pays comptait 3,4 millions de milliardaires en exil, cela se saurait ! La réalité est tout autre : il s’agit souvent de modestes retraités vivant dans des pays où le coût de la vie est moins élevé qu’ici. La précarisation de nombreux Français de l’étranger est une réalité tangible.

Or la contribution des Français de l’étranger au dessein et au destin national est immense, que ce soit dans le domaine de la francophonie, de la diplomatie, de l’économie ou en termes d’emploi. Pour que nos produits s’exportent, nous avons en effet besoin de ces Français. Ils œuvrent pour le commerce extérieur, car ils connaissent la langue, les us et coutumes du pays où ils vivent, et réalisent un pont avec la France. Leur contribution est donc absolument essentielle pour l’emploi dans notre pays. Nombre de ces Français paient des impôts et taxes – il existe d’ailleurs une direction des impôts des non-résidents – et leur participation au budget de l’État est tout à fait substantielle.

Ajoutons, pour ceux qui craindraient qu’un tel fonds ne plombe les finances de notre pays, que permettre à des expatriés de faire face provisoirement à une tragédie en restant dans le pays où ils sont établis, ou d’y retourner après un séjour provisoire en France, coûterait bien moins cher aux finances de l’État que leur réinstallation définitive en France, sans ressources, ni emploi, ni logement.

Aucune politique de puissance n’existe sans le relais de compatriotes établis à l’étranger, qui œuvrent pour le commerce extérieur, l’influence diplomatique ou le rayonnement culturel de leur pays. Nos compatriotes font partie intégrante de la Nation, même lorsqu’ils ne vivent plus en France.

Et comme l’a dit le Général de Gaulle en 1967 : « Dans ce monde d’aujourd’hui, on ne peut dissocier le sentiment et la politique. » La France doit démontrer le même attachement et le même amour à tous ses enfants, où qu’ils soient. Si les Français de l’étranger sont parfois loin des yeux, ils sont toujours près du cœur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cadic et Joël Guerriau applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de Ronan Le Gleut portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs.

Il s’agit du second texte que nous étudions en deux mois pour les Français de l’étranger, après celui de Jacky Deromedi et Christophe-André Frassa. Je le dis très haut : nous ne faisons pas assez attention à notre communauté nationale, la seule que je connaisse d’ailleurs. Je pense aussi à nos compatriotes ultramarins, que nous oublions parfois un peu trop lors de nos débats.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée de nombreuses autres, comme Ronan Le Gleut l’a rappelé. Depuis plusieurs décennies, toutes ont plus ou moins le même objet. Soutenir les Français de l’étranger en cas de crise majeure est une nécessité, nous le savons pour avoir trop souvent vécu une telle situation. Très récemment encore, Olivier Cadic et Joëlle Garriaud-Maylam, que je salue, ont défendu des propositions de loi similaires. Ces textes visaient à instituer un fonds de solidarité en faveur des Français de l’étranger victimes d’événements graves.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, elle, la création non pas d’un fonds de solidarité, mais d’un fonds d’urgence, car il s’agit de sortir de la logique assurantielle des fonds d’indemnisation et de choisir la voie du secours.

Une telle distinction n’a rien de rhétorique. Il s’agit bien en l’occurrence d’aider sans délai les Français de l’étranger à faire face à la menace à laquelle ils sont exposés ou à subvenir à leurs besoins essentiels auxquels ils ne peuvent plus répondre, grâce à une aide financière ou matérielle.

Est-ce une originalité, une bizarrerie législative ? Que nenni !

Certains fonds existants permettent déjà de venir en aide immédiatement aux Français les plus démunis faisant face à une crise majeure : le Fonds de secours pour l’outre-mer, qui aide financièrement les sinistrés ultramarins à la suite d’un événement naturel d’une intensité exceptionnelle, ou encore les secours d’extrême urgence aux victimes d’accident, de sinistre ou de catastrophe de grande ampleur, mobilisés lors du passage de l’ouragan Irma ou des inondations dans l’Aude, par exemple. Nous n’écrivons donc pas sur une page vierge.

Rien n’est en revanche actuellement prévu pour les Français de l’étranger se trouvant dans une situation similaire. Or il importe de traiter tous nos compatriotes, toute la communauté nationale, de la même façon.

Face à la crise sanitaire de la covid-19, à la crise économique et sociale qui en résulte, nombre de Français de l’étranger se trouvent en difficulté. Le Gouvernement a mis en place un plan de soutien de 240 millions d’euros, que vous avez défendu, monsieur le secrétaire d’État, et qui a été adopté sans difficulté lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Ce plan prévoit 50 millions d’euros d’aides d’urgence, calquées sur le dispositif d’aides annoncé le 15 avril par le Président de la République lors d’une allocution télévisée pour les foyers les plus modestes en France, soit une aide de 150 euros par ménage, plus 100 euros par enfant à charge.

Le fonds dont cette proposition de loi prévoit la création permettrait d’éviter des interventions par à-coups et au cas par cas et d’instaurer une doctrine d’attribution des aides d’urgence mobilisées lorsque les circonstances le nécessitent.

Le texte permet également d’établir clairement une distinction entre les aides sociales existantes, notamment pour les personnes âgées. Elles sont nombreuses, mais souvent méconnues des Français de l’Hexagone, comme dirait le Président de la République – je préfère pour ma part parler de la métropole.

Ce fonds n’a, espérons-le, pas vocation à être souvent mobilisé. C’est la raison pour laquelle les conséquences budgétaires de sa création seraient, à la vérité, modestes : ses crédits pourraient être, pour partie, ouverts en loi de finances initiale. Je rappelle que la loi organique relative aux lois de finances prévoit une réserve de précaution, dont la création, je m’en souviens, avait suscité des débats dans cette enceinte. Il s’agit donc non pas d’inscrire des crédits supplémentaires, mais d’utiliser la réserve de précaution selon sa destination.

Nous pourrions aussi avoir besoin de prévoir des crédits supplémentaires au fur et à mesure, pour que la trajectoire de ce fonds soit soutenable. Pour l’heure, avançons pas à pas, à ce pas de sénateur, de sénateur romain, qui est le pas de la paix, afin de n’avoir jamais à nous servir de ce fonds et d’éviter bien des querelles ici et là. La sagesse romaine rappelle toutefois que si vis pacem, para bellum : il nous faut donc réarmer notre pays budgétairement face à ces crises. Tel est l’objet de ce fonds.

Enfin, les amendements qui ont été déposés reposent tous sur la même logique : il s’agit de faire place aux consultations des instances des Français de l’étranger. Le Sénat, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, défend les corps intermédiaires et la démocratie représentative. C’est pour cela que mon avis, exprimé plus en tant que sénateur républicain, au sens noble du terme – le sens partisan fonctionnerait aussi – qu’en tant que commissaire des finances, sera plutôt ouvert et reflétera mon attachement à la démocratie représentative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cadic et Joël Guerriau applaudissent également.)