Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 juin dernier, le Président de la République a témoigné de sa volonté de transformer le CESE en ce qu’il a nommé la « chambre des conventions citoyennes ». Lors du conseil des ministres du 7 juillet 2020, vous avez, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, présenté un projet de loi organique de réforme du Conseil économique, social et environnemental.

Son objectif est d’accroître le rôle du CESE dans le développement de la démocratie participative. Car, s’il est en effet un acteur essentiel de la démocratie sociale, par sa culture du consensus, dans un pays où les conflits sociaux sont légion, il peine toujours, après tant d’années d’existence, à trouver sa place dans les institutions.

Ses travaux, pourtant nombreux et rarement lacunaires, souffrent d’un grand manque de visibilité. Sans surprise, ils sont peu connus du grand public, ce qui s’explique facilement par le manque de lisibilité des nombreux organismes consultatifs qu’abrite la France.

Mais ses avis sont également loin, parfois, de l’attention des pouvoirs publics, ce qui est plus inattendu. La concurrence des nombreux autres organes consultatifs en est très probablement l’explication la plus plausible. Pire encore, l’institution du dialogue social est très peu sollicitée, 79 % de ses travaux résultant d’une autosollicitation.

Cette institution, troisième chambre prévue par notre Constitution, mérite donc une réforme qui lui attribuerait la place qui lui revient au sein de la République. Celle-ci interviendra au début de l’année 2021, ce qui nous pousse à prolonger le mandat des 233 membres du Conseil, supposé expirer le 14 novembre 2020 après cinq ans de loyaux services. Cette prorogation doit bien évidemment courir jusqu’à l’entrée en vigueur de ladite réforme.

Cependant, si nous convenons de la nécessité d’une réforme, la teneur exacte de celle-ci suscite débat.

Assurer un meilleur fonctionnement du CESE pour mieux faire participer les corps intermédiaires au débat public ? Nous partageons tous cet objectif.

Veiller à ce que les travaux du CESE reçoivent les échos qui leur sont dus ? Cela va de soi.

Doter le CESE des outils dont il a besoin pour accomplir ses missions ? Nous ne pouvons pas nous y opposer.

Toutefois, à la lecture du texte déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, nous nous interrogeons déjà sur certains points.

La première réserve concerne le rôle de représentation de la société organisée du CESE : la réduction de ses effectifs de 25 %, qui porterait le nombre de ses membres à 175, pourrait être lourde de conséquences pour cette noble tâche.

Un autre aspect de la réforme suscite d’ores et déjà le scepticisme, le recours au tirage au sort, qui, jour après jour, prend une place de plus en plus importante dans certains esprits.

Si beaucoup chantent les louanges d’un modèle démocratique athénien, le tirage au sort n’en reste pas moins en contradiction totale avec le principe de démocratie représentative si cher à la majorité de nos concitoyens, et qui constitue l’un des fondements de notre histoire politique.

Mes chers collègues, méfions-nous de cette douce chanson qui fait l’éloge de la démocratie participative et directe, devenue depuis peu le fer de lance du dégagisme et du populisme.

Méfions-nous du tirage au sort, non pas en raison d’une quelconque crainte de nous voir concurrencés dans notre rôle de représentation nationale, mais parce qu’il est tout aussi attirant que dangereux pour les fondements de notre pacte républicain.

La place qui est réservée au tirage au sort dans ce projet, nous en conviendrons, n’est pas scandaleuse en soi. Mais cette réforme consacre tout de même le tirage au sort dans la loi, promettant ainsi un avenir institutionnel à cette pratique. Il faut y penser.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Yves Détraigne. Ce sujet majeur vaudra d’être débattu aussi longtemps que nécessaire au Parlement, et je sais que vous ne manquerez pas, mes chers collègues, de vous emparer pleinement de cette question.

Dans l’immédiat, et justement pour que ce débat de fond puisse avoir lieu sereinement, nous voterons en faveur de la prorogation du mandat des membres du CESE prévue par le présent projet de loi organique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne pense pas épuiser mon temps de parole de six minutes, car j’ai le sentiment que tout a déjà été dit et que ce projet de loi fait consensus, d’abord parce qu’il est très bref (Sourires.), ensuite parce que le Conseil constitutionnel l’a déjà validé lorsqu’il avait admis, en 2009, la prolongation d’un an du mandat des membres de l’institution pour tirer toutes les conséquences de la révision constitutionnelle de juillet 2008.

Je souligne néanmoins l’adoption en commission d’un amendement de coordination tout à fait légitime, qui met à jour le texte de l’ordonnance de 1958 après le changement de dénomination intervenu depuis 2008. Il aura quand même fallu attendre douze ans, et je veux ici saluer le travail de la commission.

C’est à présent le futur qui nous attend, avec un texte beaucoup plus substantiel, déjà déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui vise à réformer dans son ensemble le Conseil économique, social et environnemental.

Les perturbations de l’ordre du jour liées à l’épidémie de covid chamboulant quelque peu l’agenda parlementaire, ce texte n’arrivera pas assez tôt pour être étudié avant le terme du mandat actuel des membres du CESE. Il n’aurait pas été pertinent, alors même que la procédure de renouvellement est assez longue, de l’examiner dans l’urgence.

J’en viens maintenant au fond, à savoir la réforme du CESE. En 2008, quelques aspects du fonctionnement de cette assemblée avaient déjà été rénovés. Mais il nous semble pertinent de nous interroger de nouveau sur l’adéquation des objectifs de l’institution avec sa composition, ses procédures et ses moyens.

Un certain nombre de propositions ont été faites, et certaines figurent dans le projet de loi organique déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il n’est pas temps d’en discuter ce matin, mais nous pourrons nous y atteler à l’automne, lorsque le texte arrivera au Sénat.

Dans tous les cas, ce ne sera pas une grande révolution, qui aurait nécessité une réforme constitutionnelle, et non une loi organique.

À cette heure, et sans préjuger des débats ni du contenu du texte qui nous sera transmis par les députés, je rappelle l’attachement du groupe Les Républicains au rôle que la Constitution accorde à chaque chambre et chaque institution. C’est vrai pour le CESE comme pour le Sénat. Le CESE est un acteur important de la démocratie sociale depuis près d’un siècle. Son rôle a été reconnu en 1958 et il participe depuis lors à l’équilibre constitutionnel.

Au regard de ces éléments, et en osant paraphraser le président Philippe Bas, il convient de laisser sa chance à la réforme et de voter le projet de loi qui nous est soumis ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Détraigne et Jérôme Bignon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à reporter le renouvellement des membres du CESE au 1er juin 2021, dans l’attente d’une réforme qui serait destinée à lui donner un nouveau souffle et une nouvelle visibilité, non seulement comme l’enceinte de la représentation des acteurs de la société civile, mais aussi comme un véritable carrefour de la consultation publique et de la participation directe des citoyens.

Sur le plan du calendrier, il n’y a pas de débat, la prorogation du mandat de ses membres est indispensable à l’examen préalable de la réforme envisagée.

Toutefois, l’adoption de ce texte ne doit en rien présager de la position du Parlement, en particulier du Sénat, sur le projet de loi organique réformant le CESE.

Sur le texte examiné ce matin, mon propos pourrait s’arrêter là. Mais son examen en commission des lois a fait l’objet de différentes appréciations, et les pistes d’évolution du rôle et des méthodes de l’institution ont été largement évoquées.

Avant d’envisager de nouvelles orientations, il conviendrait de faire un diagnostic de l’activité du CESE au cours de ces dernières années, voire de ces dernières décennies.

Sans revenir aux objectifs qui lui étaient fixés dans la Constitution de la Ve République, rappelons, comme l’indique le rapport de la commission, que le CESE devrait remplir trois missions principales : conseiller le Gouvernement sur les politiques économiques, sociales et environnementales, favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et contribuer à l’information du Parlement.

L’institution assume-t-elle de manière satisfaisante ces trois missions ? Osons le dire, la réponse est évidemment non.

En effet, le CESE est peu sollicité par le Gouvernement et le Parlement, 80 % des sujets qu’il étudie relevant de l’autosaisine. C’est sans doute l’expression d’une grande autonomie, mais surtout la preuve du peu d’intérêt qui est réservé à ses travaux. Faut-il de surcroît remarquer que les 20 % de saisine par le Gouvernement relèvent d’une démarche obligatoire pour les lois à caractère économique, social ou environnemental ?

On peut aussi noter que le CESE, pour l’étude de certains sujets, est concurrencé par de nombreux autres organismes consultatifs plus spécialisés, et donc mieux outillés pour aborder en profondeur certaines thématiques.

Ces doubles emplois risquent encore de s’étendre, notamment à travers la concurrence qui ne manquera pas de s’installer avec la Commission nationale du débat public dans un rôle d’organisateur de la participation directe des citoyens et de la consultation publique.

Par ailleurs, il faut noter que la saisine par voie de pétition sur toutes les questions à caractère économique, social et environnemental, possible depuis 2010, n’a jamais été mise en œuvre.

Le CESE ne joue pratiquement aucun rôle opérationnel dans la consultation des corps intermédiaires, qui préfèrent s’adresser directement au Gouvernement et au Parlement pour faire valoir leurs avis et préoccupations.

Je n’évoquerai pas la déclinaison régionale du CESE que sont les CESER, dont l’apport réel dans l’élaboration des politiques régionales est tout à fait illusoire ou marginal. À l’occasion de l’examen de la loi NOTRe, j’avais d’ailleurs déposé des amendements visant à supprimer ces instances.

Sans remettre en cause son indépendance, la qualité de ses membres ou la pertinence de certains de ses avis, il convient, au vu de ce diagnostic, de s’interroger sur l’utilité du CESE.

Cette prolongation du mandat de ses membres permettra quand même de donner une chance à la réforme envisagée, et même souhaitée, par le Président de la République. Elle donnera sans doute lieu dans cette enceinte à des débats animés, qui pourraient entre autres révéler un goût très modéré du Sénat pour la démocratie du tirage au sort.

Dans cette attente, le groupe du RDSE approuve le texte de prorogation qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le garde des sceaux, ce n’est pas sans émotion que je m’exprime devant vous ce matin. Je vous ai beaucoup lu, écouté et regardé ces dernières années, et je n’imaginais pas que vous seriez un jour amené à m’écouter quelques minutes !

Madame la présidente, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous rassemble aujourd’hui, nonobstant son caractère formel, n’est pas un texte mineur. Aux termes de l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, le mandat de ses membres, d’une durée de cinq ans, arrivera à échéance le 14 novembre prochain. Or, le 7 juillet dernier a été présenté en conseil des ministres un projet de loi organique réformant le CESE. Ce texte prévoit notamment, en son dernier article, que ses dispositions entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication.

Le calendrier ne permettra pas que cette réforme puisse être adoptée et promulguée, à l’issue d’un débat approfondi puis d’une décision du Conseil constitutionnel, avant l’expiration du mandat des membres actuels du CESE. Le Conseil d’État a, en outre, souligné dans son avis la nécessité que le Gouvernement prépare les décrets d’application concomitamment aux travaux parlementaires sur cette réforme, ce qui implique un enjeu de temporalité qui ne peut être éludé.

Toutes ces raisons ont conduit le Gouvernement à soumettre à nos voix le présent texte, qui vise donc à proroger le mandat des membres du CESE jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi organique réformant cette institution, et au plus tard jusqu’au 1er juin 2021, soit une prorogation maximale de six mois et demi, de nature à satisfaire la stricte proportionnalité de cette mesure à l’objectif d’intérêt général.

Comme le souligne l’avis du Conseil d’État, une telle prorogation ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ni conventionnel. Une précédente prorogation avait d’ailleurs été validée dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, pour une durée qui était supérieure.

Cette simplicité apparente du dispositif appelait en réalité une certaine approche de la Haute Assemblée, et plus spécifiquement de notre rapporteur, la raison d’être du texte étant directement liée à la perspective de l’examen ultérieur d’un projet de réforme. Refuser le principe d’une prorogation aurait conduit à s’opposer a priori à la tenue d’un débat sur la réforme du CESE. A contrario, accepter cette prorogation était irréductible à l’expression d’une position sur le contenu de la réforme. Cela ne préjuge en rien du positionnement sur le fond, certes, mais témoigne en revanche – je voudrais saluer sur ce point notre rapporteur, Jean-Yves Leconte – d’une volonté que puisse se tenir un débat sur l’évolution de cette assemblée consultative animée par la culture du consensus, qui ne peut être négligée.

L’existence même de cette réflexion, au-delà du contenu du projet de réforme, est invoquée depuis un temps certain, non seulement par le Président de la République et par le Gouvernement, mais également par le CESE lui-même. La part croissante et paradoxale des autosaisines, qui devrait atteindre 80 % en 2020, nous y invite en tout cas, de même que la nécessité de réaffirmer la place de cet organe consultatif dans les institutions, face, tantôt à la défiance, tantôt à l’insuffisante connaissance dont elle peut faire l’objet aujourd’hui.

Je salue donc l’adoption par notre commission des lois, sur proposition de notre rapporteur, du présent texte de prorogation. Je veux également saluer la coordination à laquelle il a procédé, formelle certes, mais qui fait pleinement sens et ne pouvait pas ne pas être, notamment au regard du rôle récent de l’institution dans l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat. Il nous sera, enfin, présenté tout à l’heure une clarification rédactionnelle qui paraît bienvenue.

En conclusion, mes chers collègues, je n’allongerai pas plus mon intervention en m’attardant sur le contenu de la réforme, qui n’est pas l’objet de nos échanges du jour.

Les prochains mois nous permettront de débattre en profondeur, avec le sens et l’intelligence de la prudence qui caractérisent la Haute Assemblée, des interrogations qui parcourent nos travées sur plusieurs points.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera ce projet de loi organique de prorogation. Il ouvre la possibilité prochaine de « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui », pour reprendre la formule si juste de Montaigne, afin de trouver ensemble les modalités d’une juste conciliation entre les différentes expressions de la démocratie et de l’aspiration à la chose publique. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux, pour la seconde fois cette semaine, saluer la gratitude du Sénat, qui m’offre dix minutes de temps de parole, alors qu’une seule serait déjà de trop pour dire qu’il est inutile de répéter ce que tous les collègues ont excellemment exprimé, à savoir qu’il est judicieux de proroger d’un an le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental !

Je pourrais en rester là, mais ce serait tout de même désobligeant pour notre institution, qui a bien voulu me gratifier des neuf minutes qui restent. (Sourires.) Je vais donc les occuper, au moins en partie – je vous rassure, mes chers collègues ! – pour renforcer, si je le puis, les propos du président de la commission des lois, lequel a beaucoup insisté, comme d’autres orateurs, sur le fait que le vote d’aujourd’hui n’engageait aucun assentiment à l’égard du texte de fond que vous avez présenté devant le conseil des ministres, monsieur le garde des sceaux.

Permettez-moi de développer quelques arguments à l’appui de ce propos. Nous pourrons ainsi, durant la période moins chargée qui s’annonce, poursuivre la réflexion et être parfaitement au point à la rentrée.

Monsieur le ministre, vous avez dit qu’il s’agissait du premier texte que vous souteniez devant le conseil des ministres. Je ne sais pas si vous avez eu le temps de le lire…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je l’ai lu !

M. Jean-Pierre Sueur. Je vous en félicite !

Il est dit, dans l’exposé des motifs, que le Conseil ainsi rénové offrira, tant au Gouvernement qu’au Parlement, un regard tourné vers l’avenir…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il était temps !

M. Jean-Pierre Sueur. Je m’en réjouis, mais une telle rédaction semble présupposer que le regard du Gouvernement, mais aussi de l’Assemblée nationale et du Sénat, ne serait point tourné vers l’avenir…

Nous avons une délégation à la prospective, présidée par l’excellent Roger Karoutchi et, chaque fois que nous débattons d’une loi, nous essayons de penser à ses effets à court, moyen et long terme. Par conséquent, pour reprendre les termes que vous avez employés dans votre exposé des motifs, nous pensons aux « générations qui nous succéderont ».

Peut-être pourrions-nous convenir que le Sénat, l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental – et même le Gouvernement ! – songent à préparer l’avenir et celui des générations qui nous succéderont. C’est un peu une pétition de principe, j’en conviens, mais ce n’est que mon premier point… J’en viens au second ! (Sourires.)

Ainsi que Mme Éliane Assassi l’a excellemment souligné, l’article 6 est étrange. Lorsque le Gouvernement décidera de consulter le Conseil économique, social et environnemental sur un projet portant sur les questions économiques, sociales et environnementales, le Gouvernement ne procédera pas aux consultations prévues en application des dispositions législatives et réglementaires, sauf exception nommément indiquée, dispose-t-il en substance.

À la lecture de cet article, monsieur le ministre – je n’imagine pas que vous ayez pu rédiger l’intégralité du projet de loi en une nuit… –, vous n’avez sans doute pas manqué de penser qu’il demanderait vérification et discussion. Est-il vraiment sage de maintenir cet article 6 ? Nous avons, mes chers collègues, l’été pour y réfléchir…

Je voudrais ensuite évoquer la question du tirage au sort.

Il a déjà été fait référence à l’Antiquité, mais je dois dire que, pour ma part, je suis tout à fait hostile à l’idée du tirage au sort. La politique consiste à choisir des hommes et des femmes qui défendent des positions et s’engagent sur des programmes et des projets. Il est très différent d’utiliser une procédure aléatoire, qui correspond finalement à ce que font les sondages, comme notre rapporteur, Jean-Yves Leconte, que je salue, l’a parfaitement indiqué.

J’en profite pour vous dire, monsieur le garde des sceaux, que le Sénat a adopté une excellente proposition de loi sur les sondages, dont les dispositions ont finalement été insérées dans un texte relatif à l’élection présidentielle. Ces dispositions sont malheureusement détournées en ce qui concerne la publication d’informations sur la marge d’erreur. Or c’est évidemment un point extrêmement important : on ne peut pas interpréter un sondage si l’on ne considère pas la marge d’erreur ! Dire qu’un candidat obtiendrait 51 % et l’autre 49 % ne signifie rien, puisque la marge d’erreur est de 2 ou 3 points. Un tel sondage n’a aucune valeur prédictive, ni absolue ni relative.

C’est pour cette raison que le Parlement a décidé que la marge d’erreur serait indiquée lors de la première publication d’un sondage. Or, si les instituts de sondage respectent indiscutablement cette règle, il arrive régulièrement que la première publication soit en réalité diffusée sur un site internet que personne ne regarde. Par conséquent, la loi perd de son sens. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi visant à réformer la rédaction de cette disposition.

Pour revenir à notre débat, je vous ai dit que j’étais en désaccord avec la procédure du tirage au sort, mais j’appelle votre attention sur la rédaction de l’article 4 du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental que j’ai eu la curiosité de regarder. Je ne sais si vous avez présenté ce texte à votre corps défendant, mais je vous lis une phrase de cet article : « Les modalités du tirage au sort permettent d’assurer une représentation appropriée du public concerné. » Mes chers collègues, le Gouvernement va vous demander de vous prononcer sur cette phrase tout à fait remarquable. (Sourires.)

Tout d’abord, on ne sait pas quel est le public concerné. Ensuite, je ne vois pas comment un tirage au sort peut aboutir à une représentation « appropriée ». Je n’aurai que deux questions à ce stade : à quoi cette représentation est-elle appropriée ? Comment conjuguer l’aléatoire et une représentation dite appropriée ? Cette phrase est vraiment étrange !

Nous avons l’été pour méditer sur ces questions. Vous le ferez peut-être de votre côté, monsieur le garde des sceaux,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. … ce qui pourrait vous conduire à déposer un amendement de suppression de tout cela…

Je termine sur une note plus positive pour vous dire que je me réjouis que le projet de loi organique acte la disparition des personnalités dites qualifiées.

M. Jean-Pierre Sueur. Cette formulation avait quelque chose d’un peu étonnant : elle semblait présupposer que les autres personnalités ne fussent point qualifiées, ce qui est assez étrange… Il est vrai que, si quelqu’un avait un peu de temps pour réaliser un mémoire – je ne dirais pas une thèse – sur la sociologie des personnalités qualifiées désignées au fil du temps par les pouvoirs exécutifs de toutes tendances, on trouverait assurément matière à réflexion. Mais je n’en dirai pas plus… En tout cas, il est sage que le Conseil économique, social et environnemental soit constitué de représentants effectifs des différentes forces économiques, sociales et environnementales de notre pays.

Mes chers collègues, il me reste à vous dire que le groupe socialiste et républicain votera très volontiers ce texte et à vous remercier de votre bienveillante attention. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je voudrais répondre très brièvement à M. le rapporteur Leconte et à M. le sénateur Sueur.

M. Guillaume Chevrollier. Et pas aux autres ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les autres, je suis d’accord avec tout ce qu’ils ont dit. (Sourires.) Je n’entends pas abuser de mon temps de parole, qui est illimité, car les choses me paraissent à ce stade assez simples et la discussion de fond, vous le savez, aura lieu ultérieurement.

Monsieur le rapporteur, la question de la prolongation des activités des personnalités associées relève du champ réglementaire et pourra être réglée par décret simple.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. S’agissant du tirage au sort, il vous vient à l’esprit le sondage, il me vient à l’esprit la cour d’assises, qui n’est pas qu’aléas, même si cela l’est un peu, car c’est la part d’incertitude liée à tout tirage au sort.

J’entends votre avertissement, monsieur le sénateur Sueur. Un homme et un ministre avertis en valent deux !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous voyez, nous vous renforçons !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous me prévenez de la possible âpreté des débats à venir. Je vois que vous vous êtes emparé de ce texte, que je me suis contenté de lire et dont je ne suis pas, vous l’avez souligné avec beaucoup d’honnêteté, le rédacteur. J’ai entendu les leçons du sénateur et celles du professeur de linguistique que vous êtes et, même si la formule peut être déplaisante, j’essaierai – pour l’avenir – de les retenir. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes trop bon !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Merci, monsieur le sénateur !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je voudrais d’abord apporter mon témoignage en faveur du Conseil économique et social devenu Conseil économique, social et environnemental.

À la fois en tant que parlementaire et, dans une vie antérieure, au service de l’État, j’ai observé à de nombreuses reprises la qualité des rapports produits par le Conseil. J’attribue cette qualité au fait qu’il est une forge du dialogue social et que tous les arguments venant de l’ensemble des sphères économiques, sociales et associatives sont pris en compte. J’ai aussi pu observer à de nombreuses reprises qu’à l’abri des projecteurs les débats qui se déroulent au Conseil économique, social et environnemental, notamment ceux qui se déroulent en marge des séances ou au sein des commissions, permettent aux organisations syndicales et patronales et aux associations de rapprocher leurs points de vue, alors que, dans d’autres enceintes, ces organisations s’opposent.

C’est dire que je crois que le général de Gaulle, quand il a souhaité la création de cette institution, a bien fait de vouloir que, à côté du Parlement, qui seul représente la Nation dans sa diversité, il y ait non pas une chambre ou une assemblée, mais un conseil qui puisse être le réceptacle de l’expression de ce qu’on appelle dans notre pays les forces vives.

Pour autant, ce n’est pas parce que l’on est reconnaissant au Conseil économique, social et environnemental de son travail au service du pays que l’on doit se laisser entraîner vers des dérives qui seraient, je dois le dire, assez toxiques pour le respect des valeurs fondamentales de la démocratie.

Je souhaite tout d’abord dire que le Conseil économique, social et environnemental ne fait pas partie du Parlement. La Constitution mentionne des institutions, dont le statut est varié, et le Conseil économique, social et environnemental est une instance consultative qui permet de prendre en compte les points de vue divers de ceux qui représentent l’économie et la société. C’est un rôle important, mais le Conseil économique, social et environnemental doit rester à sa place s’il veut que sa légitimité soit pleinement assurée. Cette légitimité ne saurait être concurrente de celle de la représentation nationale, mais seulement complémentaire.

J’espère que, sur ce point, le Gouvernement et nous pourrons converger, car il me semble qu’il existe un risque de dévalorisation de nos institutions démocratiques lorsque l’on prétend qu’il y aurait dans notre pays trois assemblées représentatives, dont les présidents à égalité de dignité pourraient être une sorte de collectif et consultés à l’envi par le pouvoir exécutif. Cette confusion risque d’être assez toxique, je le redis, et je crois qu’il faut y mettre le holà.

Le point que je souhaite évoquer ensuite est plus important encore de mon point de vue : c’est la qualité démocratique que l’on prête à cet instrument curieux qu’est le tirage au sort.

En ce qui me concerne, je n’ai pas suffisamment d’imagination pour considérer que le tirage au sort aurait une quelconque supériorité par rapport à l’expression du suffrage universel. Si ce que je dis est le produit d’une idéologie conservatrice, voire réactionnaire, il faut m’en informer immédiatement !