Sommaire

Présidence de M. gérard larcher

Secrétaires :

Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul.

1. Procès-verbal

2. Hommage à un professeur assassiné

3. Rappel des règles sanitaires

4. Prééminence des lois de la république. – Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Éliane Assassi

Mme Nathalie Goulet

M. Patrick Kanner

M. Stéphane Ravier

M. Claude Malhuret

Mme Esther Benbassa

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Jean-Yves Roux

M. Bruno Retailleau

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur

Article 1er

M. Alain Marc

Mme Muriel Jourda

M. Jean-Yves Leconte

M. Philippe Bas

M. Alain Houpert

Adoption de l’article.

Article 2

M. Christophe-André Frassa, rapporteur

Amendements nos 2 et 3 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l’article 2

Amendement n° 6 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.

Amendement n° 8 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.

Intitulé de la proposition de loi constitutionnelle

Amendement n° 7 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

Mme Nathalie Delattre

M. Jean-Yves Leconte

Mme Nathalie Goulet

M. Bruno Retailleau

M. Olivier Cadic

M. Olivier Cadic

Adoption, par scrutin public n° 2, de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. gérard larcher

président

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 octobre 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Hommage à un professeur assassiné

M. le président. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, se lèvent.) Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la République a une nouvelle fois été attaquée, vendredi dernier, à Conflans-Sainte-Honorine. C’est à l’un de ses serviteurs que s’en est pris le terrorisme islamiste. Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, a été assassiné dans des conditions barbares pour avoir enseigné la liberté de pensée, la liberté d’écrire, la liberté de caricaturer, assassiné pour avoir enseigné que nous sommes une société de liberté qui refuse la haine. Samuel Paty a été pris pour cible, au fond, pour avoir porté les valeurs de la République.

Mercredi prochain, la Nation lui rendra hommage. Sans attendre, je tiens, au nom du Sénat, et comme des millions de Français, à exprimer notre compassion et notre soutien à la famille de Samuel Paty, à ses proches, ainsi qu’à ses collègues et aux élèves du collège du Bois d’Aulne, où il enseignait, comme aux habitants et aux élus de Conflans-Sainte-Honorine et d’Éragny. Je tiens également à assurer de notre solidarité et de notre soutien l’ensemble de la communauté enseignante de notre pays, profondément affectée.

La République est en danger comme elle l’a rarement été. Cet acte odieux vient après tant d’autres. Une fois encore, il nous faut rester unis et déterminés : déterminés à ne plus rien céder, jamais, nulle part. J’entends que nous sommes « à un tournant ». Quel est donc ce tournant ? Tuer des enfants à Toulouse, n’était-ce pas déjà un tournant ? Assassiner des journalistes, n’était-ce pas un tournant ? Et égorger un prêtre dans son église ? Tuer un policier et sa conjointe à leur domicile ? À chaque fois, c’était un tournant.

Ne tournons-nous pas sur nous-mêmes ? Nous avons « été Charlie » ; nous nous sommes rassemblés pour crier notre indignation ; nous avons clamé avec force les valeurs de la République ; nous avons fait la promesse que l’avenir ne ressemblerait plus au passé, que la République réagirait avec détermination.

Et pourtant, le présent ressemble au passé : là encore, déclarations, mobilisations, engagements… Nous, parlementaires, qui avons déjà produit de très nombreux rapports sur ce sujet, nous devons contribuer à une réponse ferme de la République, à la hauteur du danger. Nous le devons aussi à la mémoire de Samuel Paty. Nous ne devrons plus accepter d’accommodements : la laïcité pleine et entière, l’État de droit partout et pour tous.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous invite à observer un moment de recueillement en mémoire de Samuel Paty, mais aussi pour affirmer notre attachement, dans notre diversité, aux valeurs de la République. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, observent un moment de recueillement.)

3

Rappel des règles sanitaires

M. le président. Mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’hémicycle, y compris pour les orateurs. Il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés. Chacun veillera au respect des distances de sécurité.

Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des rapporteurs et des membres du Gouvernement, qui sortiront par le devant.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Discussion générale (suite)

Prééminence des lois de la République

Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 293 [2019-2020], texte de la commission n° 46, rapport n° 45).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Article 1er

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vient de le déclarer M. le président du Sénat, la République a été frappée à travers un homme, un professeur, Samuel Paty, qui avait voué sa vie d’enseignant à défendre les valeurs que nous avons en partage. Le deuil de sa famille, de ses proches, de ses collègues, des enfants et des parents de son collège est aussi notre deuil.

Ce crime barbare est une blessure pour chaque Français. Il laissera un traumatisme profond qui ne s’effacera pas avec le temps. À l’horreur qu’inspire cet accès de folie s’ajoutent la révolte et l’indignation devant un acte criminel visant directement notre idéal républicain. Car ce qui est attaqué à travers cette abomination, c’est l’esprit de liberté et de tolérance, c’est la volonté de faire grandir la compréhension de l’autre à travers la connaissance, c’est l’école de la République ouverte sur le monde, c’est la transmission des valeurs de la citoyenneté à chaque nouvelle génération de Français.

La plaie qui s’est ouverte ne se refermera pas sans une prise de conscience collective. Nous devons affirmer avec fermeté nos convictions, faire respecter nos principes, refuser de transiger sur l’essentiel.

Je n’imaginais pas devoir prendre la parole à cette tribune pour vous proposer cette révision constitutionnelle dans un contexte qui serait marqué par l’ignominie d’un crime de sang dramatiquement spectaculaire.

Et pourtant, ce qui s’est passé à Conflans-Sainte-Honorine n’était pas imprévisible, puisque la propagande djihadiste réclamait depuis longtemps un tel passage à l’acte contre des enseignants.

Voilà cinq ans déjà, nous délibérions ici même de la lutte contre le terrorisme ; je me souviens vous avoir lu un passage de la revue en ligne de l’État islamique, Dar al-Islam, qui, dans sa folie meurtrière, appelait à assassiner des professeurs et à livrer une guerre sans merci à la laïcité, en des termes fanatiques ne laissant place à aucune ambiguïté.

La République est minée par le poison toxique de l’islamisme radical, qui prétend faire prévaloir, à l’abri de la liberté religieuse, la loi du groupe sur celle de la Nation et dont l’objectif est de nature politique. Nous devons dénoncer l’imposture consistant à mettre cette démarche idéologique sur le compte des droits de la religion tout en déniant partout dans le monde la liberté religieuse à ceux qui ne partagent pas les croyances salafistes.

Comme l’a démontré Jacqueline Eustache-Brinio dans le rapport de notre commission d’enquête sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, le projet islamiste est un projet totalitaire. Il bafoue la liberté de conscience. Il porte atteinte à l’indivisibilité de la République et aux libertés. Il bat en brèche nos droits fondamentaux à travers l’asservissement de la femme. Et il comporte, dans sa forme extrême, une dimension terroriste tragiquement présente en ce jour.

La coexistence organisée des religions est une nécessité pour la paix internationale et pour la concorde civile. En France vivent paisiblement plusieurs millions de compatriotes musulmans. Ces Français, rien ne saurait les distinguer des autres citoyens au regard de la loi. Ils ne doivent ni se retrancher d’eux-mêmes de la communauté nationale ni en être retranchés par ceux qui amalgament religion musulmane et idéologie djihadiste.

La France dispose d’une méthode simple pour résoudre ce défi de cohésion nationale : la laïcité, inventée pour que les antagonismes religieux ou philosophiques qui opposent les hommes ne les empêchent pas de vivre ensemble. Nous devons agir pour que la fraternité humaine finisse par l’emporter sur la pulsion de mort de qui prétend éliminer la pensée de l’autre en éliminant la vie de l’autre. Notre force est dans nos valeurs, mais elle est aussi dans l’application rigoureuse de nos principes quand le vivre ensemble est menacé.

La liberté religieuse est garantie à tout citoyen par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… ». Au même article, il est précisé cependant : « … pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». À l’article VI, il est proclamé également que la loi « doit être la même pour tous ». Dans notre République, la liberté religieuse ne saurait donc être invoquée pour tenir la loi en échec.

Or c’est justement à ce principe de base que les islamistes s’en prennent dans les communes, les entreprises, les écoles, les hôpitaux, les transports, les centres sportifs, les commerces, en retournant de la manière la plus perverse l’exigence de tolérance religieuse contre les principes républicains. Trop de décideurs, publics et privés, s’y laissent prendre en acceptant des concessions qui sapent les fondements de notre pacte civil.

Il est temps de comprendre que, face aux salafistes, l’esprit de conciliation n’est pas seulement une faiblesse ; c’est une faute : une faute contre la liberté, contre la République, contre la Nation, et aussi contre notre sécurité.

Un coup d’arrêt doit être porté aux pratiques qui se sont répandues insidieusement dans tous les domaines de la vie sociale. Ces pratiques tendent, par petites touches, à donner droit de cité aux prescriptions de l’intégrisme religieux le plus borné, par une action méthodique de subversion des principes républicains. Il serait illusoire d’imaginer que la voie de la conciliation pourrait conduire à neutraliser ce projet. Respect pour les religions, oui ! Complaisance face à la radicalité politique, non !

Le Président de la République s’est exprimé. Il a présenté une analyse dont certains termes méritent d’être repris : « Le problème, c’est cette idéologie qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. » Je partage ce constat et je dis au Président de la République : « Puisque vous l’avez énoncé, allez jusqu’au bout, et acceptez d’inscrire le principe qui en découle dans notre loi fondamentale, pour que nul ne puisse désormais le contourner ! »

Un projet de loi est en préparation, qui comportera diverses mesures : formation des imams, contrôle des associations cultuelles, scolarisation des enfants… Le Parlement en débattra. Mais aucune de ces dispositions, qui traitent principalement de la religion, et non des règles de la vie en société, n’est véritablement à la hauteur de l’enjeu, celui d’une reformulation pour notre temps de principes qui sont au fondement de la République.

Nulle part n’est en effet énoncé dans la Constitution le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de ses origines ou de ses croyances pour s’exonérer du respect de la règle commune ». L’inscription de ce principe dans notre loi fondamentale est une nécessité politique, une mesure de sauvegarde. Il ne suffit pas que le Conseil constitutionnel applique déjà en partie cette règle non écrite. Elle est en effet constamment violée ou contournée ; il faut que cela cesse !

Osons donc nous inspirer du modèle de nos grands anciens de 1789, qui ont posé les fondements de la société moderne par la proclamation de droits qui sont maintenant au sommet de notre édifice constitutionnel. C’est par la force des idées qu’une société se transforme. Nommons les choses, proclamons-les, qu’aucun enfant de nos écoles ne puisse les ignorer, qu’aucun citoyen de France ne puisse les confondre !

Il faut que tout maire, tout proviseur, tout directeur d’hôpital, tout chef d’entreprise, tout responsable de club sportif, tout dirigeant associatif, tout organisateur de transports, tout Français, sache comment réagir dans toutes les circonstances de la vie sociale où les revendications islamistes s’expriment. Donnons-leur une référence claire sur laquelle s’appuyer ! C’est ainsi que nous imprimerons dans nos mœurs des pratiques dont nous n’aurions jamais dû nous écarter et qui garantiront la cohésion de la Nation.

En affichant les couleurs de la République, c’est la vie concrète, la vie quotidienne, que nous visons, à travers des milliers de décisions prises chaque jour en réponse aux revendications islamistes. Nous ne pouvons plus nous contenter d’une approche seulement juridique, impuissante à régir la réalité de la vie sociale. Nous avons besoin d’un acte politique souverain pour sceller l’accord des Français sur une vision commune de la République : un acte refondateur.

Voilà pourquoi Bruno Retailleau, Hervé Marseille, de nombreux collègues de la majorité sénatoriale et moi-même proposons d’inscrire dans la Constitution, au titre de la garantie des droits, ce principe fondamental qui veut qu’on ne puisse plus tirer prétexte de la liberté religieuse pour mettre en cause le respect de la règle commune.

Cette proposition de loi constitutionnelle a été discutée une première fois en commission des lois dès 2015, sans aboutir. Depuis, les esprits ont mûri, et le texte dont nous débattons aujourd’hui a été déposé en février dernier, puis inscrit en septembre à notre ordre du jour. Si l’Assemblée nationale n’y fait pas obstacle – car, en l’espèce, elle détient le pouvoir d’empêcher –, c’est le peuple français lui-même qui proclamera ce nouveau principe constitutionnel en se prononçant par référendum. Nos compatriotes décideront alors de la forme de société dans laquelle ils veulent vivre. Grâce au débat national qui précédera ce référendum, le principe sera désormais dans toutes les têtes.

Nous attendons du Président de la République, du Gouvernement et de l’Assemblée nationale qu’ils conduisent le processus commencé aujourd’hui jusqu’au référendum que nous appelons de nos vœux.

Le vote du Sénat aura ainsi ouvert la voie au nécessaire rassemblement de tous les républicains dans ce combat démocratique pour la liberté, qui est aussi un combat contre l’obscurantisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)

(M. Roger Karoutchi remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, estimés collègues, en tant que rapporteur de la commission des lois, je souhaite saluer la mémoire de Samuel Paty, hussard noir de la République, égorgé pour avoir enseigné la liberté d’expression dans une classe de quatrième. Cet assassinat nous oblige : il nous oblige à agir pour défendre la République face à ses ennemis, tout en assurant la dignité de notre débat.

Cette proposition de loi constitutionnelle est une réponse aux « coups de boutoir » du communautarisme, qui fragmentent notre société. Permettez-moi de reprendre le constat lucide de Robert Badinter : « Le communautarisme, c’est la mort de la République. Si nous devions avoir des communautés qui négocient leur adhésion ou leur participation, ce serait fini. Ce serait un autre type de République. »

Dans le même esprit, le politologue Jérôme Fourquet décrit la France comme un « archipel » d’îles s’ignorant entre elles.

Cette fragmentation remet en cause notre pacte social, fondé sur l’indivisibilité de la République, la souveraineté nationale et l’unité du peuple.

Sur le terrain, les comportements communautaristes se font de plus en plus pressants, comme l’a démontré notre commission d’enquête sur la radicalisation islamiste. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail fourni, sous la présidence de Nathalie Delattre, par son rapporteur, notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, dont chacun connaît l’engagement sur ce dossier.

Le communautarisme défie la République dans tous les secteurs de la vie quotidienne, en particulier dans les services publics, dans les entreprises et dans le monde sportif. Ce phénomène, longtemps nié par certains, est abondamment documenté.

Dans leur ouvrage InchAllah – Lislamisation à visage découvert, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme décrivent par exemple les refus de soins, le mari d’une patiente s’exclamant : « Ma femme peut crever, mais au moins je suis en paix avec Dieu. » D’autres patients refusent les transfusions sanguines, ce qui conduit à une impasse médicale et à des catastrophes sanitaires.

L’école est aujourd’hui prise pour cible, car elle constitue le premier rempart contre l’obscurantisme. Dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, un recteur admet « qu’il est difficile d’enseigner Voltaire dans certaines classes ». L’« absentéisme sélectif » est aussi une réalité, par exemple pour éviter les cours de natation ou de sciences de la vie et de la terre (SVT). Ces difficultés ne concernent pas uniquement le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine – chacun doit en avoir conscience.

Pour ce qui concerne les entreprises, 65 % des salariés observent des faits religieux sur leur lieu de travail et 55 % des managers déclarent ne pas disposer des ressources nécessaires pour gérer d’éventuelles situations conflictuelles.

La loi El Khomri du 8 août 2016 a constitué une première étape. Elle clarifie le fait que le règlement intérieur de l’entreprise peut contenir des dispositions restreignant la manifestation des convictions des salariés. Elle reste toutefois peu mise en œuvre : seulement 32 % des entreprises ont complété leur règlement en ce sens.

Dernier exemple : le monde du sport. Le sociologue Médéric Chapitaux mentionne plusieurs situations concrètes : un club de football portant le nom de « Maccabi » et refusant de jouer le vendredi et le samedi ; des professeurs de clubs de boxe refusant la participation de boxeuses au motif qu’elles ne seraient pas suffisamment habillées.

Ces ruptures du pacte républicain ne sont pas acceptables. Elles peuvent d’ailleurs concerner l’ensemble des croyances, et pas uniquement une religion donnée – il faut être extrêmement clair sur ce point.

Le communautarisme dépasse la problématique de la laïcité : la question n’est plus d’organiser les relations entre les Églises et l’État, mais, plus largement, de préserver l’unité nationale dans une société laïque.

Les croyants en sont les premières victimes. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio l’a rappelé dans son rapport : « La majorité des musulmans est […] attachée au modèle républicain. Aspirant à l’anonymat, elle est aujourd’hui prisonnière d’une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible. » Lors de son audition, le Grand rabbin de France m’a d’ailleurs rappelé cet adage du Talmud, sur lequel nous avons échangé en commission avec ma collègue Esther Benbassa : « La loi de l’État a force de loi. »

Les femmes paient un lourd tribut au communautarisme. Nadia Remadna, présidente de la brigade des mères, a par exemple avoué qu’elle n’aurait jamais pensé « devoir se battre ici, dans ce pays, pour boire de l’alcool ou fumer une cigarette ». Dans les familles, des enfants se trouvent embrigadés par des règles communautaires, bien loin de la République émancipatrice que nous appelons de nos vœux.

Face à ces difficultés, le Président de la République enchaîne les discours : discours aux Bernardins, à Mulhouse, au Panthéon, aux Mureaux. Les actes tardent toutefois à venir, malgré l’annonce d’un projet de loi pour la fin de l’année. L’action des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire mériterait également d’être évaluée plus en profondeur.

Nous pourrons débattre de la notion de « séparatisme », qui peut paraître trop étroite pour rendre compte de la réalité du communautarisme. Sur le terrain, des groupes comme les Frères musulmans cherchent non pas à vivre en marge de la société, mais, au contraire, à y répandre leur mode de vie, dans une logique qui relève de l’entrisme.

Le texte que nous examinons fixe un objectif très clair : réaffirmer la prééminence des lois de la République.

Il vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».

Il s’agit – disons les choses – d’un acte politique, dont l’objectif est de donner un coup d’arrêt au communautarisme – j’observe d’ailleurs que cet objectif semble faire consensus.

Dans son discours prononcé à Mulhouse le 18 février dernier, le Président de la République a affirmé qu’« on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République ». Le recteur de la Grande mosquée de Paris a également déclaré que « la loi de ce pays doit être nécessairement le cadre commun ».

Juridiquement, cette proposition de loi constitutionnelle conforte des garanties qui relèvent aujourd’hui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et notamment de ses décisions de 1999 et de 2004. Il s’agit de « graver dans le marbre » cette jurisprudence, mais également de l’étendre.

Le texte couvre les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, ce qui correspond à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais également les interactions collectives dans le secteur privé. La notion de « règle commune » intègre, en effet, les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.

Le texte rappelle ainsi que la liberté de conscience, que nous devons à tout prix sauvegarder, n’autorise personne à exiger un traitement à part, que ce soit à l’école, dans les hôpitaux, dans les transports publics, au bureau, dans les centres sportifs, etc. Il s’adresse aux acteurs de terrain comme les maires, les enseignants ou les médecins, leur donnant les moyens de réagir face aux revendications communautaires.

Pour le professeur Dominique Chagnollaud, le texte comporte « une règle de conciliation constitutionnelle », permettant de répondre aux coups de boutoir du communautarisme par des règles claires. Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, partage cette analyse. Il affirme que « la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter ». Il poursuit : « Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits. »

L’affaire de la crèche associative Baby Loup illustre ces difficultés : il a fallu plus de cinq ans pour déterminer le droit applicable, la crèche ayant dû, dans l’intervalle, suspendre ses activités, puis déménager dans une commune voisine. Il en va de même pour les procédures de licenciement engagées pour prosélytisme religieux, qui sont très difficiles à mener.

La présente proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause la conception française de la laïcité. Au contraire, elle la réaffirme.

Elle n’affecte pas la possibilité pour les collectivités publiques de financer la rénovation de lieux de culte dans une logique patrimoniale. Quant aux régimes de l’Alsace-Moselle et de la Guyane, ils ne sont pas remis en cause – je tiens à rassurer nos collègues issus de ces territoires.

Je rappelle enfin que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) accepte des limitations à la liberté religieuse dès lors qu’elles respectent trois critères cumulatifs : être prévues par la loi, rechercher un but légitime et être proportionnées au but recherché. Dans une jurisprudence de 2017, la CEDH précise par exemple que les croyances religieuses ne justifient pas que des écolières soient exemptées de cours de natation.

J’en viens maintenant au second article de cette proposition de loi constitutionnelle, qui impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité.

Il apporte une nuance à l’article 4 de la Constitution, qui dispose que les partis « se forment et exercent leur activité librement ». Mais ce n’est qu’un ajout, les partis devant déjà respecter les principes de souveraineté nationale et de démocratie.

L’objectif est ainsi de lutter contre l’émergence des partis communautaristes, dont l’adhésion des membres est souvent conditionnée à l’appartenance à une communauté.

En revanche, cette disposition ne concerne pas les partis issus d’une tradition religieuse, mais respectant l’unité du peuple français, comme l’ont été le Mouvement républicain populaire, le MRP, ou l’Union pour la démocratie française, l’UDF. La raison en est simple : ces partis ne prônent pas la supériorité des préceptes religieux sur les règles communes, pas plus qu’ils ne remettent en cause la souveraineté nationale ou la démocratie.

Sur le plan opérationnel, le texte donnerait une base constitutionnelle pour interdire le financement des partis communautaristes. L’argent public ne doit pas servir à financer, directement ou indirectement, ce type de partis ou d’associations.

Nous aurons aussi ce débat lors de l’examen du projet de loi du Gouvernement, dont le nouvel intitulé m’interroge : il vise à « renforcer la laïcité », comme si cette dernière était à terre.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La laïcité constitue, au contraire, le ciment de notre pacte social, hier comme aujourd’hui.

Le problème est non la loi du 9 décembre 1905, mais les moyens mis en œuvre pour garantir toute son application, rien que son application.

En conclusion, la commission vous propose d’adopter la proposition de loi constitutionnelle de MM. Bas, Retailleau et Marseille. Ce texte permet de réaffirmer la prééminence des lois de la République dans un contexte où les « coups de boutoir » du communautarisme remettent en cause notre vivre ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est des moments dans l’histoire d’un pays où, face à la barbarie, les voix se lèvent, les consciences se réveillent et le peuple se rassemble.

C’est un de ces moments que nous vivons aujourd’hui après l’effroyable assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège de la République. Samuel Paty est mort pour avoir exercé sa mission de professeur. Il est mort d’avoir expliqué dans le cadre de l’enseignement moral et civique des classes de quatrième que la liberté d’expression ne va pas sans la liberté de déplaire et parfois de choquer. Il est mort d’avoir rappelé que, dans la France laïque, le respect des personnes n’exclut pas la critique des idées et des religions. Il est mort, héritier de Voltaire et des suppliciés défendus par cette grande figure des Lumières, d’avoir enseigné que, dans notre pays, la loi de la République prime la diversité des appartenances et prévaut sur tous les dogmes.

Nous lui avons rendu hommage avec émotion. Mais le plus bel hommage que nous pourrons lui rendre, une fois passé le temps de l’émotion et des larmes, sera d’être fidèle à ce que fut sa vocation et à ce qui doit être notre combat. Car, ne nous y trompons pas, M. Paty n’est pas mort par hasard : il a été ciblé avec soin comme figure de l’enseignement républicain que les islamistes, ces adversaires résolus de la démocratie, s’emploient depuis de très nombreuses années à affaiblir, à avilir et, aujourd’hui, à martyriser.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc dans un contexte particulier de très vive émotion que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République.

La prééminence des lois de la République, mais qui peut être contre ? Cette finalité a, pour tous les républicains, la clarté de l’évidence. Néanmoins, cette évidence, on le sait, ne touchera jamais les forces haineuses de l’obscurantisme et la forme moderne qu’il prend aujourd’hui avec le visage de l’islamisme.

Je dis bien l’islamisme, mesdames, messieurs les sénateurs, car il faut nommer clairement les choses, ainsi que s’y est employé le Président de la République lors de son discours sur le séparatisme. J’aurais apprécié, pour ma part, que la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre examen soit plus claire sur ce point, car l’on sait d’où vient le mal et où il plonge ses racines.

Le projet islamiste entremêlant le religieux et le politique est connu. C’est celui de l’instauration dans notre pays d’une contre-société où les valeurs de la République, l’esprit des Lumières, l’héritage de la Révolution française, en un mot le droit, la culture et l’esprit français devraient céder la place au fanatisme religieux, à l’inégalité des êtres et à l’oppression des individus. Ce projet islamiste est celui que, de toutes mes forces, avec vous, avec le Président de la République, avec le Gouvernement, je veux combattre au nom des convictions qui ont guidé toute ma vie.

La franchise que je vous dois et la responsabilité qui est la mienne aujourd’hui en qualité de garde des sceaux et du droit, ministre de la justice et des libertés, me conduisent cependant à vous dire que, si je partage la nécessité et l’urgence du combat à mener pour assurer la prééminence des lois de la République, je ne suis pas convaincu par la justesse, la rigueur juridique et l’utilité de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je crois, pour y travailler en ce moment avec le ministre de l’intérieur, que le futur projet de loi de défense de la République contre le séparatisme et l’islamisme radical apportera une réponse plus appropriée, plus concrète et plus efficace au mal qui ronge notre société depuis de trop nombreuses années. (M. Philippe Bas le conteste.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La révision de la Constitution est un exercice délicat et j’aurais souhaité des fondements plus assurés aux modifications que cette proposition de loi vise à introduire dans notre texte fondamental. J’entrevois aussi les difficultés, les ambiguïtés, les polémiques et les inquiétudes que ne manqueront pas de susciter certaines des dispositions proposées.

Le premier article de la proposition de loi tend à modifier l’article 1er de la Constitution pour interdire à toute personne de s’exonérer de la règle commune au nom de son origine ou de sa religion.

Le second article vise à modifier l’article 4 de la Constitution pour imposer aux partis politiques de respecter le principe de la laïcité.

Regardons, si vous le voulez bien, précisément, concrètement, la portée des modifications proposées. Il est prévu d’interdire à toute personne de s’exonérer au nom de sa religion ou de son origine du respect de « la règle commune ». Or qu’est-ce que la règle commune ? S’agit-il de la règle de droit ? S’agit-il des différents niveaux de normes ? S’agit-il de ce qu’il est convenu d’appeler le « droit souple », qui régit de plus en plus aujourd’hui le fonctionnement des organisations ?

Le Conseil constitutionnel a certes déjà utilisé cette expression dans sa décision du 19 novembre 2004 concernant le traité établissant une Constitution pour l’Europe, mais il faisait référence de manière très particulière aux seules règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. Étaient alors visées les règles de police administrative, notamment la police des cultes. Les auteurs de la proposition de loi prennent donc le risque de transformer un terme ayant une signification précise dans la décision de 2004 en une notion des plus vagues.

Il me semble que, depuis deux cent trente et un ans notre droit est clair et suffisant en vertu de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce, comme vous l’avez rappelé monsieur le questeur Philippe Bas, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Ce juste équilibre, c’est au quotidien ce qu’il nous appartient de le faire vivre, en particulier en assurant de la manière la plus vigoureuse la protection de l’ordre public.

Trop imprécise dans ses termes, la proposition de loi me paraît également beaucoup trop approximative dans ses objectifs, au risque de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience ou de remettre en cause, en courant le danger de les rendre inconstitutionnelles, des législations bien établies.

Voulez-vous en particulier, en interdisant toute exonération des règles communes, mettre fin au régime concordataire d’Alsace-Moselle ? (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Voulez-vous mettre fin aux règles particulières existant outre-mer dans le domaine des cultes ? Voulez-vous prohiber les dérogations alimentaires aujourd’hui permises par notre droit au bénéfice des personnes de confession juive ou musulmane ? Voulez-vous supprimer les clauses de conscience des médecins, souvent inspirées par leurs convictions religieuses, notamment en matière d’avortement ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. C’est lamentable !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne suis pas sûr que l’on ait bien mesuré les incidences que le texte proposé au vote de votre assemblée est susceptible de provoquer…

Vous voulez également imposer aux partis politiques de respecter la laïcité. Aujourd’hui, l’article 4 de la Constitution impose aux partis politiques de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Pour autant, cela n’a jamais servi à interdire les partis monarchistes. (Rires sur les travées du groupe CRCE.) Vous voulez que les partis respectent la laïcité. Quid du parti des démocrates chrétiens, qui ont tant apporté à la République ?

M. Bruno Retailleau. Ce n’est vraiment pas le sujet !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si votre objectif est le renforcement de la laïcité et de la lutte contre les dérives séparatistes, ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, ne le permettra pas, et c’est bien là que le bât blesse !

En effet, renforcer la laïcité et lutter contre le séparatisme islamiste passe d’abord par le respect intraitable de nos principes républicains, ainsi que l’a rappelé le Président de la République aux Mureaux le 2 octobre dernier. La laïcité n’est pas le problème, c’est en réalité la solution pour ne pas dire la seule solution !

Nos principes constitutionnels sont clairs. Nos principes constitutionnels sont fermes. Ils permettent d’assurer la conciliation entre, d’une part, la liberté de culte et, d’autre part, l’autorité de l’État.

M. Philippe Pemezec. Tout va bien alors, la vie est belle !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce dont notre pays a besoin pour atteindre l’objectif que nous recherchons en commun, c’est la mise en œuvre résolue du principe de laïcité rappelé avec force par l’article 1er de notre Constitution.

Comme l’a souligné le chef de l’État, notre République est à la fois un ordre et une promesse. Aujourd’hui, pour en tenir la promesse, il nous faut garantir l’ordre. Vous l’aurez compris, ce n’est pas à mon sens ce que permettra cette proposition de loi. Mais le moment nous oblige, mesdames, messieurs les sénateurs, à travailler ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Esther Benbassa et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi constitutionnelle prend une dimension particulièrement dramatique, à la suite du crime horrible dont a été victime Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie.

Nous nous inclinons devant sa mémoire et nous assurons à sa famille et à ses proches, à ses collègues de l’établissement où il enseignait et plus largement à l’ensemble du monde éducatif, notre solidarité. Nous leur disons simplement que nous partageons leur émotion, leur tristesse.

Hier, j’étais présente au rassemblement parisien, place de la République. Je regrette à cet égard que certains aient brillé par leur absence. Des milliers de personnes se sont unies dans la plus grande dignité pour exprimer leur solidarité, pour dire leur attachement aux valeurs de la République et à la laïcité, et pour souligner aussi que cet effroyable crime ne pouvait pas faire l’objet de récupérations, d’où qu’elles viennent.

Nous devons toutes et tous ici être à la hauteur de ce qui s’est exprimé hier à Paris, comme ailleurs dans notre pays.

Mercredi soir, à la Sorbonne, nous rendrons un hommage national à Samuel Paty. C’est un hommage bien légitime, car il enseignait la liberté de penser pour que ses élèves puissent vivre en femmes et en hommes libres, capables de penser et non pas seulement de croire.

L’obscurantisme n’a pas sa place dans notre République parce qu’il est contraire à la liberté. Or, aujourd’hui, la liberté est fragile, nous devons toutes et tous la protéger.

L’islam radical, car il faut effectivement savoir nommer les choses, doit être combattu pour ce qu’il est, en évitant les amalgames racistes et antimusulmans que certains se plaisent à distiller. La mouvance islamo-radicale est une plaie pour la liberté, pour la démocratie, pour la laïcité, pour la République. C’est une idéologie fascisante.

Comme je l’ai demandé aujourd’hui à M. le président du Sénat, nous aurions souhaité que ce débat législatif soit reporté au regard de l’actualité dramatique qui touche notre pays. Chacun sait qu’il n’est jamais bon de légiférer dans l’émotion, d’autant que le sujet est bien trop important pour ne lui accorder qu’un si bref débat, par le biais d’un tel texte.

Il s’agira, dans les semaines et les mois à venir, face à des dérives avérées, de trouver des réponses. Je le redis : aucun extrémisme religieux n’a droit de cité dans notre pays, mais la question ne peut être traitée à coup de décisions à l’emporte-pièce. Il s’agira de s’attaquer aux racines du mal qui s’exprime aujourd’hui : ce terreau évoqué de toute part sans jamais bien en comprendre les tenants et les aboutissants.

Les territoires abandonnés de notre République doivent en effet être reconquis, non par un État autoritaire, mais plutôt par un État fort de ses services publics, au chevet de ses professeurs si malmenés, qui ne le sont cependant pas moins que le personnel hospitalier ou les policiers…

Il semble urgent de prendre conscience de l’ampleur de la tâche qui nous incombe envers le corps enseignant. L’école est un pilier fort de notre République et de la laïcité, il s’agit d’accompagner effectivement les enseignants dans leur travail d’affirmation des valeurs de notre République et de ses principes fondamentaux.

D’un point de vue plus global, il faudra s’interroger sur l’ordre international établi pour abandonner toute complaisance avec certains pays et cesser trop souvent de semer la guerre pour récolter le chaos et le terrorisme.

Je le répète, nous souhaitons aborder tous ces sujets dans la sérénité d’un débat hors de toute émotion.

Aussi, alors que nous suivrons la discussion générale, nous ne prendrons pas part au débat ni au vote sur cette proposition de loi qui nous semble aujourd’hui inappropriée et dont l’examen aurait dû être reporté. Nous serons aussi au rendez-vous pour débattre dans les semaines à venir du projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains, pour traiter les problématiques qui sont posées aujourd’hui. Celles-ci sont plurielles, complexes et bien souvent, finalement, à la marge du concept même de « laïcité », qui pour nous dispose déjà d’une base constitutionnelle solide et indiscutable.

Pour conclure, permettez-moi d’emprunter cette citation à Louis Aragon : « Certains jours, j’ai rêvé d’une gomme à effacer l’immondice humaine. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français se sont réveillés samedi matin avec la gueule de bois. Nous ne nous sommes pas encore remis de ce qui s’est passé. Vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, l’émotion est forte. Ce débat était prévu de longue date, le Sénat ne peut donc être accusé d’opportunisme aujourd’hui.

Je travaille depuis longtemps sur les questions de lutte contre le terrorisme, puisque j’ai dirigé à partir de 2014, avec mes collègues André Reichardt et Jean-Pierre Sueur, les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

Finalement, nous nous retrouvons, monsieur le ministre, dans cette situation malheureusement trop souvent répétée que l’on connaît si bien : nous sommes dans l’ex post et non dans l’ex ante. Nul besoin d’une autre commission d’enquête. Il ressort d’un simple décompte que j’ai réalisé que douze commissions d’enquête ou missions d’information se sont tenues sur le sujet : avril 2014, juin 2015, juillet 2016, juillet 2018, juin 2020, juillet 2020, sans parler des multiples commissions d’enquête sur le financement du terrorisme. Je tiens à votre disposition quarante pages de préconisations établies par les uns et les autres ici, le dernier rapport en date étant celui de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio : le constat est donc fait.

Comment expliquer aux Français et à leurs représentants qu’il faille attendre qu’un enseignant soit décapité pour expulser 231 personnes déjà en situation d’expulsion ? Comment expliquer l’incapacité de nos services, peut-être contraints par des conventions internationales, à expulser des indésirables, délinquants ou fauteurs de trouble ? Faut-il plus de moyens ? Si tel est le cas, le projet de loi de finances arrive, avec l’argent magique du plan de relance : cela pourrait nous aider, monsieur le ministre !

Comment laisser des prêcheurs étrangers venir chaque année renforcer sur le territoire national le nombre d’imams et de psalmodieurs pendant le ramadan ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’en suis pas responsable !

Mme Nathalie Goulet. Certes, mais j’expose la situation ! Plusieurs questions d’actualité ont été posées sur le sujet. Ces arrivées sur notre territoire ne dépendent pas de la justice, mais cela finit par concerner votre administration, monsieur le ministre !

Le texte que nous examinons aujourd’hui aborde ce problème : nous avons accepté sur notre territoire des collecteurs de fonds pour des écoles coraniques en Mauritanie. Comment se fait-il que, de la main droite, nous envoyions nos soldats protéger l’Afrique de l’Ouest des terroristes alors que, de la main gauche, nous acceptons sur notre territoire un certain nombre de prêcheurs de haine ?

Comment tolérer également que des représentants des Frères musulmans se réunissent dans des mairies, sans que les maires ni les préfets en soient informés ? Nous le voyons, il y a bien des problèmes à régler !

J’en terminerai par l’interdiction des Frères musulmans, sujet qu’il faudra aussi traiter. On ne pourra parler du texte d’aujourd’hui et de celui qui est annoncé sans mettre en ordre ce qui doit être fait, à savoir appliquer la loi de la République. Le texte examiné aujourd’hui vise à renforcer le principe de laïcité dans la Constitution : il est extrêmement important d’appliquer d’ores et déjà les textes qui existent.

Par ailleurs, monsieur le ministre, en ce qui concerne le droit des associations, nous devons faire face à une hypocrisie. Le statut des associations en lien direct ou indirect avec un lieu de culte est un problème extrêmement important. J’ai entendu qu’il existait un projet de réforme consistant à imposer le statut de la loi 1905. Ce changement de statut, monsieur le ministre, nous l’avons voté quatre fois au Sénat ! Nous l’avons voté également une fois à l’Assemblée nationale et au Sénat : le texte a été censuré par le Conseil constitutionnel dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté au motif qu’il s’agissait d’un cavalier !

Le Sénat s’est préoccupé de l’ensemble de ces questions depuis des années. Il est donc absolument essentiel que nous puissions finir par prendre des décisions, mais ces décisions sont à présent entre les mains du Gouvernement ! Le Sénat a fait son travail, le Sénat a assumé un certain nombre de positions qui n’étaient pas faciles auprès des collectivités territoriales, avec Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales. Nous avons aussi multiplié les actions avec la commission des lois et la commission des finances.

Nous demandons, monsieur le ministre, l’égalité ! Le président Gérard Larcher nous explique dans un rapport qu’il faut effectivement aligner les statuts de 1901 et de 1905, mais il précise : « On peut […] mettre en place autoritairement [ce changement de statut], ou pousser les associations gérant un lieu de culte vers le statut de 1905 – c’est bien ce que l’on va faire – […], mais cela peut poser problème vis-à-vis des cultes installés. »

Monsieur le ministre, si l’on vote des dispositifs, ils doivent s’appliquer à tout le monde : c’est le corollaire indispensable de l’égalité de tous devant la loi !

Lorsqu’il a été question cette semaine de faire signer des attestations de laïcité à un certain nombre d’associations qui doivent toucher des subventions, Mgr Xavier Malle s’est empressé d’indiquer : « Je lis également que toute association sollicitant une subvention publique devra signer une charte de la laïcité ! Ainsi par exemple la conférence Saint-Vincent-de-Paul, le Secours catholique […]. On ne peut pas être d’accord. »

Je rappelle que le Sénat a essayé plusieurs fois de faire voter de tels dispositifs, mais que nous n’y sommes jamais parvenus !

Monsieur le ministre, les Français sont bouleversés, mais ils sont surtout très en colère. Outre les discours et les promesses, il importe que des dispositions fortes et comprises par nos concitoyens soient adoptées dans les prochaines semaines. Ce qui est arrivé il y a quelques jours est un drame absolu pour chacun des Français, mais c’est aussi un incident qui peut mettre la France au bord de la guerre civile.

Il faut absolument que nous puissions arriver à appliquer les préconisations d’ores et déjà formulées par le Sénat, à savoir mettre en œuvre les lois qui existent. Sur ce point, vous pourrez compter sur le groupe de l’Union Centriste. Le Sénat a toujours répondu présent, gauche et droite réunies, quand la République l’appelait, qu’il s’agisse des gouvernements qui se sont succédé depuis Charlie, voire bien avant. Notre assemblé a toujours su montrer son sens des responsabilités. Cette fois-ci l’heure est vraiment grave et nous n’accepterons plus aucun délai pour l’application des lois de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Pierre Sueur, Philippe Bas et Bruno Retailleau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment se montrer digne de l’inexprimable sentiment de colère, d’affliction, de dégoût, partagé par la famille, les proches, les collègues et les élèves de M. Samuel Paty, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine ?

Je rends d’abord hommage aux enseignants, ces « hussards noirs de la République qui portent l’arme de la connaissance dans la plaie de l’obscurantisme », selon Julien Lecuyer, éditorialiste de La Voix du Nord.

L’école fait l’objet de délibérations perpétuelles. Elle est scrutée, inspectée, sondée, parfois critiquée. Elle est toujours dans l’attente, pour ne pas dire la crainte, d’une nouvelle réforme. Et pourtant, les Françaises et les Français lui sont intimement attachés.

Si les attentes de nos concitoyens sont fortes à son égard, c’est parce que l’école incarne le savoir et la connaissance, parce qu’elle est source d’émancipation, parce qu’elle est une promesse d’égalité, parce qu’elle éveille les aptitudes et échauffe les vocations. Vantons notre instruction gratuite et obligatoire !

Samuel Paty voulait former des esprits libres. Il est mort, décapité par un fanatique de 18 ans. Il portait le savoir, cette lumière qu’ils ne pourront pas éteindre.

En tant qu’ancien ministre de la ville, je sais que les revendications communautaires sont une réalité, mais je ne partage pas l’idée selon laquelle nous ne serions pas armés pour y faire face.

Nos règles sont là, et sont sans ambiguïtés sur ces sujets. L’article 1er de la Constitution garantit l’égalité de tous devant la loi et interdit tout traitement différencié en fonction de l’origine et de la religion. Le même article 1er affirme que la République française est laïque.

L’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fixe le but de toute association politique, principe conforté par l’article 4 de notre Constitution.

Mes chers collègues, ce qui manque, ce ne sont pas de nouvelles règles ; elles existent déjà. C’est parfois le courage politique de les faire appliquer.

La loi ne peut s’appliquer que si elle est claire et compréhensible par tous. Elle ne supporte pas les effets de manche, elle ne sert plus si elle est superfétatoire.

Ainsi, le but affiché par cette proposition de loi constitutionnelle est non pas l’efficacité, mais l’affichage.

L’efficacité ne serait pas passée par une telle démarche. Cette proposition de loi aurait nécessité d’établir un diagnostic des textes en vigueur et de déterminer les moyens d’agir afin de préparer, le cas échéant, l’adoption de dispositions suffisamment précises et de formules non équivoques.

Aujourd’hui, la majorité sénatoriale devrait être animée par la préoccupation de rédiger un texte normatif, clair dans ses principes et juridiquement solide, pour le juge qui devra l’interpréter et l’appliquer à chaque cas d’espèce. Tel n’est pas le cas, vous le reconnaîtrez.

Certes, votre démarche résonne particulièrement dans le contexte actuel. Ainsi, elle aboutit sur un point : elle soumet la question de la prééminence de la République sur tout autre groupe ou groupement au débat de notre assemblée. C’était important, cela devient nécessaire. Il faut se saisir de ce débat.

La lutte contre le communautarisme n’est pas la propriété d’une famille politique plus que d’une autre, tout comme le manque de courage politique, d’ailleurs : ces phénomènes transcendent les clivages.

Nous sommes disposés à apporter notre concours, à la fois pour renforcer les moyens de lutter contre les messagers de la haine et pour réduire le terreau social fertile qui les fait prospérer, en remettant la promesse républicaine et les services publics au cœur des politiques publiques dans les territoires abandonnés. Pour ces combats, vous nous trouverez toujours à vos côtés.

Car ce combat contre l’obscurantisme et pour la République est long. Il a commencé il y a plusieurs siècles et ne s’arrêtera pas. Il faut continuer à le mener, inlassablement, avec résolution.

Il ne peut y avoir aucune complaisance à l’égard de ceux qui se construisent contre la République. Pour autant, il ne peut plus y avoir un discours sur les ghettos sans consacrer les moyens nécessaires à la mixité et à la lutte contre les discriminations territoriales, sociales, d’origine. Tous les séparatismes doivent être combattus.

Quand une discussion touche à un sujet aussi grave pour la destinée du pays, il faut aller sans hésiter au fond de la question.

Que chacun balaie devant sa porte. La tolérance ne doit pas conduire à la mansuétude. La fermeté ne doit pas conduire à l’ostracisme. Ni angélisme ni amalgame !

Il n’y a pas de fondamentalisme à jamais paisible ; il n’y a pas de salafisme à jamais inoffensif ; il n’y a pas d’intégrisme à jamais pondéré. Quand on professe le rejet de la République, on prépare les esprits à l’apologie de la violence et la haine.

Il n’y a aucune complaisance à avoir à l’égard de ceux qui s’érigent contre la République. On ne laisse pas impunément prospérer les radicalités dans les zones d’ombre de la République.

J’étais le premier, en tant que ministre de la ville, à dire, en mars 2016, qu’il y avait dans notre pays des quartiers qui présentaient des similitudes potentielles avec Molenbeek. Que n’ai-je entendu dans mon propre camp à l’époque !

Ne nous le cachons pas, Molenbeek, c’est quoi ? C’est une forte concentration de pauvreté et de chômage, un système ultracommunautariste – n’ayons pas peur des mots ! –, un système mafieux avec une économie souterraine.

Mais pourquoi ? Parce que ce sont aussi des lieux où les services publics ont disparu, ou les élus ont parfois baissé les bras, ou les politiques de la ville se sont amenuisées quand elles n’ont pas totalement disparu. C’est alors que prospèrent les prédateurs, car les proies potentielles sont nombreuses.

Il peut y avoir un terrorisme low cost, mais il n’y a pas de loup solitaire. Même ceux qui s’autoradicalisent dans leur chambre sont en contact avec des vidéos, des sites, des blogs de groupes terroristes qui provoquent et appellent au terrorisme. La diffusion d’une propagande extrêmement sophistiquée sur internet, les liens numériques entretenus entre des individus et les groupes terroristes les conduisent à passer à l’acte. Là se pose un autre problème, auquel il faut s’atteler : la régulation des réseaux sociaux et la fermeture de sites de désinformation.

J’aimerais vous entendre, monsieur le ministre, sur le bilan gouvernemental depuis 2017, pour faire face à ce défi lancé à notre République.

Depuis plus d’un siècle, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État protège les libertés les plus fondamentales : croire, penser, critiquer, caricaturer, blasphémer.

Notre société est sécularisée. Elle est passée de l’hétéronomie – « la loi vient d’en haut » – au régime de l’autonomie – « la loi est produite par les hommes ». C’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi, aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi.

J’aurai une pensée ici pour nos millions de compatriotes qui pratiquent leur religion dans le respect du principe de laïcité. Ils ne méritent pas d’être salis par les entrepreneurs de haine qui attaquent notre République. Je vous invite à relire, mes chers collègues, cette magnifique tribune, parue à l’occasion du discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, du recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui mérite à la fois notre attention et notre respect.

Contrairement aux fantasmes trop souvent véhiculés, aucune Église ne détient plus aujourd’hui en France le monopole de la vérité religieuse. Aucun culte ne doit exercer une influence directement politique, allant au-delà de son autorité spirituelle et morale.

En conclusion, rappelons les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Aucune règle n’est supérieure à la loi, qui « est l’expression de la volonté générale » ; « nul ne doit être inquiété pour ses opinions […] » ; « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme […]. »

Puisque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et les lois existent, il n’est pas nécessaire de rendre ces dernières bavardes. Notre seul impératif est de les appliquer. Ces textes sont la force de notre démocratie et de l’État de droit, et ils constituent l’antidote aux totalitarismes les plus divers.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre proposition de loi constitutionnelle, ne vous en déplaise, correspondait à votre agenda, dans un temps donné. Mais le temps a changé. Nous vous laissons à votre chemin déclamatoire. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne participera pas au vote de ce soir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le hasard du calendrier législatif aura voulu que nous débattions aujourd’hui de « la prééminence des lois de la République » trois jours seulement après l’abomination de Conflans-Sainte-Honorine.

Rendons hommage, à l’entame de cette discussion, à la 267e victime de l’islamisme depuis 2012 dans notre pays, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie décapité par un islamiste tchétchène.

« Ils ne passeront pas ! » : voilà la seule réponse de l’exécutif dans ces circonstances de guerre. Quelle pitoyable farce, car ils sont déjà là !

Ils sont déjà là, monsieur le ministre, dans les écoles, les hôpitaux, les associations sportives, culturelles et cultuelles, les entreprises, les services publics et, bien sûr, les partis politiques… Plus aucun pan de notre société n’est préservé du fléau de la division communautaire et du cancer islamiste.

Le communautarisme est la lèpre de notre pays. Il divise, il sépare, il se moque de la loi, il la combat.

De ce communautarisme est née en France une cinquième colonne islamiste hostile à ce que nous sommes et déterminée à nous abattre. Elle se compose de la réunion du séparatisme d’en haut, celui des élites individualistes, des élus islamo-clientélistes et indigénistes, et d’un séparatisme d’en bas, celui des trafiquants, des crapules et des religieux extrémistes. On est loin, très loin, de la prééminence des lois de la République.

Tabou parmi les tabous, vous refusez toujours de remettre en question la politique d’immigration massive, alors que c’est au « grand remplacement » que nous devons la « grande fracture communautaire ». Dans ces conditions, l’islamisme a encore de beaux jours devant lui.

Par le caractère massif de l’immigration, nombreux sont les individus qui ont rejeté notre modèle français et ont préféré conserver leurs mœurs, leurs coutumes, leurs traditions. Aujourd’hui, les plus fanatiques d’entre eux, devant nos renoncements, veulent nous imposer d’autres lois, celles de la charia.

Vos bougies, vos drapeaux en berne, vos tweets ne suffisent plus à faire oublier que si nous en sommes là, c’est à vous que nous le devons. Vos rassemblements place de la République ressemblent davantage au bal des hypocrites. Au lieu de manifester, vous devriez vous terrer de honte ! Car si les barbus sont coupables, les élus, eux, sont responsables.

Nos lois, bien qu’écrites, et qui ne demandent qu’à être appliquées pour abattre le monstre islamiste, ne le sont toujours pas, en raison soit de votre capitulation, soit de votre collaboration !

Pendant ce temps, l’islamiste Farid Ikken a déclaré à l’issue de son procès, mercredi dernier : « Sachez, chiens de Français, que nous sommes chez vous pour vous égorger. »

Quarante ans plus tard, monsieur le ministre de la justice, la peine de mort par décapitation est rétablie sur notre sol, mais seulement pour les innocents.

Mes chers collègues, n’entendez-vous toujours pas dans nos villes et dans nos campagnes agir ces féroces soldats islamistes, qui viennent jusque dans nos bras, égorger et décapiter nos fils et nos compagnes ? Aux armes, sénateurs, aux armes, monsieur le ministre Dupond-Moretti, aux armes de la loi, rien que la loi, mais toute la loi !

Je vous l’annonce, mes chers collègues, si demain les lois de la République n’étaient toujours pas prééminentes dans les faits, et après que les islamistes ont attaqué tant de symboles de la République, leur prochaine cible pourrait très bien être assise parmi nous, au sein de cet hémicycle.

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce qui est en question ce soir, c’est l’unité de la République. C’est elle qui a été piétinée vendredi à Conflans, comme elle l’a été à Charlie Hebdo et au Bataclan en 2015, comme elle l’est chaque jour par ceux qui obligent Sonia Mabrouk, Mila, Zineb El Rhazoui, Salman Rushdie et tant d’autres à vivre sous protection policière. Comme elle est piétinée par ceux qui empêchent au quotidien des milliers de filles et de femmes musulmanes de se vêtir comme elles veulent, d’étudier à l’école publique et parfois tout simplement de sortir de chez elles.

Cet assaut, l’islamisme le mène dans le monde entier, contre les musulmans qui n’appliquent pas la charia, contre les chrétiens, les juifs, les athées. Mais en Europe, c’est la France qui est la première visée en raison, notamment, d’un des piliers de notre République que les fondamentalistes haïssent : la laïcité.

Puisque l’islamisme nous déclare la guerre, il faut d’abord parler de nos succès.

Le califat d’où partaient chaque jour des terroristes à destination de l’Europe pour y commettre des attentats majeurs a disparu, grâce à une coalition où la France a joué un rôle essentiel. Grâce à cela, les attentats d’aujourd’hui, aussi horribles soient-ils, sont commis par des loups solitaires, demi- fous livrés à eux-mêmes, à l’arme blanche, et non au fusil d’assaut en bande organisée.

La France est aussi au Sahel, quasi seule hélas, pour empêcher les djihadistes d’établir de nouvelles bases arrière pour d’autres attentats de masse. Mais, paradoxalement, cette bataille contre l’islamisme, c’est chez nous que nous risquons de la perdre. Les derniers chiffres font froid dans le dos : 74 % des musulmans de moins de 25 ans pensent que leurs convictions religieuses passent avant les lois de la République, contre 25 % des plus de 35 ans.

Ce constat effarant n’est pas le résultat de la seule propagande salafiste, il est aussi le résultat de nos propres lâchetés, qui ne datent pas d’aujourd’hui.

Le rapport Obin de 2004, soigneusement mis sous le tapis, les accommodements de tant de chefs de service avec les atteintes à la laïcité afin d’éviter les ennuis, notre incapacité à maîtriser les flux migratoires et les filières mafieuses de détournement des procédures d’asile, l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures d’expulsion pour 85 % des personnes concernées, les 4 000 étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) encore présents sur le territoire, et les ratés de la chaîne « police-justice », dont le maillon judiciaire est aujourd’hui le plus faible, miné par le manque de moyens et par l’ultragauche judiciaire en déni de réalité.

Il ne manquait plus que l’idée, abandonnée in extremis, de faire s’agenouiller des policiers place Beauvau pour se prosterner devant les indigénistes et les décoloniaux…

Ces lâchetés, il est d’autant plus difficile de s’y opposer qu’elles sont puissamment aidées par le chœur des pleureuses du camp du bien, des victimocrates et des indignés professionnels, prêts à bondir sur toute mesure de fermeté en criant à la discrimination et à la stigmatisation.

Il est difficile aussi de s’opposer à ce qui est en train de devenir le cancer de nos sociétés démocratiques. Ce n’est plus seulement dans les mosquées salafistes ou dans les prisons que se recrutent les djihadistes, c’est sur le web, devenu l’écosystème des fake news, du complotisme, de la haine et, désormais, des influenceurs islamistes.

L’assassinat de Samuel Paty a été préparé, et peut-être programmé, par une salve d’appels aux meurtres sur les pages salafistes. La mise au pas des réseaux « antisociaux » est une urgence, et il ne faut pas compter sur les milliardaires opérateurs de ces plateformes pour le faire spontanément, eux qui voudraient nous faire croire, parce que ça fait plus de clics, donc plus de fric, que les délits que sont les appels à la haine, à la colère, au meurtre et à tout ce qui peut gangrener nos sociétés démocratiques, font partie de la liberté d’expression.

Il fut un temps où la France se posait moins de questions. Elle accompagnait, elle accueillait des vagues de migrants et elle les assimilait. C’était le mot que l’on employait à l’époque et il ne choquait personne, ni les Français ni les immigrés. Notre pays était alors sûr de son modèle républicain, de sa conception de la laïcité, de sa façon de vivre ensemble et de sa place dans le monde.

Le plus grand défi aujourd’hui n’est-il pas de réussir l’intégration dans un pays qui voit ses valeurs s’estomper, comme s’efface peu à peu « à la limite de la mer un visage de sable » ?

Le plus grand défi n’est-il pas de convaincre que ces valeurs sont non pas seulement celles du passé, mais aussi celles de l’avenir ? C’est ce à quoi nous appellent les auteurs de cette proposition de loi.

Bien sûr, cet exercice a ses limites parce que cette proposition de loi, si elle est adoptée un jour, le sera au terme forcément lointain d’une révision constitutionnelle, alors que depuis vendredi les Français attendent des actes plus que des lois. Mais le but de ses auteurs n’est sans doute pas seulement là. Il est de nous proposer un sursaut, de réveiller face au danger un pays qui s’assoupit, dans ce domaine comme dans d’autres.

Il est de rappeler, comme le faisait Samuel Paty à ses élèves, avec beaucoup de courage et de lucidité, que si nous devions abandonner les valeurs qui ont fondé notre République, la France ne mériterait plus de s’appeler la France.

C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ces jours de deuil national, le groupe CRCE et moi-même ne pouvons qu’appeler à plus de cohésion. Soyons unis, au moins en ce moment, au-delà de ce qui parfois nous divise : sensibilités politiques, origines ou croyances.

La décapitation de Samuel Paty a bouleversé en moi le professeur que j’ai été autant que la sénatrice que je suis. Deux ans après mon arrivée en France, j’ai passé les concours nationaux de l’enseignement. J’ai enseigné quinze ans en collège et lycée. J’ai essayé, moi aussi, partout où j’ai exercé, d’initier mes élèves de toutes origines à l’esprit critique, au débat, au respect de nos valeurs.

La tragédie de Conflans-Sainte-Honorine n’a pas seulement coûté la vie à un enseignant de la manière la plus barbare. Elle touche notre bien le plus précieux, la liberté d’expression.

Les hussards de la République sont toujours à leur poste. Nous leur devons l’hommage qui leur est rendu aujourd’hui, eux que, trop souvent, on critique. La République leur doit soutien, protection et respect. Les a-t-elle assez écoutés ? A-t-elle pris la mesure de la difficulté de leur tâche dans des contextes nouveaux ?

Oui, la République doit se défendre contre les fanatiques. Mais elle doit aussi distinguer ceux-ci de l’écrasante majorité des musulmans de ce pays, aspirant à pratiquer leur religion dans le respect de la neutralité de l’espace public et des lois qui nous unissent au-delà de nos différences. Le fanatisme ne prospère-t-il pas sur le terreau de l’abandon, là où l’État a abdiqué, là où les services publics et la police de proximité ont disparu ?

La radicalisation de l’islam est un mal dépassant nos frontières. On n’y portera pas remède par des mesures sans ambition. Ce qu’il nous faut, ce sont des moyens pour le renseignement, des hommes et des femmes sur le terrain et, au-delà des discours, un investissement concret de l’État de droit.

Rassemblons-nous, repensons ce fléau, et pas dans le court terme électoral. Les chantiers à ouvrir sont immenses, et nous ne les mènerons à bien qu’avec le concours des musulmans eux-mêmes. Vous conviendrez que ce n’est pas la proposition de loi dont nous débattons qui stoppera la diffusion de l’islam radical.

L’article 1er de notre Constitution est clair : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Ce texte fondateur, qui ne parle que d’une loi, celle de la République, embrasse la diversité de la France, de ses populations et de ses territoires. L’article 1er de la proposition de loi n’y ajoute rien.

Par l’article 2 de cette proposition de loi, vous souhaitez, dites-vous, prévenir toute immixtion des religions dans la sphère politique. Notre droit n’est-il pas assez armé ? La loi de 1905 ne suffit-elle donc pas ?

Mme Esther Benbassa. L’impact électoral des partis dits « communautaires » est en outre anecdotique.

M. Philippe Bas. Pour le moment…

Mme Esther Benbassa. Lors du scrutin législatif de 2017, les partis musulmans ont recueilli moins de 10 000 voix sur tout le territoire.

M. Stéphane Ravier. C’est beaucoup trop !

Mme Esther Benbassa. Œuvrons pour une République inclusive, qui respecte ses professeurs, ses soignants, les rémunère dignement et les encourage dans leur mission !

Notre nation vit déjà dans l’anxiété de la pandémie. Elle doit surmonter le traumatisme de la mort horrible de Samuel Paty. En cette période de deuil national, le plus sage aurait été de retirer ce texte qui n’apportera aucune avancée et risque d’aggraver les crispations.

Nous ne refusons pourtant pas le débat, et nous le mènerons lors de l’examen d’une loi plus ambitieuse.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous débattons de la prééminence des lois de la République, nous sommes tous hantés par le crime, d’une violence inouïe, qui a pris pour cible Samuel Paty, professeur de l’école de la République. Nous nous inclinons devant sa mémoire et manifestons notre solidarité à sa famille et à la communauté éducative.

Quand le terrorisme s’attaque à l’école républicaine, à la liberté et à l’esprit des Lumières qui la fondent, à la possibilité pour tous les enfants de devenir des citoyens libres, la sidération première laisse la voie à la nécessité de l’action, pour que cela ne soit plus. Nous nous accorderons tous sur ces travées pour affirmer l’impérieuse nécessité de rappeler sans cesse le réveil républicain face aux obscurantismes. Mais ce constat, partagé avec une profonde gravité, n’est pas tout. Il ne constitue pas une fin en lui-même.

Tout l’enjeu pour nous, législateurs, est de savoir comment animer effectivement ce réveil républicain. Par quels moyens ? À quel niveau d’intervention ?

Le texte que nous examinons matérialise cette problématique non pas seulement de la réponse proposée, mais bien de la solution apportée. À ce titre, il nous apparaît qu’il appelle des réserves importantes.

À commencer par son intitulé. La présente proposition de loi constitutionnelle viendrait « garantir la prééminence des lois de la République ». Cette formulation est étonnante puisque, dans notre État de droit fondé sur la hiérarchie des normes, les lois de la République sont, au sens institutionnel, prééminentes. Elles s’imposent aux textes de rang inférieur et fondent le contrôle de légalité. Cette assertion tautologique interroge donc, et je parlerai plutôt dans la suite de mon propos de « respect des lois de la République », qui constitue en réalité le cœur du défi qui se pose à nous.

Dans le prolongement de son intitulé, l’article 1er de la proposition de loi vient insérer une nouvelle phrase dans l’article 1er de la Constitution : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais cette phrase nous renvoie inévitablement à ce que prévoient explicitement l’article 1er de la Constitution de 1958 et l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui posent les principes d’unicité et d’égalité, et dans lesquels le Conseil constitutionnel puise les fondements de la jurisprudence à laquelle les auteurs de la proposition de loi se réfèrent.

Je me limiterai à citer l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est assez explicite : « [La loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » L’article 1er du présent texte semble donc déclaratoire et satisfait par le droit constitutionnel en vigueur.

Enfin, l’article 2, en disposant que les partis et groupements politiques sont également soumis au principe de la laïcité, ne semble pas non plus de nature à réaliser l’objet qu’il vise.

Outre l’enjeu de dénaturation du principe de laïcité tel qu’il est compris dans notre Constitution, les débats en commission ont montré la difficile appréciation du champ d’application de l’article.

Il s’agirait, selon les auteurs de la proposition de loi, de lutter contre les partis et groupements communautaristes, sans toutefois fragiliser les partis « issus d’une tradition religieuse, mais respectant l’unicité du peuple français, comme les partis issus de la démocratie chrétienne ». Ce champ ne correspond pas à la lettre de l’article 2, et les effets de bord, par rapport aux objectifs initiaux, sont évidents.

En tout état de cause, il faut bien rappeler que les groupements politiques sont soumis au respect de la loi et agissent dans la limite de la sauvegarde de l’ordre public.

Finalement, comme en témoignent la stratégie de lutte contre le séparatisme précisée par le Président de la République au début de ce mois, ainsi que les débats en commission sur la dissolution des associations et les différents domaines visés par l’exposé des motifs, l’axe pertinent pour garantir effectivement le respect, par tous, des principes et des lois de notre République apparaît relever du niveau de la loi.

Ainsi, afin de « renforcer la laïcité et consolider les principes républicains », il pourrait être possible, à droit constitutionnel constant, de suspendre des actes municipaux relatifs à la régulation de l’accès des hommes aux piscines à certains horaires, d’étendre des obligations de neutralité aux entreprises délégataires du service public, d’étendre les motifs de dissolution des associations aux atteintes à la dignité de la personne, ou encore de mieux encadrer le financement public des associations.

En somme, mes chers collègues, ne dressons pas de vaines et fausses oppositions entre ceux qui, d’un côté, soutenant la présente proposition de loi, seraient pour le réveil républicain face aux comportements séparatistes se logeant jusque dans les interstices du quotidien et ceux qui, de l’autre côté, exprimant de sérieuses réserves sur la pertinence de son contenu, seraient des partisans de l’inaction, de la fébrilité ou de l’abandon sur le terrain des idées.

Car l’enjeu des lois réside dans leur contenu normatif, pas dans l’intention performative. Dire qu’une proposition de loi « garantit la prééminence des lois de la République » ne revient pas à assurer effectivement le respect par chacun des principes de la République. De même, ne pas voter un texte ne revient pas toujours à s’opposer à son objet.

L’enjeu, je veux ici le redire, est l’angle d’attaque, la méthode de fond que nous choisissons pour assurer le plein respect des principes et des lois de notre République. En tant que législateurs, nous devons être à la hauteur de la gravité du réel, qui appelle plus qu’une réponse symbolique et déclaratoire au sein de notre Constitution.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne pourra pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vendredi 16 octobre, un hussard de la République, Samuel Paty, a été décapité. La semaine d’avant, des prêcheurs de mort, des militants de l’islam politique, des lâches cachés derrière des réseaux sociaux, ont désigné comme cible à abattre un professeur d’histoire-géographie – vous savez, mes chers collègues, l’un de ceux pour qui, comme le rappelait Victor Hugo, « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne ». Laissez-moi dire à sa famille et ses amis toutes nos pensées et toute notre reconnaissance pour son travail si utile.

Chaque républicain se sent meurtri. Chaque femme, chaque homme, formé à l’école de la République se sent personnellement attaqué dans ses valeurs. La République, qui a tant donné pour l’émancipation et la liberté de chacun, vaut bien que nous nous engagions encore et encore pour la défendre. Aucune désertion n’est possible.

Je salue, depuis nos débats sur la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard de février 2016, qui visait à constitutionnaliser la laïcité, l’évolution des esprits, y compris au sein de la majorité sénatoriale. Nous en avons ici une traduction.

L’article 1er de la proposition de loi peut paraître redondant avec notre bloc de constitutionnalité, mais aussi avec d’autres textes bien présents dans notre société, mais nous le voterons. Je rappellerai, mes chers collègues, que le point 13 de la charte de la laïcité à l’école, présente dans tous les carnets de correspondance des collégiens, prévoit bien une disposition similaire à celle de l’article 1er de la proposition de loi : « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République. »

Cette charte, signée par l’ensemble des parents et des élèves, est remise à tous en début d’année scolaire. Je n’en retirerais pas une ligne, car ses principes sont justes. Sans nul doute faudra-t-il encore l’expliquer, l’illustrer, mais elle est nécessaire.

L’article 2 de la proposition de loi tend, quant à lui, à interdire des partis dits « communautaires » : il vise en particulier ceux qui sont gangrenés par l’islam politique. Là aussi, mes chers collègues, l’intention est louable, mais nous sommes plus réservés sur la mise en œuvre : le terme « communautaire » est sujet à de vastes interprétations et donne lieu à des recours judiciaires coûteux et longs. D’autant qu’une communauté est le plus souvent revendiquée comme telle par des militants pour parler au nom de personnes qui n’ont rien demandé, et qui se retrouvent assignées à leur origine ou à leur religion supposée.

Par ailleurs, tous les partis dits « communautaires » auront vite fait de « se draper » de propositions généralistes pour échapper au radar.

Les islamistes politiques pourront continuer à être présents sur d’autres listes républicaines, voire négocier de petits arrangements avec nos règles communes.

Le groupe du RDSE proposera, pour sa part, dans un autre texte d’interdire, sur le modèle de l’article 141-5 du code de l’éducation, des signes distinctifs manifestement religieux dans la propagande électorale.

Aujourd’hui, mes chers collègues, nous devons trouver des véhicules législatifs plus appropriés pour être plus efficaces. Partout où la République est attaquée, nous devons faire front sans trembler, sans « oui, mais… ».

Chaque fois que l’égalité hommes-femmes, la liberté de conscience et la dignité des personnes seront attaquées, nous devrons faire front. Contre l’antisémitisme, nous ne devons pas trembler. Contre les déferlantes de haine sur les réseaux sociaux, nous devons agir ensemble. Partout où les enfants de la République subiront ces violences, l’État devra agir, en mobilisant également des moyens judiciaires et policiers.

Nous devrons sans doute prendre des mesures draconiennes pour mettre l’islam politique hors la loi. Car c’est la seule voie de paix possible, y compris pour nos concitoyens musulmans, pratiquants ou non. Plus que jamais, la République se nourrira de nos actes. Or, au Sénat, des actes, nous en avons posé !

En juillet dernier, nos collègues Nathalie Delattre et Jacqueline Eustache-Brinio ont expliqué, dans un rapport remarquable de lucidité, comment faire face et lutter ensemble contre la radicalisation islamique. Ce rapport montre que nos valeurs républicaines sont sapées dans tous les aspects de notre vie quotidienne.

Comme le rappelait très justement Jean-Claude Requier, le président de notre groupe, cet attentat démontre aussi qu’il est du devoir de l’État de soutenir sans faillir tous ceux qui combattent au quotidien pour faire vivre la laïcité. C’est ce que nous devons à tous les Samuel Paty qui vont, dès le 2 novembre prochain, dire à nos enfants qu’il est de la responsabilité de l’école d’expliquer les valeurs de notre République et que la Nation, élus en tête, est tout entière aux côtés des enseignants. Le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président – je salue votre première présence au fauteuil de la présidence de séance –, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi, aujourd’hui, en France, on peut mourir décapité pour avoir fait un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression. Cette décapitation, ce meurtre horrible de Samuel Paty vient « percuter » notre agenda législatif et, par là même, le justifie. Car nous avons bien fait, cher Philippe Bas, d’inscrire en priorité ce combat pour la loi républicaine, contre le totalitarisme islamiste.

Au-delà des larmes, sans doute légitimes, des rassemblements et des marches, les discours…

M. Philippe Pemezec. Ras-le-bol des discours !

M. Bruno Retailleau. … ne parviennent plus à masquer la réalité. La réalité est crue et difficile, mais il faut la regarder en face : nous sommes en train de perdre la guerre contre l’islamisme radical.

M. Bruno Retailleau. Il faut réagir, et c’est ce à quoi nous vous invitons aujourd’hui, mes chers collègues.

Nous avons de quoi être préoccupés quand nous voyons le chef de l’État attendre la quatrième année de sa présidence pour inscrire à l’ordre du jour un texte contre le séparatisme islamiste. Il faut entendre les préoccupations évoquées il y a quelques minutes par le garde des sceaux, que la règle commune semble gêner…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pas du tout !

M. Bruno Retailleau. … et qui rappelle les exceptions pour ne pas avoir à renforcer cette règle commune, laquelle est pourtant explicitée dans l’exposé des motifs du texte.

Le Sénat, ce n’est pas le café du commerce ! Le droit nécessite des précisions : qui peut croire ici que les Ultramarins et les Alsaciens pourraient constituer une menace ? Ce ne sont que des arguties juridiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Marc et Arnaud de Belenet applaudissent également.)

M. Bruno Retailleau. Après vous avoir écouté, monsieur le garde des sceaux, j’attends de pied ferme votre texte.

Cet acte odieux doit être pris pour ce qu’il est : c’est non seulement un acte barbare, mais aussi l’application de la charia en France. Dans les collèges de certaines zones territoriales, quels professeurs oseront désormais montrer des caricatures ? Une jeune fille qui se promenait dans une rue de Strasbourg le 18 septembre dernier a été agressée parce qu’elle était en jupe.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On n’en sait rien !

M. Bruno Retailleau. N’est-ce pas là aussi un indice profondément inquiétant ? Nous sommes en train de perdre, mes chers collègues, cette bataille, parce que nous ne croyons pas suffisamment en nos valeurs, en ce que nous sommes.

Alors, certes, nous avons, cher Claude Malhuret, depuis trop longtemps, accumulé trop de lâchetés. Mais c’est parce que nous refusons de livrer une guerre qui doit être un combat global contre le djihadisme violent ! Il faut s’occuper non pas des revenants, monsieur le garde des sceaux, mais des sortants. Que fait-on de la prison qui est devenue, selon Hugo Micheron, un chercheur remarquable, « l’ENA du djihadisme » ? Un autre front est ouvert, celui des enclaves territoriales. Sur ce point aussi, j’espère que le texte qui nous est promis par le Président de la République sera à la hauteur.

Et puis il y a l’espace symbolique des esprits, sans tomber dans le piège ni de l’islamophobie ni de la guerre mémorielle, qui conduit à la « disqualification radicale de la France », pour reprendre l’expression de Pierre Nora, et qui alimente tous ceux qui ont pour la France une haine inextinguible.

Si nous voulons reprendre la main sur la situation, il faudra contrôler l’immigration massive. Le tueur de Villeurbanne était afghan ; l’homme au hachoir devant les anciens locaux de Charlie Hebdo était un faux mineur pakistanais ; celui qui a décapité Samuel Paty était un réfugié tchétchène. Le lien est désormais établi entre l’immigration massive, la difficulté d’assimiler nos valeurs républicaines et la montée des communautarismes, qui est le véritable terreau de l’islamisme.

Notre texte tombe – je le crois – à point. Je voudrais simplement dire, avec toute la sincérité dont nous sommes capables dans cet hémicycle, que ce combat n’est pas partisan. Je me sens plus proche de Jean-Pierre Chevènement, de Manuel Valls et de bien d’autres représentants de la gauche républicaine que de certains membres de ma famille politique.

Que prévoit le texte ? Son article 1er précise ce que doit être la laïcité dans une période de confusion, de brouillage des repères et de revendications identitaires et islamistes. Il explicite la définition de la laïcité, non pas celle que l’on connaît avec la loi de 1905, dirigée vers l’État, mais celle qui s’adresse à chaque citoyen, qui ne peut évoquer ni son origine ni sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune.

Voilà quelle est la règle ! Elle vaut d’être rappelée au sommet de la hiérarchie de nos normes non seulement pour adresser un signal clair aux magistrats, mais également pour donner, comme le disait Philippe Bas, aux principaux de collèges, aux proviseurs, aux chefs d’entreprise, aux dirigeants d’associations, une boussole indispensable à leur vie quotidienne.

L’article 4 de la Constitution est relatif aux partis politiques, lesquels doivent respecter la démocratie et la souveraineté : le texte y ajoute la laïcité. C’est une évidence ! La voie de l’article 89 de la Constitution permettra que se tienne automatiquement un référendum : le moment est venu de consulter le peuple français. C’est tout l’avantage de la proposition de loi constitutionnelle qu’Hervé Marseille, Philippe Bas et moi-même avons cosignée.

Cette clarification est bienvenue, car – on le voit bien – la loi de 1905 ne peut pas tout. Si tel était le cas, monsieur le garde des sceaux, il n’y aurait pas eu la loi de 2004 contre les signes ostentatoires, et une autre loi spécifique n’aurait pas non plus été nécessaire en 2010.

Cette clarification est également utile au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2004. Vous l’avez vous-même souligné, il s’agissait à l’époque de régir les relations entre collectivités publiques, alors qu’avec notre texte nous visons les règlements intérieurs des entreprises, des associations et des clubs sportifs qui peuvent être le foyer d’une radicalisation lorsque les islamistes mettent la main sur ces structures.

Graver une jurisprudence dans le marbre constitutionnel, vous pouvez me croire, c’est important. Car ce que peut faire un juge un jour, un autre juge peut le défaire le lendemain.

Mes chers collègues, la France vient de nouveau de vivre un épisode tragique, extrêmement douloureux. Entre l’école, la République et la France, il y a une identification. Le pacte républicain, le pacte national, c’est le pacte scolaire. Si la IIIe République a appelé les professeurs des « instituteurs », c’est parce qu’il fallait « instituer » un nouveau régime : la République.

On dit parfois qu’il faut toucher à la loi fondamentale d’une main prudente. Je pense qu’il y a de fausses prudences, mes chers collègues, qui sont de vraies lâchetés : le moment est venu non seulement d’affirmer ce que nous sommes, quelles sont nos valeurs, mais aussi d’éradiquer l’islamisme sans aucune concession, en rappelant que la loi de la République est plus forte que la loi religieuse.

Nous pouvons le faire ensemble, monsieur le garde des sceaux. J’ai entendu les appels à l’unité nationale : ici, au Sénat, nous y avons toujours répondu, dans toutes les crises. Mais vous refusez aujourd’hui la main que l’on vous tend. Pour vous, l’unité nationale, c’est dans un seul sens.

Mes chers amis, que vive la République et que vive la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une République laïque, la loi passe devant la foi. Cette phrase prend tout son sens après la terreur et l’horreur que nous avons vécues à Éragny, dans le Val-d’Oise, vendredi dernier. Vous me permettrez d’avoir une pensée pour Samuel Paty, sa famille, ses collègues, ses élèves, le maire de cette ville, Thibault Humbert, et ses habitants qui ont vécu ce qu’aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer.

Depuis l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, tous les citoyens français sont également placés sous l’égide de la loi, seule norme dont ils puissent se prévaloir dans leurs rapports avec l’État. En 1905, en proclamant la République française laïque, le Parlement a affirmé le principe central de notre système républicain selon lequel l’État n’est pas fondé à intervenir dans le domaine de la foi, mais doit se borner à garantir les droits et libertés de chacun, quelles que soient nos croyances.

Cette révolution fut douloureuse à admettre pour l’Église catholique, dont l’implication dans l’exercice du pouvoir politique en France remontait à la nuit des temps. Mais la loi ne lui a pas laissé le choix : l’Église s’est donc soumise à l’autorité de la République. Le rêve de Victor Hugo – l’État chez lui et l’Église chez elle – devenait une réalité.

Depuis quelques années, la République doit faire face à la menace inédite du séparatisme islamiste, qui remet en cause un à un ses principes fondateurs et tend à éloigner certains de nos concitoyens de nos valeurs communes. En voulant fragmenter notre unité, l’islam politique constitue un danger pour l’égalité de tous les Français – hommes, femmes, croyants et non-croyants – et utilise toutes les forces et faiblesses de la philosophie des droits de l’homme.

L’émergence sur notre sol de cet islam radical déstabilise les pouvoirs publics et a trop souvent conduit à de nombreux renoncements. Qu’il s’agisse du fonctionnement des services publics, des hôpitaux, des établissements scolaires, des clubs sportifs et des entreprises, des revendications politico-religieuses tendent inéluctablement à remettre en cause les valeurs de notre République et le principe de laïcité.

En parallèle, des militants de cet islam radical investissent la vie politique locale et nationale, le plus souvent pour un projet qui n’est pas commun, s’adressant à tous leurs concitoyens, mais qui vise uniquement les membres de leur communauté religieuse.

Je tiens donc à saluer très chaleureusement la courageuse initiative prise par Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille qui ont soumis à notre assemblée cette proposition de loi constitutionnelle. Oui, il est de notre responsabilité de garantir la prééminence des lois de la République sans laquelle les Français ne pourraient pas vivre ensemble. Toute faiblesse dans l’accomplissement de notre devoir serait historiquement coupable. Il est donc grand temps d’inscrire sans ambiguïté dans la Constitution du 4 octobre 1958 le principe selon lequel nul groupe, nul individu, ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune.

En affirmant et en réaffirmant le principe de laïcité qui nous guide chaque jour, ce texte imprime une volonté politique que beaucoup de nos concitoyens attendent. La laïcité protège, elle ne s’adjective pas ; elle a donné beaucoup d’espoirs à de nombreux citoyens d’origine étrangère qui sont venus vivre en France pour la laïcité, pour la liberté de conscience, pour la liberté d’expression qui les faisaient rêver.

Ce texte permet de lutter contre la remise en cause permanente du droit au blasphème dont l’affaire de la jeune Mila est l’illustration la plus dramatique. Comme le dit souvent la courageuse républicaine Zineb El Rhazoui, la laïcité est la bête noire des salafistes et des Frères musulmans. Quand Zineb El Rhazoui s’exprime haut et fort, chacun d’entre nous sait combien elle est menacée et combien elle doit être protégée.

Il est grand temps également de réarmer la République contre la remise en cause de la liberté d’expression et de sanctuariser l’espace le plus formateur de l’émancipation qu’est l’école. Car, en effet, dans cette école de la République, nul n’est fondé à se revendiquer de ses croyances pour s’émanciper de l’enseignement de la laïcité et de l’exercice de la liberté de conscience.

En votant cette proposition de loi, nous lutterons contre tous ceux qui tentent d’imposer une tutelle religieuse à la liberté de conscience, pour laquelle des générations d’immigrés ont choisi de devenir Français. Nous permettrons la dissolution de formations politiques remettant en cause le principe de séparation de l’Église et de l’État. Nous mettrons un terme au financement public des partis communautaristes et de leurs candidats. Nous donnerons, entre autres, aux pouvoirs publics et aux chefs d’entreprise, confrontés à une situation de revendication religieuse, une base solide et indiscutable pour faire appliquer la loi de la même façon pour tous et partout.

Ainsi, aucun citoyen ne pourra, au motif que sa foi l’y oblige, se soustraire à la règle commune ou déroger à tout règlement. La République française ne saurait se résumer à la transmission non héréditaire du pouvoir politique. Elle est, en effet, ce grand acte de confiance dont parlait Jaurès, l’instrument de l’émancipation individuelle et collective de millions d’hommes et de femmes par lequel la communauté nationale concilie elle-même la liberté et la loi.

Cet héritage que nous avons reçu en partage, il nous appartient de le transmettre à nos enfants. Nous devons donc enfin cesser de reculer sur les valeurs qui ont forgé la nation française : la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité des droits de tous les citoyens et le primat de la raison universelle sur toutes les théologies. Oui, résolument, adopter cette proposition de loi, c’est protéger la République. Les générations futures nous jugeront, les Français nous regardent, sachons, mes chers collègues, nous montrer dignes du mandat qu’ils nous ont confié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons évidemment des préoccupations communes. Personne n’a le monopole de la République et de ses valeurs, fort heureusement. J’entends ce que vous dites les uns et les autres, mais il me semble simplement que le vecteur que vous avez choisi n’est pas approprié.

Monsieur Retailleau, je sais que nous ne sommes pas ici au café du commerce ! Je voudrais d’ailleurs vous faire remarquer que l’un des amendements qui seront examinés dans quelques instants évoque la situation particulière de l’Alsace-Moselle.

En réalité, et je voudrais respectueusement attirer votre attention sur ce point, si cette proposition de loi constitutionnelle devait intégrer notre Constitution, alors les dérogations ne seraient plus possibles. Les exemples que j’ai cités, je les ai tirés non pas de je ne sais quelle démagogie ou je ne sais quel populisme, mais de notre droit positif. Oui, cela pose un problème en Alsace-Moselle, et cela peut poser un problème dans les territoires d’outre-mer.

Je pense à la question de la liberté de conscience des médecins. (Signe de dénégation de M. Bruno Retailleau.) Il y a là une dérogation, car ces questions de conscience trouvent souvent leur fondement dans des considérations religieuses.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je voudrais également dire deux mots à M. Ravier. Monsieur le sénateur, votre fonds de commerce est définitivement la haine et la peur. (Marques dapprobation sur les travées du groupe CRCE.) Au fond, vous ne faites rien, vous ne proposez rien, mais quand un crime odieux survient, vous sortez du bois, avec vos bonnes vieilles recettes : la peine de mort. C’est toujours la même rengaine, et cela dure depuis je ne sais combien d’années, qu’il s’agisse du Rassemblement ou du Front national, le premier étant la version dédiabolisée de l’autre.

Nous avons entendu vos propos, qui relèvent toujours d’une rhétorique guerrière. Après les attentats terribles de Toulouse en 2012, il y avait eu une trêve du monde politique, et celle-ci avait beaucoup d’allure.

M. Stéphane Ravier. Le temps n’est pas à la trêve, mais au combat !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Kanner, comme vous m’avez interpellé, je veux vous répondre, mais – je rassure tout le monde – brièvement. J’entends le discours, parfois simple, voire quelque peu simpliste, qui consiste à dire que rien – mais alors rien ! – n’a été fait. En trois ans ont été fermées 15 mosquées, 4 écoles, 13 associations proches des mouvements salafistes ; plusieurs millions d’euros ont été saisis ; 200 débits de boissons ont été également fermés, et 1 190 détenus ont été suivis pour radicalisation. La coordination des services a permis de déjouer – pardonnez-moi de le relever – 32 attentats…

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. On connaît tout ça !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Alors, certes, un attentat, c’est évidemment un échec, mais un attentat déjoué peut tout de même être mis au moins au crédit des services de renseignement, si vous ne voulez pas le mettre au crédit du Président de la République.

Pour terminer, madame Goulet, vos préoccupations sont légitimes. Mais, après avoir entendu l’ensemble des orateurs – et je partage un certain nombre de propos qui ont été tenus –, pensez-vous qu’il suffit de dire ce texte de façon incantatoire et de le décliner pour que l’islamisme radical soit définitivement éradiqué ? Franchement, je ne le pense pas. Je n’ose pas croire, parce que je connais la gravité de la situation, qu’il y ait quelque arrière-pensée politicienne dans cette démarche.

Je vous tends la main, messieurs Retailleau et Bas. Nous allons prochainement examiner un projet de loi sur le séparatisme. Vous aurez toute votre place dans ce débat. (Signe dapprobation de M. Bruno Retailleau.) Je le dis, parce que ce n’est pas une honte : à la lumière des événements récents, nous y avons de nouveau réfléchi, notamment sur le terrain méthodologique. Nous avons repris tous les éléments qui nous ont été communiqués pour voir si nous aurions pu judiciariser plus tôt. Si vous le souhaitez, nous pouvons discuter de tout cela. Ce n’est pas de la rodomontade ou de l’arrogance de ma part : même si son intention est plus que louable, votre texte ne pourra résoudre quoi que ce soit.

Voilà, monsieur Retailleau, ce que je voulais expliquer, moi aussi avec conviction.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, à mon sens, vous avez un peu trop mis l’accent sur les régimes d’exception d’Alsace-Moselle et de Guyane. Force est de constater que soit vous n’avez pas lu mon rapport, soit vos services n’ont pas fait leur travail.

M. Philippe Bas. Tout à fait !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Alors, permettez-moi de vous offrir mon rapport, ce qui vous donnera enfin l’occasion de le lire. (M. le rapporteur sapproche du banc du Gouvernement et tend un exemplaire du rapport à M. le garde des sceaux, qui refuse de sen saisir.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vous remercie, mais je l’ai lu. (M. le garde des sceaux repousse le document. – M. le rapporteur insiste.) Monsieur le rapporteur, ne soyez pas désobligeant !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je ne suis pas désobligeant, monsieur le garde des sceaux. C’est vous qui l’avez été à plusieurs reprises à l’égard des travaux de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur rejoint le banc des commissions.) Vous ne vous êtes pas donné la peine de lire sept lignes de la page 21 du rapport sur les régimes de l’Alsace-Moselle et de la Guyane.

Je vous en donne donc lecture : « De même, la proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause le droit applicable en Alsace-Moselle (loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes) et en Guyane (l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828). »

« Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, le Constituant n’a jamais souhaité supprimer ces régimes antérieurs à la loi du 9 décembre 1905, qui font consensus dans les territoires concernés. »

La lecture de mon rapport vous aurait évité de remettre en cause, par deux reprises, la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la république

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Article 2

Article 1er

Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, sur l’article.

M. Alain Marc. Depuis quelques décennies, nous constatons une lente déliquescence de notre démocratie française. Celle-ci, qui était vivace et assurait à ses enfants une éducation de qualité, constituait un véritable ascenseur social.

Cette démocratie, à l’image de son école qui subit des attaques de plus en plus nombreuses, est aujourd’hui pâlotte et même rabougrie. On va de lâcheté en lâcheté, de réponses molles aux attentats de l’islamisme radical en discours lénifiants, pour ne pas évoquer les attaques contre nos forces de l’ordre, tout cela afin de ne pas heurter la bien-pensance qui habite la sphère médiatique et parfois même notre Parlement, ce qui conduit à affaiblir notre société et notre démocratie.

Nous nous devons de réagir, non pas seulement par des hommages ou des marques de compassion adressées à un malheureux professeur dont l’assassinat nous a tous émus, mais par des actes forts. Il faut sortir de cette démocratie indolente et satisfaite d’elle-même, pour retrouver un État puissant que rien ne saurait affaiblir, ni communautarisme ni voyous qui s’en prennent aux forces de l’ordre.

Monsieur le ministre, cette proposition de loi n’est peut-être pas loin du pléonasme ; elle a au moins le mérite de poser le débat au lendemain d’un grave attentat. Je me réjouis de pouvoir la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, sur l’article.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je devais prendre la parole en réponse à la motion que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait déposée sur ce texte. Celle-ci a été retirée, mais dans la discussion générale nos collègues ont repris les mêmes arguments que ceux qui la justifiaient, de sorte que je peux leur répondre.

Tout d’abord, je ne trouve pas de différence de fond entre ce que nous prévoyons dans la proposition de loi et la position qu’ils soutiennent. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les lois de la République doivent conserver leur prééminence sur celles de la religion.

Autre argument que les auteurs de la motion continuent de nous opposer : nous aurions choisi d’inscrire l’islam à notre agenda politique. En réalité, voilà fort longtemps que l’islam décide de l’agenda…

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas l’islam, c’est l’islamisme politique !

Mme Muriel Jourda. Il le fait depuis 2012, au moins, sans grandes difficultés, malgré tous les efforts qui ont été évoqués.

Il faut être clair et dire la vérité : aucune loi de la République ne s’oppose à nos compatriotes musulmans, mais une frange de l’islam s’oppose aux lois de la République.

Dans la discussion générale, nous avons largement évoqué le drame qui s’est déroulé ce week-end : je n’y reviendrai pas. Il y a eu des larmes, beaucoup de larmes ; les seules que l’on ne peut accepter, ce sont les larmes de l’impuissance. En effet, nous devons agir et faire front, ensemble.

C’est la raison pour laquelle je « tends la main » aux groupes de gauche, du moins ceux qui sont restés dans l’hémicycle. Nous devons nous rejoindre, comme cela a déjà pu arriver dans le passé, pour rappeler que si les lois de la République défendent l’expression de toutes les religions, la religion ne doit pas faire la loi, en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Madame Jourda, ce n’est pas l’islam qui fait l’agenda ; c’est le terrorisme islamiste.

M. Jean-Yves Leconte. Voilà ce contre quoi nous devons réagir.

Cette proposition de loi constitutionnelle vise à insérer dans l’article 1er de la Constitution une phrase : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

Parce que, en vertu de ce même article 1er, la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », nul ne peut invoquer aujourd’hui sa religion pour se soustraire aux lois de la République. Parce que la France est un État de droit, nul ne peut se soustraire aux lois de la République. Tel est l’état actuel du droit.

Cette proposition de loi qui pourrait sembler neutre est en réalité dangereuse. En convoquant la Constitution, elle ne peut qu’affaiblir la force de la loi. Quel terrible aveu de faiblesse du législateur que d’avoir besoin d’une garantie de niveau constitutionnel !

Autre écueil qui n’a pas encore été mentionné, le texte introduit la notion de groupe dans l’article 1er de la Constitution. Les communautaristes apprécieront cette ouverture nouvelle dans notre texte fondamental, totalement en contradiction avec ce que nous voulons tous, dans cet hémicycle.

Enfin, certains d’entre vous considèrent qu’il faut trancher le débat opposant liberté religieuse et prééminence de la loi. La difficulté vient de ce qu’il dure depuis cent quinze ans ; il a été ouvert en 1905, lorsqu’Aristide Briand était rapporteur du texte qui fait encore référence. Ce processus républicain est une spécificité française. L’équilibre qui en a découlé fait la force de notre laïcité, malgré la tourmente actuelle. Loin d’être une faille, c’est une garantie de pérennité et d’adaptabilité.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Philippe Pemezec. Quel donneur de leçon !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, je ne comprends pas pourquoi vous vous ingéniez à opposer notre texte et le projet de loi en préparation : les deux initiatives ne portent pas sur le même sujet.

Le Président de la République veut encadrer l’islam, faire en sorte que les associations cultuelles soient mieux contrôlées, surveiller la formation des imams, ou bien encore éviter que, dans la République, des enfants soient déscolarisés pour n’être pris en charge que par des écoles coraniques. Tous ces sujets touchent à la religion.

L’initiative que nous avons prise est totalement différente, car elle porte sur les règles de la vie en société. Il s’agit d’empêcher que, à l’école de la République, on récuse un enseignement de biologie de la reproduction, parce que cela ne convient pas aux islamistes ; que, dans un atelier, on demande une pause pour la prière ; qu’à l’hôpital, on exige que ce soit une femme qui examine une autre femme. Loin de concerner la religion, ces sujets relèvent tous du savoir-vivre.

Par conséquent, nos deux initiatives pourraient fort bien être jugées complémentaires si vous ne vous ingéniiez pas à exclure la nôtre pour des raisons que je ne veux pas croire politiciennes, au même titre que vous ne voulez pas croire politiciennes les motivations de notre entreprise.

Certains arguments ne sont pas à la hauteur du débat. Les auteurs de la Déclaration de 1789 n’ont pas fait de juridisme ; ils ont posé des principes généraux pour la vie en société, sous le régime desquels nous continuons de vivre.

Aujourd’hui, on ne trouve écrite nulle part dans la Constitution la règle selon laquelle « nul ne peut se prévaloir de sa religion ou de ses origines pour s’exonérer du respect de la loi commune. »

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. De la règle commune !

M. Philippe Bas. Il serait simple de l’y inscrire. Tous les Français, quels que soient leur âge ou leur fonction, pourraient ainsi la connaître. D’autant que nous voulons qu’ils se prononcent par référendum sur cette inscription constitutionnelle.

Si vous me répondez que nous n’avons pas besoin de cette règle, alors c’est que vous ne connaissez pas la société française ; vous ignorez la multiplication des revendications communautaristes qui mettent dans l’embarras les décideurs publics et privés, ceux des entreprises, ceux des associations ceux des communes, ceux enfin, des hôpitaux et des établissements d’enseignement. Ils ont besoin de notre aide : ne la refusez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mots ont un poids.

Monsieur le ministre, ce qui vous pose problème, c’est surtout le calendrier. Ce texte arrive avant la loi sur les séparatismes préparée par le Gouvernement. Elle ne sera examinée en conseil des ministres qu’en décembre prochain : c’est un peu tard pour les Français.

Dans votre réponse à M. Retailleau, vous n’avez pas hésité à employer le mot « honte ». Il n’y a pourtant aucune honte à ce que le Sénat soit en avance sur le Gouvernement.

Enfin, à la tribune, vous avez dit : « Le peuple se réveille ; les consciences se rassemblent. » Monsieur le ministre, rassemblons nos consciences ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 2

L’article 4 de la Constitution est ainsi modifié :

1° À la fin de la dernière phrase du premier alinéa, les mots : « et de la démocratie » sont remplacés par les mots : « , de la démocratie et de la laïcité » ;

2° Au deuxième alinéa, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier ».

Article 1er
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Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 6

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je souhaiterais préciser les intentions de la commission sur l’article 2.

Nous assumons de vouloir lutter contre l’émergence des partis communautaires, qui défient la République en prônant la supériorité des préceptes religieux sur les règles communes. L’argent public ne doit pas servir à financer directement ou indirectement ce type de parti, y compris lorsqu’il présente des candidats aux élections locales et nationales.

Le sujet est complexe, mais important. On cite souvent – certains d’entre nous viennent encore de le faire – l’Union des démocrates musulmans français, l’UDMF. Or, il existe aussi le Parti égalité et justice, branche de l’AKP turc que le Parti communiste a été l’un des premiers à condamner en France.

Aux dernières élections européennes, l’UDMF n’a obtenu que 0,13 % des voix, mais elle a toutefois réuni 28 395 électeurs et réussi à se classer à la dix-neuvième place sur les trente-quatre listes. On constate des pics dans certaines communes, avec des taux de 4,04 % à Trappes, de 7,43 % à Garges-lès-Gonesse et de 6,77 % à Mantes-la-Jolie, dont 16,7 % des voix obtenues dans le seul quartier du Val Fourré. Aux dernières élections municipales, l’UDMF a rassemblé 2,5 % des voix à Nanterre et 3,15 % à Clichy-la-Garenne.

Le parti s’implante. Sa page Facebook compte aujourd’hui 41 500 abonnés. Je vous invite à consulter la publication du 13 octobre dernier : l’UDMF y dénonce « une purge contre le séparatisme musulman ». Dans le texte, l’expression est bien entendu entourée de guillemets pour éviter toute poursuite pénale. En préambule figure le célèbre poème « Quand ils sont venus me chercher » écrit par le pasteur Martin Niemöller, depuis le camp de concentration de Dachau. En guise d’illustration, une photo où l’on distingue des barbelés fait clairement allusion aux camps de concentration.

Inutile d’en dire plus pour justifier notre détermination face à ce type d’organisation.

M. le président. Les amendements nos 2 et 3 ne sont pas soutenus.

Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
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Article additionnel après l'article 2 - Amendement  n° 8

Articles additionnels après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution est ainsi rédigée : « Un référendum portant sur n’importe quelle disposition législative peut être organisé à l’initiative de 500 000 Français inscrits sur les listes électorales. »

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Notre pays traverse un temps de crise sans précédent. La crise est sanitaire ; elle est aussi économique, aggravée par des décisions gouvernementales absurdes ; elle est sécuritaire, identitaire et civilisationnelle, comme l’atteste la recrudescence des crimes barbares, puisque 267 personnes sont tombées sous les balles ou les lames des islamistes, depuis 2012. S’y ajoute une crise démocratique profonde, dont l’abstention massive aux élections n’est que l’un des symptômes. Le mouvement des « gilets jaunes » en fut un autre, lorsque des milliers de Français, honnêtes et travailleurs, niaient au Gouvernement sa légitimité issue des urnes. Nos concitoyens sont d’ailleurs de moins en moins nombreux à reconnaître les résultats électoraux.

Comment rester insensible à cette crise, alors que depuis des décennies, des millions de Français votent pour un parti devenu le premier de France, et pour un programme largement copié par d’autres le temps des élections ? Or par de basses manœuvres politiciennes et des modes de scrutin injustes, il se retrouve exclu de toutes les responsabilités et si peu représenté au Parlement.

Avant que le mouvement ne soit gangrené par des casseurs d’extrême gauche, ces « gilets jaunes » portaient une revendication : le référendum d’initiative citoyenne, ou RIC. Cette mesure, juste et simple, a fait ses preuves dans de nombreux pays. En plus de renouer le lien entre le peuple français et sa démocratie, elle contribuerait aussi à recentrer le débat public sur des sujets que les responsables politiques préféreraient laisser sous le tapis du politiquement correct.

Le référendum d’initiative partagée, le RIP, défini dans l’article 11 de la Constitution est presque impossible à concrétiser. J’en veux pour preuve la pétition contre la privatisation d’Aéroports de Paris que des millions de personnes ont signée, sans que rien ne change.

Hier, le président du parti Les Républicains proposait un RIP sur le rétablissement de la double peine. Quelle belle idée ! Il n’est jamais trop tard pour se rendre compte de ses erreurs et choisir le bon chemin. D’autant que Nicolas Sarkozy s’était dit fier d’avoir supprimé cette double peine !

Membre de l’opposition parlementaire, je souhaite me montrer constructif. Il me tient à cœur d’aider Christian Jacob à accomplir sa mission, de l’encourager, de lui faciliter la tâche. Si la double peine est rétablie, je serai le premier à m’en réjouir : qu’importe celui à qui on le devra !

C’est pourquoi, je vous propose dans cet amendement de créer un RIC à partir de la signature de 500 000 électeurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement de M. Ravier concerne le RIP. Sur le fond, il est doublement contestable. Il supprime, d’une part, toute intervention des parlementaires, en contradiction avec l’esprit même du RIP ; il réduit, d’autre part, le nombre de signataires, alors que ce critère relève de la loi organique, et pas de la Constitution.

Je rappelle que le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, réuni autour du président Larcher, a formulé des propositions beaucoup plus précises et réalistes au sujet du RIP, en abaissant notamment de moitié les seuils requis pour engager la procédure.

Enfin, cet amendement est sans lien direct avec le texte examiné. L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement est totalement déconnecté de la proposition de loi qui nous occupe. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 6
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Intitulé de la proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 53-1 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sont toutefois automatiquement exclus des dispositifs d’asile les étrangers condamnés, même à la peine de mort, pour participation à une organisation terroriste, telle que reconnue par le Conseil de l’Union européenne. »

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Cet amendement vise à exclure des dispositifs d’asile les étrangers condamnés, même à mort, pour participation à une organisation terroriste.

Vendredi dernier, le sang français a encore coulé. Une nouvelle fois, notre beau pays de France a subi une attaque barbare lors de laquelle un professeur a été assassiné. Il est tombé sous les coups d’un terroriste islamiste pour avoir simplement voulu défendre la liberté d’expression. Ce ne sera jamais que la trente-troisième attaque que nous subissons depuis janvier 2015, soit à peu près une tous les deux mois.

Malheureusement, je constate que les Français ont entendu Manuel Valls, alors Premier ministre, et qu’ils se sont « habitués au terrorisme ». Une attaque, puis une autre, et encore une autre… On sort les bougies, les drapeaux français. On se rassemble, on chante Imagine de John Lennon ou bien la Marseillaise pour les plus audacieux ; et l’on range tout jusqu’à l’attaque d’après !

Notre pays est malade de l’islamisme, qui le gangrène, mais aussi de sa générosité. L’Europe a ouvert ses frontières aux faux réfugiés de guerre, car celui qui part de la Turquie ne peut pas être considéré comme tel. L’Europe l’a fait par générosité et par pitié. Ces sentiments l’honorent et l’ont toujours honorée, mais ils ont fini par tuer nos concitoyens, année après année.

En effet, faut-il rappeler que les assassins du Bataclan se trouvaient dans ce flot d’immigrés ? Le terroriste de Conflans-Sainte-Honorine avait lui aussi obtenu l’asile : ceux qui le lui ont accordé ont du sang français sur la conscience. Depuis 2011, l’État savait qu’il était lié au terrorisme tchétchène, mais l’a quand même laissé vivre en France.

Cessons avec cette générosité qui confine à la naïveté ! Redescendons sur terre ! Le monde est cruel et les populations que nous accueillons ne veulent pas toujours s’intégrer : certaines nous font déjà la guerre. Redevenons réalistes et protégeons d’abord les nôtres de ces barbares ! Plus une goutte de sang français ne doit être versée sur l’autel de l’idéologie du vivre ensemble et de la générosité qui nous désarme.

L’amendement que je vous présente est simple, clair et efficace. Aujourd’hui, un homme condamné à mort peut venir demander l’asile en France, et on le lui accordera, quel que soit le crime qu’il ait commis, même s’il s’agit d’un terroriste de l’État islamique, condamné à mort en Syrie. (M. le garde des sceaux le conteste.) C’est inacceptable, c’est insupportable !

Chers collègues, à défaut de convictions, ayez pour une fois le courage qu’exige la situation : assumez et appliquez les valeurs que vous brandissez dans toutes les interviews ! Si vous ne le faites pas, vous pourrez compter sur moi : les Français sauront que vous préférez un terroriste bien vivant chez nous plutôt qu’un terroriste mort dans un autre pays !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Ravier, votre amendement est satisfait par le droit en vigueur. L’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet déjà de refuser ou de supprimer le statut de réfugié à toute personne coupable d’un crime ou d’un délit constituant un acte de terrorisme et puni de dix ans d’emprisonnement. Ce dispositif a d’ailleurs été créé au Sénat, sur l’initiative de François-Noël Buffet, lors de l’examen de la loi Asile en 2015. Il est conforme à l’article 1er F de la Convention de Genève de 1951, ainsi qu’à l’article 12 de la directive Qualification du 13 décembre 2011.

Certes, la procédure ne permet pas le renvoi de l’intéressé lorsqu’il risque la peine de mort dans son pays d’origine, et ce pour une raison assez simple : l’article 66-1 de la Constitution affirme que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. M. le rapporteur a parfaitement raison, parce que la mesure est déjà codifiée, de sorte que l’on ne peut que s’incliner.

Monsieur le sénateur, je ne peux pas qualifier votre amendement autrement que comme « du grand n’importe quoi » – pardonnez-moi cette familiarité. Vous n’avez fait qu’utiliser vos vieilles recettes en plaçant à dessein des mots comme « peine de mort » ou « courage ». Ce que vous dites est complètement faux : il suffit d’aller lire les textes.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement « ubuesque ».

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je ne voterai pas cet amendement, mais je tiens à dire que M. Ravier et son parti ne se sont jamais prononcés sur une seule des mesures pour la sécurité des Français que nous avons pu examiner au Parlement européen ou dans nos assemblées respectives, et cela depuis des années. La position qu’il défend aujourd’hui est tout à fait inédite. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il propose une disposition déjà prévue dans le droit en vigueur : ce que l’on vote ou ce que l’on ne vote pas, rien ne l’intéresse !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement  n° 8
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :

Remplacer les mots :

des lois de la République

par les mots :

de la laïcité, de la culture française et des lois de la République face au communautarisme

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Ce n’est pas la première fois que la droite parlementaire montre ses muscles au sujet du communautarisme et de l’islamisme. Changer les textes pour faire appliquer la laïcité, c’est bien ; respecter ses principes et ne pas faire la courte échelle aux Frères musulmans quand on dirige des collectivités, c’est mieux !

La formulation de votre loi reste trop vague et trop neutre. Nous avons un ennemi, l’islamisme, qui ne s’en prend pas qu’à la République, mais qui attaque et tue des Français, sur notre territoire. Il se répand partout, s’infiltre et se propage comme la gangrène : si on ne coupe pas le membre malade, on en meurt.

Quand je dis partout, je parle aussi de la Haute Assemblée. En effet, même au Sénat, cœur battant de la démocratie, l’islamisme s’installe. Il nous rend visite en toute tranquillité. Certains de nos collègues, parmi ceux qui siègent à droite, haussent le ton dans l’hémicycle, mais s’accommodent de l’islamisme dans les arrière-salles. Ils le font depuis des années, à l’abri des regards. Il est temps que les Français sachent !

Je pense notamment à une sénatrice des Alpes-Maritimes, accessoirement membre de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste. En décembre 2019, elle a accueilli au Sénat des membres niçois d’une association de jeunesse liée à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), la branche française des Frères musulmans. Dois-je rappeler que dans de nombreux pays, y compris musulmans, on les classe parmi les organisations terroristes ?

Je pense aussi à l’une de nos collègues, nouvellement élue, qui a laissé une mosquée salafiste s’installer dans un local municipal de son secteur, lorsqu’elle était maire des onzième et douzième arrondissements de Marseille.

Ou bien encore, toujours à Marseille, à une adjointe au maire, vice-présidente de la région PACA, qui a représenté le président de la région lors de la rencontre annuelle des musulmans du sud, organisée par l’UOIF, en octobre 2019.

Chers sénateurs de droite, il est temps de laver le linge sale qui empeste votre famille politique ! La mairie de Nice a même été condamnée, en 2013, pour avoir violé la loi de 1905, car elle avait, contre un loyer dérisoire, attribué l’usage d’un local municipal à une mosquée proche de l’UOIF. Le maire et sa majorité ont aussi subventionné l’association islamiste invitée par la sénatrice des Alpes-Maritimes.

L’islamisme pourrit la politique française et la rend semblable aux écuries d’Augias. Pour les nettoyer, il faudrait commencer par votre famille politique, la droite du verbe, mais surtout la droite de la lâcheté et des trahisons. Nettoyez devant votre porte avant de venir faire la leçon aux autres ! Montrez-vous courageux et sanctionnez ceux qui parmi vous collaborent avec les islamistes ! Rompez tous les liens qui unissent vos élus aux islamistes avant que d’autres Français ne tombent sous les coups de ces fanatiques ! L’islamisme, on ne s’en accommode pas, on ne s’en approche même pas, on le combat et on l’abat !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je dirai à M. Ravier qu’il est inutile de faire accroire qu’un changement de titre modifierait le contenu du texte. L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Étonnamment défavorable, monsieur le président. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi constitutionnelle
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.

Mme Nathalie Delattre. Le groupe du RDSE votera pour cette proposition de loi.

Lors des travaux de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste que j’ai eu l’honneur de présider, et dont Mme Jacqueline Eustache-Brinio était la rapporteure, nous nous sommes penchés sur un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), dévoilé en septembre 2019. Il révélait que 27 % des musulmans interrogés approuvaient l’idée selon laquelle la loi islamique, la charia, devait être placée au-dessus des lois de la République.

L’Institut Montaigne a également établi que 26 % des musulmans interrogés ont sciemment adopté un système de pratiques communautaires opposées aux valeurs de la République. Quelque 37 % d’entre eux estiment que la laïcité française doit s’adapter à la pratique de l’islam.

Nous ne pouvons pas taire ces chiffres. Tous les membres de la commission, quelle que soit leur appartenance politique, en ont été informés. Il n’y a plus de place pour le déni politique et nous devons cesser de tourner en rond, comme le président Larcher nous le demandait encore tout à l’heure.

Lors des hommages à la mémoire de Samuel Paty, certains nous ont dit combien ils étaient las des mots et des rassemblements. Ils exigent désormais que nous posions des actes pour que chacun puisse vivre en laïcité et en paix dans notre République. Monsieur le garde des sceaux, nous avons besoin que la justice nous y aide. Vous devez prendre des décisions fortes et mener une action déterminante.

L’ensemble du Gouvernement doit travailler à des solutions, notamment en ce qui concerne les réseaux sociaux. Selon Hugo Micheron, ce jeune universitaire que citait Bruno Retailleau, « Google est salafiste », tant il y a de millions de références et de vidéos radicalisées sur la toile. L’actualité démontre que nous devons nous protéger de cet obscurantisme qui a « pignon sur téléphones et tablettes ». Soyons courageux ! Marianne le mérite. (M. Jean-Yves Roux applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons été nombreux, lors de ce débat, à exprimer des doutes quant à l’efficacité de cette proposition de loi constitutionnelle à vocation incantatoire.

Nous regrettons que le président du Sénat n’ait pas requis, comme le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le demandait, l’avis du Conseil d’État sur cette proposition de loi constitutionnelle. Cela aurait permis d’éclaircir certains points de l’article 1er : que signifie « règle commune » ? Quelles sont les conséquences de l’introduction, dans la Constitution, de la notion de « groupe » et qu’est-ce que cela implique pour la notion de parti politique, qui y figure déjà ? Sur tous ces points, nous aurions aimé être éclairés, parce que le débat de ce soir a été passionnel et que nous n’avons pas évoqué ces sujets dans le détail. Malheureusement, nous n’avons pas disposé de l’avis du Conseil d’État et ceux d’entre nous qui s’apprêtent à voter vont le faire sur un texte qui présente beaucoup d’approximations.

Pour ce qui concerne les partis politiques, l’article 4 de notre Constitution dispose que ceux-ci se forment et s’administrent librement. Malgré cela, nous avons pu faire évoluer les règles sur le financement de la vie politique. Il n’était donc pas impossible d’éviter un changement constitutionnel pour poser des exigences complémentaires à l’égard des partis politiques. Or ce que vous proposez à l’article 2 de la proposition de loi peut être interprété comme une atteinte à la liberté d’expression. Je l’entends bien, il convient d’encadrer les choses, mais la prohibition ne permet jamais de faire face à une difficulté. Quand les difficultés sont politiques, il faut toujours accepter le débat ; traiter les questions de conviction par la loi n’est jamais la bonne solution.

Voilà ce que je souhaitais vous dire sur cet article 2 et sur les risques que vous faites prendre à notre démocratie en proposant ces évolutions. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio sexclame.) Celles-ci ne seront pas adoptées définitivement, parce que cette proposition de loi constitutionnelle ne pourra pas prospérer, mais, en tout état de cause, compte tenu des approximations que ce texte comporte, il semble impossible au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de participer au vote.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelques mots, après ces débats.

Je l’ai dit précédemment, la France, les Français ont réagi très fortement au crime abominable qui s’est produit ; j’ai affirmé que nous avions tous la gueule de bois et je pense que l’expression est légitime.

Je l’ai indiqué, avec le recul de toutes les années durant lesquelles nous avons travaillé sur ces questions, j’ai plutôt le sentiment que la situation s’est dégradée par rapport à 2005 et par rapport à 2015. C’est cette inquiétude qui justifie le fait que nous cosignions un texte qui, je vous le concède, monsieur le garde des sceaux, n’apportera pas de solution à ce dont j’ai parlé à la tribune ; mais c’est un geste fort, un texte fort et absolument incontestable, en tout cas en son article 1er. En effet, le fait de rappeler que la laïcité figure parmi les principes de la République ne me semble pas du tout porter atteinte au reste du travail qui sera conduit par ailleurs.

Vous avez indiqué à MM. Bas et Retailleau que vous espériez qu’ils travailleraient avec vous au texte qui va arriver. J’ose espérer que vous considérez également que l’apport du groupe Union Centriste pourra être utile, parce que cette réflexion sera celle de la dernière chance, monsieur le garde des sceaux, pour régler le statut des associations, pour encourager les enseignants et pour donner des clés aux présidents d’association et aux médecins, qui ne savent plus comment s’y prendre. Tous les secteurs de la vie sont concernés.

Nos collègues de l’Assemblée nationale ont rédigé un rapport sur les services publics face à la radicalisation, mais n’ont, finalement, pas adopté de texte ; ainsi, il nous appartiendra de compléter le dispositif pour tous les secteurs de la vie quotidienne dans lesquels on rencontre ces difficultés.

Je voterai donc ce texte, que j’ai cosigné, et j’attends avec une réelle impatience celui du Gouvernement, pour pouvoir y travailler et mettre un terme à ces difficultés, à ces ambiguïtés, à ces dysfonctionnements liés à des extrémistes qui tiennent en otage la population et nos concitoyens de confession musulmane.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je ferai plusieurs remarques.

Tout d’abord, je me félicite que, d’ici quelques instants, nous puissions approuver très largement ce texte. Quelqu’un évoquait, à l’instant, l’évolution de la situation. Le constat est effectivement implacable : en 2005, les renseignements territoriaux quantifiaient le nombre de salafistes et de « fréristes » à moins de 10 000 ; quinze ans après, ils sont plus de 100 000 ! Les chercheurs, les sondages et l’observation le montrent : quotidiennement, la République est défiée et, souvent, mise en échec.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez proposé de travailler à un texte futur. Le seul problème est que, là encore, tout cela est très univoque, puisque, pour le moment, le Gouvernement a toujours refusé nos initiatives – toujours ! – : interdiction du voile et des signes ostensibles pendant les sorties scolaires – l’école hors les murs –, listes communautaristes et, maintenant, cette proposition de loi constitutionnelle, qui avait la prétention – rendez-vous compte ! – de rehausser la laïcité au sommet de la hiérarchie de nos normes et de préciser, à l’article 4 de la Constitution, que les partis politiques ne pouvaient pas s’exonérer de cette exigence.

Or, quand j’avais déposé un texte visant à interdire les candidatures communautaristes, on m’avait répondu : « Attention à la constitutionnalité ! » Ainsi, vous le voyez apparaître, ce grand parti français, celui de l’impossibilisme, répandu à droite et à gauche, monsieur le garde des sceaux. Et cela fait trop d’années que l’on capitule.

Aujourd’hui, je vous l’assure, les Français sont en colère. Quelqu’un l’a dit à cette tribune, nous ferons des propositions exigeantes, mais nous n’accepterons pas, au Sénat, que le Gouvernement trompe les Français avec des faux-semblants. Les Français attendent de l’exécutif et du Gouvernement des armes, non des larmes, pour réarmer la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au moment de voter, je souhaite partager avec vous les observations d’un élu des Français de l’étranger, afin de vous exposer ce qu’il a vu, dans le cadre de son mandat, au cours des dernières années.

Je veux notamment témoigner du développement d’un phénomène en Afrique, celui des écoles coraniques, et de la vitesse avec laquelle il s’intensifie dans certains pays. Un ministre africain des affaires étrangères m’a confié être un jour arrivé dans un village qu’il connaissait, après plusieurs heures de piste, et avoir vu, tout à coup, toutes les femmes voilées. Il s’était interrogé et avait découvert l’existence d’une école coranique, qui n’était pas là auparavant, puis il s’était rendu compte que les familles étaient rémunérées pour y envoyer leur enfant…

Ce système se développe. Ainsi, lorsque j’ai visité une université, que j’avais déjà visitée une première fois, j’ai constaté que toutes les étudiantes étaient voilées. Je me suis renseigné et on m’a dit qu’elles étaient remboursées de leurs frais d’université si elles étaient voilées.

J’ai également visité un certain nombre d’entreprises dans lesquelles, maintenant, on me fait systématiquement visiter la salle de prière, destinée à conserver les salariés : en effet, pour que ceux-ci soient satisfaits, les entreprises doivent maintenant proposer de telles salles.

Ce phénomène grandissant invite à la réflexion. Comme vous, me semble-t-il, monsieur le garde des sceaux, et comme nous l’a enseigné Voltaire, je n’ai d’intolérance que pour l’intolérance. Certainement, ce texte n’est pas parfait, certains l’ont souligné ; je peux en convenir, mais je le voterai quand même en raison de toutes ces observations. Considérez que c’est un appel à réagir adressé au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 2 :

Nombre de votants 250
Nombre de suffrages exprimés 229
Pour l’adoption 229

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République
 

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 20 octobre 2020 :

À quatorze heures trente et le soir :

Proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, présentée par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 49, 2020-21) et proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales, présentée par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 50, 2020-2021 ; demande du groupe Les Républicains).

En outre, à dix-sept heures, désignation :

- des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- des trente-six membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- des trente-six membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;

- des trente-six membres de la délégation sénatoriale à la prospective ;

- des vingt et un membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer autres que les vingt et un sénateurs d’outre-mer, membres de droit ;

- et des quarante-deux membres de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication