Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Mes propos s’inscriront à la suite de ce qu’a indiqué mon collègue Fabien Gay et de mon explication de vote sur la motion tendant à opposer la question préalable.

Nous devons nous interroger sur ce qui menace aujourd’hui les betteraviers français. Je vous ai entendu dire, monsieur le ministre, et vous avez raison, que la pondaison et la nidification des pucerons ne seront pas les mêmes et leur nombre non plus si l’hiver est froid ou s’il ne l’est pas ; et cela aura une incidence sur les tests de traitements réalisés.

Faire de la politique, c’est agir à court terme, mais, vous en conviendrez, c’est aussi agir à long terme. Or la crise structurelle qui menace aujourd’hui et qui appelle une intervention politique découle de l’abandon des quotas sucriers au 1er octobre 2017 et de la libéralisation du marché du sucre. Cette libéralisation menace l’ensemble de la filière dans notre pays, pas simplement pour la saison prochaine – que l’hiver soit doux ou non –, mais pour les années à venir.

Depuis 1968, nous pratiquions dans notre pays des prix garantis et une régulation du marché sucrier. Vous preniez l’exemple des 30 % de mesures environnementales, mais s’adapter à la dérégulation des prix a été tout aussi difficile que de s’adapter à une invasion de pucerons. Je suis convaincue que l’activité betteravière de notre pays souffre davantage aujourd’hui du capitalisme que des parasites et des pucerons dont nous parlons depuis tout à l’heure.

Comme l’a rappelé mon collègue du Puy-de-Dôme, Jean-Marc Boyer, le groupe sucrier Cristal Union a fermé plusieurs sucreries en France, dont celle de Bourdon à Aulnat. Résultat : 350 emplois directs et indirects ont été supprimés, 300 planteurs ont vu leur activité betteravière affaiblie et, pour certains, totalement arrêtée. Cela prouve une fois encore que seuls les grands groupes industriels tirent les ficelles en vue de la rentabilité sans se soucier des femmes et des hommes qui composent ce corps de métier et des conséquences sur leur vie.

Il appartient au Gouvernement de prendre des mesures afin d’assurer la continuité de la filière, de sauvegarder les sites de sucreries et de préserver l’emploi.

Mme le président. Il faut conclure !

Mme Cécile Cukierman. Mais si vous n’êtes pas pour préserver l’emploi, mes chers collègues, vous en avez le droit ; nous sommes en démocratie, la parole est libre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.

M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, avez-vous lu le rapport annuel Faits et chiffres 2019 de la Confédération générale des planteurs de betteraves ? C’est édifiant, notamment le chapitre sur les modifications des pratiques. J’avais commencé à le lire avec enthousiasme en me disant que, si, en 2019, l’organisation professionnelle représentative abordait les changements de pratiques, elle allait mettre sur la table l’intégration des interdictions du glyphosate et des néonicotinoïdes. Or ce sont deux pages de protestation que l’on peut résumer ainsi : « Nous n’y arriverons jamais, ça nous coûte trop cher, il n’y a pas d’alternative. »

Vous avez parlé d’humilité. Reconnaissez avec humilité votre échec ! Début 2020, le lobby de la betterave écrit noir sur blanc qu’il ne veut pas changer de pratiques. Ayez le courage de reconnaître que l’État n’a pas donné les moyens à la filière – je rejoins sur ce point Alain Houpert – et qu’il n’a pas fait passer les messages politiques qu’elle devait muter et que vous ne lâcheriez pas. C’est parce que vous n’avez pas porté ces messages et que vous n’avez pas financé suffisamment les alternatives que nous sommes aujourd’hui dans cette situation.

On aurait pu collectivement accepter une tuile – la jaunisse du puceron –, mettre sur la table les indemnisations pour passer ce mauvais moment et sauver la filière. C’est tout à fait possible : l’État l’a souvent fait face à des calamités agricoles. Au lieu de ça, nous revenons en arrière, nous déstabilisons les messages passés et nous envoyons aux consommateurs, notamment à ceux qui font le choix de l’éthanol à la pompe, des signaux qui peuvent être redoutables. Je ne suis pas certain que le lien qui sera fait demain entre néonicotinoïdes et éthanol soit la meilleure publicité pour l’éthanol. Nous verrons quels seront les comportements des consommateurs.

Je vous en veux un peu, monsieur le ministre, car – cela a été dit par Laurence Rossignol – ce débat mérite mieux que la démagogie dont vous avez fait preuve en opposant ceux qui aiment les agriculteurs et ceux qui ne les aiment pas. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le ministre soffusque.)

Ce que nous proposons aujourd’hui, c’est l’augmentation du nombre d’actifs agricoles par le changement de pratiques – c’est aussi ce que craint une partie du lobby agricole. Ces actifs agricoles plus nombreux porteront demain une autre vision de l’agriculture. Ne dites pas qu’il y aurait ceux qui connaissent l’agriculture et qui défendent les agriculteurs et ceux qui ne le feraient pas. Ce n’est pas digne de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.

M. René-Paul Savary. Dans mon département, la Marne, je vis au cœur d’une zone betteravière. C’est un Marnais qui est à la tête de Cristal Union, coopérative dont chaque agriculteur producteur de betteraves détient des parts. Je connais donc le sujet.

Je vous comprends, monsieur le ministre. Quand je sors de mon hameau, je vois des champs de betteraves tout jaunes. Je n’ai jamais vu ça !

M. Julien Denormandie, ministre. Eh oui !

M. René-Paul Savary. Certaines commencent à être ramassées, mais les petites betteraves qui ne passent pas à travers les tamis ne sont pas récoltées, ce qui posera problème, demain, pour la culture qui va suivre.

La filière de la betterave permet à la fois de produire du sucre, mais également – Sophie Primas connaît bien le sujet – de faire de la bioéconomie en transformant la betterave, non seulement en sucres C6 qui nous nourrissent, mais en sucres C5 dont les débouchés sont extraordinaires.

Heureusement que nous avons eu l’éthanol, mon cher collègue, car, sinon, il y a bien longtemps que nous aurions connu des destructions d’emplois. Quand on a fermé des sucreries, dans la Marne comme dans d’autres départements voisins, on a ouvert des distilleries et d’autres usines de transformation autour de la bioéconomie. Cette anticipation a permis de maintenir l’emploi et même de développer la productivité. Il y a un équilibre à trouver entre la transformation alimentaire et la transformation non alimentaire.

Je voudrais également rappeler, car le sujet n’a été qu’abordé, que tuer la filière de transformation de la betterave, c’est tuer aussi la filière particulièrement intéressante de la luzerne, dont les pulpes sont déshydratées comme celles de la betterave. La luzerne est une plante mellifère tout à fait intéressante que l’on cultive avec la betterave, car elle ne tient qu’à ses côtés. Nommée symbiose, cette organisation réunit les apiculteurs et les betteraviers. Nous n’avons jamais produit autant de betteraves, de luzerne et de miel. C’est bien la preuve que l’on peut concilier tout cela. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Bernard Delcros, sur l’article.

M. Bernard Delcros. Le Parlement a voté à deux reprises, en 2016 dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, puis en 2018 dans la loi Égalim, des avancées importantes pour mieux protéger la biodiversité et pour lutter contre la disparition des insectes pollinisateurs, notamment les abeilles, qui sont indispensables aux plantes, aux cultures et à la vie et qui permettent une meilleure préservation de notre environnement.

Le texte proposé, qui vise à revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes que nous avons votée en 2016, constitue à mes yeux une remise en cause de ces avancées. Comment pourrait-on aujourd’hui régresser sur ces enjeux majeurs, alors même que tout le monde s’inquiète de l’avenir de la planète ? C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je voterai contre la réintroduction des néonicotinoïdes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, sur l’article.

Mme Laurence Muller-Bronn. Permettez-moi d’apporter mon témoignage.

Je viens d’un département, le Bas-Rhin, où il y a des betteraviers. Dans mon canton, à trois kilomètres de ma commune, se trouve la sucrerie d’Erstein.

Au sein de mon conseil municipal siègent des agriculteurs qui plantent des betteraves, mais aussi des militants d’associations environnementales, d’où la difficulté de décider de mon vote ce soir. Les associations environnementales sont très présentes dans la vallée du Rhin supérieur.

Ma commune est située sur le Rhin. Juste en face, les Allemands ont accordé une dérogation pour le traitement des betteraves.

Notre sucrerie compte 250 salariés. Elle a déjà subi l’année dernière le déplacement de l’activité d’emballage de la filière sucre, enregistrant 70 licenciements. Comment pourra-t-elle résister si, juste en face, l’Allemagne peut continuer à produire et à traiter ?

C’est une question très difficile, car si nous sommes tous concernés par l’environnement, par les générations futures et par la protection de notre santé, nous sommes aussi tous concernés par les agriculteurs, qui sont des aménageurs et d’ailleurs les premiers gestionnaires de notre territoire. Nous sommes concernés par les emplois de proximité qu’engendre la filière. Ce sont des emplois industriels ; or Dieu sait qu’en France ils ne sont pas si nombreux et qu’ils ont tendance à disparaître. Nous sommes donc concernés par ce soutien. Il nous faut trouver la juste mesure.

Je voterai pour le traitement des semences de betteraves, mais en limitant cette pratique à 2023 et dans l’attente d’une autre solution. Il faut encourager la recherche pour trouver d’autres traitements, d’autres possibilités plus respectueuses de l’environnement, mais aussi l’innovation industrielle, car ces traitements ne sauveront pas la filière betteravière des difficultés qu’elle continuera sans doute de rencontrer. Il faudra qu’elle trouve des moyens de se diversifier et d’innover. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.

M. Henri Cabanel. Dans ce débat qui nous anime depuis quelque temps, j’estime, comme je l’ai dit dans la discussion générale, qu’on fait un amalgame entre la crise structurelle de la filière et la crise conjoncturelle causée par cette maladie provoquée par les pucerons.

Si cette dérogation est votée, monsieur le ministre, sommes-nous assurés que la filière va s’en sortir ? Je pense que la réponse est non. Si cette dérogation est autorisée, les solutions seront-elles trouvées dans trois ans ? On ne le sait pas. En agriculture comme partout, les années se suivent et ne se ressemblent pas, et c’est heureux. Aurons-nous le puceron l’année prochaine ? On ne le sait pas non plus. Devons-nous prendre le risque de déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes, dont la nocivité est connue, alors que nous sommes dans l’inconnu ?

N’aurait-il pas été plus utile d’aider cette filière à élaborer son plan stratégique ? D’ailleurs, connaît-on ce plan stratégique ? Depuis que la loi a été votée, une réelle réflexion a-t-elle été menée par la filière ? Vous avez évoqué des plantations de haies. Nous en sommes tous d’accord, mais de telles plantations sont-elles intervenues depuis 2016 ? Une véritable réflexion stratégique a-t-elle été menée par la filière pour améliorer sa compétitivité au niveau mondial ?

En revenant sur la loi pour autoriser une dérogation, nous prenons des risques majeurs en termes de santé sans régler in fine la problématique de la filière. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, sur l’article.

Mme Anne Chain-Larché. Il me paraît important de nous pencher sur des éléments scientifiques tangibles pour savoir exactement de quoi nous parlons et comment prendre notre décision.

En 2016-2018, des études ont été réalisées pour mesurer les résidus présents dans les sols de toutes les cultures, des céréales aussi bien que des betteraves. Lorsque des résidus ont été trouvés, ils étaient présents en quantités infinitésimales, et on ne pouvait pas déterminer s’ils étaient dus aux stations d’épuration ou aux cultures. Autrement dit, on ne pouvait rien conclure. De plus, les quantités infinitésimales en question étaient de l’ordre de 0,05 microgramme par litre d’eau, soit 0,05 x 10-8 grammes – autrement dit, pas grand-chose.

Mme Anne Chain-Larché. Nous avons aujourd’hui une culture qui pourrait bénéficier d’un traitement pour subsister. Nous avons tous été choqués de voir ces champs désespérément jaunes, alors que nous avons l’habitude, dans nos départements, de côtoyer des cultures magnifiques. Si cette dérogation est autorisée, il y aura en moyenne 70 grammes de ce produit par litre sur un hectare, c’est-à-dire sur 10 000 mètres carrés, soit l’équivalent de dix à treize colliers antipuces pour chien.

Nous avons auditionné le directeur de l’Anses, Roger Genet, qui nous a rappelé l’existence d’un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytosanitaires à proximité de cultures mellifères. Lors de leur audition, les agriculteurs nous ont assuré que derrière des cultures de betteraves il n’y avait jamais de cultures de plantes mellifères, mais des cultures de céréales, de blé et d’escourgeon pendant un, voire deux ans. C’est seulement après ces cultures que sont implantées des cultures intermédiaires pièges à nitrates, ou Cipan, c’est-à-dire en année n+2, voire n+3. Vous imaginez où en sont alors nos petits résidus…

La démarche, notamment en Seine-et-Marne, est très vertueuse :…

Mme le président. Il faut conclure !

Mme Anne Chain-Larché. … seulement dix-neuf kilomètres séparent les usines de la culture, quand cette distance est en moyenne de trente-deux kilomètres en France et de cinquante kilomètres en Allemagne.

Vous opposez quelques microgrammes par litre à une perspective…

Mme le président. Il faut conclure, chère collègue !

Mme Anne Chain-Larché. … de France agricole forte. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. Merci ! Vous pourrez revenir sur ces sujets dans la suite de la discussion.

La parole est à M. Joël Bigot, sur l’article.

M. Joël Bigot. Il y a quatre ans, le Parlement s’était prononcé pour l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Cette interdiction prévoyait des dérogations exceptionnelles s’achevant au 1er juillet 2020. On nous demande aujourd’hui de prolonger cette période jusqu’en 2023. Cette demande est le fruit du lobbying intense exercé par des groupes de pression qui ont gagné et qui gagneront.

Si vous acceptez cette dérogation pour les betteraviers, monsieur le ministre, que répondrez-vous à la filière noisette, à la filière maïs et à d’autres encore ? Vous nous engagez dans une voie de renégociation permanente avec toutes les filières agricoles concernées par les semences enrobées. Vous défendez, ici même, au Sénat, les arguments des agrolobbies, qui pourront à leur tour se prévaloir d’un discours gouvernemental assumé devant la représentation nationale. C’est la politique du pied dans la porte.

Je comprends votre fébrilité sur ce sujet, fébrilité qui s’est illustrée à certains moments par quelques gestes d’humeur. Je m’attendais d’ailleurs à voir Mme Pompili au banc du Gouvernement, puisqu’elle est à l’origine du texte qui, en 2016, prévoyait l’interdiction des néonicotinoïdes en 2020. Je n’épiloguerai pas : l’agenda gouvernemental est tel qu’il lui était sans doute impossible de venir…

Il reste que la politique environnementale s’en trouve sérieusement altérée, tout au moins dans ses symboles et dans sa réalité. En avez-vous bien évalué l’impact environnemental ? N’y avait-il pas d’autre solution que cet aménagement législatif privilégié par le Gouvernement dans une attitude que je qualifierai de court-termiste ?

On aurait pu soutenir financièrement la filière de la betterave grâce au plan de relance et l’accompagner dans la transition qu’elle n’a pas faite d’elle-même. Au lieu de ça, vous nous proposez, par ce texte, de céder tout en bloc et de donner l’onction législative à une demande sectorielle. Cette loi fera figure de cas d’école pour le lobbying parlementaire.

Ce faisant, monsieur le ministre, nous ne sommes pas dans la défense de l’intérêt général, mais de l’intérêt catégoriel. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme Sophie Primas, rapporteur. On n’est pas dans les explications de vote !

M. Frédéric Marchand. C’est de la posture !

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.

M. Jacques Fernique. En 2016, comme simple citoyen, j’ai suivi les débats parlementaires qui ont abouti à l’interdiction des néonicotinoïdes. Aujourd’hui, nouveau sénateur, il me semble entendre les mêmes objections, les mêmes arguments, les mêmes protestations sur les désastres économiques et sociaux, les mêmes demandes de dérogation très dérogatoires et les mêmes incantations à l’égard de la recherche de nouveaux produits chimiques invasifs. Tout cela a déjà été entendu et surmonté par la loi de 2016. Alors, ne régressons pas !

Les néonicotinoïdes sont indiscutablement des poisons redoutables pour la faune et la flore. Permettre des dérogations à leur interdiction, autoriser leur usage massif et systématique en enrobage de semences aurait des impacts néfastes sur les écosystèmes. Mais cela en aurait aussi sur d’autres filières agricoles et sur d’autres réalités économiques comme les apiculteurs et les producteurs de colza ou de tournesol, dont les rendements baissent quand les pollinisateurs disparaissent.

Face aux mêmes enjeux, l’Allemagne, deuxième producteur européen de betteraves sucrières et pas tout à fait le pays de la décroissance, se garde bien d’introduire une dérogation de même nature. Elle opte plutôt – cela a été rappelé – pour du curatif ciblé sur les seules superficies touchées. C’est un moindre mal marqué du sens de la mesure auquel appelait à l’instant ma collègue bas-rhinoise Laurence Muller-Bronn.

Je crois donc à un curatif ciblé à impact limité plutôt qu’à un préventif généralisé et très impactant. Il faudrait que nous fassions preuve, nous aussi, de mesure en refusant une régression qui serait désastreuse. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, sur l’article.

M. Frédéric Marchand. Je pense que le dramaturge italien Luigi Pirandello se régalerait en écoutant nos débats : chacun sa vérité. Cela étant, il y en a une qui est réelle au sujet de la recherche – je ne voudrais pas, à cet égard, contredire mon collègue et néanmoins ami Ronan Dantec.

Je ne suis absolument pas d’accord quand on nous dit que les betteraviers et les semenciers ont remisé par-devers eux la recherche après le vote de la loi de 2016. Je viens d’un département qui s’enorgueillit, notamment dans la Pévèle Carembault, de compter la petite entreprise familiale Florimond Desprez, qui n’est ni un lobby, ni Bayer, ni Monsanto. Après le vote de la loi, en 2016, elle a investi 30 millions d’euros dans la recherche de semences de betteraves.

Là aussi, il faut appeler un chat un chat : quand on réfléchit, quand on travaille, quand on veut produire, il y a tout un processus à respecter. Il faut notamment une inscription des variétés au catalogue officiel – ce qui est très long–, ce qui me conduit à rejeter l’affirmation qu’il n’y a pas eu de recherche ou de moyens.

Quand on va voir le travail effectué aujourd’hui par ces familles de semenciers, qui font l’honneur de la France dans le monde entier, on constate qu’il y a de la recherche et une volonté affichée, affirmée et réelle de sortir de ces fameux néonicotinoïdes. Je tenais à apporter ce témoignage, car j’estime que c’est toute une profession qui est montrée du doigt, et cela commence à suffire ! (M. Didier Rambaud applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, sur l’article.

M. Jean-Michel Arnaud. Je ne suis pas convaincu par les arguments autres qu’économiques sur le maintien dérogatoire de néonicotinoïdes pour les betteraves sucrières.

Je regrette que les abeilles et les pollinisateurs ne soient pas au centre des débats. Je regrette le peu d’intérêt pour d’autres productions en souffrance comme celle de la poire, décimée par la rouille grillagée dans la vallée de la Durance, dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence. Son seul produit fongicide, le mancozèbe, encore homologué il y a peu sur le marché français, vient toutefois d’en être retiré le 22 octobre dernier. Les lobbies sont effectivement moins puissants pour la production fruitière. Je regrette – cela a été rappelé par un collègue sénateur LR – le manque de moyens de l’Inrae afin d’avoir enfin, pour des productions comme les betteraves et certains fruits, une recherche qui trouve.

Je voterai donc contre cette loi de dérogation, qui vise à prolonger l’utilisation des néonicotinoïdes enrobés et à rester dans l’impasse. Je protège aussi l’égalité entre agriculteurs, qui ne sont pas traités de la même manière selon leur production et leur région. C’est une rupture d’égalité.

Je regrette enfin que certains collègues s’appuient sur les exemples allemand et belge pour dire que nous devons faire pareil et déroger. C’est une façon singulière de considérer l’Europe.

En liberté, en conscience, je voterai contre ce texte, car rien n’a avancé depuis 2016, et je crains que, si nous ne mettons pas chacun au pied du mur et devant ses responsabilités, rien ne bouge. Dans trois ans, nous aurons, hélas, les mêmes débats et les mêmes résultats. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, sur l’article.

M. Jean-Michel Houllegatte. Je pense que nous n’allons pas tomber d’accord. Certes, ce que fait une loi, une autre peut le défaire, mais la passion avec laquelle nous débattons de cette question et le temps que nous y consacrons montrent qu’elle est tout sauf anodine. Il s’agit même d’un principe que nous avons failli inscrire dans la Constitution. En 2019, le Président de la République avait en effet proposé d’écrire dans l’article 1er de la Constitution, au même titre que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale – principe fondateur de notre République –, que la République française « favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques ». Ce sera d’ailleurs peut-être fait un jour.

Face à la difficulté à laquelle nous sommes confrontés, nous aurions la tentation de déroger et de trouver des accommodements. C’est ce qui nous est proposé de faire à travers cette autorisation temporaire. Mais quand on fait de la politique, on affirme des principes, on pose des actes et, d’une certaine façon, on affirme des valeurs qui sont intangibles et qui sont des marqueurs.

Le marqueur que je défends est que nous soyons intangibles par rapport à cette préservation de l’environnement. Intangible ne veut pas dire insensible. Nous sommes tout à fait conscients des difficultés de la filière – elles ont d’ailleurs été exprimées. C’est donc à nous de trouver collectivement les moyens d’accompagner la filière dans les difficultés qui sont les siennes en ce moment. C’est pourquoi je soutiendrai les amendements de suppression qui seront proposés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Certains ont regretté le débat excessivement simplifié qui prenait un tour un peu caricatural. Peut-être faut-il partir de la réalité qui s’obstine et qui contrevient parfois aux lectures dogmatiques. On pourrait d’autant plus le faire si l’on avait un peu d’esprit de suite, car, en 2016, il y avait déjà à peu près le même débat. À cette occasion, Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, avait dit que la solution consistant à interdire tous les usages des produits contenant des néonicotinoïdes pourrait se traduire par un recul de la politique menée par le Gouvernement pour protéger les pollinisateurs et pour réduire le recours aux produits phytosanitaires.

Déjà, Stéphane Le Foll lui-même avait dû se défendre des accusations de collusion lancées sur certaines de ces travées – plus à gauche, il est vrai. Il avait dû, chaque fois, assurer les élus qu’il n’était pas au service des grands producteurs de néonicotinoïdes. Malgré cela, il y avait déjà l’accusation de groupes de pression. Je me souviens même que certains avaient soupçonné Stéphane Le Foll d’être le VRP de l’agrochimie.

Il n’y a donc pas grand-chose de nouveau dans ce débat depuis quatre ans, et la réalité est effectivement brutale et parfois douloureuse pour des filières de production qui ont été fortement impactées par cette interdiction générale.

Pour la qualité des débats qui s’annoncent ce soir et cette nuit, j’espère qu’on évitera les réflexes pavloviens et qu’on partira d’une réalité qui, elle, s’obstine à être sous nos yeux.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l’article.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Qui n’a pas parlé ? (Sourires.)

M. Guy Benarroche. Dépités et désolés, les partisans de cette réautorisation accordée à des pesticides avérés dangereux pour notre terre, notre biodiversité et notre santé nous expliquent l’absence d’une autre solution que le retour à un mode d’avant, celui de l’utilisation sans régulation des pesticides.

Je vous incite, monsieur le ministre, à butiner, telles les abeilles que nous allons finir par éradiquer, les informations apportées par la recherche, par les agricultrices et agriculteurs et par le corps médical. Arrêtons de croire possible une alternative issue de la substitution d’un produit chimique par un autre produit chimique.

La recherche ne va pas aussi vite que la destruction du vivant ; elle n’apportera pas de solution miracle si le statu quo perdure. La conjoncture n’est pas exceptionnelle ; elle se reproduira et se reproduit déjà. La monoculture, soutenue par les néonicotinoïdes, appartient au passé. Elle a tout gâché : les insectes, les sols, les cours d’eau, la vie des travailleurs de la terre. Ce sont ces pratiques que nous devons reconstruire au lieu de nous arc-bouter sur un modèle agricole dépassé.

Il est clair que toutes les avancées en matière de biodiversité ou de stratégie bas-carbone entraîneront des difficultés réelles et transitoires. Prévoir ces difficultés en accompagnant ces secteurs dans leur conversion plutôt que de déroger à ces engagements au moindre coup de vent défavorable est ce que nous attendons d’un gouvernement qui nous paraît plus adepte d’une écologie du dire que d’une écologie du faire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)