M. Laurent Duplomb. Et voilà !

M. Julien Denormandie, ministre. Or la betterave sucrière présente une double spécificité par rapport à toutes les autres cultures. D’une part, étant récoltée avant floraison, elle a un effet relatif sur les pollinisateurs moindre que d’autres cultures ; cela dit, je n’ai jamais prétendu que son impact écologique serait nul – j’ai dit que, au-delà de l’économie et de l’écologie, il y avait un enjeu de souveraineté. D’autre part, et surtout, si les sucreries ne reçoivent pas suffisamment de betteraves, elles peuvent fermer du jour au lendemain.

Monsieur Duplomb, je m’engage à travailler avec toutes les autres filières : la noisette, dont vous avez parlé, la betterave et d’autres encore. Mais il faudra trouver d’autres solutions que la dérogation.

S’agissant de la betterave sucrière, je répète que les deux spécificités que j’ai évoquées justifient la mesure proposée au regard du principe d’égalité.

Merci, monsieur Demilly, d’avoir rappelé l’objet du projet de loi : utiliser l’article 53 du règlement européen, qui autorise un État, en l’absence d’alternative, à instaurer une dérogation. Vous pensez bien que, si j’avais la moindre conviction qu’il existe une alternative, je ne serais pas devant vous cet après-midi, quelque plaisir que j’aie à débattre avec vous, pour vous demander l’autorisation de recourir à un article dont la mise en œuvre suppose l’absence d’alternative. Les solutions alternatives n’existent pas, malheureusement – pas une personne sur ces travées n’est favorable aux néonicotinoïdes.

Madame Préville, je ne suis pas sûr, très objectivement, que ce soit la facilité qui guide ma proposition. Si la facilité guidait mon action de ministre, d’homme politique, je ne serais sans doute pas devant vous ce soir… Il est beaucoup plus facile de dire : vous verrez, il y aura une solution, il suffit de l’appliquer ! Il est beaucoup plus difficile et courageux de reconnaître, avec l’humilité dont parlait M. Duplomb,…

Mme Cécile Cukierman. Décidément !

M. Julien Denormandie, ministre. … qu’il n’y a pas de solution alternative.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en quoi consiste le bon sens paysan dont a parlé Jean-Marc Boyer ? Certes pas à accepter que, dans deux ans, nos enfants mangent du sucre en provenance d’autre pays. Nous voulons que, dans deux ans, ils mangent encore du sucre français. Nous voulons réussir la transition agroécologique, mais la réussir avec la filière française ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Discussion générale (suite)

6

Modification de l’ordre du jour

Mme le président. Mes chers collègues par courrier en date de ce jour, M. le Premier ministre a informé M. le président du Sénat que le Gouvernement ferait, jeudi 29 octobre 2020 après-midi, une déclaration suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à l’évolution de la situation sanitaire et aux mesures nécessaires pour y répondre.

Les modalités d’organisation du débat à la suite de la déclaration du Gouvernement seront définies par la conférence des présidents qui se réunira demain, à quatorze heures.

En conséquence, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur commence mercredi 28 octobre 2020, à seize heures trente.

La suite de l’ordre du jour s’établirait ainsi :

Mercredi 28 octobre 2020 à seize heures trente et le soir et jeudi 29 octobre 2020 au matin : projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ;

Jeudi 29 octobre 2020 à quatorze heures trente : déclaration du Gouvernement, en application de l’article 50-1 de la Constitution, suivi d’un débat et d’un vote ; puis, l’après-midi et le soir : projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses dispositions de gestion de la crise sanitaire ;

Vendredi 30 octobre 2020 au matin : suite du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, puis suite du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ;

Vendredi 30 octobre 2020 après-midi et, éventuellement, le soir : suite du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.

Acte est donné de ces demandes.

Le délai limite d’inscription pour les orateurs des groupes dans la discussion générale sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, initialement prévu demain à quinze heures, serait avancé demain à douze heures.

Sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, ce délai serait fixé à demain dix-huit heures. Le délai limite de dépôt d’amendements de séance sur ce même projet de loi serait reporté au jeudi 29 octobre 2020 à douze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Article 1er

Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Mme le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 13

Article 1er

I. – L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi rédigé :

« II. – L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.

« Jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l’utilisation est interdite en application du droit de l’Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

« Dans des conditions définies par les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du présent II, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs sont temporairement interdits après l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II. » ;

2° Après le même II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :

« II bis. – Il est créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. Ce conseil comprend quatre députés, dont au moins un député membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et quatre sénateurs, dont au moins un sénateur membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, représentant proportionnellement les groupes majoritaires et de l’opposition et désignés par les commissions permanentes compétentes en matière d’agriculture et d’environnement de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, notamment, le délégué interministériel pour la filière sucre et des représentants des ministères chargés de l’environnement et de l’agriculture, du Conseil économique, social et environnemental, d’associations de protection de l’environnement, des syndicats agricoles, des filières de production et de transformation concernées, des instituts techniques et des établissements publics de recherche. Les membres de ce conseil exercent leurs fonctions à titre gratuit. Sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par décret.

« Le conseil mentionné au premier alinéa du présent II bis se réunit trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées et de l’efficacité des tests en matière de recherche et de mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, ainsi que la conformité de ces avancées à la feuille de route fixée par le Gouvernement en la matière. Dans le cadre de la procédure de dérogation prévue au deuxième alinéa du II, il émet un avis sur les dérogations, dans le respect d’un délai déterminé par décret, et assure le suivi et l’évaluation de leurs conséquences, notamment sur l’environnement, et de leur incidence économique sur la situation de la filière. Le conseil émet un avis et suit l’état d’avancement du plan de prévention proposé par la filière de production de betteraves sucrières, en veillant à ce que soient prévues les modalités de déploiement des solutions alternatives existantes en conditions réelles d’exploitation.

« Ce conseil publie un rapport annuel, remis chaque année avant le 15 octobre au Gouvernement et au Parlement. »

II. – Le 1° du I entre en vigueur à une date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, et au plus tard le 15 décembre 2020.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Élu de Picardie, élu de l’Oise, je viens d’une terre où la campagne des betteraves rythme les automnes depuis près de vingt décennies, où les hautes cheminées de briques des sucreries dominent les plaines du Noyonnais, du Compiégnois, du Beauvaisis, du plateau picard et d’Estrées-Saint-Denis.

Devenue terroir sucrier, notamment après que Napoléon eut imposé le boycott de l’importation du sucre de canne, qui enrichissait la perfide Albion, l’Oise, à l’instar de nombreux départements français, a vu son activité agricole faire une large place à la culture betteravière. Certes, la modernisation et la concentration ont entraîné la fermeture de bien des sucreries ; mais l’activité reste importante et fait vivre de nombreuses familles – il suffit de circuler dans nos campagnes en ce moment pour voir les norias de poids lourds et autres engins en action. Mais jusqu’à quand ?

Si nous n’instaurons pas cette dérogation, strictement encadrée et temporaire, non seulement nous condamnons nos betteraviers, mais nous ne sauvons pas pour autant la planète et les générations futures. En effet, nous continuerons à consommer du sucre « néonicotinoïdé », produit par nos voisins belges ou allemands ou même bien plus loin, au Brésil, avec une traçabilité et une pureté bien aléatoires… Étrange vertu écologique schizophrène, qui nous verrait sacrifier sciemment nos planteurs au bénéfice de leurs concurrents, défendus, eux, par leur gouvernement !

Nous sommes tous favorables à la transition agroécologique, et nos agriculteurs aussi. Nous souhaitons tous que le recours aux néonicotinoïdes s’arrête dès que possible, c’est-à-dire dès qu’une véritable alternative existera, et nos agriculteurs aussi. Nous voulons tous concilier économie et écologie, et nos agriculteurs aussi.

Ne pas adopter ce projet de loi, ce serait abandonner un nouveau pan de notre souveraineté alimentaire et sanitaire ; ce serait aussi de la non-assistance à agriculteurs en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Censée pourtant détailler l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales du projet de loi, l’étude d’impact ne s’appuie sur aucun argument référencé ; elle se fonde exclusivement sur les données fournies par des organismes professionnels représentant des intérêts privés, sans recouper ces chiffres avec d’autres données scientifiques ou publiques.

Elle ne dresse aucune analyse sérieuse de la situation économique de la filière de la betterave à sucre et ne fait aucune mention des effets déterminants de la suppression des quotas européens, ni des conséquences désastreuses de la dérégulation qui en est résultée : pertes de revenus pour les producteurs et fermetures de sucreries avec licenciements.

Quid, par ailleurs, des effets économiques à long terme de la chute des populations de pollinisateurs sur les productions agricoles qui en ont besoin pour assurer leur rendement ? Alors que la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) met en garde contre de futures famines, faudra-t-il, comme en Chine, polliniser à la main les cerisiers ?

Pourquoi céder à la facilité et aux pressions de différents groupes, au lieu de proposer des alternatives d’ordre économique, agronomique et technique pour aider les acteurs à supporter le risque sur leur parcelle et à faire évoluer leurs pratiques agricoles pour lutter contre le virus de la jaunisse ?

Il y a des solutions ! Nous avons rencontré de nombreux agriculteurs biologiques qui cultivent de la betterave : sont-ils des menteurs ou de dangereux utopistes, lorsqu’ils nous expliquent que leurs rendements ne sont pas du tout inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle et qu’ils ont moins de pertes cette année que celle-ci ?

Oui, des solutions existent : il faut les encourager, au lieu de céder à une fuite en avant qui nous conduira à de plus gros problèmes demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article.

Mme Victoire Jasmin. Je vous ai tous écoutés avec beaucoup d’attention. Nous sommes, évidemment, dans un système concurrentiel et compétitif. Je puis comprendre la plupart des arguments qui ont été avancés.

Toutefois, en Guadeloupe et en Martinique, le chlordécone a bénéficié de dérogations du type de celle que vous vous apprêtez à instaurer. Or les agriculteurs de l’époque, en faveur desquels de nombreux arguments entendus cet après-midi avaient déjà été développés – c’était dans leur intérêt économique, social et environnemental –, sont aujourd’hui quasiment tous décédés… (Mme Laurence Rossignol opine.) Pis, leurs enfants, petits-enfants et tous ceux qui vivent dans l’environnement proche où le chlordécone a été utilisé, notamment dans une bonne partie de la Basse-Terre, mais aussi en Martinique, sont aujourd’hui victimes d’un cancer ou de problèmes endocriniens.

Nous devons, il est vrai, penser à l’économie et à la situation sociale de ces personnes. Mais, à quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans le cadre duquel nous parlerons d’économies dans le domaine de la santé, essayons de garder une certaine décence. Car ces personnes seront peut-être malades. De ce point de vue comme du point de vue de l’environnement, quels que soient les arguments, nous n’avons pas le droit de faire n’importe quoi !

Par ailleurs, je dénonce un mépris des agriculteurs ultramarins. Nous produisons aussi du sucre, certes de canne. Nous n’avons pas besoin de nous tourner vers le Brésil : nous sommes des producteurs ! Nous produisons également des gels hydroalcooliques à base d’alcool de rhum, notamment en Guadeloupe. Nous avons encore beaucoup d’autres solutions. Ne faites pas comme si nous étions des étrangers : nous existons et nous produisons ! Certes, notre production ne couvrira pas l’intégralité des besoins, mais ce mépris doit cesser.

Pour tous ceux qui sont aujourd’hui malades d’un cancer, pour tous ceux qui souffrent parce qu’ils ont perdu l’un des leurs, pour toutes les associations qui ont déposé de multiples plaintes et qui ont déjà gagné des procès – récemment encore, un des leaders des Verts en Guadeloupe a obtenu une réponse à l’échelon européen –, pour la mémoire de tous ceux qui ont lutté et qui, pour certains, ont perdu la vie, je dis : réfléchissons bien à toutes ces dérogations. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.

M. Joël Labbé. Dans la continuité de l’intervention de Victoire Jasmin, je veux réagir à la communication du Gouvernement sur ce projet de loi, qui nous paraît problématique.

Ces dérogations nous sont présentées comme une fatalité, une solution proposée à contrecœur, mais nécessaire pour la souveraineté alimentaire. Le projet de loi serait conçu pour limiter au minimum les effets de cette réautorisation sur l’environnement. Bref, ce serait la solution la « moins pire ».

J’ai entendu que nous serions le pays où la dérogation serait la plus encadrée. Or, ce qui nous est proposé, c’est une dérogation sur l’enrobage des semences. En d’autres termes, avant même de connaître la situation sanitaire des plantations de betteraves, le Gouvernement autorise ces produits en préventif sur plus de 400 000 hectares… En effet, au moment de la mise en production des semences et de leur plantation, il sera encore trop tôt pour estimer correctement le risque de jaunisse. Cette utilisation des néonicotinoïdes est donc tout sauf ciblée et limitée !

En commission, nos collègues ont comparé les pesticides à des médicaments pour soigner les plantes. Je ne souscris en rien à cette analogie, mais, si l’on devait accepter de parler ce langage, l’enrobage des semences avec des néonicotinoïdes reviendrait à prendre des antibiotiques en prévention d’octobre à avril pour éviter de tomber malade…

Les pratiques systémiques, vous le savez, ont aussi pour conséquence de provoquer des résistances des insectes cibles. À côté de nous, l’Allemagne, deuxième producteur européen de sucre, refuse d’autoriser les néonicotinoïdes pour traiter les semences. Le ministre allemand de l’agriculture en a pris l’engagement dès décembre 2018. Le modèle choisi par notre voisin repose donc sur le refus de tout traitement préventif de l’ensemble des surfaces de betteraves et sur l’autorisation – uniquement si les conditions de l’émergence de pucerons sont réunies – de la pulvérisation d’un néonicotinoïde, l’acétamipride. Les quantités de néonicotinoïdes répandues dans l’environnement sont alors bien moindres.

Je n’entends pas faire l’apologie de la pulvérisation, dont les inconvénients sont majeurs. Je tiens à souligner que l’enrobage des semences n’est en rien plus écologique et qu’il n’est pas un moindre mal pour l’environnement. Si nous sommes opposés à toute forme de dérogation aux néonicotinoïdes – nous l’avons répété –, nous notons que nos voisins allemands refusent les usages préventifs qui sont présentés dans ce texte comme une fatalité ou un moindre mal. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.

M. Olivier Jacquin. Il y a pire que la jaunisse, monsieur le ministre : la sécheresse, qui fait bien plus de dégâts. Et il y a pire encore que la sécheresse : l’effondrement des cours de la betterave de 40 euros à 20 euros la tonne, qui fait souffrir la filière et les agriculteurs.

Pourquoi cet effondrement des cours ? La filière de la betterave sucrière disposait d’un système de régulation aussi puissant que celui du lait. Une forme de paresse et de lâcheté collective a conduit à l’abandon de ces outils de régulation exceptionnels, grâce auxquels cette filière était plutôt bien portante.

En même temps, le prix du sucre a baissé de moitié en quelques années : de 600 à 300 euros la tonne. Au bénéfice de qui ? De l’industrie agroalimentaire ! C’est pour cette raison que le député Dominique Potier a présenté à l’Assemblée nationale un plan B pour la betterave – je vous invite à consulter sa proposition sur internet – visant à indemniser la filière et à investir dans l’avenir.

Par ailleurs, la loi date de 2016. Or peu a été fait depuis lors. Alors que le plan Écophyto est quasiment à l’abandon, vous vous réveillez maintenant en disant : « Agissons, sauvons la filière. » Je vous trouve le ministre d’un gouvernement attentiste et pas du tout prospectif. Il y a eu une véritable paresse dans ce domaine.

Où est le courage, monsieur le ministre ? On vous dit courageux ; je suis plus qu’interrogatif. Le courage et l’audace, c’est d’accompagner l’agriculture vers des filières de qualité, respectueuses de l’environnement et rémunératrices. Le courage et l’audace, c’est de protéger notre agriculture des insupportables distorsions de concurrence devant nos avancées qualitatives. Nous vous l’avions demandé dans la loi Égalim, mais cela n’avance pas.

Vous nous parlez de souveraineté, mais pourquoi cette souveraineté est-elle à géométrie variable ? Que ne concerne-t-elle l’élevage bovin ? Pourquoi ne pas protéger nos producteurs de viande bovine ?

Le courage, monsieur le ministre, je ne le trouve pas. Cette loi est véritablement régressive ; elle ne fera que creuser le fossé entre l’agriculture et nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, même si nous ne sommes pas d’accord, je dois reconnaître que vous prenez le temps de nous répondre, et je vous en remercie, car ce n’est pas toujours le cas des membres de votre gouvernement.

À ce stade, je distingue trois débats : la souveraineté alimentaire, les quotas sucriers et – j’en dirai un mot tout à l’heure – la défense des salariés de la filière.

S’agissant de la souveraineté, il faut entrer dans les chiffres. Il y a effectivement une perte en nombre d’hectares : on est passé de 447 000 à 423 000 hectares, soit une perte sèche de 5 %. Les chiffres sont-ils exacts, monsieur le ministre ?

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. C’est plus !

M. Fabien Gay. Cette perte n’est pas due aux pucerons. Si les agriculteurs ont fait le choix de ne pas emblaver davantage, c’est à cause de la sécheresse, des pluies diluviennes, mais aussi parce que le prix n’est pas assez rémunérateur. Car, le vrai problème, c’est la fin des quotas sucriers, dont vous n’avez pas dit un mot !

Vous répétez : « Pucerons ! Pucerons ! Pucerons ! » Cette difficulté est réelle, mais, en amont, les betteraviers rencontrent de tout autres problèmes. C’est pour ça qu’ils ont fait le choix de ne plus emblaver et que nous avons perdu 5 % des surfaces.

Nous ne sommes pas encore menacés sur le plan de la souveraineté alimentaire : nous sommes toujours excédentaires. Aujourd’hui, nous consommons un quart de notre production ; les trois quarts restants sont transformés soit en éthanol, soit en alcool, puis exportés ; et un cinquième de la production est exporté en dehors de l’Union européenne. Tels sont les chiffres.

Je reviendrai sur la fin des quotas sucriers, parce que votre argument me paraît faible, pour ne pas dire inexistant. Mais, sur ce premier débat, m’accordez-vous qu’en matière de souveraineté alimentaire nous ne sommes pas aujourd’hui en péril ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas l’un des meilleurs débats que le Sénat ait connus : une partie de l’hémicycle considère ses collègues comme des écologistes excessifs et l’autre partie de l’hémicycle regarde ses collègues avec perplexité, se demandant si chacun mesure bien ce qu’il fait. Un débat dans lequel on s’accuse de dire des contrevérités n’est pas un bon débat.

Monsieur le ministre, des vérités scientifiques, objectives, sont sur la table, comme les éléments que mon collègue Fabien Gay vient d’indiquer sur la souveraineté alimentaire. Par ailleurs, 25 % de la production de betteraves est consacrée aux biocarburants. On pourrait faire évoluer ce taux.

Vous parlez de souveraineté alimentaire : interrogeons-nous sur la souveraineté alimentaire de l’Europe en matière de sucre bio. Vous avez indiqué préférer qu’on mange du sucre produit à partir de betteraves françaises malgré les néonicotinoïdes plutôt que d’importer du sucre bio. Aujourd’hui, 10 % du sucre bio qu’on consomme en Europe est produit en Europe. Peut-être pourrait-on faire le choix d’une souveraineté alimentaire en matière de sucre de betterave bio ? Vous haussez les épaules,…

M. Julien Denormandie, ministre. Pas du tout !

Mme Laurence Rossignol. … mais, depuis des années, chaque fois qu’on évoque ces questions, quelqu’un hausse les épaules. Or on s’est rendu compte progressivement que les agriculteurs pouvaient évoluer et changer de pratiques agricoles quand ils sont accompagnés.

Je suis moi aussi élue d’un département betteravier. C’est justement parce que je pense aux agriculteurs et à leurs enfants que je vais voter contre votre projet de loi et pour les amendements visant à supprimer l’article 1er.

Cessons de nous renvoyer des vérités ou des contrevérités ! C’est un choix politique que vous faites en disant : « premièrement, les néonicotinoïdes sont dangereux ; deuxièmement, nous décidons de les réintroduire. »

Vous décidez donc en toute conscience de réintroduire un produit dangereux, pas simplement pour les abeilles, mais aussi pour l’ensemble de la biodiversité. Or ce qui est dangereux pour la biodiversité est à moyen terme dangereux pour l’homme, donc pour nous tous. Un jour – je pense que c’est le moment de le dire –, nous devrons rendre des comptes aux générations futures. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.

M. Alain Houpert. Pendant six années, j’ai été rapporteur spécial de la commission des finances pour le budget de l’agriculture. Pendant six années, j’ai rapporté les crédits du Casdar, le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », qui concerne les crédits alloués à la recherche agricole. Pendant six années, je n’ai eu de cesse de plaider pour le renforcement de la recherche et de l’innovation.

Ce projet de loi revient sur une loi qui a interdit il y a quelque temps l’usage de molécules qui ont un nom imprononçable. Ce projet de loi est un retour en arrière. Ce projet de loi est un pas de clerc. Ce projet de loi est la consécration d’un échec. Ce projet de loi préfigure le scénario qui se produira pour le glyphosate. Ce projet de loi préfigure que les objectifs et les ambitions des rois de la transition écologique sont accompagnés de moyens de mendiants.

Je ne voterai pas pour un échec. Je ne voterai pas pour donner de faux espoirs. Je m’abstiendrai, car je ne veux pas entrer dans un débat qui n’est qu’un sparadrap. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)